Le bonheur Flashcards
Bonheur et plaisir
Le bonheur comme état durable se distinguerait du plaisir qui est éphémère. Mais le bonheur est parfois identifié au plaisir. Ainsi, l’hédonisme fait du plaisir le souverain bien de l’homme. Dans Gorgias, de Platon, Calliclès défend, face à Socrate, la position hédoniste : ce qui compte dans la vie, c’est d’y verser le plus qu’on peut. À quoi Socrate répond qu’une telle vie est comparable à celle du pluvier, oiseau qui mange et fiente en même temps. Si Épicure revendique le plaisir comme moyen d’accès au bonheur, il n’en affirme pas moins que le plaisir ne doit pas être recherché pour lui-même, mais seulement pour éviter la souffrance et avoir la paix de l’âme. Le bonheur n’est pas le fruit de la luxure : « ce ne sont pas les beuveries et les orgies continuelles, les jouissance des jeunes garçons et des femmes, les poissons et autres mets qu’offre une table luxueuse qui engendrent une vie heureuse, mais la raison vigilante qui recherche minutieusement les motifs de ce qu’il faut choisir et de ce qu’il faut éviter.» (Lettre à Ménécée.) Il s’agit d’éviter le désordre et d’accéder à la sérénité qui est celle des dieux bienheureux. L’hédonisme (du grec hedonê, « plaisir »), incarné par l’école des Cyrénaïques fondée par Aristippe de Cyrènd au IVe avant J.-C., fait du plaisir des sens un bien, quelles qu’en soient les formes. Le plaisir est le principe et la mesure de toute valeur. Dans le corps, le plaisir en repos engendre un bien-être que l’épicurisme appelle aponia ou absence de douleurs, tandis que dans l’âme, le bien-être est nommé ataraxie ou absence de trouble et de crainte. L’ataraxie qualifie de bonheur pour Épicure.
Le bonheur et la vertu
Si les Grecs considèrent que le plein accomplissement de soi même est ce que tout homme recherche, le bonheur bien compris ne réside pas dans la satisfaction effrénée des penchants ou des désirs mais plutôt dans une vie réglée est maîtrisée par la raison. Aussi n’y a t’il pas de contradiction entre le bonheur et la vertu. Le bien est l’objet du désir juste. Chacun doit comprendre, après réflexion, que la vie heureuse consiste en l’exercice de la vertu comprise comme refus de tout excès. L’eudémonisme identifie ainsi vertu est souverain bien. L’activité morale a pour fin la recherche du bonheur. Il n’y a pas de contradiction entre le bonheur et la morale. Mais le rôle de la morale est-il d’enseigner aux hommes comment atteindre le bonheur ? Son rôle n’est-il pas plutôt de leur enseigner comment s’en rendre digne ?
Le bonheur et la morale sont-ils conciliables ? La bonne volonté
Cependant, les dispositions intérieures de l’âme comme la juste mesure, la maîtrise de soi, aussi favorables qu’elles puissent paraître vis-à-vis de la moralité, ont-elles la valeur absolue que leur attribuent les Grecs ? Ne peuvent-elles pas se prêter à un mauvais usage : le courage ou la maîtrise de soi d’un criminel ne le rend-il pas plus odieux ? Seul peut être véritablement bon ce qui l’est par soi, ce qui l’est absolument. Ainsi, comme Kant le souligne dans les « fondements de la métaphysique des mœurs » (1785), il n’est rien qui puisse être tenu pour absolument bon, si ce n’est une bonne volonté. Ce qui fait que la volonté est bonne non, ce ne sont pas ses œuvres ou ses succès, ni son aptitude à atteindre le but qu’elle se propose, mais son vouloir même. La bonne volonté et celle qui se détermine à agir par pur respect du devoir.
Ne pas se rendre indigne du bonheur
L’homme ne peut renoncer au bonheur et à sa recherche. Mais le bonheur n’est pas ce qui est premier : ce qui doit l’être, c’est le devoir. À la question « que dois-je faire ? », Kant répond : « fais ce qui te rend digne d’être heureux. » Or, on peut être vertueux tout en étant malheureux, et être heureux sans être vertueux. On peut même dire qu’agir par devoir n’est pas le moyen le plus sûr d’être heureux, car cela implique souvent d’aller contre ses désirs. Certes, agir moralement n’implique pas l’ascétisme, et on peut considérer qu’indirectement c’est aussi un devoir de travailler à son bonheur car un minimum de bien-être est la condition de la vertu. Un homme possédant santé et richesse aura de meilleures chances de vivre moralement puisqu’il sera à l’abri des tentations de la convoitise, du vol ou encore du mensonge et même du meurtre. Cependant, pour Kant, la recherche du bonheur n’a de valeur morale que lorsqu’elle n’est qu’un devoir. Ainsi, un homme gravement malade qui n’a aucun espoir de recouvrer la santé peut bien manger ce qu’il veut, mais l’impératif du bonheur lui commande d’observer les règles de l’hygiène. C’est dire que la recherche du bonheur ne peut devenir une vertu que lorsqu’on a perdu tout espoir d’être heureux.
