L'homme face à la nature Flashcards
Chaque époque semble dominée par un problème fondamental
XVIIIe siècle (question politique : trouver le meilleur mode de gouvernement).
XIXe siècle (question sociale : intégrer à la société la classe ouvrière née de la révolution industrielle).
XXe siècle (question nationale : ensanglante l’Europe et le monde).
XXIe siècle (selon certains auteurs, la question naturelle : crise écologique).
Platon, Protagoras
Platon soutenait déjà la thèse selon laquelle la technique jouerait un rôle de compensation. L’homme n’ayant pas, par nature, ce qu’il lui faut pour (sur)vivre, c’est la technique qui assurera la continuité de son espèce en le surclassant des animaux plus forts que lui
Antiquité > Moyen-Âge > Époque moderne
Cependant, pendant l’Antiquité et le Moyen-Âge, une approche essentiellement contemplative de la nature domine. Si le savant Héron d’Alexandrie crée un premier prototype de la machine à vapeur dès le 1er siècle avant notre ère, il ne songe nullement à l’exploiter dès lors que l’esclavage fournit une main-d’œuvre abondante. Ce n’est qu’à l’époque moderne, suite à une relecture des textes anciens, qui relativisent le discours de l’Église, et à la découverte du Nouveau Monde (1492), que l’humanité se dote d’un programme élaboré d’exploration et de domination de la nature. Progressivement, s’installe un véritable culte du progrès que rien ne semble pouvoir arrêter, et dont Jules Verne est, au 19ème siècle, l’un des « grands prêtres ».
Jules Verne, L’île mystérieuse (1874).
Il y relate l’épopée de cinq personnages échappés du siège de Richmond pendant la Guerre de Sécession, échouant sur une île du Pacifique. Sous la direction de l’ingénieur Cyrus Smith, ils utilisent la science pour coloniser l’île, réinventant l’agriculture, l’élevage, la métallurgie et la poudre.
Descartes, Discours de la Méthode (1637)
Descartes, dans son ouvrage le Discours de la Méthode (1637), annonçait déjà l’avènement de l’homme devenu « comme maître et possesseur de la nature ». Or, la précision est importante car le véritable maître de la nature demeure théoriquement Dieu. Il soulignait que, par la technique, l’homme ne subirait plus son environnement, mais le transformerait à sa guise, l’utiliserait selon sa convenance. Pour se faire, Descartes plaide pour la diffusion la plus large des connaissances scientifiques, dans la mesure où celles-ci peuvent avoir une application pratique. Surtout, Descartes rapporte la technique à l’allongement de l’espérance de vie. Il pressent une mutation anthropologique : avec la modernité, le rapport à la mort change. La société perçoit positivement tout ce qui peut la faire reculer. Même les plus technophobes ne refusent pas une technique leur permettant de vivre plus longtemps, exception faite peut-être des Témoins de Jéhovah.
Dune de Franck Herbet
Comme le souligne le personnage Paul Atréides, dans le roman Dune de Franck Herbet, « Le concept de progrès agit comme un mécanisme de protection destiné à nous isoler des terreurs de l’avenir ». Autrement dit, la mythologie du progrès est là pour nous rassurer face aux dangers que fait courir à l’humanité le cours spontané de son développement.
Aujourd’hui, le processus de domination de la nature semble échapper largement à l’homme.
. En ce sens, la revanche d’une nature maltraitée par les humains est au cœur du roman Dune de Franck Herbert paru en 1965. Dans son récit, Herbert insiste sur la rudesse de son climat, il fait environ 50 degrés à sa surface, et décrit des paysages telluriques, des déserts de sables. Or, Dune n’était pas désertique dans son passé puisque des « salines » (ou Chott en arabe comme le Chott el-Jérid dans le Sud tunisien) y sont décrites dans le premier tome, témoignant de la présence de lac et de mer autrefois. Comme l’explique Leto II Atréides dans Les Enfants de Dune (1976), sa désertification est d’origine anthropique. Afin de produire l’ « Épice », drogue psychédélique très convoitée, les hommes ont importé la truite des sables, stade juvénile du vers des sables, animal mythique dans le monde d’Herbet. Or, elles ont proliféré au-delà de ce que les écosystèmes pouvaient tolérer, ont enkysté tout l’eau disponible, en ont fait une planète désertique. Un peu à la manière des lapins introduits en Australie dans les années 1800 qui ont surconsommé les plantes supplantant les autres herbivores et appauvrissant les sols. Charles DarwinLa planète Dune est donc à Franck Herbet ce que la lande anglaise est à Charles Darwin : un écosystème fragile en voie d’anthropisation.
