Parole et subjectivité Flashcards
Les confessions, Jean-Jacques Rousseau
La parole autobiographique peut réussir à dévoiler la véritable identité de l’individu. Entreprendre de raconter sa propre histoire créerait pour le sujet les conditions d’une transparence à soi, l’exercice rendrait possible de poser un regard rétrospectif et dépassionnée, c’est à dire objectif, sur soi-même. Cette vertu découlerait tout particulièrement de l’aveu des fautes, des faiblesses et des failles personnelles, données à juger au public dans leur authenticité brute. Telle est, par exemple, l’ambition posée par Jean-Jacques Rousseau dès l’ouverture de ses Confessions : « Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature, et cet homme, ce sera moi ». Son autobiographie est plus précisément pour lui l’opportunité de défendre la singularité absolue de son individualité. Il se présente comme étant le seul à ne pas vivre dans le mensonge social et à pouvoir atteindre son identité authentique, tandis que les hommes ne se connaissent qu’à travers le regard des autres sur eux-mêmes. « Je sens mon cœur, écrit-il, et je connais hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j’ai vu ; j’ose croire n’être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vais pas mieux, au moins je suis autre. » Lui se situe au plus proche de l’amour de soi, alors que les autres vivent dans l’amour propre. C’est pourquoi sa parole autobiographique peut dire la vérité sur sa personne.
Le soi et l’identité narrative, Paul Ricoeur
La parole contribue à échafauder l’identité individuelle. Il semble que faire le récit de soi-même rende possible un recul réflexif, un écart dans lequel se logerait la conscience de soi. Ainsi, dire « je » permettrait de rendre compte de soi, de ses actions, de ses pensées, de conférer par là un sens à une série d’événements contingents et de maintenir un sentiment de continuité dans l’existence. Tel est le mécanisme par lequel selon Paul Ricoeur, la temporalité et l’identité se nouent intiment lorsque le sujet « se raconte lui-même » (Le soi et l’identité narrative). Cette réflexion prend pour point de départ l’identité personnelle comme inscription de l’être humain dans le temps, au cours duquel quelque chose de l’individu se maintient malgré le caractère inévitable du changement. Dans cette conception, le « je » représente le point de convergence entre une « identité-idem » (ce qui demeure) et une « identité-ipse »’ce qui change, ou s’ajoute par autoréflexion), au creux d’une identité narrative om le sujet s’invente et se construit. Dès lors, chacun constitue son identité à la manière d’un écrivain qui invente ses personnages : « le récit, écrit le phénoménologue, fait partie de la vie avant de s’exiler de la vie dans l’écriture ». La parole est donc une dimension essentielle de l’identité, dans la mesure où le sujet se définit lui même tout le long de sa vie grâce au langage.
Contre Saint-Beuve, Marcel Proust
La parole écrite peut apparaître comme le moyen de transcender la subjectivité. Ecrire rendrait possible de sortir de soi-même et de sa perspective étriquée, car forcément individuelle, d’interprétation du réel. Le talent littéraire, plus précisément, opérerait le passage de la subjectivité du sujet à la (relative) objectivité de l’artiste authentique en quête de la seule vérité, et il restituerait par-là le point de vue de l’universel. L’écriture est ainsi pour Marcel Proust un acte qui transcende la subjectivité vers la vérité (Contre Sainte-Beuve) Comme « Les faits ne pénètrent pas dans el monde de nos croyances » (À la recherche du temps perdu) il est nécessaire de les retrouver en s’évadant de la subjectivité, dans la solitude, par l’introspection. L’écrivain estime ainsi, à l’instar de Rousseau, que l’homme n’est pas lui-même lorsqu’il est dans la fréquentation de ses semblables, qu’il n’a alors pas accès à son essence, à son moi véritable. C’est donc la vocation du romancier que de se mettre dans les conditions d’accéder à la vérité de lui-même, afin de la reconstituer par la forme romanesque. Il doit s’abandonner à une pure contemplation digne de l’ascèse religieuse. Les expériences de la vie, c’est à dire le vécu, constituent certes le matériau du roman, mais c’est la parole écrite, et notamment le style littéraire, qui transmute cette matière vile (le vécu brut dans sa banalité) en une œuvre d’art possédant un résonnance universelle.
Cinq leçons sur la psychanalyse, Sigmund Freud
La parole peut apparaître comme le moyen de réparer l’identité. Lorsque l’individu ne sait plus qui il est, lorsqu’il ne parvient plus à se reconnaître, parler semble mettre en évidence ses failles, et tout particulièrement la non-correspondance entre sa perception de lui même et les facteurs psychiques qui l’animent véritablement. L’interlocuteur joue alors un rôle primordial dans ce processus, car il doit tout à la fois interpréter le sens de la parole et guider le locuteur vers la guérison. Dans la perspective de la psychanalyse, la parole est davantage qu’un mode de communication, elle est révélatrice de l’inconscient d’un individu, lequel est lui même révélateur des comportements et désirs humains (Cinq leçons sur la psychanalyse, Freud). Prendre conscience de son inconscient repose donc sur un traitement par la parole qui présuppose un déterminisme psychique : toute l’idée, ou tout acte n’est pas arbitraire, mais a un antécédent et un sens que l’exploration de l’inconscient permet de mettre à jour (par exemple les rêves, les lapsus, ou les actes manqués). L’exploration de l’inconscient à l’aide de la parole a plus précisément pour objectif de lever les refoulements. Pour Freud, l’inconscient possède en effet un langage propre, échappant à la conscience, un langage qui possède son propre sens et son propre contenu, et qui, pour être compris, doit donc être interprété. C’est dans ce sens que la parole est le moyen de rétablir l’intégrité psychique de l’individu.
Crime et Châtiment, Fiodor Dostoïevski
La parole peut apparaître comme le moyen de rétablir l’intégrité de l’âme. Telle est par exemple, dans le christianisme, la fonction de la confession, laquelle constitue la deuxième étape du sacrement de pénitence et de réconciliation. Cette tradition religieuse se fonde sur l’idée que le sentiment du péché s’accompagne d’un désir de réconciliation avec la divinité offensée. C’est dans cette perspective que s’illumine le sens de la confession finale de Raskolnikov dans Crime et Châtiment. Après avoir hésité assez tôt à avouer l’assassinat de l’usurière, le protagoniste a subi l’installation progressive en lui-même d’un malaise insoutenable, le sentiment de la culpabilité, qui lui fit envisager le suicide. Ce phénomène témoigne du caractère social du péché : dans une société religieuse et spirituelle, le sentiment de l’offense faite à Dieu grandit dans les âmes ; le coupable prenant alors conscience que sa faute l’exclut de droit de la société de ses semblables, il se confesse pour u reprendre sa place. C’est pourquoi, enjoint par ses proches, le jeune criminel dostoïevskien finit par aller se confesser au commissariat « C’est moi… ». Cet acte de pénitence accompli, il peut alors entamer sa régénération au bagne même où il est condamné, grâce à l’amour de Sonia, la prostituée dont il s’était épris. C’est donc sa confession, révélatrice du pouvoir salvateur de la parole, qui est à l’origine de cette naissance.