Analyses stylistiques Flashcards
Lc tcxtc qui fait I’objet de notre etude est paru pour la premiere fois dans le recueil intitule Tales of the Grotesque and Arabesque. II est, en soi, tres representatif d’une certaine veine fantastique, celle qui se dissimule sous l’etiquette de « grotesque » ct qui fait la part belle a une nature outree, surdimensionnee ou rode le plus souvent quelque presence surnaturelle.
- Texte et paratexte
Avant de prendre en consideration lc texte proprement dit, on ne saurait passer sous silence ces zones frontalieres ou « seuils » (terme de Genette que nous avons deja mentionne au cours de notre presentation theorique) que constituent les titres respectifs de la nouvelle et du recueil lui-meme, elements paratextuels qui se revelent ici riches d’enseignements pour notre etude. En effet, les connotations liberees par les divers termes de ces titres ne sont pas sans devoiler certaines orientations tout a la fois thematiques et stylistiques :
a) d’un point de vue strictcment denotatif, le terme d’arabesque appartient au registre pictural, ou il designe un entrelacement de feuillages, de fleurs et autres vegetaux aux formes souvent bizarres, mais aussi au domaine musical (on pense bien sur a Debussy), ou il fait reference a un morceau renfermant de nombreuses fioritures, des ornements divers, et qui s’ecarte sans cesse, au gre de la fantaisie du compositeur, dc la ligne melodique et harmonique initiale ; d’un point de vue connotatif, ce terme suggere de toute evidence les arborescences de la pensee, les envolees de l’imaginaire, en un mot tout ce foisonnement intense qui echappe la plupart du temps au controle de la raison pure.
b) il va sans dire que ces connotations se combinent avec celles que l’on peut identifier dans le terme grotesque, qui designe de prime abord, dans le domaine litteraire, tout ce qui se caracterise par un style « extravagant » (du latin vagari, aller ca et la ) ; par extension, on retiendra de ce vaste programme semantique l’idee, la encore, de devier sans arret d’une ligne directrice, d’errer a l’entour du propos initial. De fait, le mouvement du texte va, comme on pourra le constater lors d’une analyse plus minutieuse, epouser les meandres, les soubresauts de la pensee et des etats d’arne du narrateur-personnage, et de nombreux procedes stylistiques concourent a cet effet d’« extravagance » (au sens premier du terme).
c) enfin, l’etroite association des termes « tell », « tale » et « heart » parait tout a fait en conformite avec le titre generique du recueil en faisant d’ores et deja la lumiere sur certaines des modalites enonciativcs predominantes du texte : le primat est en effet donne a une affectivite qui trouve son exutoire a travers un discours aux resonances puissamment introspectives. La proliferation, a l’intericur du texte, des marques diverses de modalisation (qui manifes- tent a elles seules, par leur nature et leur nombre, le degre ultime de la subjectivite) vient confirmer les presupposes vehicules par ces deux titres. - Plan enonciatif
Le texte est en effet entierement gouverne par une premiere personne centralisatrice, par laquelle transitent toutes les impressions, toutes les donnees situationnelles dont fait etat ce debut de nouvelle. Il s’agit, a proprement parler, d’un monologue interieur, Poe faisant, d’une certaine maniere, figure de pionnier au sein de ce courant. Le monologue se caracterise, comme on l’a vu, par une autarcie de communication, l’enfermement a I’interieur d’une conscience dans laquelle la totalite de l’histoire est absorbee. Cette conscience est ici manifestement en proie a des souvenirs obsedants (un meurtre et toutes les circonstances qui l’ont precede) et elle est soucieuse de justifier ses actes (voir notamment « Hearken! and observe how healthily - how calmly I can tell you the whole story »).
Mais a qui s’adresse cette confession qui s’amorce des le premier mot du passage ? A un allocutaire mysterieux dont la presence se fait jour explicitement, sur le plan linguistique, a travers six occurrences de « you », ou, de maniere implicite, a travers une succession d’imperatifs (« hearken », « observe »). La valeur referentielle de ce « you » - ou, en d’autres termes, l’identite de l’allocutaire - peut certes faire l’objet d’interpretations diverses, toutes autorisees par le caractere extremement flou de la situation d’enonciation telle qu’elle est livree au lecteur a travers cet incipit spectaculaire. Toutefois, le contexte tres affirme de « folie » (dans l’acception la plus large du terme) ainsi que les autres cas analogues que l’on rencontre dans la litterature fantastique sous toutes ses formes (voir notamment Gogol ou Maupassant) nous permettent d’interpreter ce texte comme un avatar du journal d’un fou dans lequel la parole acquiert une dimension seulement reflexive, etant placee sous la domination d’une sorte de « double » omniscient et juge. Cette reduction du champ d’interlocution au seul huis clos de la conscience semble en tous cas constituer une preuve supple-mentaire de la recurrence de la figure du Doppelganger chez Poe (figure qui, comme on le sait, prend sa source chez les Romantiques allemands et s’incarne
a travers divers personnages, dont ce « joune homme vetu de noir / Qui me ressemblait comme un frere », dans la celebre Nuit de decembre de Musset).
Quoi qu’il en soit, cette parole foncierement monologique n’est pas sans lancer un defi permanent au lecteur, dont la « cooperation interpretative » est, des les premieres lignes, rudement mise a l’epreuve. De nombreuses libertes sont prises avec la reference, le brouillage referential resultant d’une entree subite (in medias res, selon la terminologie consacree) dans le decor fictionnel, qui n’est autre qu’une tourmente psychique, une veritable tempete sous un crane dans laquelle le lecteur est jete sans autre forme de proces. En effet, outre le mystere attache a la valeur referentielle de « you », il regne une autre forme de confusion en raison de la presence d’un reseau d’anaphores en THE + N temoignant invariablement du sempiternel retour de l’esprit sur un passe dont lui seul a connaissance (« the disease », « the whole story », « the idea », « the old man »). L’esprit du locuteur se meut ainsi a travers un dedale de visions obsedantes dont l’expose rompt radicalement avec les exigences naturelles de l’intersubjectivite, de l’echange langagier.
- Figures syntaxiques
Correlativement, la syntaxe offre de nombreux exemples de procedes mime- tiques tendant a reproduire les soubresauts de la pensee, l’afflux erratique des obsessions, des souvenirs, des peurs qui dechirent le personnage, ainsi que toute la force d’auto-persuasion qu’il injecte dans ce discours massif de son interiorite. Les principaux traits de cette syntaxe susceptibles d’attirer, de prime abord, l’at- tention du lecteur sont les suivantes :
a) le caractere extremement fragmente, eclate de l’organisation textuelle dans son ensemble : nombreuses phrases breves, texte qui se meut comme par impulsions successives, par soubresauts difficilement maitrisables ;
b) la proliferation d’une ponctuation de type « affectif » :
- points d’exclamation emanant de la volonte de conferer au discours une tres grande force illocutoire (voir le « True! » initial, qui ancre d’emblee le texte dans la thematique de la justification et de la clarification) ;
- points d’interrogation faisant etat des doutes et des inquietudes qui habitent le personnage, dont la plus grande crainte est d’etre en proie a la folie, cette derniere faisant l’objet d’une mise en question systematique et l’adjectif « mad » etant lui-meme itere ;
- tirets dont la recurrence temoigne, par la mise en relief systematique de certains termes qui est ainsi operec, d’un desir de caracterisation tres precise des etats d’ame du personnage et des circonstances qui ont conduit ce dernier au meurtre (ce qui se trouve entre tirets tendant ainsi a nuancer, a expliciter considerablement ce qui precede).
Une analyse plus detaillee permet de mettre au jour, au sein de cette architecture syntaxique, une tres nette predominance de la juxtaposition et des sequences parataxiques ou abondent les figures de repetition, les accumulations (deux precedes a vrai dire bien souvent combinatoires), les parallelismes ainsi que les mises en relief par anteposition de certains termes.
a) Parmi les figures de repetition, on notera : - les anaphores tres nombreuses qui soulignent les parallelismes synta- xiques : « not destroyed - not dulled them », « I heard […] I heard », « how healthily […] how calmly », « he had never […] he had never », « with what ». Certains de ces parallelismes (« how healthily, how calmly », « with what caution - with what foresight », etc.) permettcnt la mise en valeur systematique de certains elements lexicaux par lesquels le narrateur tente de montrer que sa folie n’est qu’apparente;
- les epiphores (ou epistrophes), procede inverse de l’anaphore qui consiste a terminer plusieurs phrases ou membres de phrase consecutifs par le meme mot ou groupe de mots : « there was none », « it was his eye […] it was this » (meme si, dans ce dernier cas, l’epiphore n’est qu’imparfaite en raison de la substitution par l’outil anaphorique THIS) ;
- les echos lexicaux instaures par quelques polyptotes remarquables (« hearing » / « heard » et « mad » / « Madmen ») qui installent au cceur du texte une sorte de rythmique obsessionnelle.
Cette accumulation descriptive et argumentative contribue ainsi a calquer le mouvement general du texte sur les assauts de l’angoisse qui taraude le narrateur.
b) Les antepositions servent, quant a elles, deux buts tout a fait complementaires : - elles permettent de faire ressortir l’accumulation adverbiale et adjectivale qui se fait jour dans la seconde phrase sous forme d’intensifieurs (« very », « dreadfully ») et renforcent done de maniere efficace la tonalite generale du texte;
- elles se doublent parfois d’une epiphore (« object there was none. Passion there was none ») afin de mettre en valeur ce qui va faire l’objet d’un rejet sans appel (voir egalement « For his gold I had no desire ») ; il convient en effet de remarquer ici le caractere tres « lapidaire » de ces phrases breves juxtaposees, qui visent a stigmatiser la cupidite (« object », « gold ») et la folie meurtriere (« passion ») pour, immediatemenl apres, detourner l’attention du lecteur vers un element incongru : « eye », qui apparait en fin de compte, et contre toute attente de la part du lecteur, comme etant le seul mobile du crime.
4. Combinaisons phoniques
On pourra enfin remarquer la presence, ca et la, de quelques combinaisons interessantes, notamment au sein de la sequence ternaire « caution […]foresight 1-..] dissimulation », ou l’enchainement consonantique des fricatives tend a produire un effet d’harmonie imitative du travail secret de la pensee du meurtrier. Un autre effet de cette combinaison est bien sur le rythme lancinant, quasi pulsatile, qui se trouve renforce par la ponctuation (les tirets deja mentionnes), ne faisant que renforcer l’atmosphere obsessionnelle qui prevaut.
Texte 2
Edgar Poe : The Tell-tale Heart
Tales of the Grotesque and Arabesque 1880
TRUE! - nervous, very, very dreadfully nervous I had been and am; but why will you say that I am mad? The disease had sharpened my senses — not destroyed - not dulled them. Above all was the sense of hearing acute. I heard all things in the heaven and in the earth. I heard many things in hell. How, then, am I mad? Hearken! and observe how healthily - how calmly I can tell you the whole story.
It is impossible to say how first the idea entered my brain; but once conceived, it haunted me day and night. Object there was none. Passion there was none. I loved the old man. He had never wronged me. He had never given me insult. For his gold I had no desire. I think it was his eye! yes, it was this! One of his eyes resembled that of a vulture - a pale blue eye, with a film over it. Whenever it fell upon me, my blood ran cold; and so by degrees - very gradually - I made up my mind to take the life of the old man, and thus rid myself of the eye for ever.
Now this is the point. You fancy me mad. Madmen know nothing. But you should have seen me. You should have seen how wisely I proceeded - with what caution - with what foresight - with what dissimulation I went to work! I was never kinder to the old man than during the whole week before I killed him. And every night, about midnight, I turned the latch of his door and opened it - oh, so gently! And then, when I had made an opening sufficient for my head, I put in a dark lantern, all closed, closed, so that no light shone out, and then I thrust in my head.
General tone and intertextuality
The whole text, which is the very beginning of the twenty-third chapter of the novel, obviously moves through a close network of intertextual echoes, hinting quite explicitly at both Sleeping Beauty (“the spell that used to set enchanted houses sleeping”) and the Gorgon myth (“as if they had a Gorgon¬like mind to stare her youth and beauty into stone”). The house seems to be spellbound, as is pointed out by the reiterated words “magic” and “spell”.
What could easily be tackled from the start as a fairy tale - a genre which was in full swing during the Victorian era - actually turns out to be but a parody, a scathingly subversive interpretation of the genre in spite of the highly confusing first sentence in which the main staples, or topoi, of the fairy tale are apparently gathered. The narrator’s irony is indeed recurrent, conveyed by the succession of such powerfully debunking statements as: “No magic dwelling- place in magic story […] was ever more solitary and deserted to the fancy”, “The spell upon it was more wasting than the spell that used to set enchanted houses sleeping once upon a time”.
- Enunciation and point of view
One of the main features of the narrative mode is the external focalization that betrays the point of view of some distant spectator. A shift is gradually operated from a wide-angle vision - conveyed by such globalizing place markers as “the great dreary house” or “everywhere” - to a much more detailed observation which in turn focuses on specific elements of the household, as is the case throughout the fourth paragraph where every single detail is carefully emphasized (“Mirrors”, “Patterns of carpets”, “Boards”, “Keys”).
The recurrent zero noun determination achieves a blurring, encompassing effect which is in keeping with the overall confusion and desolate vastness of a place where objects gradually take over as meaningless elements of a rather hostile setting. This linguistic suggestion of unfathomable, threatening abundance - climaxing in the phrase « Hecatombs of furniture” - sharply contrasts, of course, with the utter loneliness of the character which is clearly stated from the very beginning of the passage. - Key lexical items arid syntax
Among the different linguistic categories nouns definitely prevail, a trait which is indeed reinforced by the syntactic organization of the whole passage in which the juxtaposition of alternately brief and long sentences seems to echo, both graphically and rythmically, the derelict atmosphere of the house: “Boards, starting at unwonted footsteps, creaked and shook. Keys rusted in the locks of doors. Damp started on the walls […]”.
The lexical field of decline is, of course, massively present through such terms as “secrete themselves”, “lurk”, “grew”, “accumulated”, “desolation”, “faded” which all point out to the decay that gradually corrodes the house. The recurrence of these swift descriptive sequences throughout the fourth paragraph, as an effect of the parataxis at work in this part of the text, is particularly evocative of this inexorable progress of destruction which the two brief alliterative phrases “mildew and mould” and “si/ueak and scuffle” only serve to set off quite vividly by offering some kind of sound equivalent of the various elements’ nibbling at the house. An impression of acceleration is created by the heaping up of these sentences whose arrangement within the paragraph and highly suggestive power are somewhat reminiscent of the rapid succession of close shots used by film director Peter Greenaway in A Zed and Two Noughts where physical decay is actually conveyed in a very similar graphic way.
Another very interesting syntactic feature to be commented on in the passage selected is the sudden occurrence of a chorus (which is indeed reiterated since it also appears further on within the same chapter):
For Florence lived alone in the deserted house, and day succeeded day, and still she lived alone, and the cold walls looked down upon her with a vacant stare, as if they had a Gorgon-like mind to stare her youth and beauty into stone.
This is not, strictly speaking, a word for word repetition but rather an incremental one since “For” has been added at the very beginning of the sentence, making the latter sound like a justification of what precedes. Besides, the “blank walls” mentioned in the first occurrence have turned into “cold walls”, this new adjective being used as an intensifier, as one of the finishing strokes of the ruthless portrayal of a house which is indeed all but engaging. It is worth noticing that the very presence of such a chorus within a narrative prose text is in itself a blatant marker of intertextuality. Indeed, the passage concerned may be considered as bearing some thematic and stylistic resemblance to such poetic genres as the ballad, as is illustrated by both the repetitive quality of the mkthodologie et analyses oh textes
narrative and the monotonous, almost haunting, rhythm generated by the anaphoric (here, polysyndetic) structure of the chorus itself. - The metaphorical process
As regards the main images involved, the whole text displays a high degree of rhetorical cohesion. Tire anthropomorphic metaphor, whose first two occur¬rences are the references to the petrifying look (“blank walls”, “vacant stare”), is sustained by a variety of elements of the verb material (“looked”, “secrete them¬selves”, “lurk”, “grew”), this process being further enhanced by the comparison “like imprisoned and forgotten men” through which the thematic duality of the whole is clearly disclosed: on the one hand, the remnants of human life, made hopelessly useless; on the other hand, “the breath of years” to which they can but fall prey.
This war waged by time and neglect against the various elements and objects of the house sets the stage for more gloomy images: the attributes of death gradually invade the whole area described, as is exemplified by the comparing phrase “like cumbrous palls” as well as by the emphasis laid on “Dust”, given focal prominence at the very beginning of one particular sentence in the course of the fourth paragraph. The house is ultimately nothing but a tomb of vast dimensions where Florence seems indeed to be buried alive.
TEXTE 3 Charles Dickens, Dombey and Son (1848)
Florence lived alone in the great dreary house, and day succeeded day, and still she lived alone; and the blank walls looked down upon her with a vacant stare, as if they had a Gorgon-like mind to stare her youth and beauty into stone.
No magic dwelling-place in magic story, shut up in the heart of a thick wood, was ever more solitary and deserted to the fancy, than was her father’s mansion in its grim reality, as it stood lowering on the street. […]
The spell upon it was more wasting than the spell that used to set enchanted houses sleeping once upon a time but left their waking freshness unimpaired.
The passive desolation of disuse was everywhere silently manifest about it. Within doors, curtains drooping heavily, lost their old folds and shapes, and hung like cumbrous palls. Hecatombs of furniture, still piled and covered up, shrunk like imprisoned and forgotten men, and changed insensibly. Mirrors were dim as with the breath of years. Patterns of carpets faded and became perplexed and faint, like the memory of those years’ trifling incidents. Boards, starting at unwonted footsteps, creaked and shook. Keys rusted in the locks of doors. Damp started on the walls, and as the stains came out, the pictures seemed to go in and secrete themselves. Mildew and mould began to lurk in closets. Fungus trees grew in corners of the cellars. Dust accumulated, nobody knew whence nor how; spiders, moths, and grubs were heard of every day. An exploratory blackbeetle now and then was found immovable upon the stairs, or in an upper room, as wondering how he got there. Rats began to squeak and scuffle in the night time, through dark galleries they mined behind the panelling. […]
There were other staircases and passages where no one went for weeks together; there were two closed rooms associated with dead members of the family, and with whispered recollections of them; and to all the house but Florence, there was a gentle figure moving through the solitude and gloom, that gave to every lifeless thing a touch of present human interest and wonder.
