Les français et l'argent Flashcards
L’Éthique à Nicomaque (Livre V), Aristote
L’argent sert à faciliter les échanges. Aristote s’interroge sur l’origine de la monnaie. Il souligne la nécessité de rendre comparables des biens échangés entre individus inégaux, comme un médecin et un paysan. La monnaie joue alors un rôle d’intermédiaire, permettant de mesurer et d’évaluer équitablement toutes choses, qu’il s’agisse de biens matériels ou immatériels.
En France, l’émission de l’argent joue un grand rôle dans l’émergence du pouvoir central
Par exemple, au 13ème siècle, Saint-Louis créé le Gros, une monnaie d’or, qui témoigne de sa volonté d’être l’égal des empereurs byzantin et germanique. Il s’agit de l’équivalent monétaire du principe « le roi est empereur en son royaume », c’est-à-dire qu’il ne reconnaît aucune autorité au-dessus de la sienne, et notamment pas celle de l’empereur.
La mise en place de l’euro a signifié, pour certains
(1) Une défaite de la souveraineté politique face au principe d’autorégulation du marché : c’est-à-dire qu’il aurait réduit le pouvoir des États à décider de leur économie, car il suit les règles imposées par le marché, plutôt que par les décisions politiques.
(2) Le déficit symbolique dont pâtit l’UE : alors que dans tous les pays du monde figure sur les billets de banque de grands personnages, homme d’État, écrivains ou artistes, les autorités européennes ne sont pas parvenues à s’entendre sur un petit nombre de personnalités fédératrices. Les billets sont donc illustrés par des monuments qui n’existent pas et qui ont été réalisés par des ordinateurs. Ce qui est particulièrement regrettable eu égard à la riche histoire que possède le continent.
La monnaie est chargée d’une forte dimension religieuse
Chez les Grecs, Pluton est à la fois le dieu des morts et celui de la richesse. Ce qui s’explique par le fait que Pluton règne sur les enfers, qui sont sous terre. Or, le monde souterrain est associé aux richesses de la terre (métaux précieux, récoltes). Ainsi, il est nécessaire de mettre dans la bouche des défunts une petite pièce de monnaie, l’obole, pour qu’ils puissent payer à Charon leur passage sur sa barque vers les enfers. Son nom, Pluton, a également donné « ploutocratie », c’est-à-dire « gouvernement des riches.
L’histoire de la monnaie est marquée par une abstraction croissante
L’argent, désormais inconvertible, est un symbole déconnecté de tout équivalent matériel, se sont succédé la monnaie scriptural (lettres de change), la monnaie fiduciaire (chèques), puis la monnaie électronique.
Perspectives économiques pour nos petits-enfants, John Maynard Keynes, 1930
Pour lui, plus la société s’enrichira et plus les hommes se passionneront pour d’autres buts que l’accumulation incessante de capital. En 2030, l’espèce humaine devrait avoir réglé le « problème économique » et vivre dans une société de loisirs, où les personnes auraient enfin le temps de réfléchir, de cultiver l’amitié, de goûter les lettres et les arts.
Le père Goriot, d’Honoré de Balzac, 1835
Des formes d’hostilité à l’argent traversent toutes les cultures. Le thème de l’argent qui corrompt apparaît chez Balzac, dans son roman « Le père Goriot » dont la morale est que « l’argent donne tout, même des filles ». Le père prodigue meurt abandonné par ses filles, Anastasie de Restaud et Delphine de Nucingen, pour lesquelles il s’est ruiné et qui n’assistent même pas à son enterrement. Tout au long du roman, son amour paternel se heurte pathétiquement à la cupidité ingrate des deux femmes.
Partout, la « grande transformation » des sociétés, c’est-à-dire leur transition vers le capitalisme, a été difficile et mal vécue par les peuples
Cependant, la France se caractérise par une méfiance particulière à l’argent et ses puissances en raison de trois héritages toujours présents dans nos consciences, même si les institutions et les idéologies qui les ont portés sont aujourd’hui en crise.
(1) Le catholicisme enseigne le mépris des richesses. Plusieurs passages des Écritures, s’ils sont entendus littéralement, permettent de donner une assise théologique au refus des richesses. Pour l’Évangile de Luc, « Vous ne pouvez servir Dieu et l’argent ». Le christianisme a donné naissance à des mouvements prêchant la pauvreté. Saint Thomas d’Aquin condamne le prêt à intérêt en soutenant qu’il est immoral de s’enrichir en jouant sur le temps, car celui-ci n’appartient qu’à Dieu. Encore aujourd’hui, la méfiance catholique envers l’argent n’a pas disparu. Peu après son élection, en 2013, le pape François rappelait que « Saint Pierre n’a jamais eu de compte en banque ».