La surface de la planète porte de plus en plus l’empreinte de l’homme.
Aujourd’hui, en France, il n’existe plus d’espace sauvage : 99% du paysage sont dits « anthropiques », c’est-à-dire aménagés par l’homme et pour lui. Seules les cimes des montages restent inchangées (encore que le réchauffement climatique fait fondre neiges et glaciers). D’après certains auteurs, nous serions entrés dans l’anthropocène, c’est-à-dire dans une nouvelle ère géologique dans laquelle l’influence de l’homme sur le système terrestre devient prédominant. Les réserves naturelles sont des espaces choisis et délimités par l’homme, qui choisit seul ce qui mérite d’être conservé ou abandonné. Par ailleurs, les catastrophes industrielles sont devenues presque aussi terrifiantes que les catastrophes naturelles. En témoigne, l’explosion de l’usine chimique de l’Union Carbide à Bhopal, en 1984, en Inde, qui a fait 3 500 morts officiellement, et selon les associations de victimes entre 20 000 et 25 000 morts. Surtout, la biosphère est aujourd’hui soumise à une pression sans précédent. Par exemple, en dépit de remarquables progrès techniques, comme la construction de navires à double coque, des marées noires se produisent régulièrement (Torrey-Canyon dans la Manche en 1967 ; l’Erika dans le golfe de Gascogne en 1999). Il également possible de citer l’extraction des minerais ou hydrocarbures en creusant toujours plus profond, la déforestation, le réchauffement climatique et la surexploitation des ressources naturelles.
La maîtrise de la nature pourrait s’étendre prochainement à l’homme lui-même.
Aux Etats-Unis s’est développé un courant « transhumaniste » qui annonce l’entrée dans la post-humanité. Les transhumanistes proposent de planifier ou d’amplifier les mutations futures, en « augmentant » l’homme grâce à des prothèses cognitives ou à des manipulations génétiques. L’objectif est de surmonter toutes les limites à la condition humaine, et à terme vaincre la mort. Ces thèses « eugénistes » soulèvent des problèmes éthiques considérables.
Dans son roman Dune, paru en 1965, Franck Herbert alerte sur les dangers du courant « transhumanisme ».
Aucune des grandes innovations technologiques qui existaient à l’époque de l’auteur ne présentes car elles ont mené le monde à une crise. Cette crise est inspirée à Herbet par les analyses de l’écrivain britannique Samuel Butler, qui prédisait que l’évolution technologique serait bloquée par l’épuisement des ressources et l’aliénation des êtres humains aux machines pensantes. En réaction, l’humanité a donc cessé de construire des machines, symbolisé par la formule « Tu ne feras point de machine semblable à l’esprit humain». L’évolution est passée alors à un perfectionnement de l’humanité proche du « transhumanisme », qui va s’incarner de plusieurs manières. Cependant, toute transformation, toute augmentation artificielle de l’homme entraîne immédiatement une vulnérabilité, une perte d’autonomie.
Le principe responsabilité (1979), Hans Jonas
Dans son ouvrage, Le principe responsabilité (1979), Hans Jonas est le premier à introduire le concept suivant : L’activité humaine peut affecter les générations futures. Pour lui, il est urgent de fonder une éthique nouvelle susceptible d’amener l’homme à s’autolimiter. Cette éthique sera une « éthique de la peur », car comme l’avait déjà noté Hobbes (Le Léviathan, 1651) : « il faut prêter l’oreille à la prophétie du malheur ». La crainte est la plus puissante des passions, comme elle est la seule à pouvoir inciter les individus à changer de mode de vie.
L’influence de Hans Jonas est patente, le développement durable s’impose comme une nécessité.
En 1987, dans son Rapport Brundtland (1987), la Commission mondiale sur l’environnement et le développement soutient que le développement durable est « un développement qui répond aux besoins des générations du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs ». Cette phrase fait écho à un extrait de l’ouvrage de Hans Jonas dans Le Principe responsabilité (1979) : « Achille avait le droit de choisir pour lui-même une vie brève, faite d’exploits glorieux, plutôt qu’une longue vie de sécurité sans gloire, mais nous n’avons pas le droit de choisir le non-être des générations futures à cause de l’être de la génération actuelle ». En France, l’expression développement durable est employée pour la première fois par Edith Cresson lors de son discours de politique générale. Dans la sphère internationale, elle est consacrée en 1992 lors du deuxième Sommet de la Terre à Rio de Janeiro. Deux concepts sont inhérents au développement durable : les besoins, surtout ceux essentiels des plus démunis et le souci de limiter l’impact de nos techniques sur l’environnement.