For Florence lived alone in the deserted house, and day succeeded day, and still she lived alone, and the cold walls looked down upon her with a vacant stare, as if they had a Gorgon-like mind to stare her youth and beauty into stone.
n Dickens’ novel Dombey and Son the eponymous character, a wealthy London merchant at the head of a trading company, gradually loses everything he values, including his fortune. In the first three paragraphs of the fifty-eighth chapter, the omniscient narrator reveals the reasons why the bankruptcy of the protagonist’s firm has become inevitable. In a most poetic way, he first refers to the different stages that have led to the fall of the House of Dombey and Son and then focuses on the failure itself.
The text under discussion has a high degree of thematic coherence and textual cohesion which both derive from a network of extended metaphors and the rhythm and musicality created by the extensive repetition of sounds, words and phrases.
1. The metaphorical process
Throughout the first paragraph the narrator’s acute observation and inter¬pretation of the events that progressively lead to Dombey’s downfall juxtapose the isotopies of bankruptcy and sailing, and intermingle with, or are mediated through, the following conceptual metaphor: DOMBEY’S FIRM IS A SHIP THAT SAILS ON A CHOPPY SEA.
a) The ebb and flow of business
In the opening sentence of the text, the trials and tribulations of Dombey’s professional life are described in terms of the sea tide: “the sea had ebbed and flowed, through a whole year”. In this sentence, only the metaphorical term, “the sea”, is mentioned, and the metaphor in absentia remains cryptic until the metaphorised term is clearly identified: in the fourth sentence, the enumerative clause “the famous House of Dombey and Son had fought a fight for life, against cross accidents, doubtful rumours, unsuccessful ventures, unpropitious times, and most of all, against the infatuation of its head […]” indicate that “the sea had ebbed and flowed, through a whole year” actually substitutes for the economic situation and Dombey’s stubbornness had fluctuated, for a whole year.
Tire metaphor in praesentia “Through a whole year, the tides of human chance and change had set in their allotted courses” is less enigmatic since the preposi¬tion OF brings together the metaphorical term, “the tides”, and the metapho- rised term, “human chance and change”. Much emphasis is put on the latter, more particularly on the visual and acoustic connection between the two nouns chance and change. In this sentence the paronomasia is meant to draw the reader’s attention to Dombey’s change, all the more so as the norm is repeated in the second paragraph. But in the second occurrence, both the context and the apostrophe preceding the block capital C indicate that the word is the abbrevi¬ated form of Stock Exchange, which makes it clear that what has actually changed is Dombey’s financial situation: the main character, who is only referred to as “a certain cold proud man” has had to go into liquidation (“Next day it was noised abroad that Dombey and Son had stopped, and next night there was a List of Bankrupts published, headed by that name”).
b) The tide has turned, Dombey is under the weather
In two other metaphors in absentia the unsettled economic situation of Dombey’s company is referred to in terms of changeable weather conditions: “Through a whole year, the winds and clouds had come and gone; the ceaseless work of Time had been performed, in storm and sunshine”. In the end of the paragraph, the narrator lays the stress on the deterioration of Dombey’s situation by reactivating the metaphor: “the ship he strained so hard against the storm […]”. the clause is stylistically very rich on at least two accounts (the suggestive power of the sound patterns will be taken into consideration in the second part of the commentary):
- “the storm” against which Dombey’s “ship” is fighting - a metaphor for the most tmfavourable economic conditions under which his company is placed, i.e. fierce competition and looming bankruptcy - echoes “the ceaseless work of Time had been performed, in 0 storm and sunshine”, which reinforces the textual cohesion and thematic coherence of the whole paragraph;
- even more fundamental to the isotopic and narrative consistency of the text is the association of metaphor and metonymy, a combination which Louis Goossens calls a metaphtonymym: “the ship” refers to the company both metaphorically and metonymically since the main character owns a company that uses ships to trade. Thus the conceptual metaphor DOMBEY’S FIRM IS A SHIP THAT SAIT.S ON A CHOPPY SEA can be said to originate in a contiguous relation between the referent aimed at - the firm - and its most obvious, emblematic attribute - the ship.
- Rhythm and syntax: imitative harmony
a) The extended metaphor that runs through the first paragraph diffracts itself into the symphonic orchestration of the text the rhythm of which is suggestive of the ebb and flow of the sea, or the conditions that led to the fall of the “famous House of Dombey and Son”. This is illustrated by:
- the binary rhythm that accompanies the repetitive melody of the text and that echoes the title of the novel itself: “the sea had ebbed and flowed”, “the wind and clouds”, “chance and change”, “a buzz and whisper”, “trading fa rand wide”, “The world was very busy now, in sooth, and had a deal to say”, “Tt was an innocently credulous and a much ill-used world”.
- parallelism, or the similarity or structure in pairs of clauses: “[…] who would not contract its enterprises by a hair’s breadth, and would not listen”, “The year was out, and the great House was down”, “was not there, nor was he represented there”, “Next day it was noised abroad that Dombey and Son had stopped, and next night there was a List of Bankrupts published, headed by that name”, “The world was very angry indeed; and the people especially”.
- alliterations - the repetition of the fricatives [f], [v], [s] and [zj illustrates the hard times in which Dombey lived: “Through a whole year, the /amous House of Dombey and Son had/ought a /ight for life, against cross accidents, doubt/ul rumours, unsuccessful ventures, unpropitious times, and most of all, against the infatuation of its head […].” In the following passage the repetition of the unvoiced semi-vowel [w], which may remind the reader of the devastating power of the water, contrasts with the repetition of the consonant cluster -st which emphasizes Dombey’s struggle: “[…] would not listen to a word of warning that the ship he strained so hard against the storm, was weak, and could not bear it”.
b) Throughout the text the perpetual motion of the sea tide and the never- ending splash of the waves washing against the shore are suggested by the fluid syntax, and more particularly by figures of iteration:
- epistrophe: “A certain cold proud man, well known there, was not there, nor was he represented there.”
- anadiplosis: “The sea had ebbed and flowed, through a whole year- Through a whole year, the winds and clouds had come and gone; the ceaseless work of Time had been performed, in storm and sunshine.”
- anaphora: “Through a whole year, the winds and clouds had come and gone; the ceaseless work of Time had been performed, in storm and sunshine. Through a whole year, the tides of human chance and change had set in their allotted courses. Through a whole year, the famous House of Dombey and Son had fought a fight for life […].”
The rhetorical quality of the third paragraph is particularly striking since it combines two anaphoras with the repetition of the same structure at the beginning of the first and last sentence (The world was very + adjective + adverb), which produces an effect of circularity:
the world was very busy now, in sooth, and had a deal to say. It was an innocently credulous and a much ill-used world. It was a world in which there was no other sort of bankruptcy whatever, t here were no conspicuous people in it, trading far and wide on rotten banks of religion, patriotism, virtue, honour. There was no amount worth mentioning of mere paper in circulation, on which anybody lived pretty handsomely, promising to pay great sums of goodness with no effects. There were no shortcomings anywhere, in anything but money. The world was very angry indeed; and the people especially, who, in a worse world, might have been supposed to be apt traders them¬selves in shows and pretences, were observed to be mightily indignant.
TEXTE 4 Charles Dickens, Dombey and Son (1848)
The sea had ebbed and flowed, through a whole year. Through a whole year, the winds and clouds had comc and gone; the ceaselcss work of Time had been performed, in storm and sunshine. Through a whole year, the tides of human chance and change had set in their allotted courses. Through a whole year, the famous House of Dombey and Son had fought a fight for life, against cross accidents, doubtful rumours, unsuccessful ventures, unpropitious times, and most of all, against the infatuation of its head, who would not contract its enterprises by a hair’s breadth, and would not listen to a word of warning that the ship he strained so hard against the storm, was weak, and could not bear it.
The year was out, and the great House was down.
One summer afternoon; a year, wanting some odd days, after the marriage in the City church; there was a buzz and whisper upon ‘Change of a great failure. A certain cold proud man, well known there, was not there, nor was he repre¬sented there. Next day it was noised abroad that Dombey and Son had stopped, and next night there was a List of Bankrupts published, headed by that name.
The world was very busy now, in sooth, and had a deal to say. It was an inno¬cently credulous and a much ill-used world. It was a world in which there was no other sort of bankruptcy whatever. There were no conspicuous people in it, trading far and wide on rotten banks of religion, patriotism, virtue, honour, there was no amount worth mentioning of mere paper in circulation, on which anybody lived pretty handsomely, promising to pay great sums of goodness with no effects. There were no shortcomings anywhere, in anything but money. The world was very angry indeed; and the people especially, who, in a worse world, might have been supposed to be bankrupt traders themselves in shows and pretences, were observed to be mightily indignant.
Le titre de ce poeme merite a lui seul un commentaire, l’usage du frangais etant ici une maniere d’hommage a la litterature francaise, et singulierement aux auteurs symbolistes tels que Baudelaire et Theophile Gautier - l’un des tenants de « l’art pour 1’art » - que Wilde affectionnait et qui ont eu une influence determinante sur son ecriture. L’unique terme qui constitue ce titre n’est d’ailleurs pas sans faire echo, d’un point de vue semantique comme par la sonorite de sa desinence, au registre baudelairien (les mots trisyllabiques en -oir, tels que « nonchaloir », « encensoir », « ostensoir », ayant en effet tres frequemment droit de cite chez Baudelaire, notamment dans le recueil Les Fleurs du Mal). L’ombre de l’intertexte baudelairien et, d’une maniere generale, symboliste, se dessine donc des l’oree du poeme.
- La configuration generale fait clairement apparaitre une structure de sonnet - constitue d’un octave et d’un sestet ou la syntaxe versifiee dominante est le pentametre iambique. On note toutefois de nombreuses irregularites sous forme d’attaques trochaiques permettant de mettre en valeur, a l’initiale de certains vers, certains jalons du mouvement argumentatif qui sous- lend le poeme (« Wherefore », « But ») ainsi que, dans la seconde strophe, certains rejets faisant intervenir des mots-cles tels que « Flows » et « Covers », qui ancrent la strophe tout entiere dans le paradigme central de la destruction.
Le schema des rimes merite lui aussi une attention particuliere puisque la disposition de celles-ci fait l’objet de variations notables, et peu usuelles, d’une strophe a l’autre. La premiere strophe presente deux series de rimes embrassees avec, dans le second quatrain, retour de memes rimes (A) mais aussi change- ment des autres rimes (de B a C), la regularity du sonnet petrarquien se trouvant done associee ici a une dimension evolutive :
ABBA ACCA
La seconde strophe, en revanche, se caracterise par une structure involutive, les deux rimes plates centrales etant enserrees par les autres rimes qui les encadrent deux a deux en cercles concentriques :
D E P F E D
II s’agit comme on le voit d’une forme versifiee insolite, non repertoriee dans la typologie des sonnets « classiques » anglais, et qui semble servir la thematique generale du poeme, ou la notion de cercle - spirale infinie de la nature, etroit etau de l’existence humaine - est predominante. On notera en outre que les rimes D et E ne sont qu’imparfaites, « sea » et « memory » ne comportant pas strictement le meme son vocalique final et« nights » comportant une desinence en [s] a laquclle « delight » ne fait pas echo. Ce caractere approximatif de certaines rimes n’occulte toutefois en rien l’impression du retour des memes sonorites qui conditionne la musique generale du poeme, source tout a la fois de plaisir esthetique et de mise en ceuvre subreptice d’un acces au sens. - Les deux strophes se succedent dans un mouvement argumentatif orchestre par « But », tout premier mot de la seconde strophe dont la valeur de rupteur logique el semantique instaure un changement abrupt de tonalite, la seconde strophe pouvant aisement se lire comme l’envers du decor de la prece- dente. La transition s’effectue en effet de maniere abruptc du physique au meta- physique, du vegetal a l’humain, du retour cyclique des saisons a la linearitc inexorable de la condition humaine, faisant s’affronter deux representations antithetiques du temps : celui du renouveau perpetuel, et celui du declin progressif et de la mort. Ce contraste est bien sur perceptible de differentes manieres, qu’il nous appartient de detailler.
- Sur le plan de l’organisation lexicale et rhetorique, on note une opposi¬tion systematique entre un registre concret referant a la vie vegetale allegrement rythmee par les saisons (les termes de fleurs et autres vegetaux sont legion), propre a la pastorale, et un registre abstrait renvoyant a une vie psychique marquee par le tourment, la perte d’innocence (« bitter », « angry », « ambition », « love », « lose », « memory »). Plus encore, a l’isotopie de la maturation, du devenir incessant (« stirs », « bloom », « grow », « mow ») vient s’opposer l’isotopie de la destruction, de l’engloutissement, servie notamment par la metaphore de la mer qui se dechaine contre l’homme. Amorcee au moyen d’une relative affectee a « life » (« whose bitter hungry sea ») et filee sur trois vers consecutifs qui soulignent le travail permanent d’erosion, cette metaphore est renforcee par les deux rejets successifs deja mentionnes (« Flows », « Covers »), dont la position strategique s’allie a la charge semantique pour suggerer, par un spectaculaire procede d’ekphrasis, l’acharnement d’un temps destructeur.
L’opposition lexicale affecte egalement le domaine chromatique. En effet, au triomphe de couleur et de lumiere que met en scene la premiere strophe au moyen de verbes et d’adjectifs tels que « flamed », « red », « purple », « bloom », « green », la seconde strophe signe l’avenement de la non-couleur, de l’extinction progressive, voire d’une noirceur qui etend son empire a tous les elements decrits :« gloom of sunless nights »,« covers »,« withered husks », « dead memory ». Correlativement, la perspective animiste qui caracterise le materiau verbal - deja enumere - a l’oeuvre dans la description de la nature ne fait que souligner le statut de victime passive et desarmee qui est, de fait, confere a l’homme : la charge semantique des deux adjectifs « withered » et « dead » et du verbe« lose » s’allie a l’adverbe restrictif « only », affectea« find »pour suggerer le gel progressif d’un elan vital suscite par ces deperditions successives. En outre, le recours implicite, a la fin de la seconde strophe, a la metaphore de la moisson (« whithered husks ») fait echo, dans une tonalite inversee, des plus dysphoriques, a la notation correspondante presente dans le tout dernier vers de la premiere strophe (« mow ») ; mais il s’agit la, a l’evi- dence, de deux moissons, ou recoltes, bien differcntes. - L’impression de precipitation resultant des trois premiers vers de la secondc strophe contrasts tres fortement, d’un point de vue rythmique, avec la regularity de balancier qui caracterise le deroulement de la premiere strophe, ou la polysyndete double de l’anaphore - « And » rcvenant quatre fois en tout debut de vers - instaure une pulsation reguliere a l’image de la continuity imperturbable du cycle de la nature. L’effet obtenu est ici fort proche de celui produit par la basse continue a l’epoque baroque ou 1’on sait que le retour des saisons fut celebre, sur un mode analogue, par Vivaldi (entre autres).
Ce contraste rythmique est renforce par la ponctuation, dont la nature et la repartition varient considerablement d’une strophe a l’autre. En effet, la premiere strophe n’est constituee que d’une seule et meme phrase, dont les differentes sequences sont marquees par des virgules, des points-virgules et des coordonnants regulierement distribues, comme on a deja pu l’observer. A l’inverse, la seconde strophe doit en grande partie sa configuration beaucoup plus heurtee a la modalite interrogative et a la destabilisation que la survenue du point d’interrogation correspondant engendre dans la rythmique et la tonalite de l’ensemble, faisant soudain s’engouffrer les peurs et les doutes enfouis dans l’homme et venant substituer ia ligne brisee, la fracture, a la linearite placide du debut. C’est la tout le sens du paysage symboliste, dont la mer dechainee et menagante de Wilde ne constitue qu’un avatar.
TEXTE 5 Oscar Wilde, “Desespoir”
Desespoir
The seasons send their ruin as they go,
For in the spring the narciss shows its head
Nor withers till the rose has flamed to red,
And in the autumn, purple violets blow,
And the slim crocus stirs the winter snow;
Wherefore yon leafless trees will bloom again
And this grey land grow green with summer rain
And send up cowslips for some boy to mow.
But what of life whose bitter angry sea
Flows at our heels, and gloom of sunless nights
Covers the days which never more return?
Ambition, love, and all the thoughts that burn
We lose too soon, and only find delight
In withered husks^of some dead memory
The scene under study takes place at the very end of the story - The Picture of Dorian Gray being indeed labelled as a story and not as a novel - and can be considered as what is usually defined as a purple patch or, in other words, a highly colourful passage, particularly representative of the stylistic richness of the whole work.
Haunted by remorse, Dorian, the main character, gradually comes to the decision to destroy his portrait, which he realizes is responsible for his present misfortune, a decision which in fact will bring about his suicide as is dramati¬cally shown by the very last pages of this fascinating story.
As is very often the case in this story, the introspective vein and, accordingly, the literary device of interior monologue prevail. Indeed, even if the narrative - which can be characterized as belonging to the category of psychonarration - is conducted in a heterodiegetic mode, the character of Dorian himself being referred to by a third-person pronoun, what is almost continually brought to the fore is the inner voice of the hero. The passage provides an instance of what may be identified as the emergence of “character zone” (according to Bakhtin’s terminology), conveyed by the predominance of “narrativized monologue”, to borrow Maingueneau’s words. The reader is given access to the thoughts and psychological wanderings of the character, via the narrator who keeps, of course, hovering in the background to handle the whole scene. This hybrid narrative mode rests on a variety of stylistic devices among which most linguistic categories play a major part:
- First of all, the reader’s attention may be drawn to the significant number of interrogative and exclamative modalities that pervade the passage, often succeeding each other to build up whole narrative spans which fully betray the character’s moral torture (“Was it all irretrievable? Was there no hope left for him?”);
- In keeping with these highly suggestive modalizing turns, the syntactic arrangement itself offers various snatches of very brief, sometimes elliptic, sentences enhanced by paratactic constructions which achieve an outstanding staccato effect within the narrative: “The picture itself - that was evidence. He would destroy it” (an effect which is particularly outstanding at the very end of the text where the ultimate decision is suddenly disclosed in three distinct stages, clearly set apart from each other by punctuation: “It had been like conscience to him. Yes, it had been conscience. He would destroy it”);
- The lexical items used are mostly of a hyperbolic nature, according to the utter confusion of the character whose inner voice, as pointed out before, encroaches upon the narrative where it leaves a deep emotional imprint: the succession of such nouns and adjectives as “wild”, “horror”, “evil”, “terrible”, “madness”, “terror”, all of which do verge on hyperbole, testifies to this sudden awakening or epiphany through which Dorian becomes painfully aware of the gloomy aspects of his past life;
- Polysyndetic construction and amplification are frequent syntactic features which both underline the hero’s psychological exhaustion and point out the different stages of the self-destroying process upon which his whole life has been built; the third sentence of the text provides one of the best examples of the combination of these two syntactic devices:
He knew that he had tarnished himself, filled his mind with corruption, and given horror to his fancy; that he had been an evil influence to others, and had experienced a terrible joy in being so; and that, of the lives that had crossed his own, it had been the fairest and the most full of promise that he had brought to shame.
