Bases biologiques des compétences numériques : études animales Flashcards
(4) Que sait-on des compétences numériques des espèces animales non-humaines ?
Les animaux non-humains possèdent certaines compétences numéraires qui peuvent se développer au cours du temps.
1. Discrimination numérique indépendamment de la durée
F. Wagner a le premier mis en avant des compétences de discrimination numéraire chez les rats. Il a pour cela entrainé des rats, durant une quinzaine de jours, à appuyer 16 fois sur un levier A pour avoir une récompense. Il a continué ainsi pour la moitié des rats mais l’autre moitié devait toujours appuyer 16 fois sur A mais ensuite appuyer sur un levier B pour avoir une récompense. Ceci pendant 14 jours. Pendant les 9 jours suivants, ces derniers rats continuent la même tâche mais avec des renforcements (nourriture) qui varie selon le nombre de pressions en A (4, 8, 12 ou 16 pressions).
Wagner a montré que le nombre de pression en A des rats entrainés correspondait au nombre renforcé.
Cependant, on observe que plus le nombre requis est élevé, moins le nombre de pression devient précis. La précision suit en effet une évolution logarithmique avec l’augmentation de la magnitude (= la grandeur du nombre demandé), c’est-à-dire que le rapport nombre/erreur est toujours le même quel que soit le nombre (le taux d’erreur augmente proportionnellement au nombre demandé).
On a en outre montré que les rats ne se basaient pas sur la durée correspondant au nombre de pression, mais bien sur la notion abstraite de nombre.
En effet, Meck et Church ont entrainé des rats à appuyer sur un bouton de gauche ou de droite, selon une certaine stimulation, pour obtenir une récompense. Il ont fait deux conditions :
- Discrimination de la durée : 4 bips correspondant à 2 secondes = gauche, 4 bips correspondant à 8 secondes = droite. Seule la durée permet de discriminer les deux signaux.
- Discrimination du nombre : Sur une durée fixée (par exemple 2 secondes), on fait varier le nombre de bips. Seul le nombre de bip permet de discriminer.
Résultats : dans les deux conditions, les rats ont sur discriminer correctement les deux signaux. Ceci montre qu’ils savent non seulement discriminer des durées, mais également des nombres indépendamment du temps.
Ce fut confirmé par Roberts, Boisvert et al qui ont entrainé des pigeons à réagir à des stimuli (lumière bleue ou blanche) indiquant sur quelle règle les pigeons doivent se baser : soit picorer jusqu’à un temps fixé (20 secondes, avec des flashs de durée variable tout le long) soit pendant un nombre de flash fixes (qui varie en durée, ils ne savent donc pas se baser sur le temps). Suivant la condition, ils obtiennent une récompense après le temps ou le nombre fixé.
Test après renforcement : Peu importe le rythme des flash (rapide, lent, …), les pigeons picorent de la même manière pendant les 20 secondes si la lampe leur dit de se baser sur le temps. Mais dans l’autre condition, ils picoreront plus rapidement pour les flash rapides (car on arrive + vite à 20 flash), preuve qu’ils se base bien sur le nombre de flash.
Pour expliquer cette capacité discrimination des nombres et des durées, mais aussi de la diminution de précision avec la magnitude du nombre, Meck et Church émettent l’idée de l’accumulateur.
Il y aurait un générateur d’impulsion dans le système nerveux de l’animal dont les impulsions peuvent être ou non transmises à un accumulateur. Pour la durée, on ouvre l’accumulateur quand la séquence commence et on le ferme quand la séquence est terminée. Le nombre d’impulsion indique la durée. Pour le nombre, on ouvre et referme pour chaque stimulation. Le nombre d’impulsions dans l’accumulateur indique le nombre. La discrimination des quantités est fonction non pas selon la distance entre les deux nombres (5-2) mais selon leur rapport (2/5).