Peut-on éprouver de la joie à faire son devoir ?
La conscience de ne se déterminer que par pur respect du devoir peut engendrer un « contentement de soi-même » et une certaine béatitude. Mais l’homme ne peut jamais être sûr de la valeur morale de ses actions car il peut toujours y avoir à l’origine de celles-ci quelques inclinations inconscientes. La sainteté n’est pas de l’ordre de l’humain, elle n’existe qu’en Dieu. L’opposition kantienne entre la morale et le bonheur repose sur l’affirmation que la morale est de l’ordre de la raison et qu’elle suppose toujours des renoncements par rapport à nos désirs et intérêts, autrement dit au plaisir. Mais ne peut-on pas agir moralement par bienveillance et en éprouver de la joie ?
Comment être heureux ? Le bonheur est une affaire privée
Pour être heureux, l’homme doit se sentir en sécurité, être sans crainte. C’est le cas dans un état de droit, où il est sous la protection des lois. Mais si l’amour de l’État pour le peuple est au premier abord séduisant, l’Histoire montre que le paternalisme est l’alibi du despotisme : « un gouvernement paternel où, par conséquent, les sujets, tels des enfants mineurs incapables de décider ce qui leur est vraiment utile ou nuisible, sont obligés de se comporter de manière uniquement passive, afin d’attendre uniquement du jugement du chef de l’état la façon dont ils doivent être heureux […]– un tel gouvernement, dis-je, est le plus grand despotisme que l’on puisse concevoir. » (Kant, métaphysique des mœurs.) Le bonheur est donc une affaire personnelle. Il appartient à chacun de le chercher dans la voie qui lui semble, à lui, être la bonne, pourvu qu’il ne nuise pas à la liberté d’autrui.
Le bonheur est un idéal de l’imagination
Ce que les hommes nomment le bonheur n’est souvent que l’objet temporaire est accidentel de leur désir. Comme le souligne Kant dans les « fondements de la métaphysique des mœurs», « malgré le désir qu’a tout homme d’arriver à être heureux, personne ne peut dire en termes précis et cohérents ce que véritablement il désire et veut ». Le bonheur est « un idéal, non de la raison, mais de l’imagination ». Et Kant se moque : l’homme veut il a richesse ? Mais que de soucis cela ne va-t-il pas provoquer ! Veut-il la connaissance ? Cela risque de lui donner une vue plus claire des maux qui le menacent ! Veux-il une longue vie ? Ne serait-ce pas un cortège de longues souffrances ? Veut-il la santé ? Ne va-t-il pas en user pour se livrer à des excès ?
Le bonheur est dans l’attention au présent
La plupart des hommes ne sont pas heureux parce qu’ils désirent l’être. L’impossibilité où est l’homme de se fixer dans le présent est dénoncée par Pascal dans les pensées (1670) : « nous ne pensons presque point au présent ; et si nous y pensons, ce n’est que pour en prendre la lumière pour disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais notre fin : le passé et le présent sont nos moyens ; le seul avenir est notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre ; et, nous disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous nous ne le soyons jamais. » Le plus grand ennemi du bonheur est l’affairement. L’homme affairé vit en avant de lui-même. Il ne cesse de s’agiter, de se jeter dans le monde. Il ne recherche d’une chose : le divertissement, qui ne vise qu’à s’oublier soi-même. La raison en est, dit Pascal, le « malheur naturel de notre condition faible et mortelle, et si misérable, que rien ne peut nous consoler, lorsque nous y pensons de près ». Dans sa situation de misère, l’homme s’étourdit de son passé et plus encore de son avenir supposé, mais ne peut, en réalité, jamais être heureux.
Définition
De bon et de heur, dérivé du latin augurium qui signifie « augure, présage » et donc « chance », le bonheur désigne un état de satisfaction durable. Il est souvent conçu comme une satisfaction pleine et entière des désirs. C’est ce que suggère l’identification de l’homme heureux à un être comblé. Si les hommes n’atteignent pas le bonheur, c’est parce qu’ils ont des désirs multiples et que, parmi ceux-ci, nombreux sont ceux qui ne peuvent être satisfaits. Il y a des choses comme la santé ou la richesse qui ne dépendent pas entièrement de notre volonté. Savoir se contenter de ce qui est possible, serait alors la seule « route vers le bonheur ». On distingue ainsi le bonheur du contentement, état de celui qui est satisfait, qui ne manque de rien car il se contente de ce qu’il a. Le bonheur serait réservé à ceux qui ont les moyens matériels de réaliser tous leurs désirs. Quant aux autres hommes, ils ne pourraient qu’espérer le bonheur. Mais attendre des lendemains qui chantent n’est-ce pas le plus sûr moyen de ne jamais être heureux ? Le bonheur, n’est-ce pas ici et maintenant ?