(this very sentence being indeed an illustration of the kind of hypotyposis that polysyndetic construction - or, in other words, the use of several coordinating items within the same sentence - can generate; the reiteration of “and”, of which we note no less than four occurrences within the sentence, serves to bring out in order every single event that is part of the tragic chain of memories which triggers off the hero’s emotional turmoil);
- Last, but not least, the endophoric process - or, in other words, the set of references to other textual segments - is made particularly perceptible by the recurrence of certain linguistic items; more generally, it encompasses the various aspects of repetition that can be observed throughout (the punctuation signs, such as the reiterated question marks or exclamation marks already mentioned, being of course one of these aspects). The cohesive aspects of the text are indeed brought to a climax here.
a) In this respect the strategic part played by “this” is to be underlined: placed at the very beginning of the third paragraph (“But this murder”), “this” occurs at the very core of Dorian’s inner debate to point out a hurdle which the hero’s mind cannot get over, an effect which is emphasized by the adversative
value of “But” to which “this” is syntactically and semantically closely linked; “murder” is here envisaged from the angle of “mental non-closure” (to borrow Lapaire and Rotge’s terminology), becoming the haunting, “irretrievable” memory that soon defeats the character. It also, of course, runs counter to the conclusive value of “that” which occurs twice at the end of the preceding paragraph to signal the character’s temporary triumph, soon overcome by the torturing reminders of the past that both picture and murder constitute.
b) The reiteration of “it”, whose referential value can easily be retrieved from the preceding text (“The picture itself”), is also spectacular as regards the evocation of the hero’s devouring obsession (which in itself justifies the anaphora, defined by Quirk and Greenbaum as “pointing back in discourse”); this linguistic item mostly occurs either at the very beginning or at the very end of the sentences, its grammatical function varying from subject to object according to the different verbs involved:
The picture itself - that was evidence. He would destroy it. Why had he kept it so long? Once it had given him pleasure to watch it changing and growing old. Of late he had felt no such pleasure. It had kept him awake at night. When he had been away, he had been filled with terror lest other eyes should look upon it. It had brought melancholy over his passions. Its mere memory had marred many moments of joy. It had been like conscience to him. Yes, it had been conscience. He would destroy it.
While this reiterated “It” is indeed fraught with symbolic undertones (i.e. all that the picture stands for in the hero’s eyes), it also enables Dorian to avoid naming the main object of his fear too directly; besides, thanks to the rhythmical pattern created (the staccato effect already noticed), it gives birth to a vivid and most efficient syntactic rendering of the hero’s erratic mind.
TEXTE 6
Oscar Wilde, The Picture of Dorian Gray (1891)
Was it really true that one could never change? He felt a wild longing for the unstained purity of his boyhood - his rose-white boyhood, as Lord Henry had once called it. He knew that he had tarnished himself, filled his mind with corruption, and given horror to his fancy; that he had been an evil influence to others, and had experienced a terrible joy in being so; and that, of the lives that had crossed his own, it had been the fairest and the most full of promise that he had brought to shame. But was it all irretrievable? Was there no hope for him?
Ah! in what a monstrous moment of pride and passion he had prayed that the portrait should bear the burden of his days, and he keep the unsullied splendour of eternal youth! […] It was the portrait that had done everything. Basil had said things to him that were unbearable, and that he had yet borne with patience. The murder bad been simply the madness of a moment. […] A new life! That was what he wanted. That was what he was waiting for. Surely he had begun it already. […]
But this murder - was it to dog him all his life? Was he always to be burdened by his past? Was he really to confess? Never. There was only one bit of evidence left against him. Tire picture itself - that was evidence. He would destroy it. Why had he kept it so long? Once it had given him pleasure to watch it changing and growing old. Of late he had felt no such pleasure. It had kept him awake at night. When he had been away, he had been filled with terror lest other eyes should look upon it. It had brought melancholy over his passions. Its mere memory had marred many moments of joy. It had been like conscience to him. Yes, it had been conscience. He would destroy it.
He looked round, and saw the knife that had stabbed Basil Hallward. He had cleaned it many times, till there was no stain left upon it. It was bright, and glistened. As it had killed the painter, so it would kill the painter’s work, and all that that meant.
Il s’agit d’un passage-cle qui met en scene un debut de tempete en mer, peripetie classique dans les ocuvres de Conrad, souvent porteuse d’une charge symbolique considerable. Du point de vue stylistique proprement dit, force est de constater qu’il s’agit d’un veritable « morceau de bravoure » dans lequel se trouvent rassembles de nombreux precedes tendant vers une meme fin expres¬sive.
1. En premier lieu, si l’on se livre a une caracterisation d’ensemble du texte, on peut souligner qu’il parait rcposer tout entier sur le mecanisme de l’hypoty- pose : on assiste en effet a une transcription quantitative de l’intensite evene- mentielle, emotionnelle, etc. par le biais d’une surenchere lexicale et syntaxique qui sollicite pleinement le mind’s eye - mais aussi le mind’s ear - du lectcur. Cette dimension hautement picturale de 1’evocation est d’ailleurs renforcee par le registre marin, qui autorise des comparaisons pertinentes avec certaines toiles de Turner, peintre qui met frequemment en scene la dimension inquietante du paysage marin a travers ses tableaux crepusculaires et tumultueux (voir notamment les celebres Snow Storm: Steam-Boat off a Harbour’s Mouth [1842] et Rough Sea with Wreckage [1830-35]).
2. Sur le plan de la situation enonciative ct du point de vue qui est adopte, on note un contraste entre :
- d’une part, un debut de texte conduit tres majoritairement en focalisation externe ou s’affiche une vision resolument distanciee et panoramique
(abondance des indices de globalisation tels que « all round », « a ragged mass of clouds », « the long outlines », etc.) qui fait en quelque sorte office de prelude au recit de la tempete proprement dit ;
- d’autre part, une fin de texte dans laquelle s’opere une restriction de champ tres nette (« Jukes was driven away… ») comportant par la suite des amorces, discretes mais efficaces, de focalisation interne (l’ entree puis l’ancrage dans la conscience du personnage se faisant jour notamment a travers des termes tels que « conviction », « sensations », « distress », etc.). On peut en fait se demander si la toute premiere amorce dc focalisation interne ne se trouve pas au paragraphe precedent puisque, dans le bref passage a caractere mora- lisateur, la voix narrative n’est, d’une certaine maniere, que le relais de la voix mfithodologie et analyses de textes
interieure du personnage central fort de son experience et detenteur d’un savoir qu’il est seul a posseder (c’est la en tout cas un precede cher a Conrad dans une partie importante de son oeuvre).
Le paragraphe median met par ailleurs en ceuvre un devcloppement narratif souligne par le remarquable effet de dramatisation qui nait de la transition soudaine entre les deux paragraphes. Cette transition acquiert en effet des allures de fondu enchaine par lequel, au suspens genere par la fin ouverte du premier paragraphe, fait echo le debut du second, qui vient partiellement combler le vide informationnel initial.
3. Le lexique deploye dans ce texte contribue tres largement, par la rhetorique qu’il installe tout au long du texte, a la creation d’une atmosphere fantastique : noms, adjectifs et materiau verbal se combinent en effet, et ce des le premier paragraphe, pour suggerer cette inquietante etrangete du navire et du decor dans lequel il evolue (« sinister », « ragged mass of clouds », « outlines », « black figures », « petrified », « palpitated », « formidable », etc.). Confrontee a cet univers ou rien ne sc dessine avec nettete, ou regnent le flou et l’impalpable, la voix narrative fait l’aveu d’un deni d’identification qui s’affiche a travers bon nombre d’outils lexicaux :
- valeur referentielle floues de « the real thing » (relaye par le « It » anaphorique reitere au second paragraphe, precede d’esquive denotative courant dans la litterature fantastique : on songe au roman It de Stephen King, titre-proforme des plus revelateurs de l’incapacite humaine a apprehender pleinement l’objet de l’angoisse) ;
- touches modalisantes vehiculant l’incertitude et le mystere attache aux choses « as if », « it seemed », « like », etc., elements de comparaison ou d’approximation qui ne debouchent que sur une saisie imparfaite de la realite concernee.
Tout cela est corrobore par le bouleversement radical de l’ordre naturel des choses qui se fait jour dans les images dominantes : tandis que l’humain est reduit a l’inertie forcee engendree par la peur (« petrified », « caught »), la matiere se charge d’une dimension anthropomorphique, d’un dynamisme inquietant et agressif (« smashing », « overpowering concussion », etc.). Ce champ lexical de la destruction se double d’une isotopie de la fureur divine reposant sur des termes a nette connotation biblique, regulierement distribues dans le texte : « wrath », « great waters », « gale », « spirit », etc. Correlativement, sur le plan de la temporalite, on passe de l’evenementiel, de la successivite narrative (mise en oeuvre par la serie des preterits) au present gnomique a valeur generique (ton de la morale, de la maxime, de l’enonciation de verites universelles et intemporelles, en parfaite correlation avec les preoccupations ontologiques de Conrad). Le caractere allegorique apparait done ici avec une certaine nettete, se faisant egalement jour dans la metaphore filee de la colere monstrueuse qui affecte la plupart des elements du decor environnant: « The darkness palpitated », « A furious gale », « bestially shaken », etc.
4. Sur le plan syntaxique, on peut observer la recurrence, tout au long du texte, de precedes mimetiques tres marques (voir la notion d’hypotypose deja mentionnee). Revocation de la scene est en effet conduite alternativement sur le mode :
- de la parataxe asyndetique, qui engendre notamment un rythme quelque peu heurte et haletant ; il en est ainsi de la derniere phrase du second para¬graphe, qui figure fort bien, par son caractere enumeratif, son decoupage net et heurte et l’effet presque staccato qui est produit, les assauts inexorables des rafales (« A furious gale attacks him like a personal enemy, tries to grasp his limbs, fastens upon his mind, seeks to rout his very spirit out of it ») ;
- de phrases au developpement plus ample renfermant notamment des sequences comparatives (« as if petrified »), qui temoignent de cette expansion de l’imaginaire evoquee plus haut (dont Tim des buts n’est autre que de s’ap- proprier par les mots une realite terrifiante qui tend a destabiliser l’homme en langant un defi a son entendement). Peut-etre pourrait-on parler de tactisme (ou, en d’autres termes, d’une phrase ou d’un segment de phrase qui prend la forme de l’objet decrit) a l’interieur de certaines sequences : ainsi, au debut du second paragraphe, le deferlement des vagues est rendu perceptible par l’or- ganisation meme de la phrase, dont la premiere partie parait s’etirer a l’infini sous les effets conjugues de la longueur des mots et de la coordination, la seconde partie semblant figurer un rebond, une charge renouvelee des elements en furie (« It seemed to explode all round the ship with an overpowering concussion and a rush of great waters, as if an immense dam had been blown up to windward »).
5. On pourra enfin noter la presence de combinaisons phoniques interes- santes du point de vue de la configuration rythmique et/ou melodique qu’elles engendrent dans certains passages particulierement hauts en couleur du texte : ainsi, certaines plosives bilabiales placees a l’initiale de certains mots voisins (« petrified in the act of butting » peuvent, par leurs capacites suggestives, enrichir sensiblement l’evocation de la lutte acharnee qui est decrite ; de meme, methodologie et analyses de textes de la recurrence, souvent au moyen d’alliterations, de fricatives peut naitre un effet d’harmonie imitative evoquant un certain persiflage des elements dechaines qui s’acharnent a detruire le bateau (« something formidable and swift, like the sudden smashing » / « fastens upon his mind, seeks to rout his very spirit »). Tous ces effets figuralistes (c’est-a-dire mimetiques du sens meme que les mots vehiculent) sont bien sur a apprecier selon la sensibilite et 1’oreille de chacun, deux qualites individuelles dont il faut bien evidemment tircr tres largement parti - sans exageration - dans l’appreciation de cet objet artistique que demeure, avant toute chose, le texte litteraire.
TEXTE 7 Joseph Conrad, “Typhoon”
A faint burst of lightning quivered all round. It unveiled for a sinister, fluttering moment a ragged mass of clouds hanging low, the lurch of the long outlines of the ship, the black figures of men caught on the bridge heads forward, as if petrified in the act of butting. The darkness palpitated down upon all this, and then the real thing came at last.
It was something formidable and swift, like the sudden smashing of a vial of wrath. It seemed to explode all round the ship with an overpowering concussion and a rush of great waters, as if an immense dam had been blown up to windward. In an instant the men lost touch of each other. This is the disintegrating power of a great wind: it isolates one from one’s kind. An earthquake, a landslip, an avalanche, overtake a man incidentally, as it were - without passion. A furious gale attacks him like a personal enemy, tries to grasp his limbs, fastens upon his mind, seeks to rout his very spirit out of him.
Jukes was driven away from his commander. He fancied himself whirled a great distance through the air. Everything disappeared - even, for a moment, his power of thinking; but his hand had found one of the rail-stanchions. His distress was by no means alleviated by an inclination to disbelieve the reality of this experience. The conviction of not being utterly destroyed returned to him through the sensations of being half-drowned, bestially shaken, and partly choked.
Lc texte est un passage cle mettant en scene un jeune couple, Birkin et Ursula, qui partent en voyage cn Europe afin d’y trouver, croient-ils, le surcroit de liberte qui leur fait defaut dans une societe britannique qu’ils pcrqoivent comme sclerosantc et etriquee (on retrouve la un des axes thematiques princi- paux de l’oeuvre de Lawrence). La traversee qu’ils effectuent de Douvres a Ostende acquiert de toute evidence une dimension symbolique de premier plan, que l’ambiance nocturne ne fait qu’accroitre. D’un point de vue stylistique proprement dit, il s’agit incontcstablement d’un veritable morceau de bravoure dans lequel se trouvent rassembles de nombreux precedes tendant vers une meme fin expressive.
- Comme on peut 1’observer de maniere generale dans les romans de D. H. Lawrence, la narration est conduite sur le mode heterodiegetique (d’apres la terminologie bien connuc de Genctte) par un narrateur qui s’achemine d’un plan panoramique (observable tout au long des trois premiers paragraphes, ou le couple et le bateau se trouvent englobes par une meme vision) a un point de vue beaucoup plus intimiste, de l’ordre du gros plan (cette restriction de champ etant tres perceptible dans le quatrieme et dernier paragraphe, ou la voix narrative prend essentiellement en cornpte les faits et gestes du personnage feminin, dont il nous est donne d’entrevoir les etats d’ame : « there seemed to glow on her heart… », « Her heart was full of the most wonderful light »). II n’y a toutefois pas de place ici pour l’emergence d’une quelconque « zone de personnage » (cas, frequents en litterature, ou la voix du personnage infiltre massivement le discours narratif jusqu’a occuper le devant de la scene) : ce qui est donne demeure bel et bien du registre d’un narrateur omniscient. La domi¬nation de la voix narrative est d’autant plus grande que se trouve exclue du passage toute occurrence de dialogue, la scene etant placee, de maniere signi¬ficative, sous le signe d’un silence absolu, que seul vient rornpre le bruit regulier du bateau fendant les eaux (« a faint noise of cleavage »).
- Sur le plan des donnees spatio-temporelles qui composent le decor, 1’at¬mosphere nocturne et la traversee en bateau se conjuguent pour conferer a cette scene un caractere exceptionnel, quclque peu magique. Le mystere qu’elle comporte semble ouvrir la voie a une revelation, celle meme qui est attendue par le jeune couple en mal de liberte et a la recherche de cette vie naturelle et authen- tique qui constitue l’un des mythes lawrenciens. Ce mystere s’accroit d’autant plus qu’obscurite et silence regnent en maitres : aux notations repetees de silence et/ou faible bruit suscite par Tavancee du bateau vient en effet s’ajouter Titeration de « dark » et de « darkness » (dont on peut relever sept occur¬rences au fil de ce court texte). Les personnages ne pergoivent done de la realite qui les entoure que ce qu’ils peuvent en toucher (voir la fin du troisieme para¬graphe) ou ce que leur livrent une imagination et un desir que l’atmosphere environnante ne fait que stimuler (« the sense of the unrealized world », « her transport »). La scene tout entiere se fait donc l’ecrin privilegie d’un avenir dont ils ont la prescience.
- Correlativement, le lyrisme n’est guere absent de ce passage-cle, affleurant notamment a travers certains developpements syntaxiques des trois dernlers paragraphes ainsi que, de maniere plus restreinte toutefois, a travers le recours, dans le dernier paragraphe, a certains termes d’un registre hyperbolique marque (« the effulgence of a paradise unknown », « a delight of living »…). On peut ainsi observer certains precedes qui s’affichent de maniere recurrente au fil du texte (la liste ci-apres n’ayant bien sur rien d’exhaustif) :
- tout d’abord, sur le plan lexical, les isotopies de l’obscurite et du silence que compose notamment l’iteration systematique - effectuee sur le mode du martelement - de certains mots (« dark » / « darkness », « sound » associe a des marqueurs de negation, « unknown » dans le dernier paragraphe…), quelques structures alliteratives qui, ponctuellement, tendent a produire un effet d’harmonie imitative (« a soft, sleeping motion »), mais aussi l’association de « darkness » a des adjectifs (« unbroken darkness », « surpassing darkness », « profound darkness ») qui en soulignent le caractere absolu et la dimension mysterieuse, porteuse d’un sens qui reste a decouvrir. Notons egalement la perte des reperes spatio-temporels usuels - marquee, dans le second paragraphe, par la sequence negative binaire « no sky, no earth » -, qui temoigne de l’affran- chissement du cours ordinaire des choses permettant l’acces a une revelation.
