Parole et vérité Flashcards
Discours de la méthode, Descartes
La parole claire apparaît comme l’étalon de mesure de la pensée juste. En effet, étant l’expression d’une pensée déjà constituée, elle opère le passage de l’intériorité à l’extériorité, même si elle ne semble pas nécessaire au processus, apparemment indépendant, de la pensée. Dès lors, bine parler semble requérir de bien penser, dans le mesure où les qualités de la pensée se retrouvent dans la parole. C’est pourquoi celle-ci devrait être notamment empreinte de la clarté propre à une pensée rigoureuse, avance Descartes (Discours de la méthode). La parole permet plus précisément de donner la preuve de l’ordre qui anime la réflexion cartésienne : pour être rigoureuse, la pensée doit être une suite de termes ordonnées de telle manière que le suivant dépende du précédent. C’est pourquoi deux des quatre règles de la méthode de Descartes visent à clarifier en mettant de l’ordre : la deuxième demande à l’esprit de simplifier les données du problème en les décomposant en éléments les plus simples possible, afin de mieux les examiner et les résoudre ; la troisième lui demande d’ordonner tous ces éléments en allant du plus simple au plus complexe. Dans cette méthode, le doute hyperbolique ne peut briser les armes que devant l’évidence, c’est-à-dire al clarté la plus extrême. Ainsi, seule la clarté de la parole serait capable de transmettre la vérité de l’énoncé.
Propos de littérature, Alain
Il semble qu’un écart demeure toujours entre la vérité et la parole. Présenté comme servant à décrire les choses, celle-ci n’a pourtant de cesse d’être redressée par le réel. Muette, la technique a par exemple, de par ses oeuvre, le pouvoir de rappeler la parole à la réalité empirique. Ce qui fonctionne fonctionne, et valide par là la véracité de son mécanisme. Cependant, le langage n’est pas du côté du réel, affirme Alain (Propos de littérature) il est du coté du l’homme. L’effet du discours n’a pas de valeur par rapport aux choses. Dès lors, si l’homme veut les connaître, il doit aller à elles sans détour, il doit agir, essayer, et se tromper. En revanche, que l’homme se place en intermédiaire entre l’homme et la chose est source d’erreurs démesurées, notamment dans les assemblées, où la parole est contagieuse. En effet, l’homme préfère croire l’homme plutôt que l’expérience la plus simple et la plus commune. Or, celle-ci a été mise à jour sans le secours de la parole. « Le même homme, écrit ainsi Alain, eut toujours un bagage d’opinions sans paroles, très sage, et un bagage d’opinions parlées, très folles ». L’écart entre la parole et la vérité commença de diminuer quand on prit l’initiative, grâce à l’écrit, de rapprocher l’opinion parlée de la chose ; mais les passions responsables de leur éloignement n’ont jamais disparu.
Confessions, Saint-Augustin
La parole est vue comme permettant à la divinité de se manifester. Corporelle ou incorporelle, celle-ci est souvent dotée d’une voix lui permettant d’intervenir dans le monde des mortels pour leur délivrer ses instructions ou révélations. Dans la Bible, par exemple, Dieu est assimilé au « Verbe » parce qu’il a crée le monde par la parole : « Dieu dit : Que la lumière soit ! et la lumière fut. » décrit la Genèse ; puis parce que le dieu d’Israël s’adresse à son peuple comme à une personne, notamment pur l’appeler à la conversion. Ce dieu pourrait même se manifester à un individu, comme en témoigne le fameux épisode de la conversion de Saint-Augustin (Confessions). Invoquant le pardon divin au pied d’un figuier d’un jardin de Milan, le futur évêque d’Hippone entend alors une voix juvénile qui, dans le maison toute proche, ne cesse de répéter en chatant : « Tolle, lege ! Tolle lege ! – Prends et lis ! Prends et lis ! ». Voyant là un appel divin, il ouvre les Épitres de Saint Paul au hasard et reçoit l’illumination en tombant sur un passage l’invitant à renoncer à la débauche. Il se sentit aussitôt envahi par un calme étranger, tous ses doutes durent instantanément dissipés. C’est donc cette parole miraculeuse qui, interprétée comme une manifestation divine déclencha la conversion de Saint-Augustin.
