La vérité Flashcards
Vérité scientifique et opinion
Fondée sur notre perception immédiate des choses ou sur le ouï-dire, liée à notre tendance à ne retenir des choses que ce qui est utile à la vie, l’opinion est incertaine. Elle ne peut donc qu’entraver la recherche de la vérité et le scientifique ne doit pas se contenter de la rectifier sur des points particuliers, il doit la déduire. C’est ce que souligne Bachelard dans « la formation de l’esprit scientifique » (1938) : « la science, dans son besoin d’achèvement comme dans son principe, s’oppose, s’oppose absolument à l’opinion. S’il lui arrive, sur un point particulier de légitimer l’opinion, c’est pour d’autres raisons que celles qui font de l’opinion ; de sorte que l’opinion a, en droit, toujours tort. L’opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissance. » Le scientifique doit même s’interdire d’avoir des opinions sur des questions qu’il ne comprend pas, qu’il ne sais pas formuler clairement. Car, avoir une opinion, c’est déjà répondre avant même d’avoir trouvé la question. Or, ce qui caractérise avant tout l’esprit scientifique, c’est le sens du problème. Même une connaissance acquise par un effort scientifique n’est pas définitive et doit être questionnée. Des manières de poser les questions, des habitudes intellectuelle qui furent utiles et saines une époque, à un moment de l’évolution de l’esprit scientifique, peuvent, à la longue, entraver les recherches. L’acquis ou ce qu’on croit acquis peut être un facteur d’inertie pour l’esprit. Toute théorie scientifique qui règne longtemps finit par devenir trop familière et se charge d’un concret psychologique trop lourd. Autrement dit, elle amasse trop d’images, de métaphore et perd peu à peu « son vecteur d’abstraction, sa fine pointe abstraite ». La vérité scientifique n’est donc pas donnée, elle se construit à partir d’erreurs, elle requiert des ruptures permanentes avec le savoir déjà acquis, mais aussi avec des manières de penser, elle exige même une réforme de son esprit, une véritable catharsis : il s’agit d’épurer l’esprit de ses images, de ses fantasmes, de ses complaisances pour l’intuition première. La vocation scientifique exige un renoncement complet à tout ce qui est de l’ordre de la subjectivité humaine.
Vérité en philosophie et opinion
Dans les domaines qui touchent les finst de l’action humaine et les valeurs comme, par exemple, la justice, chacun revendique le droit d’avoir et de donner son opinion. De plus, chacun est persuadée que son nom opinion en vaut bien une autre. Mais le philosophe, amants de la vérité, est soucieux de la vérité argumentée qui implique que l’on subordonne toute croyance aux résultats d’un examen rationnel. Car il y a opinion et opinion : « certaines sont personnelles, issues de l’examen critique, de la réflexion, de la méditation. D’autres ne font que traduire un intérêt, une passion, en état d’esprit momentané ou une influence extérieure. » (M. Conche, « L’aléatoire ».) C’est dernières ont le plus de chances de devenir les opinions de « tout le monde ». Elles déterminent l’opinion des « nombreux » et ne se préoccupent pas de la vérité. La paresse intellectuelle qu’elles favorisent constituent un obstacle à la recherche de la vérité. Il est vrai qu’en matière de religion, de métaphysique ou de morale, plus personne ne croit à une vérité incontestable. On ne parle plus de philosophie vraie mais d’une grande philosophie, tout au plus. Les philosophies ne sont plus que des interprétation du réel. Descartes croyait que sa philosophie était la philosophie ; Kant croyait que la vérité était autre; et Hegel, autre encore. Dès lors, l’opinion généralement répandue esr qu’on ne peut aller au-delà de l’opinion. Le risque c’est qu’on ne se donne plus la peine d’argumenter, de critiquer et qu’on ne puisse plus distinguer une opinion vraie d’une opinion fausse. On affirme alors qu’il n’y a de vérités que positives, c’est-à-dire dans le domaine des mathématiques ou des sciences physiques. C’est oublier que la recherche de la vérité reste pour un philosophe une exigence, même si la vérité est inaccessible.
Qu’est-ce que la vérité ? Définition
Le mot vient du latin veritas qui signifie « le vrai », « la réalité ». Dans notre civilisation scientifique, l’idée de vérité appelle aussitôt celle de l’objectivité, de communicabilité, d’unité. Elle est aussi inséparable des idées de démonstration, de vérification, d’expérimentation. Le mot « vérité » a changé de valeur : il n’évoque plus l’être mais se définit par l’objectivité. À l’être qui, dans l’Antiquité grecque, renvoyait au tout de la nature, au cosmos, s’est substituée la réalité, c’est-à-dire la détermination méthodique d’un quelque chose, sans référence à la totalité. Parler de réalité, c’est ce référer aux données de quelque perception, c’est prétendre prétendre saisir de l’être en dehors de sa raison d’être qu’il faudrait chercher dans le tout. Le mot « vérité » se met alors au pluriel. En mathématiques, la vérité est l’accord de la pensée avec elle-même. Il s’agit d’une vérité formelle et hypothético–déductive. Dans les sciences du réel, la vérité est l’accord de la pensée avec la réalité. L’expérimentation permet de vérifier cet accord.