- les oppositions qui se font jour, des le premier paragraphe, entre « they » (qui refere au jeune couple) et « he » (le membre de l’equipage) et, de maniere encore plus accuseeet significative, entre « they »et« darkness ». Ce contraste est particulierement perceptible dans la premiere phrase du second paragraphe ou ces deux unites lexicales fournissent l’alpha et l’omega de la phrase, rassem- blant done les contraires en un raccourci syntaxique foudroyant : l’infiniment petit confronte a l’infiniment grand, l’etre humain confronte a son mystere, a la nuit qui l’entoure et qui se fait metaphore des origines, revelatrice de la vie que le couple porte en son sein (la comparison « like one closed seed of life » qui apparait a la fin du second paragraphe est particulierement eloquente). Ces oppositions - qui n’en sont pas veritablement puisque les termes et les no tons auxquelles lis renvoient oeuvrent plutot, on le volt, dans la complement s - e manifested de nouveau a la fin du texte, a travers la rencontre de termes antonymes tels que « profound darkness » et « light », rencontre dont le point culminant est constitue par l’association paradoxal des mots dans l’oxymore « olden like honey of darkness » : la no it est done bel et bien promesse de renaissance, acces a un monde nouveau, gestation. Cette derniere nobon est d’ailleurs tres nettement predominante au sein d’un texte dont la derniere partie est fortement centree sur le personnage feminin et renferme en outre des termes - « flower », « effulgence » - dont les connotations rejoignent celles de « seed », embleme d’une fecondite a venir.
- sur le plan syntaxique, on note bien sur, conformement a la veine lyrique evoquee plus haut, une predominance des longs developpements asynde- tiques, et ce plus particulieremcnt a partir du second paragraphe, oil les tours descriptifs acquierent une abundance et une richesse tout a fait habituelles sous la plume de D. H. Lawrence. II est facile d’isoler, a l’interieur de ces longues phrases sinueuses, et plus generalcment dans ce texte marque par la repetition et I’emphasc, des sequences ternaires dont le pivot est parfois constitue par une structure appositive («full of the most wonderful light, golden like honey of darkness, sweet like the warmth of day »), parfois constitue par une anaphore (« without knowing, without seeing, only surging on », « no sky, no earth, only one unbroken darkness »). Deux effets de sens principaux resultent de cettc architecture syntaxique et de la pulsation interne qu’elle confere au texte : d’une part, le martelement produit par la repetition incessante de memes mots, de memes structures possede un certain pouvoir de conviction, voire d’hypnose sur le lecteur, qui ne peut qu’etre fascine - au sens elymologique du terme - par ce phrase et ce qu’il renferme ; d’autre part, la richesse descriptive du texte se trouve accrue par les ressources mimetiques qui sont deployees par cette syntaxe (les sequences ternaires, engendrant certains effets de tactisme en raison de leur balancement, qui ne peut qu’evoquer le mouvement du bateau sur la mer, le mouvement de la reverie qui prend forme au fur et a mesure que se deroule la traversee).
- la surenchere lexicale qui s’affiche dans les tours descriptifs aboutit a un effet d’hypotypose, de transcription quantitative de la realite qui est evoquee : ici, le reve qui prend forme, la vie en gestation qui ne demande qu’a eclater au grand jour, la pregnance de cette nuit de traversee qui devient, sembie-t-il, un avatar de ce voyage out qui donne son titre a un roman de Virginia Woolf.
TEXTE 8 D. H. Lawrence, Women in Love (1921)
One of the ship’s crew came along the deck, dark as the darkness, not really visible. They then made out the faintest pallor of his face. He felt their presence, and stopped, unsure - then bent forward. When his face was near them, he saw the faint pallor of their faces. Then he withdrew like a phantom. And they watched him without making any sound.
They seemed to fall away into the profound darkness. There was no sky, no earth, only one unbroken darkness, into which, with a soft, sleeping motion, they seemed to fall like one closed seed of life falling through dark, fathomless space.
They had forgotten where they were, forgotten all that was and all that had been, conscious only in their heart, and there conscious only of this pure trajec¬tory through the surpassing darkness. The ship’s prow cleaved on, with a faint noise of cleavage, into the complete night, without knowing, without seeing, only surging on.
In Ursula the sense of the unrealized world ahead triumphed over every¬thing. In the midst of this profound darkness, there seemed to glow on her heart the effulgence of a paradise unknown and unrealized. Her heart was full of the most wonderful light, golden like honey of darkness, sweet like the warmth of day, a light which was not shed on the world, only on the unknown paradise towards which she was going, a sweetness of habitation, a delight of living quite unknown, but hers infallibly. In her transport she lifted her face suddenly to him, and he touched it with his lips. So cold, so fresh, so sea-clear her face was, it was like kissing a flower that grows near the surf.
La premiere impression qui se degagc de ce texte est celle d’une tres grande densite typographique (l’ensemble formant sur la page deux paragraphes compacts), qui prefigure une meme densite linguistique. De tres nombreux precedes stylistiques sont a l’ceuvre dans ce passage, certains d’entre eux sautant aux yeux des le premier survol lineaire du texte et d’autres ne se decou- vrant qu’a la faveur d’une lecture beaucoup plus minutieuse. Parmi les aspects les plus evidents, on peut citer la ponctuation, caracterisee par un deferlement de virgules et de points-virgules qui fragmentent le texte a l’envi en inserant dans sa charpente une profusion de details descriptifs, d’arrets sur image signi- ficatifs d’une attention extreme portee aux plus infimes signes de vie presents dans la maison evoquee.
Quelques donnees situationnelles (qui ne sont nullement obligatoircs pour I’etude du texte, mais qui ne peuvent qu’enrichir la perception que l’on en a) : le texte est inclus dans la tres belle seed on « Time Passes », section mediane de To the Lighthouse, qui fournit lc point d’articulation cntre deux epoques separees par la survenue de la Premiere Guerre Mondiale. Le fourmillemcnt de vie que connaissait la maison avant la guerre (particulierement perceptible lors de Pete 1914, evoque par la premiere section du reman) s’acheve a l’arrivee de la guerre, qui coincide avec la mort - extremement emblematique - de Mrs Ramsay, figure tutelaire, garante des valeurs feminines et maternelles, qui presidait a la destinee de la maison et de ses habitants (on peut noter, au fil du texte, une allusion discrete mais lourde de sens au feminin et au matemel a travers deux details successifs mis en valeur par la fragmentation induite par la ponctuation : les travaux de couture et le miroir (« hands were busy with hooks and buttons », « the looking-glass had held a face »), details corrobores par revocation de la presence joyeuse et exuberante des enfants par la suite (« in came children rushing and tumbling »). Ce passage vient done cristalliser une rupture diege- tique et stylistique des plus nettes.
Deux grands axes semantiques ont tot fait de se degager d’une lecture attentive :
a) d’une part, le travail obstine de la mort et de la destruction, qui vise a cradiquer toute presence de vie ;
b) d’autre part, la vie qui, apres avoir ete etouffee et mise en sommeil, va s’epanouir de nouveau ; cette metaphore de l’epanouissement n’est d’ailleurs pas entierement due au hasard si Ton considere la recurrence du symbole de Narcissc au fil du texte, les trois apparitions de ce symbole suivant parfaitement le mouvcment evoque, qui fait s’acheminer la dcmeure d’un enfermement mortifere vers l’ouverture a la lumiere, a un elan vital qui sort vainqueur de ce combat du jour et de la nuit : « Now, day after day, light turned, like a flower reflected in water, its clear image on the wall opposite » ; « Only the shadows of the trees […] darkened the pool in which light reflected itself » ; « light bent to its own image in adoration on the bedroom wall ».
Ces considerations seront bien sur reliees aux autres reseaux metaphoriques qui, comme on le verra, parcourent le texte.
1. Du point de vue de sa tonality d’ensemble, ce texte evoque de maniere saisissante le genre du tombeau, terme d’acception musicale a l’origine, qui designe un morceau ecrit en hommage a quelqu’un de disparu afin de perpetuer son souvenir (on songe, entre autres, a Ravel et Debussy, auteurs respectifs du Tombeau de Couperin et du Tombeau des Naiades). En effet, on ne peut que remarquer des l’abord la tres grande musicalite du texte, veritable joyau rythmique et sonore mu par un lyrisme en forme d’hymne vibrant a ce qui n’est plus. On peut bien sur parler ici de prose poetique, et ce au sens le plus plein du terme puisque toutes les categories langagieres et stylistiques sont a l’oeuvre dans la construction de cet effet. Cette dimension poetique est accreditee par l’echo intertextuel que l’on peut dcceler a la fin du texte (consacree au recit du rcveil de la maison abandonnee) au poeme « Aube » des Illuminations de Rimbaud, en raison d’une parente a la fois thematique (passage de l’obscurite a la pleine lumiere) et metaphorique (les ombres qui s’animent, la victoire de la lumiere). Encore une fois, le lyrisme omnipresent est celui du tombeau.
2. Correlativement, l’univers referentiel du texte (l’univers qu’il evoque) est egalement un tombeau oil regnent la mort et la destruction, les vestiges du passe, vehicules par les reseaux metaphoriques. Peuplee de souvenirs, d’ombres et de miroirs, la maison vide acquiert des allures de chateau de la Belle au Bois Dormant/ si ce n’est que la presence en chair et en os de la Belle a fait place au seui souvenir, a travers des objets emblematiques, de Mrs Ramsay ; le parcours du sommeil a l’eveil s’acheve en effet avec l’apparition de Mrs Mc Nab, avatar du Prince Charmant qui permet a la lumiere et a la vie de reinvestir la demeure : les fenetres s’ouvrent, la poussiere est otee des meubles, et l’epanouissement triomphe a travers la metaphore de la defloration (« tearing the veil of silence »).
Dans un premier temps, toutefois, la maison se fait sanctuaire, urne du passe (voir a ce sujet les resonances religieuses et mortuaires du terme « dust », qui clot le passage) envahie par des forces mortiferes. Cette invasion se manifeste a travers le courant animiste qui parcourt le passage ; les elements d’ordinaire inanimes (« stray airs ») se chargent d’une agressivite, d’un dynamisme par lesquels lis ne tardent guere a supplanter l’humuin disparu, terrassant tout ce qui reste de lui. Ce dynamisme se fait jour pour l’essentiel a travers deux traits
particulierement remarquables :
- d’une part, a travers le materiau verbal au sein duquel on peut noter un contraste accuse entre une serie de preterits decrivant l’avancee imperturbable des elements (voir construction par juxtaposition incessante de preterits de la premiere phrase) et la proliferation des participes passes, veritables « cadavres verbaux » (le terme esl du linguiste Gustave Guillaume) refer ant aux attributs humains et marquant l’accompli, l’irremediable, l’usure generee par le passage du temps : « furred, tarnished, cracked », « faded » (on notera, dans le premier exemple, l’accentuation de cet effet par la sequence ternaire formee par les trois adjectifs et la gradation qui est ainsi engendree) ;
- d’autre part, a travers les reseaux metaphoriques qui epousent fidelement le mouvement du texte puisque chacun de ces reseaux correspond a un para¬graphe distinct :
a) la metaphore de l’armee en marche tout d’abord, qui sous-tend toute la premiere phrase, amorcee par l’apposition « advance guards of great armies » et filee a l’aide de la charge connotativc des verbes qui se succedent (« blustered in », « fanned », « resisted »), creant une structure accumulative qui confine a l’hypotypose par la surenchere verbale qui en resulte. Plusieurs remarques s’imposent a propos de cette metaphore filee (ou, en l’occurrence, allegoric, puisqu’elle personnifie l’idee abstraite de la mort et de la destruction en cn faisant un veritable tableau vivant) : tout d’abord, elle transforme le microcosms de la demeure en fidele reflet d’un macrocosme tout entier livre aux assauts de la Premiere Guerre Mondiale, la maison se faisant ainsi synecdoque d’un gigantesque tout qui court a sa perte ; ensuite, comme on l’a deja suggere, elle repose sur une construction syntaxique remarquable, les verbes s’entre- choquant par le biais de la parataxe asyndetique, qui confere a l’ensemble des allures de « bataillons de mots » (scion la formule d’Henri Suhamy) ; enfin elle combine en realite deux niveaux metaphoriques puisqu’a la metaphore guerriere se mele, par l’entremise du verbe « nibbled , celle du vautour, de l’oiseau de proie dont le terrain de chasse de predilection n’est autre que le champ de bataille.
b) la metaphore du suaire appose sur le cercueil (qui corrobore, bien sur, l’idee du tombeau deja evoquee) qui, apparaissant au tout debut du second paragraphe, contribue a ancrer plus avant le passage dans le theme dc la destruction. il convient d’ailleurs de noter a ce sujet la tres grande homogeneite de ce texte du point de vue des images mortiferes qu’il renferme, ainsi que l’effet de symetrie qu’engendre la transition d’un reseau metaphorique a un autre, qui permet en outre l’etablissement d’un lien de cause a effet (de la destruction a l’entree dans la mort et dans l’inertie de la matiere). Remarquons egalement, a l’appui des remarques deja formulees plus haut, que ce suaire n’est nullement immobile mais en mouvement, investi d’une force mysterieuse qui vise a etouffer, a ensevelir completcment l’humain ainsi que, d’une maniere generale, tout ce qui est habite par un elan vital quelconque : c’est la tout le sens de la longue parataxe asyndetique qui structure la premiere phrase de ce second paragraphe, dans laquelle s’engouffrent, pele-mele, tous les elements animes, enumeration cloturee par un coordonnant qui marque le caractere inexorable et systematique de cet engloutissement. Notons en outre que cette metaphore du suaire est reprise, selon un effet de parfaite symetrie ici encore, a la fin du texte, sous l’angle cette fois de l’ouverture a la lumiere deja mentionnee plus haut (« tearing the veil of silence »), ouvcrture qui, par le biais des quantifieurs utilises, se fait maximale (« open all windows »), comme l’etait la fermcture initiale de la maison d’abord vouee a l’ombre. Enfin, on peut souligner qu’a cette reprise de la metaphore du suaire correspond, dans la phase finale du texte, la reprise - plus discrete toutefois mais tout aussi pertinente a notre sens - de la metaphore guerriere, qui affecte cette fois, par une inversion remarquable, la personne de Mrs Mc Nab, qui semble en effet bel et bien livrer bataille aux tenebres et a la destruction a travers l’association, au sein du meme segment de phrase, du semantisme des verbes et du jeu tout aussi guerrier des plosives : « grinding it with boots that had crushed the shingle ».
- Cette parfaite symetrie de l’organisation metaphorique se trouve corroboree par les nombreux echos lexicaux qui jalonnent le passage, echos qui concernent un materiau lexical porteur d’une tres forte charge symbolique.
En premier lieu, il convient de noter le contraste lexical appuye qui se fait jour entre le debut et la fin du texte, ou apparait une opposition terme a terme entre « locked » et « open », deux antonymes qui renvoient respectivement a une image de fermeture, d’entree dans le neant, et a une image d’ouverture, de retour a la lumiere. Le terme de « locked » orchestre a lui seul toute la premiere partie du texte, dans laquelle, de maniere systematique, tous les attributs de la maison, ou peu s’en faut, sont passes en revue sous Tangle de la fermeture, de la deperdition : « house empty », « doors locked », « mattresses rolled round », « saucepans and china already furred, tarnished, cracked », « faded skirts », autant de notations en forme de fragments renvoyant a tous les aspects de la vie (communication, nourriture, feminite, etc.) qui ne se manifestent plus que sous forme d’un « tas d’images brisces » (« heap of broken images », methodologie et analyses de texths
metaphore a l’aide de laquelle T. S. Eliot, dans The Wasteland, fait la synthese de la perte de reperes engendree notamment par la survenue de la Premiere Guerre Mondiale et par le bouleversement radical des valeurs induit par celle-ci). I,a maison, refermee sur elle-meme et les souvenirs, les ombres qui la peuplent, se fait done le lieu ou regnent les cadavres (autant linguisbquemenl par le biais des participes passes deja mentionnes, que d’un point de vue extra-linguistique, de la realite, de la materiality meme des choses evoquees).
Ce regne absolu de la mort et de la desolation est mis en relief par la reitera¬tion - discrete la encore, mais d’autant plus efficace - de « nothing » ; ce terme constitue le marqueur supreme d’une annihilation dont le caractere sans appel est accentue par l’effet de masse, de globalite indivise, genere par le rejet de toute quantification precise que signale la recurrence de la determination nominale en 0 : « bare boards », « hangings », « tables », « saucepans »…
De cette reiteration participe egalement le mouvement anaphorique genere par certains elements lexicaux, perceptible notamment a travers la repetition de « how once », qui confere a cettc longue phrase un tour incantatoire, un caractere de litanie parfaitement en accord avec le registre memoriel et le genre du tombeau precedemment evoque, qui en est l’expression artistique privi- legiee. Revivifie a l’infini par la magie du verbe, le souvenir deroule ses images dans le texte selon le rythme empreint de solennite instaure par la recurrence des points-virgules (gencrateurs de pauses - tres proches de l’equivalent musical - qui sont autant de mises en relief de l’image-instant evoquee). - Nos dernieres remarques (pour partie deja amorcees en filigrane au fil de ce commentaire) concerneront la presence de combinaisons phoniques remarquables soit par les effets ponctuels d’harmonie imitative qu’elles instaurent ca et la (d’une maniere qui ne peut que frapper le lecteur, devenu auditeur de la musique du texte), soit par la regularity rythmique a laquelle elles donnent naissance (effet qui ne fait que corroborer celui deja releve a l’occasion d’autres traits stylistiques). iI en va ainsi, de l’alliteration en [b] (« Crushed bare boards »), d’autant plus perceptible qu’elle concerne une suite de trois termes monosyllabiques et qu’elle donne done, sur le plan rythmique, une idee de la progression implacable, quasi militaire, de ces elements mortiferes a travers la maison ; des elements alliteratifs et consonantiques en [s] (« Nothing it seemed could disturb the swaying mantle of silence ») qui, par le rythme regulier qu’ils creent, sug- gerent tout a la fois l’inertie et le piege insidieux qui etouffe peu a peu tout elan vital ; enfin, on notera la combinaison de plosives deja mentionnee dans revocation do Mrs McNab (« grinding it with boots that had crushed the shingle »), qui vient s’allier a la metaphore guerriere pour en renforcer l’expressivite. Mais il va de soi que tous ces effets sont a apprecier selon la sensibilite de chacun a cette « musique des phonemes » que renferment bien souvent les textes (et il est evident que la prose de Virginia Woolf n’est guere en reste dans ce domaine).
On peut done souligner la tres grande richesse expressive de ce texte- « tombeau », qui emprunte a la poesie et a la musique bon nombre de modalites langagieres (lexicales, syntaxiques, metaphoriques, sonores), dont les effets se conjuguent pour aboutir a un construit textuel extremement homogene.
