Faut-il avoir peur du complot ? Flashcards
Le complot a sa place dans l’ordre ou le désordre international
En 1939, une opération commando est montée de toutes pièces par les Allemands pour faire croire à une attaque de la Pologne contre le Reich. Douze criminels, sortis des camps de concentration et déguisés en soldats polonais, attaquent un poste de radio situé sur le territoire allemand ; on leur a promis qu’en échange ils seraient libérés, mais ils seront abattus ensuite. L’opération vise à justifier devant une partie de l’opinion neutre l’invasion de la Pologne, présentée comme une simple représailles. Au procès de Nuremberg, le chef d’accusation n°1 est d’ailleurs celui de « plan concerté ou complot ».
Les particuliers tissent aussi des intrigues pour parvenir à leurs fins
Dans la vie économique, les entreprises s’entendent parfois pour maintenir des prix élevés ou éliminer un concurrent.
La dénonciation d’un complot peut susciter des enquêtes et dévoiler des scandales
Elle contribue à la moralisation des pratiques des États et des entreprises. Ce n’est pas un hasard si, dans un nombre croissant de pays, les lanceurs d’alerte sont encouragés et protégés. Ils jouent un rôle essentiel, que ne remplissent pas les médias traditionnels.
Les thèses complotistes ne sont pas des discours qui incitent à la passivité
Au contraire, elles prétendent pousser chacun à chercher ailleurs la vérité et par lui-même. A l’inverse, accuser un adversaire de défendre une « théorie du complot » peut être une façon purement rhétorique de le disqualifier, et ses opinions avec lui. Ainsi, il est discrédité avant tout examen de ses idées. Il passe pour un paranoïaque et se voit dénier la possibilité de se faire entendre. Un tel argument est donc employé de préférence par les tenants de l’ordre établi, quel qu’il soit.
La théorie du complot est une forme paradoxale de réenchantement du monde
Elle répond en grande partie à une demande de sens. Elle permet d’échapper au malade créé par le sentiment du chaos historique.
Mythes et mythologies politiques, Raoul Girardet, 1986
L’imaginaire des sociétés serait structuré par quatre grands mythes archaïques, « le complot », « l’âge d’or », « l’unité nationale », « le sauveur ». Selon lui, ces quatre constructions imaginaires permettent de rendre aux sociétés leur cohésion dans les moments de crise, de doute et de perte des valeurs traditionnelles. Le complot vise aussi à rassurer. L’historien souligne que les vagues conspirationnistes surgissent dans des contextes de crise globale ou de bouleversements profonds de l’ordre social, qui ébranlent les valeurs et les normes : Révolution française, révolution d’octobre 1917, crise de 1929, attentats du 11 septembre 2001, crise financière de 2008, attaques terroristes de 2015 et 2016, épidémie de la Covid-19 de 2020. A l’inverse, le complot a connu une relative éclipse en Europe au cours de la prospère et pacifique seconde moitié du 20e siècle.
Complot et sociétés secrètes
Les structures sont toujours les mêmes. Une société secrète extrêmement hiérarchisée déploie dans l’ombre un ingénieux plan de conquête du monde en employant tous les moyens, même les plus immoraux. Quelques esprits lucides ont percé à jour ses sombres desseins, mais ils subissent des persécutions et se heurtent au scepticisme du plus grand nombre.
Les complots relèvent plus de l’imagination que de la théorie, ce qui explique la place qu’ils occupent dans la littérature
Balzac est particulièrement sensible à ces thèmes. L’écrivain fonde lui-même une société secrète, une sorte de Franc-maçonnerie littéraire qu’il nomme le Cheval Rouge. Ses affidés sont des talents destinés à s’emparer des postes clefs du monde littéraire, théâtrale et journalistique. Le Cheval Rouge n’obtient guère de succès. Il est dissous sans avoir organisé beaucoup de complots.
Les théories du complot sont dangereuses parce qu’elles désignent des boucs émissaires, qui peuvent être victimes de violences collectives
1) Le mythe du complot juif mondial : est celui qui a eu les répercussions les plus importantes. D’abord, la Révolution français ayant émancipé les juifs, la quasi-totalité des mouvements antisémites du 19e siècle considèrent comme une vérité établie que ls juifs ont causés la Révolution. Ensuite, ls protocoles des Sages de Sion ont été présentés par Hitler comme une source de premier ordre dans Mein Kampf. Il s’agit pourtant d’un faux forgé par la police secrète tsariste. La manipulation, grossière, fut établie par le Times dès 1921. 2) Dans le monde arabe : Les sunnites craignent le complot chiite, les chiites le complot sunnite et tous les musulmans les conspirations américaines et israéliennes. D’après les sondages, 50% des Jordaniens et 55% des Égyptiens croient que les attentats du 11 septembre 2011 ont été fomentés par la CIA.
Notre cerveau est la proie de « biais cognitifs »
1) Le biais de confirmation : tendance à ne retenir, dans le flot des informations qui nous submergent en permanence, que celles qui vont dans le sens de nos croyances.