La vérité est-elle en nous ? Le vrai est consigné dans la mémoire
Dans « les maîtres de la vérité », l’anthropologue Marcel Détienne montre que la représentation que se fait l’homme de la vérité change en même temps que la vie matérielle, sociale et spirituelle. Ainsi, dans la Grèce archaïque, à une époque où la civilisation est fondée non sur l’écriture mais sur les traditions orales, la « vérité » tiens « une toute autre place » que dans notre système actuel de pensée. La vérité se dit alors alêtheia, elle est une vérité « assertorique » que nul ne conteste ou ne démontre : « alêtheia n’est pas l’accord de la proposition et de son objet, pas davantage l’accord d’un jugement avec les autres jugements, elle ne s’oppose pas aux “mensonge”, il n’y a pas le “vrai” en face du “faux”. La seule opposition significative et celle d’alêtheia et de Léthé.» (Op. cit.) En grec, a-lêtheia signifie « non–oubli », par référence au Léthé, fleuve des Enfers dans la mythologie grecque. En buvant de ses eaux, les âmes des morts oubliaient le passé. C’est donc la mémoire qui définit le mieux la vérité. La mémoire est le souvenir du temps primordial de la création. Véritablement « sacralisée », la mémoire est alors élevée au rang d’une divinité. Or, ce temps primordial n’est pas passé ni disparu : il est là. La mémoire est donc ce qui permet « d’entrer en contact avec l’autre monde », de « déchiffrer l’invisible ». Elle permet d’accéder directement à la vérité.
La vérité comme éveil d’un souvenir endormi dans l’âme
Dès qu’il apparaît, le philosophe prend la relève des poètes, des devins ou des rois de justice. Comme eux, le philosophe se veut un maître de vérité, mais d’une vérité rationnelle. Si le philosophe est un maître de vérité, c’est parce que son âme est libre et qu’elle a conservé la mémoire des Idées dont elle a eu autrefois connaissances dans le monde des Idées. Pour Platon, la réincarnation de l’homme dans un corps est une véritable chute qui se traduit pour la plupart d’entre nous par la perte du savoir sous la forme de l’oubli–savoir qui était autrefois le lot de l’âme. Notre libération ne peut donc s’effectuer que par la mémoire. Le philosophe est un maïeuticien. Il a pour tâche de provoquer la réminiscence, tel Socrate qui, dans le « Ménon », de Platon, fait accoucher un esclave illettré de la science géométrique. Pour cela, il purifie d’abord l’âme de son interlocuteur de sa fausse science. Ensuite, par une série de questions, il amène à découvrir de lui-même la vérité, libérant ainsi l’âme d’un savoir dont elle était porteuse sans savoir qu’elle le portait. La maïeutique est l’art d’accoucher les esprits de la vérité dont ils sont intérieurement gros. Socrate prétendait exercer le même métier que sa mère, qui était sage femme. Ainsi, pour les Grecs, la vérité est toujours déjà là, nous l’avons toujours connue. L’oubli, c’est l’aliénation de notre nature. Retrouver la mémoire est salvateur.
L’évidence est-elle un critère de vérité ? L’évidence et la pseudo-évidence
Comment distinguer le vrai du faux, si le faux peut prendre l’apparence du vrai ? Le premier critère de la vérité, dit Descartes dans le « discours de la méthode » (1641), est l’évidence. Mais comment distinguer l’évidence de la fausse évidence ? La seule solution, poursuit Descartes, c’est de considérer « comme absolument faux tout ce que en quoi je pourrais imaginer le moindre doute ». Ainsi, parce que les sens nous trompent parfois, je suppose qu’il nous trompent toujours. Ensuite, comme on peut se tromper sur des raisonnements qui n’ont rien à voir avec les sens, je rejette « comme fausse toutes les raisons que j’avais prises auparavant pour démonstration ». Enfin, je feins de croire que toutes les choses qui sont entrées dans mon esprit sont de même nature que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je remarque que pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi qui pensait cela, je « fusse quelque chose ». D’où : « je pense donc je suis ».
Une seule évidence : le cogito
Je ne peux pas douter, au moment même où je doute de tout, que moi qui doute, je suis. La proposition « je suis, j’existe » est une évidence, au moment où je la conçois. Pour Descartes, la vérité a pour modèle métaphysique, l’idée claire telle que nous l’expérimentons dans le cogito : « je pense, je suis. » La vérité a pour signe infaillible l’évidence.
Une seule évidence: il n’y a pas d’évidence
Le cogito de Descartes exige, comme l’affirme Nietzsche, la croyance au mot et à la grammaire : dire que si il y a pensée, il doit y avoir aussi quelque chose qui pense, ce n’est qu’une manière de raisonner propre à notre routine grammaticale qui suppose à tout acte un sujet agissant. Or, « sauf les gouvernantes qui croient aujourd’hui encore à la grammaire […] Et, par conséquent, au sujet, à l’attribut, au complément,il n’est plus personne d’assez innocent pour poser, avec Descartes, le sujet je comme condition du verbe pense » (Nietzsche, la volonté de la puissance). De plus, depuis l’apparition des géométries non euclidiennes, les mathématiciens se méfient des évidences. Notons aussi qu’avec les progrès de l’analyse (application de l’algèbre à la géométrie) apparaissent, dans la seconde moitié du XIXe siècle, des êtres mathématiques stupéfiants comme les courbes sans tangentes, les courbes remplissant un carré, premiers spécimens, comme le déclare le mathématicien Jean Dieudonné, « D’une galerie de monstres qui n’a cessé de s’amplifier jusqu’à nos jours ». La seule évidence est qu’il n’y a pas d’évidence.