La souveraineté Flashcards
Dans la pensée classique, qui va de Jean Bodin à Jean-Jacques Rousseau
La souveraineté est conçue comme étant indivisible, c’est-à-dire qu’elle n’est imputée qu’à une seule entité. Cela résulte de son caractère absolu et inconditionné : comment envisager, en effet, une souveraineté supportant, sur son territoire, un pouvoir concurrent ?
La souveraineté de l’État
c’est-à-dire la souveraineté externe, renvoie à l’indépendance de l’Etat vis-à-vis de puissances ou d’intérêts extérieurs. Ces trente dernières années, le débat au de la souveraineté de l’État a pris une acuité particulière dans le débat public, sous l’effet de l’intégration européenne, de la mondialisation des enjeux (pandémie, changement climatique, crises financières…), de la libéralisation de l’économie, qui s’est accompagnée d’une ouverture progressive des frontières. Ainsi, une attention nouvelle est portée aux marques de la souveraineté (souveraineté industrielle, économique, sanitaire, numérique) et la capacité des États de rester maîtres de leur destin.
La souveraineté du peuple
qui fonde l’exercice de la démocratie en proclamant le caractère inconditionné de son pouvoir, mais laisse en suspens la question de son exercice effectif. En effet, en régime représentatif, le peuple n’exerce pas directement le pouvoir, mais seulement par la voix de ses représentants. Ce qui conduit certains à percevoir une logique de dépossession, exacerbée par les transferts de compétences consentis à diverses organisations internationales.
Les Six Livres de la République, Jean Bodin (1576)
Les notions de souverain et de souveraineté se sont développées sous l’Ancien régime. Jean Bodin fut le premier à donner une assise théorique à la notion. Selon lui, la souveraineté est « le pouvoir de commander et de contraindre sans être commandé ni contraint par qui que ce soit sur la Terre ». En conceptualisant la souveraineté de la sorte, il pose les fondements de l’État moderne, qui refuse de reconnaître aucune autre forme de pouvoir et notamment pas celui de la religion, incarné par la papauté.
Léviathan, Thomas Hobbes
En échange de ce pouvoir absolu et centralisateur, l’État apporte la sécurité à ses sujets. Pour lui, la souveraineté est une insoumission à toute loi supérieure. Pour assurer la paix et la sécurité, il estime donc indispensable de réunir tous les pouvoirs et tous les attributs de la souveraineté entre les mains d’une entité supérieure, le Léviathan, à qui il revient de déterminer les notions de bien et de mal, les règles de la vie sociale et d’exercer la justice. Il ne souffre aucun obstacle à son autorité et possède un pouvoir de vie ou de mort sur ses sujets. Hobbes a exercé une grande influence sur les doctrines de souveraineté particulièrement dans la gestion des menaces graves.
De l’Esprit des lois, Montesquieu
Un État absolutiste est un état tyrannique, d’où l’idée du philosophe bordelais de séparation des pouvoirs (« il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir »). Il souligne l’importance du pouvoir judiciaire pour garantir le respect du droit.
Du Contrat social, Jean-Jacques Rousseau (1762)
Le pas théorique décisif dans notre compréhension moderne de la souveraineté fut accompli par Rousseau. En effet, il déplaça la souveraineté de l’État vers le peuple pour faire de la « volonté générale » la source de toute forme de pouvoir, sous forme de démocratie directe.
Qu’est-ce que le Tiers-État ? L’Abbé Sieyès (1789)
théorisa la « souveraineté nationale », soit la détention de la souveraineté par un être collectif et indivisible, distinct des individus qui la composent, s’exprimant au travers de la représentation nationale.
Sous la Révolution française
Les révolutionnaires ont voulu donner un fondement juridique à la souveraineté, la faire résider dans la collectivité des citoyens. L’art. 6 DDHC dispose que la loi est l’expression de la volonté générale et que tous les citoyens ont le droit de concourir à sa formation. C’est la naissance des États-nation, qui voient fusionner la souveraineté du peuple et celle de l’Etat. Par le jeu des institutions républicaines, la souveraineté du peuple se transforme, vis le système représentatif, en souveraineté de la loi.
Karl Marx
Critique de la souveraineté démocratique : voit dans la « démocratie bourgeoise » le paravent de la domination de classe, les capitalistes s’arrogeant le contrôle des institutions politiques (la superstructure idéologique) afin de préserver leur mainmise sur le système de production (l’infrastructure économique).
