L'exigence de transparence Flashcards
Libération, 2010, Laurent Joffrin
« Le mot de l’année ? Transparence évidemment ». Selon lui, l’exigence de transparence serait le signe de la mutation d’une « république impérieuse et opaque » en « démocratie accessible à tous », l’expression du désir du citoyen de mettre fin à « la corruption, l’arbitraire et les excès de pouvoir ». La transparence serait « l’héritière des Lumières » et traduirait l’approfondissement de la démocratie au XXIe siècle.
Pour les régimes non démocratiques, le secret est la mesure même de l’art de gouverner
1 – Au 17e siècle, la maxime d’inspiration machiavélienne, Qui nescit dissimulari nescit regnare, c’est-à-dire « Qui ne sait pas dissimuler ne sait pas régner », est fréquemment appliquée par les puissants.
2 – Au 18e siècle, Louis XV met en place le « Secret du roi », ou « cabinet noir », un système de diplomatie secrète destiné à renforcer l’influence française à l’est de l’Europe et à influencer la politique des autres États. Le Chevalier d’Éon, dont le sexe même était mystérieux fut l’un des agents de ce service parallèle, chargé de préparer un débarquement militaire en Angleterre. Le « Secret du roi » était ignoré par les ministres des Affaires étrangères eux-mêmes. Il ne fut connu qu’à la mort de Louis XV, en 1774.
Les Lumières firent l’éloge de la publicité
Les hommes sont perfectibles et capables de tirer les leçons de leurs échecs. Mettre au grand jour un problème, c’est donc déjà en partie le régler. La transparence permet la diffusion des connaissances. Elle rend les populations plus conscientes des problèmes collectifs. La transparence est du côté du bien et de la vertu. A l’inverse, l’opacité, qui interdit toute communication et tout progrès individuel ou collectif, est assimilée au mal, au vice, à la tyrannie. Ces principes l’emportent en 1789, triomphe de la transparence démocratique sur le secret monarchique. Alors que le roi est hostile à la transparence des délibérations, l’assemblée nationale choisi la publicité. Par la suite, la publicité des débats parlementaires s’affirme comme l’un des principes essentiels du droit constitutionnel français (art. 33 C°). La publicité constitue le lien de la société et de son gouvernement.
Sociologie, Simmel
a analysé la fascination exercée par les doctrines et sociétés ésotériques. Selon lui, ces sociétés jouent sur le sentiment de supériorité que confère la possession d’un secret. « Le secret fonctionne comme un ornement que l’on possède et qui valorise la personne ». Il existe tout un pathos du secret : on prête serment, on subit des cérémonies d’initiation plus ou moins complexes, des sanctions sont prises contre ceux qui trahissent es secrets. Le problème étant que par leur mystère et le sentiment de supériorité qu’elles confèrent, les doctrines ésotériques les plus farfelues attirent nombre d’esprits faibles, persuadés de connaître d’un seul coup le fin mot de l’histoire.
La Pendule de Foucault, Uberto Eco, 1988
se moque de l’ésotérisme, des sociétés secrètes et de leurs prétendus mystères. Il dénonce l’idée qu’un unique fil rouge unirait toutes les traditions ésotériques à travers le temps. A la fin du romain d’Umberto Eco, on découvre que le secret ne protégeait que le vide. La leçon est claire : derrière le mystère ésotérique, il n’y a rien.
Le Projet de paix perpétuelle, E. Kant
fait l’apologie de la transparence et réclame que la diplomatie se fasse désormais au grand jour. Pour bannir le secret dans les relations internationales, il a deux arguments : 1/ Le secret des décisions sème les germes de la guerre. Si la politique devient entièrement transparente, il sera beaucoup plus difficile de se servir de se servir de la raison d’Etat pour justifier la guerre devant le peuple. 2/ La diplomatie secrète (pratique des traités entièrement ou partiellement secret) nourrit les guerres futures. Elle alimente les craintes et fantasmes des États qui sont laissés en dehors de ces engagements et qui peuvent donc imaginer le pire et agir en conséquence. Wilson est persuadé que les traités secrets portent une lourde responsabilité dans le déclenchement de la PGM. Il espère les bannir à tout jamais l’usage de la diplomatie secrète. Hélas, un vœu pieux. Dès les années 1920 et 1930, de nouveaux traités d’alliance secrets sont signés, par exemple entre la France et la Pologne, ou entre l’Allemagne nazie et l’Italie.
A la fin de 1917 et début 1918, Lénine fait publier les traités secrets conclus par le défunt régime tsariste.
A la différence du président Wilson, il n’agit pas par Kantisme mais pour déstabiliser les États européens et hâter la Révolution qu’il appelle de ses vœux. Son initiative fait scandale : on découvre que les alliés font la guerre non pour de grands principes, mais afin de s’assurer des gains territoriaux tangibles, et qu’ils ont promis les mêmes provinces à des États neutres différents pour les inciter à entrer en guerre à leurs côtés. Cette initiative de Lénine peut considérer comme le lointain ancêtre des actions menées par l’organisation WikiLeaks.