2. Discrimination numérique indépendamment de la mémoire sensorielle
Les rats sachant discriminer 2 signaux lumineux de 8 peuvent transférer cette discrimination à d’autres modalités (signaux auditifs). Et inversement. C’est également le cas des pigeons.
Expérience avec des sons : des Tamarins sont habitués à des sons de 2 ou 3 syllabes (avec compression du temps de présentation pour éviter un effet de durée). Ils s’habituer à l’un des deux, mais si on présente un son différent (3 ou 2 syllabes) alors ils sont attentifs.
3. Discrimination numérique qui se développe
Des guppies (petits poissons) de 1 jour savent discriminer (préférer le taux le plus grand) 2 points de 3 mais pas 4vs8 ou 4vs12. Ils acquièrent cependant cette capacité en grandissant.
Ceci montre des capacités innées de discrimination de petites quantités, ce que ne pouvaient pas montrer les autres expériences qui se basaient sur un long apprentissage.
Les animaux possèdent donc certaines représentations abstraites du nombre mais celles-ci sont limitées (et induites par l’apprentissage ?). La discrimination est d’autant plus importante que la magnitude est élevée, l’erreur augmentant de façon logarithmique.
(5) Peut-on considérer que le principe de l’accumulateur constitue un bon modèle pour décrire les habiletés
numériques des espèces animales non-humaines ?
Le principe de l’accumulateur (Meck et Church, 1983)
Un même mécanisme très simple permettrait à l’animal de se faire une représentation du nombre ou de la durée en mémoire. C’est un mécanisme pour estimer/ percevoir/ mémoriser/ représenter la durée et le nombre.
Ce système générateur d’impulsions et accumulateur peut fonctionner à la fois comme une mesure de la durée et comme une mesure du nombre. Si on a un générateur d’impulsions et un système qui accumule les impulsions, on ouvre l’interrupteur au moment où la séquence commence, on le ferme au moment où la séquence se termine, et donc le contenu de l’accumulateur est défini par le nombre d’impulsions qui sont arrivées et donc par la durée totale de la période dans laquelle le système a été ouvert. Inversement, le même système peut fonctionner comme conteneur de nombres; il suffit que le switch (= interrupteur) s’ouvre et se ferme à chaque fois qu’il y a un événement. Il existe ainsi des études qui soutiennent ce principe d’accumulateur qui montrent que les animaux (pigeons et rat) sont capables à la fois de discriminer la durée et le nombre.
Étude 1 : Conditionnement et généralisation (Expériences de Roberts, Boisvert et collègues avec des pigeons)
Ils ont présenté des séquences rapides (2/sec), moyennes (1/sec) ou lentes (1/2sec) de flashs lumineux. On renforce le comportement (picorer), soit après un intervalle de temps fixe (20 sec), soit après un nombre fixe (20 flashes). Un indice (lampe bleue ou blanche) indique au pigeon s’il s’agit d’essais “intervalle” ou d’essais “nombre”. On demande aux pigeons d’apprendre une règle complexe: si la lumière est bleue, alors le récompense viendra après 20 sec; si la lumière est blanche, la récompense viendra après 20 flashs quel que soit la durée.
Après la phase d’apprentissage, tests sans renforcement.
Essais-tests sans renforcement; le débit varie de manière aléatoire
Intervalle fixe: pas de différence au niveau des débits de flashs car ce qui est important ici, c’est l’intervalle. Quelque soit le nombre, le taux de picorrages augmente de manière continue pour atteindre un max après 20 secondes. Ils ont capté le fait qu’il fallait attendre 20 secondes et que quand la lumière était bleue, le nombre de flashs n’avait pas d’intérêt. Ils savent donc qu’il faut picorer jusque 20 secondes pour avoir la récompense.
Lumière blanche: la lumière blanche indique aux pigeons que ce qui est critique, c’est le nombre de flashs. Et donc d’office, si le débit est rapide, il faudra moins de temps pour arriver aux 20 flashs, un temps moyen pour arriver aux 20 flashs si le débit est moyen, et beaucoup + de temps pour arriver aux 20 flashs si le débit est lent.