TEXTE 9 Virginia Woolf, To the Lighthouse (1927)
So with the house empty and the doors locked and the mattresses rolled round, those stray airs, advance guards of great armies, blustered in, brushed bore boards, nibbled and fanned, met nothing in bedroom or drawing-room that wholly resisted them but only hangings that flapped, wood that creaked, the bare legs of tables, saucepans and china already furred, tarnished, cracked. What people had shed and left - a pair of shoes, a shooting cap, some faded skirts and coats in wardrobes - those alone kept the human shape and in the emptiness indicated how once they were filled and animated; how once hands were busy with hooks and buttons; how once the looking-glass had held a face; had held a world hollowed out in which a figure turned, a hand flashed, the door opened, in came children rushing and tumbling; and went out again. Now, day after day, light turned, like a flower reflected in water, its clear image on the wall opposite. Only the shadows of the trees, flourishing in the wind, made obeisance on the wall, and for a moment darkened the pool in which light reflected itself; or birds, flying, made a soft spot flutter slowly across the bedroom floor […J
Nothing it seemed could disturb the swaying mantle of silence which, week after week, in the empty room, wove into itself the falling cries of birds, ships hooting, the drone and hum of the fields, a dog’s bark, a man’s shout, and folded them round the house in silence. Once only a board sprang on the landing; once in the middle of the night with a roar, with a rupture, as after centuries of quies¬cence, a rock rends itself from the mountain and hurtles crashing into the valley, one fold of the shawl loosened and swung to and fro. Then again peace descended; and the shadow wavered; light bent to its own image in adoration on the bedroom wall; when Mrs Mc Nab, tearing the veil of silence with hands that had stood in the wash-tub, grinding it with boots that had crushed the shingle, came as directed to open all windows, and dust the bedrooms.
In this highly descriptive passage the homodiegetic narrator gives free play to his miscellaneous impressions of the centre of London at nightfall, a landscape which he depicts in very vivid, and sometimes garish, colours. He resorts to a variety of stylistic devices which very often achieve spectacular effects and all contribute to enrich the pictorial quality of the whole.
1. The art of seeing: colours and lights
In keeping with this pictorial vein, the importance of vision is underlined, especially through recurrent notations of colours and lights among which two distinct categories can be identified, each of them encompassing various nouns and adjectives:
a) first, all the colours which seem to blend into the general blackcloth of nightfall, gradually fading to faint hues (“delicate greys and blues”, “blurred piece of decoration”, “dim sea”), highly reminiscent of such Whistler pictures as Nocturne in Blue and Cold: Old Battersea Bridge (1872) or Nocturne in Blue and Silver: Chelsea (1871) in which a very similar blurred, indefinite urban atmo¬sphere is conjured up;
b) second, the more lurid and aggressive lights and colours which all blatantly stand out against this rather subdued background, showing how violently the narrator’s subjectivity collides with the lush urban landscape whose emblematic details are scattered throughout the description: “purple constellations”, “golden frieze”, “bright gardens”, “shimmering fabrics”, etc. This is further echoed by the all-enhancing, nearly hyperbolic dimension of such nouns and noun phrases as “all the lights”, “a swarm of little lights”, “constellations”, “a multicoloured host” which, along with the reiterated metaphor of the sea (“a dim sea” / “opalescent seas”), lay definite emphasis on the vastness and exuberance that the area described acquires in the narrator’s eyes.
2. The depiction of a riotous atmosphere
This tremendous subjective expansion of the urban landscape is most aptly suggested by the hypotyposis which runs through the whole text (as Is indeed usual in such a florid purple patch). The recurrence of verbs referring to a vividly, and sometimes violently animated state plays a definite part in this
highly suggestive process in which, as has been mentioned before, visual notations prevail: “were blazing away”, “ran hither and thither”, “tearing through night gardens”, “blazed for a few moments”, etc. Tire syntactic arrange¬ment also contributes to this lavish atmosphere, more particularly at the very beginning and at the end of the text, where sentences are heaped up and juxta¬posed according to a rather hectic organization which, of course, sets the stage for the overall confusion: “their shimmering fabrics foamed about our wheels; their ceilings glittered with jewels”.
Accordingly, an isotopy of opulence is also created, including other lexical choices which, sometimes combined within brief paratactic sequences (“blazing, opulent, riotous”), point out to a frenzy of shapes and colours all larger than life (“bright gardens, sometimes splashing upon opalescent seas”). A few names, toponyms or anthroponyms, also add an exotic note (“Arabian Nights”, “Alladin’s Cave”), even though the unreal colouring instilled into the description has nothing to do with the sensuous atmosphere that usually comes out of the use of such words. What is indeed suggested here is rather the monstrous, aggressive aspect of the urban landscape with its “great fantastic shapes” and sharp chromatic contrasts. This depiction of the “mad little universe” composed by nocturnal London seems to be, both thematically and stylistically closely linked with such expressionist pictures or films as Evening on Karl johann by Edvard Munch (1892),386 or Sunrise by Friedrich Wilhelm Murnau (1927), in which the human figure tends to blur and merge into the invading sea of lights and objects only to be d ramatically set off at times. This is proved by the contrast between the two following descriptive sequences: “a kind of golden frieze of armchairs and tiny waiters and lounging clubmen” / “with here and there a face sharply outlined” (the semantic content of the “golden frieze” referred to in the first example quoted being, of course, syntactically echoed by the polysyndeton that it seems to trigger off within the sentence).
TEXTE 10 J. B. Priestley, I for One (1923)
It was just twilight when I mounted the bus; the shapes of the buildings could still be seen hanging against the sky, but they no longer looked solid; all the lights were blazing away, but they were set not in the thick background of night but in the delicate greys and blues of dusk. Piccadilly Circus was a mad little universe, in which purple constellations flamed to the glory of somebody’s port and a multicoloured host of moons spim and flickered in praise of someone else’s soap. The crowds on the pavement were nothing but a blurred piece of decoration, with here and there a face sharply outlined by a passing light. I was carried through the air so quickly along Piccadilly that, on my left, the Park faded into a dim sea, and on the other side the lighted windows of the clubs all joined on to each other and formed a kind of golden frieze of armchairs and tiny waiters and lounging clubmen. At Hyde Park corner a swarm of little lights ran hither and thither, and high above them, breathed upon the sky, were great fantastic shapes. And then we passed into Knightsbridge and Brompton Road and came to the big shops, blazing, opulent, riotous, and sometimes we seemed to be tearing through bright gardens, sometimes splashing upon opalescent seas. They were no more shops, as we know shops, than was Aladin’s Cave; their shimmering fabrics foamed about our wheels; their ceilings glittered with jewels; and Harrods, as it loomed, blazed for a few moments, then faded, was a glimpse of an Arabian Nights’ entertainment. Then all the lights flickered out and all the sounds died away, and we passed into the mournful spaces of South Kensington, a desolate region at that hour and indeed a strange one at any hour.
Deux remarques genera les s’imposent ici :
- d’une part, le texte abonde en precedes stylistiques - narratifs et rhetoriques - qui visent a rendre l’effervescence des Roaring Twenties, de ce Jazz Age dont Fitzgerald s’est a de nombreux egards fait le peintre dans ses remans et ses nouvelles ;
- en outre, il est tout entier orchestrc par la vision d’un narrateur intradiege- tique qui saisit tout a la fois le caractere enjoue et le pathetique sous-jacent de la scene observee, ambivalence chore a Fitzgerald tout au long de ses oeuvres dans lesquelles il s’est attache a mettre en evidence, derriere la legerete apparente, toute la complexite de cette periode d’entre-deux guerres febrile et incertaine.
1. La strategic narrative deployee est des plus homogenes. On peut noter, des 1’abord, la vision de surplomb adoptee par le narrateur, qui conduit ce dernier a embrasser une scene des plus typiques (fortement dramatisee par l’emploi majoritaire du present) dont emergent, au fil de la description, certaines composantes revelatrices dc l’atmosphere generale (« The last swimmers », « the cars », « The bar », « wanderers, confident girls »). Ce qui domine tres nettement est en effet le regard panoramique, notamment percep¬tible a travers le schema de determination nominale recurrent en 0 + nom (singulier ou pluriel), produisant un effet de masse compacte, de proliferation incessante, ou se melent de maniere indifferenciee instruments de musique et figures humaines noyees dans l’abondance et la richesse omnipresentes mais aussi dans l’anonymat et l’uniformite des comportements sociaux : « oboes and trombones and saxophones», « hair », « shawls », « chatter and laughter », « women », « wanderers », « faces and voices », ces noms etant parfois introduits par des marqueurs de globalisation tels que « the opera of », « the sea- change of » dont la charge metaphorique est revelatrice de la confusion euphorique et du tumulte qui regne a l’entour. On observera en outre la gradation qui s’opere de « the opera of voices » a « the sea-change of faces and voices and colours », dont le caractere d’echo lexical se double d’un caractere accumulatif par lequel la confusion semble etendre son empire. Cette gradation est accentuee par le caractere tres fortement symetrique de ce paragraphe, dont le dernier mot, « light », n’est autre qu’une reprise quasi exacte du tout debut (« The lights grow brighter »), le passage du pluriel au singulier marquant ici l’amplification, le produit d’une perception de plus en plus globalisante par laquelle le detail se fond dans la surcharge du decor environnant.
2. Sur le plan syntaxique, cette meme vision se fait jour a travers un veritable deferlement qui, d’une maniere generale, s’apparente a l’hypotypose. Ce qui est partieulierement remarquable est l’abondance des sequences enonciatives conduites soit sur le mode de la polysyndete (c’est le cas du premier paragraphe, dans lequel « and » est reitere a l’envi), soit sur le mode de la parataxe asyndetique (cas de la plus grande partie du second paragraphe). La transition de la polysyndete a l’asyndete - avant le retour a la polysyndete en fin de parcours - s’accompagne egalement de l’apparition d’un rythme ternaire, comme si a la fragmentation et a l’eparpillement initiaux succedait une mise en ordre, une structuration progressive et massifiee du mouvement general de la foule. Cette structuration semble proceder de la musique elle-meme, cette derniere semblant peu a peu reguler ce qui apparait neanmoins au narrateur comme une valse effrenee de visages et d’entites anonymes. La regulation ternaire du mouvement, accentuee par l’echo genere par le polyptote « change more swiftly » / « sea-change » / « constantly changing », fait de la musique non seulement un element diegetique de premier plan - representatif, la encore, d’une culture donnee -, mais aussi un element structurel, quasi metatextuel dans la mesure ou la narration semble elle-meme se faire, pour le narrateur desabuse retranche derriere sa fagade ironique, « valse melancolique et langoureux vertige» (pour reprendre la celebre formule de Baudelaire dans « Harmonic du Soir », particulierement appropriee en l’occurrence). La veritable volute syntaxique qui clot le second paragraphe a partir de « glide on » fournit, amplifiee par la rime interne (« faces and voices »), une illustration eloquente de ce tournoiement par lequel le lecteur s’echappe de cette vision fugitive sous l’emprise du rythme ainsi cree ; et ce d’autant plus que les echos sonores distribues au fil des lignes precedentes (« trombones and saxophones », « chaffer and laughfer ») contribuent largemenl a solliciter Timaginaire en restituant avant tout, de maniere quasi palpable, la densite d’une atmosphere.
3. La rhetorique n’est pas en reste dans les moyens dont la voix narrative se dote pour amener l’effervescence de ce microcosme sur le devant de la scene. On notera bien evidemment, en premier lieu, la metaphore musicale, filee par divers elements regulierement distribues tout au long du texte : « the opera of voices », « a key higher », « swell », « in the same breath », « glide on », ce dernier terme, qui designe en musique un port de voix, paraissant tout naturellement faire echo a « opera ». L’impression dominante qui resulte de ces touches descriptives est celle d’une musique qui - comme on l’a deja observe pour ce qui est de la syntaxe et des echos qu’elle renferme - vient imprimer sa pulsation a l’ ensemble de la scene telle qu’elle est pergue, dans sa confusion generale, par le narrateur.
II convient egalcmcnt de remarquer l’ironie devastatrice du narrateur, parti- culierement perceptible a travers le processus metonymique qui reduit l’humain - orchestre et invites - a ses attributs mondains et festifs, mais aussi a travers certaines touches hyperboliques visant a tourner en derision la surenchere du luxe qui est deploye (« shawls beyond the dreams of Castile »). Cette ironie trouve egalement son exutoire dans un certain art du paradoxe, comme le montre le segment « enthusiastic meetings between women who never knew each other’s names », cette formule semblant presque un avatar du paradoxe wildien. Un autre exemple remarquable de paradoxe est celui qui s’affiche a l’ouverture du second paragraphe (« The lights grow brighter as the earth lurches away from the sun »), comme manifeste d’une artificialite supreme qui eclipse savamment le cours naturel des choses, le seul eclat qui demeure etant celui des lustres, des coiffures des flappers evoquees, ainsi que des cuivres qui caracterisent i’orchestre de jazz. II s’agit ici, pour le narrateur, de se livrer subrepticement a la satire aiguisee d’une societe en proie a l’ivresse d’un divertissement qui n’est autre que l’envers d’une profonde felure metaphysique (la vision de surplomb qui se profile derriere celle du narrateur pouvant d’ailleurs, de maniere sous-jacente, etre celle de Gatsby lui-meme, qui n’a acces a la scene que de maniere lointaine, retranche le plus souvent dans ses appartements). La plupart des composantes de ce Jazz Age se trouvent reunies dans ce texte d’une rare densite, marque en profondeur, sous l’homogeneite apparente, par la dissonance dont les paradoxes precedemment mentionnes sont, en l’oc- currence, un des traits rhetoriques constitutifs.
TEXTE 11
Francis Scott Fitzgerald, The Great Gatsby (1925)
By seven o’clock the orchestra has arrived, no thin five-piece affair, but a whole pitful of oboes and trombones and saxophones and viols and comets and piccolos, and low and high drums, The last swimmers have come in from the beach now and are dressing upstairs; the cars from New York are parked five deep in the drive, and already the halls and salons and verandas are gaudy with primary colours, and hair bobbed in strange new ways, and shawls beyond the dreams of Castile. The bar is in full swing, and floating rounds of cocktails permeate the gardens outside, until the air is alive with chatter and laughter, and casual innuendo and introductions forgotten on the spot, and enthusiastic meetings between women who never knew each other’s names.
The lights grow brighter as the earth lurches away from the sun, and now the orchestra is playing yellow cocktail music, and the opera of voices pitches a key higher. Laughter is easier minute by minute, spilled with prodigality, tipped out at a cheerful word. The groups change more swiftly, swell with new arrivals, dissolve and form in the same breath; already there are wanderers, confident girls who weave here and there among the stouter and more stable, become for a sharp, joyous moment the centre of a group, and then, excited with triumph, glide on through the sea-change of faces and voices and colour under the constantly changing light.
Ce texte, situe au tout debut du roman (dont il n’est pas pour autant l’mcipit a proprement parler), est particulierement intcressant par sa composition d’ensemble et sa richesse descriptive qui lui conferent une dimension quasi cine-matographique.
1. Enonciation / point de vue
Une transition tres nette s’opere d’un paragraphe a l’autre, epousant gra- duellement la vision du personnage (dont le role centralisateur est explicitement marque par l’apparition du prenom « George » au debut du second paragraphe). Cette modification dans une vision qui sc fait de plus en plus intimiste s’accompagne d’une restriction progressive du champ. D’un cadre panoramique (« all the noises of the city », « the general hum ») ou les sons appartiennent a un univers lointain (« The noise receded, grew fainter, then faded »), on passe a un cadre situationncl beaucoup plus reduit. L’agressivite anonyme de la rue - suggeree, entre autres, par diverses combinaisons de plosives : « raucous splutter of a truck », « grinding clash of gears » - fait place aux bruits attenues, ou au silence, des existences individuelles que l’observateur decouvrc peu a peu de sa fenetre (« the little squares of yards», « a patch of earth », « a little plot of new-sown grass », « a little shed »). Cette transition fait etat de changements remarquables dans la determination nominalc : les marqueurs de globalisation (« all the noises », « the little squares ») s’effacent peu a peu devant la proliferation du schema A + nom, qui signe l’inventaire dcscriptif, rejoignant la technique cinematographique du gros plan, voire de I’insert. II convient egalement de souligner au passage la recur¬rence des formes en BE + -ING « how the evening light was moving », « a pretty woman had been setting out flowers »), qui, attestant d’une saisie en deroulement des actions decrites, instaurent autant d’arrets sur image, de « coups de projecteur» sur une scene dont de nombreux elements sont ainsi dramatises par le regard d’un personnage avide de spectacle.
2. Composition lexicale et modalisation
Cette gradation dans le caractere intime de la vision developpee fait appa- raitre une augmentation des marques de modalisation qui, outre les formes verbales precedemment evoquees, affectent egalement le materiau adjectival et adverbial, ce dernier constituant dans le texte l’une des marques essentielles de la focalisation interne. Les adjectifs et adverbes, procedant bien souvent par unites juxlaposees, s’immiscent au coeur de chacun des syntagmes nominaux qui sous-tendent les touches descriptives pour souligner une caracteristiquc dupersonnage ou de son environnement immediat. Ces caracteristiques font l’objct, de maniere systematique, d’une appreciation esthetique de l’observateur embusque derriere sa fenetre : « a pretty woman », « working earnestly », « solemnly watered », « a square red face », « a gay-painted table », « a good- looking girl », touches descriptives bien souvent non exemptes de tendresse ou d’amusement quasi enfantin en raison de la charge evaluative, voire axiologique, de certaines sequences adjectivales (« a square red face », « their flimsy little dresses »). Les notations de couleur (explicites ou implicites), de taille, les details vestimentaires, les references aux divers mouvements des personnages abondent, temoignant d’un desir de saisir au plus pres tous les remous de cette vie et de cette gaiete exterieures, attitude qui n’est pas sans evoquer celle du personnage central du celebre film de Hitchcock Rear Window (la notion de cadrage, d’encadrement des faits et gestes observes ayant ici une importance similaire).
3. Construction syntaxique
La syntaxe est bien evidemment au service des variations de la vision developpee, Le premier paragraphe se caracterise par une succession de phrases amples ou dominent l‘hypotaxe et la coordination, marqueurs de la propagation lointaine et diffuse, puis de la suspension progressive des bruits et mouvements evoques ; on notera a cet effet la cadence equilibree de la fin de la derniere phrase du premier paragraphe, a la « respiration » particulierement evocatrice du retour au calme qui est suggere :
The noise receded, / grew fainter, / then faded into the general hum, / and all
was as quiet as before.