Article « Secret, transparence et démocratie », Jean-Denis Bredin, 2001
Le secret professionnel, le secret de l’instruction, le secret de la confession, le secret des sources pour les journalistes, ne cessent de se réduire, car ils sont souvent vécus comme des obstacles sur le chemin de la vérité. On leur oppose sans cesse les droits des individus.
Le Grand secret, Claude Gluber
qui révélait, quelques mois seulement après la mort de l’ancien président de la République, que F. Mitterrand souffrait d’un cancer dès 1981. Le docteur Gluber fut condamné à la prison avec sursis et radié par l’ordre des médecins, des sanctions confirmées en appel, puis en cassation. La France fut néanmoins condamnée par la CEDH.
La remise en cause de la dichotomie entre la vie privée et la vie publique
1) Une conception de l’intimité s’affirme dans tous les milieux : Il devient plus naturel de parler de ce « moi » que Blaise Pascal jugeait pourtant haïssable. Ex : Les hommes et femmes politiques vont de plus en plus loin dans le dévoilement de l’intimité / La presse à scandale et les émissions de télévision surfent sur cette vague volontiers voyeuriste (1990, émission Perdu de vue) / Succès de l’autofiction en littérature à partir des années 1990 (Annie Ernaux) / L’art contemporain.
2) Se développent de nouvelles technologies, qui rendent possible une transparence à peu près totale des individus. Ex : caméras, satellites, géolocalisation, bornage des téléphones portables, techniques de dépistage. Ne risquons-nous pas de passer à une société de la surveillance et du dressage généralisé, qui n’aurait plus rien de démocratique ? La Chine contemporaine, qui développe le « système du crédit social » en offre un amer avant-goût.
La Filature, Sophie Calle
Dès 1981, la plasticienne Sophie Calle a ainsi convaincu sa mère d’engager un détective privé pour la suivre, puis a exposé les photographies et rapports dudit détective sous le titre La Filature, en parallèle du récit qu’elle avait elle-même réalisé de ses journées.
L’exigence de transparence intégrale peut déboucher sur un angélisme suicidaire
Les informations peuvent être publiées, sauf à donner à l’ennemi un avantage indu. En 2010, la publication de télégrammes diplomatiques de plusieurs pays occidentaux par l’organisation Wikileaks a mis en danger la vie de certains agents occidentaux en Afghanistan ou en Irak. Par ailleurs, la transparence peut être instrumentalisée. En général, ce souci ne concerne que des États démocratiques. On attend encore le jour où Wikileaks divulguera les télégrammes diplomatiques de la Rép. populaire de Chine ou de la Corée du Nord.
L’angélisme exterminateur, Essai sur l’ordre moral contemporain, Alain-Gérard Slama, 1993
évoque longuement le « nouvel ordre moral » qui se répand peu à peu en France, de façon insidieuse. Les hommes politiques de tous bords, terrorisés, censurent leur vie privée, et passent leur vie à s’assurer que leurs comptes sont inattaquables. Quand par hasard la rage de juger et de fixer des normes, ne trouve pas de victime à sa portée, on se rabat sur le passé. Les plus grandes pensées (Heidegger), les œuvres d’art les plus novatrices (Rimbaud) sont appréciées en fonction de ce que les savants inquisiteurs veulent retenir de positif ou de négatif dans les biographies des auteurs. Ainsi, selon lui, il faut opposer au « nouveau ordre moral » fondée sur l’exigence de transparence, le vieux principe de la séparation du public et du privé, « fondateur de la civilisation occidentale ».
L’insoutenable légèreté de l’être (1984), Les Testaments trahis (1993, Milan Kundera
À l’époque de la Tchécoslovaquie communiste, la police politique du régime souhaitait discréditer deux grandes personnalités du « Printemps de Prague », le romancier Jean Prochaska et le professeur Vaclav Cerny. Dans cette perspective, elle enregistra leurs conversations privées, puis les diffusa en feuilleton à la radio. Prochazka fut discrédité car dans l’intimité on dit n’importe quoi, on calomnie nos amis, on dit des gros mots, on n’est pas sérieux, plaisanteries de mauvais goût, etc. Bien sûr, nous agissons tous comme Prochazka. Agir autrement en privé qu’en public est l’expérience la plus évidente de tout un chacun, le fondement sur lequel repose la vie de l’individu. Ce n’est donc que progressivement que les gens se sont rendu compte que le vrai scandale ce n’était pas les mots osés de Prochazka, mais le viol de sa vie. Ils se sont rendu compte que le privé et le public sont deux mondes différents par essence et que le respect de cette différence est la condition sine qua non pour qu’un homme puisse vivre en homme libre.
Panopticon, Jerémy Bentham, 1780
L’objectif du philosophe est de substituer la prévention à la sanction. Il imagine donc un dispositif qui permet de maximiser le contrôle social. Dans le panoptique, les prisonniers se tiennent d’eux-mêmes correctement et intériorisent leur servitude, dans la mesure où ils ne sont jamais certains de ne pas être observés par l’unique gardien de la prison, placé au centre du bâtiment. Michel Foucault ne s’y est pas trompé, qui souligne les aspects négatifs des « champs de visibilité » : « La pleine lumière et le regard d’un surveillant captent mieux que l’ombre, qui finalement protégeait. La visibilité est un piège ».