Étude 2 : Avec les rats
Séquences de signaux sonores: la ligne centrale = temps ; lignes verticales = événements (= bips). Les rats sont entrainés à donner une réponse avec levier de gauche quand S de gauche et levier de droite quand S de droite.
Il y a 2 choses qui co-varient entre ces 2 sons que le rat doit différencier: Dans le son de gauche, il y a 2 bips et ça dure environ 2 secondes alors que dans le son de droite, il y a 8 bips et ça dure 8 secondes.
A gauche, 2 barres et ça dure 2 secondes et à droite, 8 événements et la séquence totale dure 8 secondes. On ne sait pas si les rats décident de répondre avec levier de G ou de D en fonction de la durée de la séquence ou du nombre d’événements.
On sait que les rats peuvent faire cet apprentissage. Ce qui est intéressant, c’est de voir ce qu’il se passe après l’entrainement. Les rats sont entrainés à répondre à gauche pour 2 et à droite pour 8, et puis on va voir comment ils généralisent à des sons nouveaux
Le nombre d’événements est toujours 4, mais la durée totale varie de 2 à 8 secondes. Si les rats ont extrait de l’apprentissage initial une règle basée sur la durée et pas sur le nombre, on pourrait s’attendre à ce qu’ils généralisent et à ce qu’ils répondent à gauche pour le S qui dure 2 secondes et à droite pour le S qui dure 8 secondes. C’est effectivement ce qu’il se passe ! (voir Slide 18, graphique de droite).
Conclusion: Les rats ont extrait de l’apprentissage initial une règle de durée.
Une autre étude est réalisée, le principe est le même sauf qu’ici c’est une discrimination du nombre et pas de la durée. Cette fois-ci, on va fixer la durée de tous les S possibles, donc ça dure toujours 4 secondes au total, et on va varier le nombre (2, 3, 4, 5, 6 et 8). Si les rats ont extrait une règle basée sur le nombre, ils devraient répondre à gauche quand c’est 2 et à droite quand c’est 8, quel que soit la durée. Ils généralisent également au nombre
Conclusion: Les rats sont capables d’extraire la durée mais aussi le nombre.
Résumé: Le principe de l’accumulateur: dans le cerveau de l’animal, il y a un accumulateur dans lequel se verse une certaine forme d’activité. L’accumulateur accumule donc une petite dose de stimulation pour chaque événement. La hauteur d’activité dans l’accumulateur est une mesure du nombre d’événements que l’organisme a rencontré.
(6) Certains auteurs défendent l’idée que le traitement numérique peut être assimilé à la notion de module
mental. Quels arguments avanceriez-vous pour et contre cette conception ?
La conception générale de l’architecture de l’esprit recouvre deux visions différentes :
1) D’une part, la vision traditionnelle selon laquelle l’esprit est organisé en fonctions générales “horizontales”, non-spécifiques à un domaine (“mémoire”, “intelligence”, “conscience”, “perception”).
2) D’autre part, la thèse de la modularité (Fodor) selon laquelle l’esprit comporte des composantes modulaires spécifiques d’un domaine (et aussi des composantes générales). Des exemples de systèmes modulaires possibles sont la perception, la reconnaissance et la mémoire des visages ; la perception de la parole ; le traitement des mots (parlés, écrits) ; la perception des émotions, l’empathie (théorie de l’esprit), etc.
Selon la théorie de Fodor, un module mental présente plusieurs propriétés générales :
spécifique à un domaine d’objets ou événements
automatique
rapide
“élémentaire” (shallow)
autonomie (l’information est encapsulée), c.à.d. sans intervention ou interaction avec les connaissances générales
impénétrabilité: les systèmes centraux ont un accès limité
support neural localisé
précablage biologique
troubles spécifiques et sélectifs
développement ontogénétique caractéristique
Dans le domaine de la cognition numérique, différentes questions se posent, dont celle de savoir s’il existe un système mental pour certains aspects du traitement du nombre, indépendamment du langage. Il y a essentiellement deux manières de récolter des données pour tenter d’y répondre :
- soit en examinant dans quelle mesure des espèces animales sans langage présentent des compétences numériques c’est-à-dire dans quelle mesure ils sont capables de faire des choses dans le domaine des manipulations numériques
- soit en essayant d’objectiver les compétences numériques des jeunes enfants dans leur première année de vie (enfants préverbaux et nouveau-nés) avant l’acquisition du langage.