2) Par besoin d’ordre, les individus croient volontiers aux explications intentionnelles et rejettent le hasard et les coïncidences : Par exemple, la mort d’un puissant chef d’Etat sera spontanément rapportée à une conspiration impliquant de puissants acteurs plutôt qu’à l’action d’un déséquilibré isolé (Kennedy).
3) La paréidolie : nous avons tendance à voir de la forme dans l’informe. C’est pourquoi certains ont cru apercevoir le portrait du diable dans les nuages créés par la chute des tours du World Trade Center.
La Démocratie des crédules, Gérald Bronner, 2013.
Notre société est particulièrement propice aux théories du complot
1) Internet facilite la diffusion d’analyses erronées. La toile accorde une place démesurée aux informations erronées. Sur internet, le biais de confirmation règne en maître.
2) L’individualisme démocratique incite chacun à chercher, puis à affirmer « sa vérité » : chacun estime qu’il a le droit d’obtenir la vérité et les capacités nécessaires pour la découvrir tout seul, en faisant l’économie de toute médiation.
3) La culture américaine, notamment populaire, contribue à diffuser à l’échelle mondiale l’imaginaire complotiste : En Europe, les théories du complot ont été discréditées après la SGM, mais les EU ont en quelque sorte pris le relais. Leur histoire les prédisposait probablement (assassinat de Kennedy, de son frère, de M. Luther King, révélation des manipulations gouvernementales ayant conduit à l’escalade du Viêt Nam, scandale de Watergate). Alors qu’en France on redoute surtout l’Église, aux EU on se méfie d’abord de l’État. Ces explications remportent un net succès dans les communautés franco-américaine, parce qu’elle se sent discriminée, voire menacée. Après le passage de Katrina à la Nouvelle-orléans, la rumeur s’était répandue que le pouvoir blanc avait volontairement laissé s’écrouler une digue qui protégeait la population noire.
4) Le rejet des élites favorise l’idée que notre démocratie n’est qu’un théâtre d’ombre : D’après l’analyse de Claude Lefort, la démocratie est « le lieu vide du pouvoir ». Ce régime souffre par nature d’un déficit d’incarnation, qui conduit spontanément à chercher des actions souterraines. Il n’est donc pas étonnant que les théories du complot soient apparues à la Révolution française, après l’exécution du roi qui incarnait l’autorité. La classe politique se voit intenter un double procès en incompétence et en corruption : à quoi bon aller voter si tout est organisé en sous-main ? les théories du complot creusent le fossé entre le peuple et les élites, et fragilisent la démocratie.
Les théories du complot sont particulièrement difficiles à contrer
pour deux raisons. 1) Elles sont adaptables : tous les évènements qui surgissent sont susceptibles d’être intégrés au discours complotiste. Ces théories sont fondées sur l’accumulation d’arguments. Prises une à une, ces « preuves » rassemblées ne prouvent rien, mais sèment le doute. 2) Elles sont irréfutables : Il y a une inversion de la charge de la preuve. C’est au tenant de l’explication officielle de montrer qu’il n’y a pas eu de complot. Or, on peut montrer que quelque chose existe, mais jamais que quelque chose n’existe pas.
Les théories du complot sont naïves quant à la puissance des acteurs
si l’assassinat de Kennedy était le résultat d’un complot, il est probable que, plus de 60 ans après les faits, des éléments auraient filtré.
L’argument du « rasoir d’Ockham »
formulé au 14e siècle. Il est inutile de chercher une explication compliquée, quand une explication simple, à partir de ce nous connaissons déjà suffit à rendre compte d’un phénomène. De même que le rasoir tranche tout ce qui dépasse, il faut donc éliminer les thèses farfelues.
Les solutions
Le rôle de chacun : Le « droit au doute » (Gérald Bronner) doit s’accompagner de devoirs, ceux de se former, de développer un authentique esprit critique et de s’informer des meilleures sources.
L’école : on observe une corrélation entre l’âge et le faible niveau d’études, d’une part, et la croyance aux théories du complot, d’autre part. Par exemple, il faut enseigner en même temps la théorie de Darwin et les raisons pour lesquelles l’esprit humain lui résiste spontanément.
Le monde scientifique : doit mieux communiquer, et surtout vulgariser le résultat de la recherche scientifique.
Le gouvernement : site « Ontemanipule.fr » lancé en février 2016. Loi du 22 décembre 2018 : une nouvelle voie de référé civil visant à faire cesser la diffusion de fausses informations durant les trois mois précédant un scrutin national.
La presse : Le Monde a lancé « Le Décodex » qui vise à une vérification systématique de l’information. Une 40taine de médias français et internationaux ont créé le site CrossCheck, outil de vérification collaboratif.
La régulation d’internet : Les grandes entreprises du secteur (Les « GAFAM »), sentent une responsabilité dans le résultat des dernières compagnes électorales américaines. Elles envisagent de modifier les algorithmes programmant la distribution de contenus aux utilisateurs, afin de réduire automatiquement la circulation des informations erronées. Une telle mesure peut être perçue comme liberticide.