Les deux premiers segments font apparaitre un nombre de syllabes decroissant, sorte de representation graphique de l’apaisement mentionne, tandis que les deux derniers, quasi isometriques, se succedent selon une rythmique homogene qui instaure une pulsation des plus regulieres dans toute cette fin de phrase.
Le second paragraphe fait en revanche etat d’une fragmentation en petites unites phrastiques, d’un rythme que viennent ralentir les nombreuses pauses instaurees par les virgules et les points-virgules, qui sont autant de rupteurs isolant les facettes contrastees de ce tableau d’une humanite tout a la fois active et rasserenante par son dynamisme meme (trait qui va a l’encontre de l’immo-bilite fascinee du spectateur de cette scene). C’est cette vitalite qui impregne, comme on peut le constater, toute l’architecture de ce passage haut en couleur, fourmillant de notations variees, a travers lesquelles se devoile Temerveiliement du personnage devant ce spectacle d’une vie quotidienne foisonnante.
TEXTE 12 Thomas Wolfe, Yow Can’t Go Home Again (1940)
The air was strangely quiet. All the noises of the city were muted here into a distant hum, so unceasing that it seemed to belong to silence. Suddenly, through the open windows at the front of the house came the raucous splutter of a truck starting up at the loading platform of the warehouse across the street. The heavy motor warmed up with a full-throated roar, then there was a grinding clash of gears, and George felt the old house tremble under him as the truck swung out into the street and thundered off. The noise receded, grew fainter, then faded into the general hum, and all was quiet as before.
As George leaned looking out of his back window a nameless happiness welled within him and he shouted over to the waitresses in the hospital annexe, who were ironing out as usual their two pairs of drawers and their flimsy little dresses. He heard, as from a great distance, the faint shouts of children playing in the streets, and, near at hand, the low voices of people in the houses. He watched the cool, steeped shadows, and saw how the evening light was moving in the little squares of yards, each of which had in it something intimate, familiar, and revealing: a patch of earth in which a pretty woman had been setting out flowers, working earnestly for hours and wearing a big straw hat and canvas gloves; a little plot of new-sown grass, solemnly watered every evening by a man with a square red face and a bald head; a little shed or playhouse or workshop for some businessman’s spare-time hobby; or a gay-painted table, some easy lounging chairs, and a huge bright-striped garden parasol to cover it, and a good-looking girl who had been sitting there all afternoon reading, with a coat thrown over her shoulders and a tall drink at her side.
« Seascape », ecrit par W. H. Auden en 1936, s’insere dans un recueil portant le titre de Look, Stranger, titre qui n’est autre que la reprise exacte du premier hemistiche du tout premier vers de « Seascape », dans lequel se dessine donc, de prime abord, le caractere emblematique d’une vision qui va etre developpee tout au long du recueil. Le terme de « vision » parait ici d’autant plus approprie que e’est veritablement, comme on le verra, a une maniere de rituel contcmplatif que le poeme nous invite par un jeu de mise en abyme dont le « Stranger » designe d’entree de jeu par le vocatif, le voyageur a l’identite des plus floues, est le point focal par l’entremise de son regard. II est interessant de noter, en preambule, que ce poeme a fait l’objet d’une mise en musique par Benjamin Britten, grand ami de Auden, un an environ apres sa parution. La partition correspondante, composee sous forme de melodie accompagnee au piano, fait ressortir les nombreuses virtualites expressives de ce poeme. Cette musicalite intrinseque est tres perceptible a la simple lecture h travers les nombreux enchainements sonores et rythmiques qui constituent le poeme et en font une celebration enthousiaste de la nature telle qu’elle est apprehendee par le regard du voyageur. Cette adresse directe nous renseigne done, des l’abord, sur le registre intimiste du poeme, fonde sur un rapport intersubjectif des plus etroits.
Le poeme dans son ensemble n’est autre que l’exutoire de ce que Virginia Woolf appelait moment of being : il s’agit en effet d’un instant privilegie oil Tinconnu auquel s’adresse l’invitation dejci mentionnee effectue une halte pour se perdre dans la contemplation du spectacle allegre de la nature. Le desir de fixer un instant, de perenniser l’instant present par le poeme est atteste par la recurrence du present a valeur situationnelle (« discovers », « falls », « scrambles », etc.) ainsi que par le reseau serre d’elements deictiques spatio- temporels qui se trouvent rassembles dans la premiere strophe (« on this island now », « Stand stable here »). La demarche se fait fonci&rement impresslon- niste, comme le montre 6galement 1’attention minutieuse accordee aux moindres details qui composent le decor tout en faisant de celui-ci le cadre d’un mouvement ininterrompu, Les references successives aux vagues, aux nuages, aux bateaux et, par-dessus tout, a la lumiere omnipresente perceptible dans ses variations (« leaping light »), temoignent, en reponse au caractere de la scene observee, de la mobility du regard et de la touche descriptive qui en resulte.
L’enthousiasme qui accompagne cette decouverte tout interiorisee de la nature se fait jour a travers de nombreuses modalites expressives parmi lesquelles on retiendra notamment :
- l’isotopie de la lumiere triomphante dont les elements denotatifs ou connotatifs sont regulierement distribues a certains endroits du texte (« leaping light » \2], « mirror » [19], « summer » [20)]), et a laquelle font echo les references au regard et a la position privilegiee d’observateur du personnage (« look » [1], « stand stable » [3], « view » [4]) ;
- la suggestion du mouvement perpetuel de la nature, tout d’abord par le caractere accumulatif de la syntaxe, dont Tune des figures dominantes est l’anaphore en « and » (vers 11, 12, 13, 17 et 19), dormant lieu a des relances rythmiques amplifiees par les nombreux enjambements et rejets qui tendent a precipiter l’ensemble dans un deferlement inccssant (vers 6, 10, 14, 16, 18) ; ensuite, sur le plan lexical, par 1’abondance des touches animistes (« falls » [9], « pluck » [10], « knock » [11], « scrambles » [12], « errands » [15], « saunter » [20]), tous ces termes se faisant les supports d’une metaphore filee de la bataille acharnee que se livrent entre eux les elements naturels ;
- les multiples jeux alliteratifs et assonantiques generateurs, pour certains d’entre eux, d’effets d’harmonie imitative (« The swaying sound of the sea » [7],« sucking surf » [12], « move in memory » [18]) ou bien, de maniere encore plus saisissante, creatcurs de cellules rythmiques fortement evocatrices du dynamisme ambiant (« leaping light » [2], redouble par la rime interne « delight » au meme vers, et « the chalk wall falls » [9]).
L’evocation dans son ensemble se trouve bien sur mediatisee par cet ceil central federateur du personnage, dont le regard ordonne dans ses moindres details les mouvements descendants et ascendants ainsi que les restrictions de champ en forme d’inserts (la mouette, les galets, les voiliers). L’omnipresence de ce regard se traduit ensuite par l’elargissemcnt au plan panoramique qui clot le poeme sous forme d’acces a un au-dela tout d’abord visuel, mais dont la perspective melaphysique ne tarde guerc a se dessiner avec une certaine clarte (notamment par le biais de l’association immediate de « Far off » [14] et de « this full view » [16] avec « memory » [19]).
A cette evocation rapide et sommaire de quelqucs-uns des precedes rhetoriques les plus remarquables du poeme, il convient d’ajouter ce qui s’impose de prime abord au regard et qui constitue peut-etre Tindice le plus sur, avec le titre meme, de l’inscription du poeme dans le registre d’un visuel aux resonances complexes : sa configuration graphique meme, sorte de dentelle de vers tres proche du calligramme, manifestation extreme de ce vers libre abon- damment pratique par Auden et qui, par-dela la figuration du mouvement de I’eau, se fait ici mimetique de ce courant effusif qui passe du paysage observe a l’observateur. Veritable sommet en matiere d’ekphrasis, ce mimetisme - revele par un simple regard porte sur la mise en page du poeme, sur son dessin - est accru par l’alternance des vers brefs et des vers longs, ces dernicrs engendrant autant d’accalmies qui succedent au tempo effrene des precedents. La pulsation poetique ainsi creee semble ici se modeler sur la forme mouvante observee, dont les elans et les retraits soudains sont graphiquement consignes par la voix poetique. La matiere sonore a proprement parler du poeme n’est guere en reste dans ces precedes suggestifs, le caractere aleatoire de la rime tout au long des trois strophes ne servant qu’a accentuer les contours irreguliers de l’enscmble en raisoir de la rythmique heurtee qu’elle tend fortement a souligner.
Comme l’atteste le titre meme, « Seascape », la dimension picturale est tres nettement privilegiee. Ce terme, equivalent dans le domaine artistique a celui de marine en frangais (designant un tableau representant la mer), autorise une lecture double du poeme : d’abord purement referentielle (renvoyant au paysage rcgarde), mais aussi metatextuelle car delivrant peu a peu sous les yeux du lecteur, dans sa matiere graphique et sonore meme, le produit de cette obser¬vation de la mer. En d’autres termes, ce qui occupe le devant de la scene expres¬sive n’est pas le paysage lui-meme mais bel et bien le voyageur en train de contempler le paysage et d’en saisir les moindres contours. Ce qui se fait jour ici n’est autre, par consequent, qu’une mise en abyme du regard recreateur par un jeu de gradations qui fait du poeme le cadre d’une vision englobant a la fois le personnage et, au second plan, le paysage offert a son regard.
II n’en faut pas plus pour apprehender la parente etroite qui unit le present poeme et de nombreux tableaux du peintre romantique allemand Friedrich. Les personnages de Caspar David Friedrich, silhouettes solitaires immanquablemcnt vues de dos, semblent se perdre dans la contemplation de la mer, de l’horizon marin, des nuages, ou parfois des elements meles selon une sorte de continuum eau/terre/del egalement observable dans le poeme de Auden (la fin du poeme illustrant parfaitement cette fusion des elements :« this full view », « as now these clouds do, / That pass the harbour mirror / And all the summer through the water saunter »). On peut identifier ici une manifestation tres nette de ce que Liliane Louvel appelle « l’effet-tableau », precisant que « le surgisse- ment dans le recit d’images-peintures produit un effet de suggestion si fort que la peinture semble hanter le texte en )’absence meme de toute reference directe soit a la peinture en general soit a un tableau en particulier ». A l’instar des voyageurs mis en scene par Friedrich (voir notamment Voyageur au-dessus de la mer de nuages ou encore Falaises de craie a Riigen),m le personnage de Auden est confronte a un paysage inonde de lumiere, qu’il saisit sur le mode de l’absorp- tion, d’une traversee du premier plan pour gagner l’horizon, symbole d’une forme d’expansion du moi dans la nature. La derniere strophe du poeme est, sur ce point, particulierement suggestive, tout comme l’est le dernier vers de la premiere strophe - « The swaying sound of the sea » qui nous fait re-ecouter le « soft inland murmur » et autres « sweet sounds and harmonies » qui envahissent le paysage immortalise par Wordsworth dans ses celebres « Lines Composed above Tintern Abbey ». Ce sont la autant d’elements a verser au compte de l’heritage romantique dont le poeme de Auden peut se prevaloir, poeme qui se fait a de nombreux egards transcription du parcours menant de l’immanence de la vision physique (« Look ») a la transcendance recreative de l’esprit (« And this full view / Indeed may enter / And move in memory… »).
Le poeme tout entier parait ainsi place au carrefour de diverses influences, de divers langages artistiques dont les voix se trouvent, au sein de la meme trame enonciative, inextricablement melees.
TEXTE 13 W.H. Auden, Look, Stranger (1936)
Seascape Look, stranger, on this island now
The leaping light for your delight discovers,
Stand stable here
And silent be,
That through the channels of the ear
May wander like a river
The swaying sound of the sea.
Here at a small field’s ending pause
Whenthe chalk wall falls to the foam and its tall ledges
Oppose the pluck
And knock of the tide,
And the jhingle scrambles,after the sucking sitrf,
And a gull lodges
A moment on its sheer side.
Far off like floating seeds the ‘ships
Diverge on urgent voluntary errands.
And this full view
Indeed may enter
And move in memory as now these clouds do,
That pass the harbour mirror
And all the summer through the water saunter.
Le texte qui fait l’objet de notre etude s’inscrit pleinement dans la veine intimiste qui signe la plupart des eeuvres de fiction d’Anai’s Nin. Cette nouvelle s’insere dans un recueil au caractere introspectif et onirique tres marque et constitue, aussi bien sur le plan thematique que sur celui des precedes stylis- tiques mis en jeu, un exemple eloquent de l’ecriture de Nin. On y retrouve, etroitement meles au sein des quelques lignes que renferme cct extrait, les themes de la tentation d’un ailleurs prenant la forme d’une sorte d’« invitation au voyage » (pour reprendre l’expression consacree par Baudelaire dans le celebre poeme du meme nom), de 1’aspiration a une vie multiforme, a une existence en totale rupture avec la grisaille d’une vie quotidienne, dont le caractere monolithique ne peut qu’asservir et appauvrir l’individu.
1. L’expansion de l’imaginaire generee par cette tentation d’un ailleurs est marquee par des ruptures progressives avec la realite environnante, echappees d’abord timides puis nettement affirmees dans la seconde partie du texte au moyen de diverses notations spatio-temporelles ; « inside of the houseboat », « inside the walls », « at night with its shutters closed ». Le second paragraphe oeuvre en effet dans son ensemble a la creation d’un huis-clos nocturne au sein duquel la peniche est pergue par la narratrice comme un refuge protecteur qui n’autorise plus aucune ingerence du monde exterieur, ce contraste interieur / exterieur se trouvant renforce par la phrase negative « I no longer knew the name of the river or of the city », ainsi que par I’indication spatiale « the lights on the shore ». L’effacement des contours de la realite, l’essor soudain du reve et de l’imaginaire sont notamment perceptibles a travers la charge derealisante du modal « might », present a l’initiale d’une longue enumeration des divers paysages qui defilent dans Lesprit de la narratrice : « I might be inside a Norwegian ship traversing fjords, in a Dutch boyer sailing to Bali, a jute boat on the Brahmaputra ». La transition du modal a la forme actualisee du preterit via deux relations attributives successives signent l’avenement d’un nouvel ancrage referentiel qui eclipse, du moins temporairement, tout repere anterieur : « At night the lights on the shore were those of Constantinople or the Neva. The giant bells ringing the hours were those of the Sunken Cathedral ».
En outre, sur le plan lexical, on ne manquera pas de noter, tout au long de ce meme paragraphe, l’abondance des toponymes qui composent une isotopie tres dense du voyage, de l’aventure, de I’exotisme, et dont la charge connotative - souvent d’ordre mythique - ne peut echapper au lecteur, tout comme elle fait l’objet d’une veritable fascination de la part de la narratrice. Sont ainsi convoques pele-mele au sein du texte des noms et des adjectifs au pouvoir evocateur incontestable : « Norwegian » (la reference a l’univers onirique de Rimbaud est ici implicite), « Bali », « Brahmaputra », « Constantinople », « the Neva », « the Sunken Cathedral ». De toute evidence, la magie du verbe et des multiples connotations qu’il deploie opere ici tout aussi bien chez le lecteur que chez la narratrice elle-meme, pour laquelle ces rituels denoroinatifs sont deja une source d’authentique jouissance.
2. Sur le plan rhetorique, on notera la persistance, tout au long du texte, d’un certain type d’imagerie traditionnellement consacree comme feminine, dont les occurrences sont regulierement distributes tout au long du premier para¬graphe : « houseboat », « river », « water », « Naiad hair ». L’eau (dont l’enorme charge symbolique a notamment ete analysee dans le desormais classique ouvrage L’Eau et les reves de Bachelard) fournit bien evidemment la matrice dans laquelle s’inserent tous les autres elements du decor deja mentionnes, venant ici d’emblee ancrer le texte dans la thematique du reve, de l’ondulatoire, de la rupture avec la rigidite sclerosante du monde terrestre. L’impression de douceur et de sensualite suscitee par le regne de l’aquatique, l’entree progressive dans un monde onirique debarrasse des entraves du reel sont corroborees par la recurrence de longues metaphores a caractere animiste, voire anthropomorphique, qui signe I’avenement, dans l’imaginaire fecond de la narratrice, d’un veritable bouleversement des categories naturelles : « it heaved now and then to the pressure of a deeper breathing of the river », « The water washed its flanks lingeringly », « swayed like Naiad hair », « the deep flowing body ». Ce reseau metaphorique marque l’entree dans une autre dimension, dans un autre ordre des choses, ou les mouvemcnts saccades et erra- tiques de l’humain font place a la sinuosite, a la fluidite, aux arabesques qui rythment le voyage imaginaire. La peniche devient ainsi, par le truchement de cette armature rhetorique, le lieu d’une stase salvatrice et rassurante (« Broad and heavy on its keel »), image d’un giron maternel ou seule la pulsation de la vie interieure (« the deep flowing body of the dream ») est perceptible.
3. La construction syntaxique participe a l’evidence de la creation de cette atmosphere resolument onirique, les phrases semblant se modeler sur cette metamorphose organique qui s’opere chez les etres dec.rits. Le rectiligne cede peu a peu la place au curviligne, le texte se mouvant pour l’essentiel a travers une succession de phrases sinueuses dont le developpcment fait bien souvent etat, a l’aide de remarquables effets d’ekphrasis, d’un caractere fortement imitatif de la realite evoquee. On notera en particulier les meandres qui animent la seconde phrase, consacree a l’evocation des mouvements de la peniche sur l’eau (prelude a l’entree dans le reve) et dont la structure ternaire de depart, prenant la forme d’une succession de trois appositions, fait echo a la charge semantique de « heaving » : « Broad and heavy on its keel, stained with patches of light and shadows, bathing in reflections ». Des developpements ternaires similaires sont egalement observables a deux reprises dans le second paragraphe du texte lorsque, a la faveur du silence qui regne desormais dans ce huis-clos, les elans de l’imaginaire se font pressants : « inside a Norwegian sailing ship traversing fjords, in a Dutch boyer sailing to Bali, a jute boat on the Brahmaputra », ou encore « I felt this snapping of cords, this lifting of anchor, this fever of departure » (la pulsation syntaxique ainsi creee sc trouve renforcee, dans ce dernier exemple, par la presence de l’anaphore). Les seules veritables exceptions a cette configuration syntaxique generale se trouvent renfermees par le passage oil nous est decrite la vaine tentative d’ingerence du monde exterieur dans cet univers de douceur et de serenite, et ce sous la forme d’une juxtaposi¬tion dc phrases relativement breves generant pour un temps un tempo saccade : « The lights and shadows stopped waltzing. The nose of the houseboat plunged deeper and shook its chains. A moment of anguish […] ». Le caractere fortement mimetique de ce court fragment, qui contraste de maniere saisissante avec le reste de Textrait, ne peut etre passe sous silence.