La tyrannie de la communication, Ignacio Ramonet
La parole peut être un vecteur d’aliénation. Tel est le reproche adressé au paradigme de la communication : la parole viserait, pour celle-ci, à délivrer un message dans un but précis, à produire un effet, comme susciter l’adhésion ou provoquer une réaction. Les médias de masse, tout particulièrement, fonctionneraient dans cette perspective, en produisant l’impression de la vérité par la répétition C’est submergé par l’unanimisme des interprétations que l’individu se soumettrait à l’évidence de leur validité. Dans La tyrannie de la communication, Ignacio Ramonet dénonce les manipulations dont sont victimes les citoyens sous le double effet de la logique de l’information devenue « marchandise » et de l’avènement du multimédia, qui réalise la convergence des médias textes, sons et images vers un seul support numérique échangeable de manière instantanée. À l’appui de nombreux exemples (les faux charniers de Roumanie lors de la chute des Ceausescu, le faux interview de Fidel Castro par Patrick Poivre d’Arvor), mais aussi de la façon dont sont exploités les évènements mondiaux (la chute du mur de Berlin, la première Guerre du Golfe, l’affaire Lewinsky-Clinton, la mort de Diana), il montre comment la parole médiatique conduit à aliéner les masses au lieu de les informer. En particulier, la règle du direct et de l’immédiat empêche toute prise de recul et prive les sens du correctif nécessaire de la raison.
Les Grands Sophistes dans l’Athènes de Périclès, Jacqueline de Romilly
La parole est susceptible de se dégrader jusqu’à se prendre elle même pour finalité. Délaissant le service de la vérité, elle serait alors à elle-même sa propre raison d’être : on parlerait pour parler, purement et simplement pour perpétuer la vie des mots, ainsi qu’il est couramment reproché au bavard. Dans cette conception autoréférentielle de la parole, la forme du discours prime le fond, car c’est de sa virtuosité, et non de l’adéquation à la réalité que la parole tire sa valeur. Jacqueline de Romilly voit dans les sophistes de l’Antiquité l’incarnation de cette remise en cause du concept de vérité (Les Grands Sophistes dans l’Athènes de Périclès). Ils sont en effet des maîtres à penser et à parler apparus à la fin du Vème siècle à Athènes, une époque où la vie intellectuelle prenait la forme d’un jeu, d’un concours : les thèses étaient défendues par des concurrents auxquels un juge souverain, qui dues par des concurrents auxquels un juge souverain, qui est souvent le public, décerne le prix. Dans leur contexte démocratique, toutefois, où l’influence politique et les décisions de l’État dépendaient du peuple, lui même dépendant de la parole, ils proposaient une éducation intellectuelle payante qui permettait de savoir parler en public. Contre l’accusation d’onanisme verbal, il serait donc aussi possible de défendre le sophisme comme une première affirmation de la supériorité de la vie sociale sur la vie intellectuelle. Le courant paraît néanmoins être à la racine d’un certain cynisme intellectuel et politique.
Romances sans paroles, Paul Verlaine
Il semble qu’il existe un au-delà de la parole. En particulier, celle ci n’est peut-être pas le meilleur moyen de véhiculer les sentiments. Il pourrait en effet lui être reproché de gier les états d’âme. Dès lors, il s’agirait de trouver un langage à nouveau coupable de traduire l’authenticité de la confidence lyrique, par exemple, c’est-à-dire de faire fusionner mots et états d’âme. C’est dans cette perspective que Verlaine manifeste dans ses Romances sans paroles sa méfiance à l’égard des mos et des concepts qu’ils véhiculent. Il éprouve dans ce recueil des limites d’une langue qui fige et trahit la vérité de l’âme ; c’est pourquoi il le compose sur un modèle essentiellement musical. Ainsi, inspiré par la musicalité de chansons comme les ariettes de Favart (que Rimbaud lui a fait découvrir), il associe dans les « Ariettes oubliées » la musique des mots à leur pouvoir évocateur : il les sélectionne comme autant de notes de musique, moins pour le sens qu’ils portent que pour la mélodie qu’ils jouent. De surcroît, il donne également à sa poésie une dimension picturale dans les « Aquarelles » et les « Paysages belges ». Mettant l’accent sur les couleurs visuelles et le flou pour créer un sentiment de légèreté, Verlaine peint l’instabilité et la spontanéité du monde contemporain. Ces choix s’intègrent dans la quête d’une « poésie objective » qui échapperait à l’emprise de l’expression subjective propre à la parole.