Dominer. Enquête sur la souveraineté de l’État en Occident (2020), Pierre Dardot et Christian Laval
En dépit des formidables progrès démocratiques, l’analyse de Karl Marx emporte encore aujourd’hui conviction de nombreux analystes.
Les deux auteurs affirment que l’Etat a été confisqué par une caste de hauts fonctionnaires convertis au néolibéralisme et empêchant la transformation démocratique et sociale de la société. Ils qualifient ainsi la souveraineté étatique d’autoritaire susceptible de dégénérer dans une forme radicale, à l’image des projets politiques de Recep Tayyip Erdogan, Narendra Modi et Donald Trump.
audience solennelle de rentrée de la Cour de cassation du 12 janvier 2024
Christophe Soulard (premier président) et Rémy Heitz (procureur général) ont manifesté leur inquiétude face aux critiques adressées aux juges, accusés d’outrepasser leurs pouvoirs et de se saisir de la jurisprudence européenne afin de paralyser l’action politique. Selon le premier président, « les pouvoirs dont disposent les juges sont d’abord des devoirs : celui, prescrit par le Code civil et sanctionné par le Code pénal, de trancher les litiges qui leur sont soumis en appliquant les textes. Ce devoir inclut celui de faire respecter la hiérarchie des normes voulue par le constituant et le législateur. C’est ce principe qui commande notamment de respecter les décisions de la Cour de justice de l’Union européenne et celles de la Cour européenne des droits de l’Homme. L’autorité de leurs décisions résulte des conventions signées par la France ». Quant à lui, Rémy Heitz a soutenu que la dénonciation du « pouvoir des juges » était une « facilité », un « cliché », ajoutant que « les juges ne prennent pas le pouvoir. Ils ne font que remplir la mission qui leur a été confiée par la loi et nos textes fondamentaux ».
Pouvoir et contre-pouvoir à l’heure de la mondialisation (2009), Ulrich Beck
Le capital assoit sa domination dans à l’échelle internationale, qui est une domination translégale : il joue sur les différences de législation entre des Etats isolés, législations qu’il amène aussi à évoluer dans un sens néo-libéral (primat de l’économique sur le politique) qui lui est favorable. Les grandes entreprises se sont ainsi arrogées un méta-pouvoir ou un quasi-pouvoir, le pouvoir du « non ». Contrairement au pouvoir des Etats, qui réside dans leur légitimité (démocratique) et s’exerce parfois par la violence, ce pouvoir réside dans la décision non-violente et plus économique que proprement politique de refuser d’investir. Les Etats sont ainsi mis en concurrence les uns avec les autres et adoptent différentes stratégies, qui peuvent se cumuler (protectionnisme, dumping fiscal, dumping social).
Face à la crise démocratique, Pierre Rosanvallon
appelle à démultiplier la souveraineté du peuple, qui ne saurait aujourd’hui se résumer à l’exercice électoral dans le cadre d’une « démocratie d’autorisation » (soit l’idée que le peuple n’exerce son pouvoir qu’en autorisant périodiquement ses représentants à régir la vie collective en son nom). Il faut, au contraire, envisager une véritable « démocratie d’exercice », comprise comme la démultiplication des occasions et modes d’expression du peuple. Par exemple en soumettant les gouvernants à une surveillance accrue, à des redditions de comptes plus fréquentes, à des formes de contrôle, à des formes de jugement. Le citoyen ne peut pas espérer être derrière chaque décision, mais il peut participer à une puissance collective de contrôle, de surveillance, de jugement, d’évaluation permanente des pouvoirs établis.
No Demos ? Souveraineté et démocratie à l’épreuve de l’Europe (2021), Céline Spector
Elle soutient ainsi la nécessité d’accroître le pouvoir du Parlement , de rendre la Commission responsable devant les peuples (afin de donner aux peuples la conviction que la loi peut être modifiée en accord avec la volonté populaire), et d’ajouter à ces conditions institutionnelles des conditions culturelles telles que la formation de l’espace public européen et de la culture politique européenne, fondée sur la défense de la solidarité (alors que l’Europe est souvent perçue comme le Cheval de Troie du libéralisme du fait de la prééminence du marché unique l’extension des droits sociaux au niveau du continent) et de l’environnement. D’où la suggestion d’un New Deal européen qui impliquerait une politique fiscale, un fédéralisme fiscal nécessaire notamment pour affronter la transition énergétique.
Selon l’auteure, il ne suffit donc pas de démocratiser les institutions, qui ne recevront l’assentiment des citoyens qu’en proposant un véritable projet commun.
