"Souvent la foule trahit le peuple" Flashcards
“Souvent la foule trahit le peuple” attribué à V. Hugo
Des mouvements de gilets jaunes de novembre 2018 à l’assaut du Capitole aux Etats-Unis en janvier 2021 en passant par les émeutes consécutives à la mort de Nahel Merzouk en juin 2023, cette citation attribuée à Victor Hugo semble plus que jamais d’actualité.
Baromètre de la confiance politique du centre de recherches politiques de Sciences Po, février 2023
64% des Français considèrent que la démocratie « ne fonctionne pas bien »
72% des Français déclarent ne pas avoir confiance dans le gouvernement pourtant démocratiquement élu
81% d’entre eux affirment ne pas avoir confiance dans les parties politiques
Distinction entre “foule” et “peuple”
La distinction entre « foule » et « peuple » exprimée par Victor Hugo semble a priori claire. Si la democratie est souvent traduite comme « le pouvoir au peuple », le terme de « demos » désigne traditionnellement le « peuple agissant en assemblée », ainsi que l’explique longuement Aristote dans la Constitution des Athéniens (320 av. J.-C.). Déjà en effet, l’Athènes antique distinguait le « demos » du « plêthos » qui qualifiait la multitude, le peuple comme masse. Ainsi compris, le terme de « peuple » désignerait donc la communauté des citoyens et renverrait à l’action politique régulièrement exprimée au sein d’institutions démocratiques.
. La foule est alors conçue comme une masse incohérente, disposant d’un niveau global de rationalité inférieur à celui des agents qui la composent, exprimant une pensée confuse susceptible de conduire aux pires débordements. La foule serait donc ennemie du peuple, c’est-à-dire de la communauté des citoyens agissant démocratiquement.
La Liberté guidant le peuple, Delacroix, 1831
Il n’est pas anodin qu’il soit devenu l’image de la République triomphante, au point de s’imposer dans l’imaginaire collectif comme un symbole de liberté et de lutte pour la démocratie.
Gérard Mauger
L’Émeute de novembre 2005, une révolte protopolitique (2006)
Il met en garde contre la tentation d’une délégitimation totale de ces révoltes populaires en raison de la violence de leur expression.
Gustave Le Bon, Psychologie des foules (1895)
parle ainsi « d’inconscience archaïque partagée » et explique que les foules « ne sont efficaces que pour la destruction ».
La foule désigne une masse irrationnelle dangereuse, L’histoire française regorge d’exemples de débordements
En aout 2021, alors que d’immenses incendies dévastaient la Kabylie, une jeune homme venu aider les populations à combattre le feu fut accusé d’être à l’origine des feux, poignardé, lynché et brûlé par une foule en colère, le meurtre étant filmé par de nombreux téléphones portables et diffusé en direct sur les réseaux sociaux
La foule, par ses errements, peut mettre en danger la démocratie
En évoquant une trahison du peuple par la foule, il insiste en effet sur le risque d’une mise en danger de la démocratie : Voici le peuple ; il change avril en Floréal, / Il se fait République, il règne, il délibère. / Voici la populace : elle accepte Tibère.
Le deuxième empereur romain du début du premier siècle est en effet décrit
comme un tyran sanguinaire.
Gil Delannoi, article « Pour un bon usage du référendum » (2016)
« pratiqués dans un cadre démocratique, certains plébiscites sont déguisés en référendums quand le consentement à une loi est clairement doublé d’une demande de confiance en faveur du président et du gouvernement ».
Le politologue Ronald Inglehart
Il a développé le concept de « démocratie de protestation » pour décrire la centralité progressive acquise par la manifestation, la grève et le boycott au sein des modes de participation politique à partir des années 70.
CPE
Les manifestations contre le contrat première embauche (CPE) de 2006 traduisent à la perfection cette légitimé démocratique de la « rue » dépassant la distinction peuple/foule. La loi « pour l’égalité des chances » instituant le CPE avait en effet été votée démocratiquement par les assemblées, validée par le conseil constitutionnel et promulguée. Elle incarnait donc l’expression légitime du peuple par l’intermédiaire de ses représentants. Elle fut cependant suspendue par le Président de la République le jour même de sa promulgation puis finalement abrogée en raison de la force des mouvements étudiants et lycéens opposés au texte
Jacques Julliard, article « Nous le Peuple » (2007), la revue Le Débat
Tout se passe comme si, dans certaines situations, la loi « avait désormais besoin d’une double ratification : celle du Parlement, celle de la rue ».
Revue L’ENA hors les murs de 2019
ce qui fait la spécificité de la manifestation est sa capacité à exprimer des exigences et affirmer l’identité d’un groupe. A l’inverse, des mouvements d’émeutes et de pillages, comme ceux qu’a connu la France en 2005, 2007 ou plus récemment en juin 2023 semblent plus proche de la violence brute et dénuée de sens.
Cependant, la revue consacré au mouvements des gilets jaunes illustre parfaitement la nécessité d’une telle approche. Les nombreux contributeurs y reconnaissent tous que les gilets jaunes apparaissaient évoluer sans représentations ni discours collectifs sur ce qu’ils étaient et voulaient. Pour autant, le démographe Hervé Le Bras y démontre que la carte de la mobilisation dans les départements correspond exactement à celle de la « diagonale du vide » qui s’étire d’une partie du Sud-Ouest au Nord-Est de la France. Loin de correspondre à la géographie politique du pays, la répartition majoritaire des Gilets jaunes exprimerait l’apparition d’un « malaise automobile », le pacte implicite entre l’Etat et les territoires désertifiés – le soutien à la voiture individuelle pour compenser l’éloignement des services publics – ayant été rompu. C’est donc bien un message politique qui aurait été exprimé, malgré l’absence de leader et de discours unifié.
Gérald Bronner, Apocalypse cognitive (2021)
analyse la manière dont la diffusion massive d’informations de mauvaise qualité, a favorisé l’émergence de citoyens « qui pensent mal ».
Bruno Humbeeck, Pour en finir avec le harcèlement (2019)
. Les réseaux sociaux ont pour caractéristique de rendre le nombre de témoins de l’action violente potentiellement infini. La prégnance et l’intensité de l’agression s’en trouvent singulièrement augmentées. En outre, en se manifestant par des « like » ou à travers des commentaires renforçateurs, les spectateurs jouent un rôle actif plus explicite et ce, d’autant plus que la loi du nombre (plus les « likers » sont nombreux et moins ils sont identifiables) et le semblant d’anonymat rendent confortable la posture de celui qui assiste au massacre, en approuve le principe et en cautionne le fondement