4. Il convient en outre de noter, a l’appui de ce qui a ete precedemment evoque, la presence de quelques combinaisons phoniques remarquables, ne pouvant que renforcer la dimension onirique de l’ensemble. On remarquera en particulier la rime interne dans le segment « like a shiver of fever in a dream », qui favorise l’instauration d’un rythme regulier et langoureux dans la fin de la phrase ainsi que, dans la toute derniere phrase du texte, un reseau consonan- tique en fricatives tres dense, qui produit un effet d’harmonie imitative suggerant le silence et le mystere inscrits dans le contenu semantique lui-meme : « Even at night with its shutters closed, no smoke coming out of its chimney, asleep and secret, it had an air of mysteriously sailing somewhere ». Voila qui temoigne - entre autres elements textuels deja pris en consideration dans cette etude - d’une musicalite dont participent a l’evidence les references, discretes mais indeniables, a l’oeuvre de Debussy qui sillonnent le texte comme on peut frequemment l’observer chez Anais Nin : « Sunken Cathedral », « Naiad hair » (voir La Cathedrale engloutie et Le Tombeau des Naiades, oeuvres pour piano de Debussy). Disseminees au fil du texte, ces diverses reminiscences ne sont pas sans affecter en profondeur la texture meme du passage, qui semble anime, comme nous l’avons vu, de la meme pulsation ondoyante que les ceuvres musicales citees. Ce phenomene est frequemment observable chez Anai’s Nin, dont le phrase parait ainsi se modeler sur l’arriere-plan musical qui se profile dans les anfractuosites d’un texte ou le sens fait parfois l’objet d’une suspension au profit de la musicalite a l’etat pur (la nouvelle « Ragtime », du meme recueil Under a Glass Bell, en offre un exemple remarquable).391
TEXTE 14
Anai’s Nin, “Houseboat” in Under a Glass Bell (1941)
The houseboat was tied at the foot of the stairs. Broad and heavy on its keel, stained with patches of light and shadows, bathing in reflections, it heaved now and then to the pressure of a deeper breathing of the river. The water washed its flanks lingeringly, the moss gathered round the base of it, just below the water line, and swayed like Naiad hair, then folded back again in silky adherence to the wood. The shutters opened and closed in obedience to the gusts of wind and the heavy poles which kept the barge from touching the shore cracked with the strain like bones. A shiver passed along the houseboat asleep on the river, like a shiver of fever in a dream. The lights and shadows stopped waltzing. The nose of the houseboat plunged deeper and shook its chains. A moment of anguish: everything was slipping into anger again, as on earth. But no, the water dream persisted. Nothing was displaced. The nightmare might appear here, but the river knew the mystery of continuity. A fit of anger and only the surface erupted, leaving the deep flowing body of the dream intact.
The noises of the city receded completely as I stepped on the gangplank. As I took out the key I felt nervous. If the key fell into the river, the key to the little door to my life in the infinite? Or if the houseboat broke its moorings and floated away? It had done this once already, breaking the chain at the prow, and the tramps had helped to swing it back in place.
As soon as I was inside of the houseboat, I no longer knew the name of the river or of the city. Once inside the walls of old wood, under the heavy beams, I might be inside a Norwegian sailing ship traversing fjords, in a Dutch boyer sailing to Bali, a jute boat on the Brahmaputra. At night the lights on the shore were those of Constantinople or the Neva. The giant bells ringing the hours were those of the Sunken Cathedral. Every time I inserted the key in the lock, 1 felt this snapping of cords, this lifting of anchor, this fever of departure. Once inside the houseboat, all the voyages began. Even at night with its shutters closed, no smoke coming out of its chimney, asleep and secret, it had an air of mysteriously sailing somewhere.
Le present texte est un extrait de Clea, quatrieme volet de la celebre tetralogie durrellienne The Alexandria Quartet, qui fut compose entre 1957 et 1960. IL s’agit plus particulierement d’un passage tout a fait representatif des superbes pages consacrees a Revocation d’une Alexandrie vue par le narrateur, Darley, qui effectue un retour en forme de pelerinage dans cette ville dont il a conserve une myriade d’images. Le caractere homodiegetique de ces lignes - mode de narration extremement frequent dans le Quartet et, de maniere plus generale, dans l’oeuvre romanesque de Durrell - ouvre tout naturellemcnt la voie a une introspection dont le caractere lyrique et passionne ne peut, a tres court terme, echapper au lecteur. Le pronom personnel s’erige en effet au debut de ces lignes comme reference fondatrice a la source perceptive dont la vision orcbestre le passage tout entier. Ces lignes, rassemblees en un seul long para¬graphe, constituent un veritable interlude descriptif qui vient s’inserer entre deux sequences narratives pour mettre en scene cette ville tout a la fois vecue, fantasmee et revisitee (eye et mind’s eye, sensation et imaginaire etant ainsi, a Rin- terieur meme de la narration, inextricablcmcnt meles, selon ce principe quasi symbiotique qui semble unir au sein d’Alexandrie, les elements les plus contra- dictoires). Ce caractere descriptif, contrastant done avec les sequences environnantes, est notamment marque par la recurrence des phrases nominales ou en -ING, qui ont pour effet de mettre en suspens tout dynamisme narratif, toute impression de fluence temporelle au profit de la restitution d’un climat, d’un fond de tableau, qui acquiert ici une resonance veritablement metaphysique : « Walking about the streets of the summer capital once more », « Footfalls echoing in the memory, forgotten scenes and conversations springing up at me from the walls ». Cette mise a l’ecart radicale du temps qui passe corrobore en tous points la vision d’une ville qui puise ses ravines dans une antiquite dont les vestiges affichent leur omnipresence, comme en temoignent les adjectifs « old » et « ancient » auxquels sont associes « intact » et la notation « She would never change ». Peu importe que ce temps suspendu appartienne au moment de Renonciation ou se trouve circonscrit - comme cela semble le plus probable - dans le dedale d’un passe sempitemellement revisite par le souvenir, peu importe aussi qu’il participe du reve ou de l’eveil (voir la notation « half-asleep and half-awake », qui montre Retat incertain et transitoire d’un narrateur guide tout a la fois par ses sens et par sa memoire) : l’essentiel demeure la variete et la densite du flot d’images qui, Rune apres l’autre, composent cette espece de « geographie magique » dont le protagoniste apparait bel et bien detenteur et dont il a a coeur de souligner la remanence.
1. Le lyrisme que nous avons evoque plus haut pose d’emblee un probleme de classification, le texte etant dans son ensemble place sous le signe d’une ambivalence generique qui lance un veritable defi a toute tentative de categorisation figee. En premier lieu, la personnification amorcee par le pronom « She » qui suit de pres la mention explicite de la ville (« Alexandria, princess and whore ») a tot fait de transformer ce qui ne pourrait etre que la matiere brute d’une description romanesque en veritable invocation a la terre bien-aimee (dont le modele poetique est, en regie generale, constitue par l’ode). Le nom de la ville dcvient ainsi le pantonyme absolu, l’element lexical federateur qui, a lui seul, suscite les fantasmes d’un narrateur aux yeux duquel la ville ainsi convoquee prend les traits d’une femrne aimee, revee, magnifiee (le nom meme d’Alexandrie favorisant bien sur grandement cette transfiguration). La rede- couverte de la ville emprunte la voie d’un lyrisme dont l’unc des manifestations est la survenue d’un puissant echo intertextuel qui souligne l’ampleur du defer- lement memoriel : « Footfalls echoing in the memory » n’est en effet autre qu’une resurgence de « Burnt Norton », l’un des quatre poemes qui composent les Four Quartets de T. S. Eliot, ou la nostalgie et le desir de coalescence des epoques constituent l’essentiel du materiau thematique.
En outre, bon nombre de sequences rythmiques, de sonorites, d’images et de jeux lexicaux conferent au passage une armature veritablement poetique (la lecture a haute voix pouvant a elle seule convaincre aisement de ce trait). II convient a ce propos de souligner la densite - lexicale, syntaxique, rhetorique, prosodique - dc ces lignes ainsi que l’homogeneite spectaculaire qui resulte de la recurrence de tels elements stylistiques. L’ambivalence et la confusion qui semblent regner en mattresses sur le paysage evoque par Darley rencontrent, semble-t-il, un echo puissant dans l’architecture meme du texte : la relation etroite qui unit fond et forme, thematique du foisonnement et structure de la densite, deferlement de sensations et cascades de mots, abondance extra linguis- tique et abondance linguistique, parait relever bel et bien de l’hypotypose, la matiere ecrite se constituant ainsi en miroir d’une interiorite renfermant les tresors inepuisables de la memoire et des emotions qu’elle suscite. Ces emotions trouvent ainsi, comme nous allons le voir, un exutoire privilegie dans une sorte de surenchere lexicale dormant naissance a une prose riche, luxuriante, qui met en appetit les sens du lecteur par son remarquable pouvoir d’evocation. Notons que, de prime abord, la simple disposition sur la page - premiere « figure » de style que le regard apprehende - va tout a fait dans le sens de cette densite puisque le texte est constitue d’un seul paragraphe d’une extreme compacite.
2. L’ambivalence semble de prime abord constituer le trait distinctif le plus marquant d’Alexandrie qui, sur le plan physique, est prisonniere d’une geogra- phie de delta par laquelle elle participe tout a la fois de la terre et de la mer, du desert et de l’eau. La dualite se trouve done inscrite d’emblee dans le paysage meme qui sert d’ecrin aux souvenirs et aux fantasmes du narrateur : « an ancient city […] pitched upon a desert and a lake »,« the shallows of Mareotis », « streets which extended on every side, radiating out like the arms of a starfish », dualite qui se mue en duplicate par le truchement de cette derniere comparaison, qui nous fait entrevoir la ville comme puissance tentatrice, seduc- trice attirant les humains dans des profondeurs dont ils ne peuvent s’affranchir. Ville-femme (le nom meme d’Alexandrie, comme nous l’avons vu, autorisant le rapprochement des deux registres), ville-Circe (la reference precedemment mentionnee aux bras tentateurs etant sur ce point explicate),395 mais aussi ville- Eve penetree et parcourue par un Adam (« I felt like the Adam of the medieval legends ») qui revet lui aussi les attributs de sa dualite, se faisant ainsi partie prenante de la ville/femme aimee, dont la dimension initiatique est evidente :
[…] the world-compounded body of a man whose flesh was soil, whose bones were stones, whose blood water, whose hair was grass, whose eyesight sunlight, whosebreath was wind, and whose thoughts were clouds.
Cette dimension est egalement inscrite, entre autres, dans le pouvoir qu’elle possede de jeter des ponts entre toutes les facettes de l’univers, comme l’atteste en premier lieu la rencontre des quatre elements au scin du texte a travers les reseaux lexicaux developpes, et ce tout particulierement dans la description precedemment examinee d’Adam, figure-cle auquel s’assimile le narrateur. Le texte devient le lieu d’inscription d’un certain pantheisme qui permet au corps et a lame de fusionncr avec les elements de la nature et d’etablir ainsi avec cette derniere une relation symbiotique. La serie d’identifications operee par la structure attributive recurrente NOM + BL + NOM temoigne de cette symbiose. La ville devient ainsi un tout indivis, marque par la fusion systematique de tout ce qui s’y trouvc, fusion qui est operec d’un point de vue aussi bien meta- physique que physique, comme l’attestent les diverses notations disseminees dans le texte :
TEXTE 15
Lawrence Durrell, Clea, in The Alexandria Quartet (1960)
Walking about the streets of the summer capital once more, walking by spring sunlight, and a cloudless skirmishing blue sea - half-asleep and half- awake - I felt like the Adam of the medieval legends: the world-compounded body of a man whose flesh was soil, whose bones were stones, whose blood water, whose hair was grass, whose eyesight sunlight, whose breath was wind, and whose thoughts were clouds. And weightless now, as if after some long wasting illness, I found myself turned adrift again to float upon the shallows of Mareotis with its old tide-marks of appetites and desires refunded into the history of the place: an ancient city with all its cruelties intact, pitched upon a desert and a lake. Walking down the remembered grooves of streets which extended on every side, radiating out like the arms of a starfish from the axis of its founder’s tomb. Footfalls echoing in the memory, forgotten scenes and conversations springing up at me from the walls, the cafe tables, the shuttered rooms with cracked and peeling ceilings. Alexandria, princess and whore. The royal city and the anus mundi. She would never change so long as the races continued to seethe here like must in a vat; so long as the streets and squares still gushed and spouted with the fermentation of these diverse passions and spites, rages and sudden calms. A fecund desert of human loves littered with the whitening bones of its exiles. Tall palms and minarets marrying in the sky. A hive of white mansions flanking those narrow and abandoned streets of mud which were racked all night by Arab music and the cries of girls who so easily disposed of their body’s wearisome baggage (which galled them) and offered to the night the passionate kisses which money could not disflavour. The sadness and beatitude of this human conjunction which perpetuated itself to eternity, an endless cycle of rebirth and annihilation which alone could teach and reform by its destructive power. […] A great honeycomb of faces and gestures.
Les farces de Joe Orton sont des pieces populaires dont l’intrigue est organisee autour d’une tromperie outranciere et dont les protagonistes hauts en couleur sont impliques dans des situations extremes ou ni la logique ni la raison n’ont droit de cite. Dans Entertaining Mr Sloane, piece en trois actes jouee pour la premiere fois a Londres en 1964 et publiee a titre posthume en 1969, le person¬nage eponyme, un jeune homme manifestement orphelin et sans logis, s’installe en qualite d’hote payant au domicile de Kath, une mcnagere quadragenaire a tendance nymphomane, et de son frere homosexuel Ed, qui cherche par tous les moyens a le devoyer. S’il se laisse rapidement seduire par sa logeuse et accepte, sans grande conviction cependant, de jouer simultanement les roles d’amant et de fils de substitution, Sloane ne cesse de se refuser a Ed sous pretexte d’une pretendue virginite qui lui permet de tirer le meilleur profit de la situation.
Dans l’acte I de Entertaining Mr Sloane, comme dans la plupart des pieces de Joe Orton, les personnages se plaisent a enoncer platitudes et lieux communs pour tenter de rendre compte de leurs fantasmes les plus inavouables. Le langage, tantot tres raffine, tantot extremement vulgaire, toujours stereotype et indirect, dissimule constamment la violence de leurs pulsions et l’agressivite qui les anime. De l’evidente contradiction entre l’ineptie d’un propos depourvu d’emotion et l’authenticite de l’intention de communication jamais affichee, entre la vacuite d’un discours trop conventionnel et la realite de la fable ce qu’Aristote definit comme « l’assemblage des actions accomplies », « l’agence- ment des faits (pragmata) en systeme » et qu’Umberto Eco decrit comme « le schema fondamental de la narration, la logique des actions et de la syntaxe des personnages, le cours des evenements ordonnes temporellement »400, nait une ironie fondee sur le detournement des lieux communs.
Cette strategie enonciative du travestissement de la pensee et du contourne- ment de l’objet de discours congu comme obstacle suppose un contraste entre surface et profondeur, soit entre sens manifeste et sens latent. L’allusion et le detour impliquent non seulement la creation d’un deficit informationnel par le recours au sous-entendu, au presuppose et a i’implicite, a urn veritable discours code ou sous-texte, dont seul l’initie peut comprendre le sens, mais aussi le placage d’une langue figee non congruente a la situation d’enonciation. Ainsi, dans un univers chaotique ou la recherche du plaisir demeure inavouable, ou la satisfaction des pulsions reste indicible, le discours s’eloigne inevitablement de son objet. S’il parvient a s’en approcher, ce n’est que de maniere asymptotique, sans le rencontrer veritablement.
IL s’agira donc d’analyser cctte inadequation fondamentale entre le discours et la situation, soit entre le linguisdque et l’extralinguistique, mais egalement entre le discours et l’intention de communication, entre le sens obvie et le sens intentionnel, cache, voire douteux ou obscur, e’est-a-dire entre le dit et le non- dit. D’un point de vue pragmatique, la prise en compte des strategies allusives implique que l’on distingue deux categories de non-dit : le presuppose et le sous-entendu. Pour Anne Ubersfeld, « le presuppose que contient un enonce est une proposition qui n’est pas explicitee, mais qui est telle que, faute d’un accord entre l’enonciateur et son enonciataire sur ledit presuppose, l’enonce ne sera pas acceptable. Le presuppose fait partie integrante du sens de l’enonce quel que soit lc contexte ». Le presuppose est done un « implicite immediat » “, un « contexte immanent au message contenant des informations hors message » . Le sous-entendu, en revanche, est caracterise par « sa depen- dance par rapport au contexte, son instability » et son opposition au « sens liberal » auquel il est « surajoute » . II correspond done a l’existence d’un sous-texte.
- Un discours oblique : le presuppose, ou le refus de la nomination
Dans l’extrait de Entertaining Mr Sloane, la nomination pose toujours probleme. Incapable de nommer la sexualite, d’avouer ses desirs et ses pulsions, Ed deguise sans cesse sa pensee et tient un discours qui, parce qu’il occulte la realite de ses inclinations, a besoin d’etre dechiffre si les codes utilises ne sont pas partages par le recepteur. II est une constante dans le texte : le refus categorique de nommer l’homosexualite et l’impossibilite de devoiler ses orienta¬tions ou celles d’autrui. Pourtant obsede par les relations masculines, le person¬nage ne parvient a verbaliser son point de vue sur la question. S’il s’y refere, c’est toujours indirectement, en effectuant un transfert de sens fonde sur une interpretation, soit de facon elliptique, en designant son objet de discours par le nom d’un element qui appartient au meme domaine de reference. Tout au long du texte, l’entreprise de seduction du jeune Sloane par Ed illustre cette strategie enonciative puisque ce dernier n’avoue jamais ouvertement son attirance. Si l’on emploie la metaphore du deplacement et du trajet, l’on peut affirmer que, dans l’espace qu’il doit parcourir pour rendre compte de la fascination qu’il eprouve pour son pensionnaire, Ed ne va pas droit au but, ou n’emprunte pas le chemin le plus court : il devie, s’engage sur une route oblique par rapport a la voie prin- cipale et fait de multiples detours. En effet, en se rbferant a la virilite au sens large, il se contente d’eveiller l’idee de son attirance pour l’homme auquel il s’adresse sans la mentionncr explicitement. Pour tenter de se faire entendre, Ed attenue ses propos en usant d’euphemismes et observe des pauses significatives qui, marquees dans le discours par des points de suspension reitcres, traduisent son embarras, son inaptitude a devoiler ses intentions, mais aussi l’espoir qu’en fin de compte, son interlocuteur saura lire le fond de sa pensee. Well, you know what I mean, semble-t-il vouloir dire a Sloane qui, lui, feint de ne pas comprendre sa tactique :
Are you a sports fan? Eh? Fond of sports? You look as though you might be. Look the… outdoor type, I’d say.