Les études de ces deux versants démontrent une certaine capacité de discrimination en fonction de la numérosité (y compris lors du contrôle des autres variables perceptives), ainsi qu’une indépendance vis-à-vis de la modalité sensorielle de stimulation (transfert possible), ce qui suggère une appréhension abstraite du nombre. Une capacité d’estimation de quantité est également montrée chez les enfants et l’hypothèse numérique semble être la seule à tenir la route pour expliquer les résultats. Ces différentes données des deux versants semblent soutenir l’hypothèse de l’existence de compétences numériques indépendantes du langage, donc de deux fonctions différentes.
La neuropsychologie nous fournit également différents arguments vis-à-vis de la question de la modularité de l’esprit. A travers de l’étude de patients, cette discipline tente de comprendre le fonctionnement du système cognitif humain, en particulier par la recherche de (doubles) dissociation c’est-à-dire si le processus X est intact et le processus Y altéré chez un patient et spécialement si le patron de troubles inverses est observé chez d’autres patients, on a des raisons de croire que X et Y reflètent des mécanismes sous-jacents différents dans le fonctionnement normal.
-> Dissociations sémantiques : compréhension du monde vs. compréhension du nombre
o Cas MMV : Le sujet a un déficit en compréhension des mots/nombres à l’oral, mais produit sans problème: une lecture orale, une dénomination de nombres en chiffres arabes et une compréhension des nombres en modalité visuelle.
o Cas SG : Ce sujet a une préservation de l’essentiel des compétences numériques (comptage, jugement de parité, transcodage, comparaison numérique, etc.) mais une dégradation importante des connaissances sémantiques sur le monde.
-> Dissociations au niveau des codes (transcodage) :
o Modèle modulaire de McCloskey : Systèmes modulaires : compréhension – production – calcul – sémantique. Aucun de ces sous-systèmes n’a accès aux autres sous-systèmes. L’argument à cette théorie : les (doubles) dissociations décrites en pathologie. Il y a différents types de dissociations rencontrées : lecture/écriture est bonne mais les faits arithmétiques simples sont déficitaires ou procédures de calcul ok mais faits arithmétiques déficitaires ou lecture déficitaire mais production ok, etc.
-> Dissociations au niveau du calcul :
o Modèle du triple code de Dehaene : L’idée est qu’il existe 3 différents systèmes de représentations mentales mais que ces trois circuits se localisent tous dans les régions pariétales effectuant différents types d’interaction entre eux. (HIPS - représentation de la quantité, AG - manipulations numérales verbales et PSPL - processus d’attention). Il y a différentes dissociations comme par exemple dans le syndrome de Gerstmann. –> AG (addition et multiplication) vs HIPS (soustraction et division).
o Etude entre le calcul exact vs. calcul approximatif : Le calcul exact serait lié au langage et dépendant de réseaux localisés dans les zones associées au langage (région inférieure du lobe frontal gauche (Broca)) et le calcul approximatif ferait appel à la comparaison des magnitudes ce qui impliquerait des réseaux spécialisés, situés dans les lobes pariétaux (sillon intrapariétal).
Les différentes observations de patients semblent soutenir l’hypothèse de la modularité du système numérique. Néanmoins, il est important de noter que ces dissociations ne nous permettent pas de savoir si les composantes interagissent ou non entre elles dans le fonctionnement normal, ce qui implique qu’on ne peut valider totalement l’hypothèse modulaire d’imperméabilité et d’indépendance des différents modules.