Cependant, certains courants de pensée préconisent d’aller plus loin que le développement durable et d’organiser la décroissance des économies occidentales. Tel est la thèse soutenue par Ivan Illich dans son ouvrage Énergie et équité (1975).
Pour lui, les institutions industrielles finissent par quasiment devenir des obstacles à leur propre fonctionnement. La médecine nuit à la santé, éliminant la maladie parfois au détriment de la vie du patient, le transport et la vitesse font perdre du temps, l’école abêtit, les communications deviennent si denses et si envahissantes que plus personne n’écoute ni ne se fait entendre, etc. Par exemple, passé un certain seuil de vitesse, les outils pour se déplacer allongent les déplacements et font perdre du temps. La voiture ne répond pas à des besoins, elle impose des contraintes. Elle crée de la distance puisque les lieux et le mode de vie s’organisent selon les possibilités offertes par ce moyen de transport. Si l’on soustrait au temps moyen gagné par la vitesse de la voiture les heures perdues dans les embouteillages et les déplacements inutiles ou passées au travail pour payer cette même voiture, il apparaît que l’automobiliste roule à une vitesse située entre 6 et 12 km/h, soit aussi vite qu’un vélo.
Le principe de précaution peut cautionner des attitudes excessivement craintives et démobilisatrices.
Dérivé de la pensée de Hans Jonas et peut se résumer par l’adage latin in dubio, pro malo (« en cas de doute, envisage le pire »). Ce principe, consacré par les textes internationaux (traité de Maastricht) et par le droit français, conduit parfois l’opinion à lui accorder une portée excessive, y voyant un véritable principe d’abstention ou d’inaction. En témoigne, en avril 2010, l’éruption du volcan islandais Eyjafjöll qui a conduit à la fermeture totale du ciel européen à l’aviation civile, au nom d’une interprétation excessive du principe de précaution, avant que l’on ne s’avise soudain que les risques invoqués n’étaient pas fondés. Or, comme le souligne Louis Gallois dans le Rapport au Gouvernement préconisant un « pacte pour la compétitivité de l’industrie française » (2012), ce principe doit servir à la prévention ou à la réduction des risques, non à paralyser la recherche. En effet, l’innovation est indispensable pour que la France, dans dix ans, soit dans le course mondiale et conserve son niveau de vie et son modèle social. C’est ce qui pousse, notamment, la Commission « Innovation 2030 » (2013) a proposé la reconnaissance d’un principe d’innovation équilibrant le principe de précaution. Par ailleurs, le règne de la peur ne produit qu’une fausse sécurité, et peut conduire à une société du risque qui est une société de la méfiance généralisée. Il ne faut sans doute pas renoncer au principe de précaution, mais l’encadrer, le préciser, le compléter.
La technique permet de se prémunir contre des catastrophes naturelles qui apparaissaient jusque-là comme des fatalités.
En 1755, un séisme, suivi d’un tsunami puis d’un incendie cause la mort de 60 000 des 245 000 habitants de la capitale du Portugal. La catastrophe suscite un important débat philosophique sur la Providence entre Voltaire et Rousseau. Pour Voltaire, la nature est une force brute qu’il faut contraindre par la technique (Poème sur le désastre de Lisbonne, 1756). La même année, Rousseau lui répond dans une lettre (Lettre à M. Voltaire sur la Providence : « Sans quitter votre sujet de Lisbonne, convenez, par exemple, que la nature n’avait point rassemblé là vingt mille maisons de six à sept étages, et que si les habitants de cette grande ville eussent été dispersés plus également et plus légèrement logés, le dégât eu été beaucoup moindre et peut-être nul ». Il considère que la nature est bonne, du moins neutre, et que c’est la société qui corrompt l’homme. S’il avait appris, en 2011, la catastrophe de Fukushima au Japon, il aurait sans doute dénoncé les intérêts économiques qui ont conduit à la construction d’une centrale dans une zone hautement sismique. Voltaire, lui, croit au progrès. Il soulignerait combien la technique a permis de réduire le nombre de victimes.