ED. […J She gave me the impression you were… well, don’t be offended… I had the notion you were a shop assistant.
SLOANE. Never worked in a shop in my life.
ED. NO. (Pause.) I see you’re not that type. You’re more of a… as you might say… the fresh air type.
Developing your muscles, eh? And character. (Pause.)… Well, well, well. (Breathless.) A little bodybuilder are you? I bet you are… (Slowly.)… do you… (Shy.) exercise regularly?
Sa strategic enonciative est simple : il nc ccssc de tergiverser, si bien que son discours peut s’entendre comme un ensemble de codes qui, destines a trans- mettre l’information par des moyens detournes, traduisent sa gene et ses inhibi¬tions. Force est de constater que sa fascination pour l’entrainement sportif n’est pas que de pure forme et qu’elle trahit des preoccupations qui depassent largement le banal interet pour la chose militaire et les activites physiques : « You’re interested in the Army, eh? Soldiers, garrison towns, etc. Does that interest you? », « You’re fond of swimming? », « Bodybuilding? », « Ever done any wrestling? ». Dans ces questions, l’ecart entre le dit et le sens vise, ou subjectif, est manifeste, et le lecteur-spectateur accede a la pensee reelle de ce personnage libidineux car ses reactions, dont rendent compte les didascalies, lui permettent d’identifier l’allusion sans grande difficulty :
SLOANE. We had a nice little gym at the orphanage. Put me in all the teams they did.
Relays… (Ed looks interested.) … soccer… (Ed nods.) … pole vault,… long distance…
(Ed opens his mouth.) yards, discus, putting the shot. (Ed rubs his hands together.)
Yes, yes. I’m an all rounder. A great all rounder. In anything you care to mention. Even
in life. (FA Ufa up a warning finger.) … yes I like a good work out now and then.
Ce detour par la reference au corps, temoignant d’un veritable culte voue a la virilite, va de pair avec un questionnement excessif sur l’univers exclusive- ment masculin dans lequel Sloane dit avoir vecu et la suggestion faite au seul personnage feminin de quitter promptement la scene lorsqu’il est question de ce sujet. Dans ce cas egalement, les allusions sont transparentes et le co-enonciateur a facilement acces au sens :
ED. I could never get used to sleeping in cubicles. Was it a mixed home?
ST.OANE. Just boys.
ELT. Ideal. How many to a room?
SLOANE. Eight.
ED. Really? Same age were they? Or older?
SLOANE. The ages varied by a year or two.
ED. Oh well, you had compensations then. Keep out of mischief, eh? (Laughs.) Well
your childhood wasn’t unhappy?
SLOANE. NO.
ED. Sounds as though it was a happy atmosphere. Got anything to do, Kath?
KATH. NO.
ED. NO beds to make?
KATH. I made them this morning.
ED. Maybe you forgot to change the pillowslips?
KATH (going). Eddie don’t let me be upset will you? (Exits.)
2. Le detournement du sens par la negation du contraire
Sa preference pour les hommes et l’interet qu’il porte a Sloane en particulier, Ed l’exprime donc indirectement. II la formule egalement de fagon negative ou par defaut, sur le mode de l’antithese implicite, en critiquant les femmes et en denigrant sa propre soeur :
ED. Married?
SLOANE. NO.
ED (laughs). Wise man, eh? Wise man. (Pause.) Girl friends?
SLOANE. NO.
Too much of this casual bunking up nowadays. Too many lads being ruined by birds.
I don’t want you messing about with my sister.
She’s… well I wouldn’t say unbalanced. No, that’d be going too far. She suffers from
migraine. That’s why it’d be best if you declined her offer of a room.
ED. Does she disgust you?
SIOANF.. Should she?
ED. It would be better if she did.
Ce denigrement trouve un echo dans les remarques misogynes formulees par Ed remarques comiques mais du plus mauvais gout, qui sont autant d’invitations a saisir la nature de ses orientations par la negation du contraire : en confiant a Sloane que « women are like banks […], breaking and entering is a serious business » et en lui faisant promettre qu’il n’est pas « vaginalatrous » - neologisme destine a declencher l’hilarite du lecteur-spectateur -, Ed manipule son co-enonciateur, et c’est en l’incitant a deconsiderer les femmes en general et Kath en particulier qu’il entend, a mots couverts, se mettre lui-meme en valeur. Cette strategic repose sur l’utilisation d’une serie de formules dont le contenu semantique conduit le recepteur a entendre autre chose que ce qui s’imposc de prime abord : en niant le contraire de ce qu’il n’ose formuler, Ed laisse Sloane deviner une partie de sa pensee et tirer les conclusions qui s’im- posent quant a ses intentions et a l’invitation qui lui est faite en filigrane. Mais en procedant de la sorte, le personnage ne se contente pas d’affirmer son desin- teret pour la gent feminine. II reprend egalement a son compte certains stereo¬types ainsi que l’idee regue selon laquelle l’homosexuel serait un etre sensible et a la feminite exacerbee. Dans la logique de sa strategie allusive, le culte du corps masculin exclut radicalement de son univers fantasmatique non seulement la femme aguicheuse (« birds ») mais aussi l’homosexuel effemine et caricatural (« a shop assistant »). Que Sloane ne s’y trompe pas, e’est sur les hommes virils dont il est lui-meme Tincarnation que F.d a jete son devolu (« the… outdoor type », « the fresh air type »). Ainsi, l’utilisation des stereotypes donne a l’auteur l’’occasion de mieux tourner son referent en derision et permet a son personnage de rester en deca de ce qu’il veut exprimer. L’allusion releve de l’art de la feinte et, a ce titre, elle a une grande force pragmatique puisque l’attenuation (understatement), effective dans le texte, produit, pour qui sait la demasquer, une amplification significative. C’est que la strategie d’evitement n’abolit pas toujours le sous-entendu.
3. Sous-entendu et duplicite : un sous-texte a decoder
L’extrait est caracterise par la presence d’un sous-texte homosexuel qui, sur le mode comique, ne demande qu’a etre decode : Ed feint d’afficher une certaine neutralite et ses allusions sont formulees sur le ton de constatations minimales et anodines. A premiere vue, celles-ci n’engagent a rien mais, en realite, elles sous-entendent bien plus. En outre, le texte joue avec certains codes de la culture gay, en particulier lorsque Ed projette sur Sloane des fantasmes qu’il n’avoue qu’a demi-mot et l’imagine avec delectation en tenue suggestive ou vetu de l’attirail caricatural de certaines pratiques sadomasochistes, alors qu’en surface, il n’evoque que l’eventualite d’engager le jeune homme a son service :
ED […II might let you be my chauffeur. SLOANE. Would you?
ED (laughs). We’ll see… t could get you a uniform. Boots, pants, a guaranteed 100 per cent no imitation jacket… an… or… a white brushed nylon T-Shirt… with a little leather cap. (Laughs.) Like that?
Ajoutons que dans ce passage de l’activite professionnelle occulte la reference a une transaction plus intime et d’une tout autre nature : en feignant de lui proposer un emploi de chauffeur, Ed suggere a Sloane de mettre son corps & sa disposition. En d’autres termes, si Sloane accepte de conclure le marche que Ed entend passer avec lui, il sera reduit a la soumission et deviendra une figure emblematique de l’imaginaire homoerotique. Mais l’homosexualite masculine n’est pas nommee pour autant. Elle n’est que suggeree. Tout comme la nature des obligations auxquelles Ed prevoit que Sloane se pliera : « We’ll discuss salary arrangements and any other business ». Mais lorsque Sloane verbalise enfin explicitement ce que son futur employeur s’emploie a taire, ce dernier s’insurge, incapable de supporter que soit leve aussi facilement le voile de l’allusion. La forme expressive que Sloane comprend le mieux, c’est peut-etre le silence, ce cas limite du detour et du refus de la nomination, au-dela de la reticence et de la suspension. C’est paradoxalcment lorsqu’il y a deficit informationnel, lorsqu’« aucun des elements autres que verbaux ne [peut] completer l’enonce et en preciser le sens » que ce dernier surgit sans aucune ambigui’te pour le person¬nage principal :
ED. DO you wear leather… next to the skin? Leather jeans, say? Without… aah… SLOANE. Pants?
ED (laughs). Get away! (Pause.) The question is are you clean living? You may as well know I set great store by morals.
L’ecart entre l’intention de communication contenue (« … aah… ») et sa justifi¬cation (« The question is are you clean living ») est a ce point absurde qu’elle provoque l’eclat de rire. En outre, Ed justifie ses penchants de fagon indirecte et des plus subversives : c’est en osant invoquer sa propre ethique qu’il dissimule ses motivations lubriques. Ainsi, Joe Orton lui fait tenir un discours fige mais dont le sens est insidieux. D’un point de vue referentiel, l’allusion repose donc sur la dualite et le lecteur-spectateur entend donc les deux discours, en surface (la moralite) et en profondeur (la concupiscence). Mais en definitive, par le truchement du detour, cette dualite est transcendee si bien que penchant homo- sexuel devient synonyme de principe moral. En quelque sorte, l’allusion neutralise le contraste qui existe entre le sens manifeste, le dit, le verbalise d’une part, et le sens latent, le non-dit, le vise d’autre part. Voila qui ridiculise la morale de la classe moyenne qu’incarne Ed et dont il se targue de defendre les valeurs. La logique allusive est poussee a 1’extreme, car les protagonistes ne semblent acceder au sens que si que si 1c discours s’eloigne de son objet.
Dans le texte, la strategie de l’allusion repose sur le recours a des formulations substitutives et elusives qui caracterisent la notion visee au lieu de la nommer directement. A ce titre, le brouillage semantique et l’ambigui’te permet- tent la sublimation et mettent en lumiere le pouvoir creatif de l’humain. C’est ainsi que le desir, les pulsions et la violence sont attenues et se diffractent constamment dans les filtres du discours. Veritable stratageme par lequel pour ne pas dire, on dit autre chose, Tallusion peut etre congue comme un traves- tissement langagier, comme une deviation qui ne cesse d’alterer la fonction habituelle des signes tout en alimentant les projections mentales.
Le present texte est un extrait de Clea, quatrieme volet de la celebre tetralogie durrellienne The Alexandria Quartet, qui fut compose entre 1957 et 1960. IL s’agit plus particulierement d’un passage tout a fait representatif des superbes pages consacrees a Revocation d’une Alexandrie vue par le narrateur, Darley, qui effectue un retour en forme de pelerinage dans cette ville dont il a conserve une myriade d’images. Le caractere homodiegetique de ces lignes - mode de narration extremement frequent dans le Quartet et, de maniere plus generale, dans l’oeuvre romanesque de Durrell - ouvre tout naturellemcnt la voie a une introspection dont le caractere lyrique et passionne ne peut, a tres court terme, echapper au lecteur. Le pronom personnel s’erige en effet au debut de ces lignes comme reference fondatrice a la source perceptive dont la vision orcbestre le passage tout entier. Ces lignes, rassemblees en un seul long para¬graphe, constituent un veritable interlude descriptif qui vient s’inserer entre deux sequences narratives pour mettre en scene cette ville tout a la fois vecue, fantasmee et revisitee (eye et mind’s eye, sensation et imaginaire etant ainsi, a Rin- terieur meme de la narration, inextricablcmcnt meles, selon ce principe quasi symbiotique qui semble unir au sein d’Alexandrie, les elements les plus contra- dictoires). Ce caractere descriptif, contrastant done avec les sequences environnantes, est notamment marque par la recurrence des phrases nominales ou en -ING, qui ont pour effet de mettre en suspens tout dynamisme narratif, toute impression de fluence temporelle au profit de la restitution d’un climat, d’un fond de tableau, qui acquiert ici une resonance veritablement metaphysique : « Walking about the streets of the summer capital once more », « Footfalls echoing in the memory, forgotten scenes and conversations springing up at me from the walls ». Cette mise a l’ecart radicale du temps qui passe corrobore en tous points la vision d’une ville qui puise ses ravines dans une antiquite dont les vestiges affichent leur omnipresence, comme en temoignent les adjectifs « old » et « ancient » auxquels sont associes « intact » et la notation « She would never change ». Peu importe que ce temps suspendu appartienne au moment de Renonciation ou se trouve circonscrit - comme cela semble le plus probable - dans le dedale d’un passe sempitemellement revisite par le souvenir, peu importe aussi qu’il participe du reve ou de l’eveil (voir la notation « half-asleep and half-awake », qui montre Retat incertain et transitoire d’un narrateur guide tout a la fois par ses sens et par sa memoire) : l’essentiel demeure la variete et la densite du flot d’images qui, Rune apres l’autre, composent cette espece de « geographie magique » dont le protagoniste apparait bel et bien detenteur et dont il a a coeur de souligner la remanence.
1. Le lyrisme que nous avons evoque plus haut pose d’emblee un probleme de classification, le texte etant dans son ensemble place sous le signe d’une ambivalence generique qui lance un veritable defi a toute tentative de categorisation figee. En premier lieu, la personnification amorcee par le pronom « She » qui suit de pres la mention explicite de la ville (« Alexandria, princess and whore ») a tot fait de transformer ce qui ne pourrait etre que la matiere brute d’une description romanesque en veritable invocation a la terre bien-aimee (dont le modele poetique est, en regie generale, constitue par l’ode). Le nom de la ville dcvient ainsi le pantonyme absolu, l’element lexical federateur qui, a lui seul, suscite les fantasmes d’un narrateur aux yeux duquel la ville ainsi convoquee prend les traits d’une femrne aimee, revee, magnifiee (le nom meme d’Alexandrie favorisant bien sur grandement cette transfiguration). La rede- couverte de la ville emprunte la voie d’un lyrisme dont l’unc des manifestations est la survenue d’un puissant echo intertextuel qui souligne l’ampleur du defer- lement memoriel : « Footfalls echoing in the memory » n’est en effet autre qu’une resurgence de « Burnt Norton », l’un des quatre poemes qui composent les Four Quartets de T. S. Eliot, ou la nostalgie et le desir de coalescence des epoques constituent l’essentiel du materiau thematique.
En outre, bon nombre de sequences rythmiques, de sonorites, d’images et de jeux lexicaux conferent au passage une armature veritablement poetique (la lecture a haute voix pouvant a elle seule convaincre aisement de ce trait). II convient a ce propos de souligner la densite - lexicale, syntaxique, rhetorique, prosodique - dc ces lignes ainsi que l’homogeneite spectaculaire qui resulte de la recurrence de tels elements stylistiques. L’ambivalence et la confusion qui semblent regner en mattresses sur le paysage evoque par Darley rencontrent, semble-t-il, un echo puissant dans l’architecture meme du texte : la relation etroite qui unit fond et forme, thematique du foisonnement et structure de la densite, deferlement de sensations et cascades de mots, abondance extra linguis- tique et abondance linguistique, parait relever bel et bien de l’hypotypose, la matiere ecrite se constituant ainsi en miroir d’une interiorite renfermant les tresors inepuisables de la memoire et des emotions qu’elle suscite. Ces emotions trouvent ainsi, comme nous allons le voir, un exutoire privilegie dans une sorte de surenchere lexicale dormant naissance a une prose riche, luxuriante, qui met en appetit les sens du lecteur par son remarquable pouvoir d’evocation. Notons que, de prime abord, la simple disposition sur la page - premiere « figure » de style que le regard apprehende - va tout a fait dans le sens de cette densite puisque le texte est constitue d’un seul paragraphe d’une extreme compacite.
2. L’ambivalence semble de prime abord constituer le trait distinctif le plus marquant d’Alexandrie qui, sur le plan physique, est prisonniere d’une geogra- phie de delta par laquelle elle participe tout a la fois de la terre et de la mer, du desert et de l’eau. La dualite se trouve done inscrite d’emblee dans le paysage meme qui sert d’ecrin aux souvenirs et aux fantasmes du narrateur : « an ancient city […] pitched upon a desert and a lake »,« the shallows of Mareotis », « streets which extended on every side, radiating out like the arms of a starfish », dualite qui se mue en duplicate par le truchement de cette derniere comparaison, qui nous fait entrevoir la ville comme puissance tentatrice, seduc- trice attirant les humains dans des profondeurs dont ils ne peuvent s’affranchir. Ville-femme (le nom meme d’Alexandrie, comme nous l’avons vu, autorisant le rapprochement des deux registres), ville-Circe (la reference precedemment mentionnee aux bras tentateurs etant sur ce point explicate),395 mais aussi ville- Eve penetree et parcourue par un Adam (« I felt like the Adam of the medieval legends ») qui revet lui aussi les attributs de sa dualite, se faisant ainsi partie prenante de la ville/femme aimee, dont la dimension initiatique est evidente :
[…] the world-compounded body of a man whose flesh was soil, whose bones were stones, whose blood water, whose hair was grass, whose eyesight sunlight, whosebreath was wind, and whose thoughts were clouds.
Cette dimension est egalement inscrite, entre autres, dans le pouvoir qu’elle possede de jeter des ponts entre toutes les facettes de l’univers, comme l’atteste en premier lieu la rencontre des quatre elements au scin du texte a travers les reseaux lexicaux developpes, et ce tout particulierement dans la description precedemment examinee d’Adam, figure-cle auquel s’assimile le narrateur. Le texte devient le lieu d’inscription d’un certain pantheisme qui permet au corps et a lame de fusionncr avec les elements de la nature et d’etablir ainsi avec cette derniere une relation symbiotique. La serie d’identifications operee par la structure attributive recurrente NOM + BL + NOM temoigne de cette symbiose. La ville devient ainsi un tout indivis, marque par la fusion systematique de tout ce qui s’y trouvc, fusion qui est operec d’un point de vue aussi bien meta- physique que physique, comme l’attestent les diverses notations disseminees dans le texte :