(2) La tradition aristocratique refuse elle aussi l’argent-roi. Cette tradition oppose à l’argent le culte de l’honneur et des valeurs chevaleresque. Le noble qui commerce déroge, c’est-à-dire qu’il perd sa qualité, mais il a tout de même le droit de travailler la terre.
(3) La tradition marxiste voit dans l’argent une puissance diabolique. Elle voit dans l’argent une puissance diabolique. Si la classe ouvrière est pour Marx l’agent messianique de l’histoire, celle qui pourra instaurer un nouvel ordre politique et social, c’est précisément parce qu’elle n’a pas d’argent. Elle est la seule en mesure d’incarner et de défendre les intérêts de l’humanité, car les prolétaires « n’ont à perdre que leurs chaînes » (Manifeste du Parti communiste, Marx et Engels, 1848).
La méfiance envers l’argent s’enracine également dans des expériences nationales malheureuses
(1) La faillite du système de l’Écossais John Law mis en place en 1716-1720 : Ce banquier et économiste invente l’une des premières bourses du monde. Ces actions liées à l’exploitation d’une colonie suscitent une spéculation massive. Cependant, la bulle financière éclate, en ruinant les petits investisseurs qui avaient mis toutes leurs économies, alors que les grands seigneurs évitent les pertes grâce à des pratiques illégales (délits d’initié). En conséquence, une banque centrale n’est créée en France qu’en 1800, bien après les équivalents britannique et néerlandais.
(2) L’échec des assignats sous la Révolution française : Cette monnaie fiduciaire est victime d’une très forte inflation, qui ruine ses détenteurs. En conséquence, à la fin du 19ème siècle, la masse monétaire en France est encore constituée à 50% de pièces sonnantes et trébuchantes.
(3) Le krach de l’Union générale en 1882 : Eugène Bontoux, catholique légitimiste, crée cette banque soutenue par l’Église et le comte de Chambord, visant à réconcilier catholiques et finance. Après un essor rapide, elle fait faillite à cause d’irrégularités et de la concurrence des Rothschild, ruinant de nombreux épargnants. Ce krach alimente l’antisémitisme, illustré par La France juive d’Édouard Drumont (1885) . Émile Zola s’en inspire dans L’Argent (1891), décrivant l’argent comme une force à la fois corruptrice et source de progrès.
(4) Emprunts russes (fin XIXe – début XXe) : Émis pour financer la Russie, ces titres séduisent de nombreux Français. En 1918, les bolcheviques refusent de rembourser, causant de lourdes pertes. En 1997, Boris Eltsine propose un remboursement partiel, jugé insuffisant. Des descendants poursuivent encore ce combat via des associations.
Pourtant, cette méfiance française constitue largement une exception
Dans l’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme (1905), Max Weber souligne que le protestantisme valorise le travail et la richesse, ce qui a joué un rôle clé dans le développement du capitalisme moderne. Le judaïsme ne condamne le prêt à intérêt que s’il pratiqué entre coreligionnaires (qui pratique la même religion), car contraire à la solidarité juive. L’islam, quant à lui, valorise la figure du marchant et seules sont condamnées les richesse sources d’orgueil.
Cependant, dans l’histoire de France, rares sont les discours favorables à l’argent, mais rares, aussi, sont les actes politiques qui lui sont véritablement hostiles
Par exemple, F. Mitterrand, devant le Congrès d’Épinay, en 1971, soutient que « Le véritable ennemi ce sont toutes les puissances de l’argent », ce que démentira plus tard la pratique de son pouvoir. La récurrence ce ces discours peut amener à les relativiser. Expriment-ils une conviction sincère ou s’agit-il seulement de faire fond sur une tradition française en déclin progressif ?
De nouveaux discours sur l’argent après le « tournant de la rigueur » de 1983
Les années 1980 voient à la fois le développement de la mondialisation et la financiarisation croissante de l’économie. En effet, la faillite de plus en plus visible de l’URSS et des pays socialistes, puis leur effondrement, la diffusion du libéralisme des EU de Ronald Reagan et le RU de Margaret Thatcher, enfin l’affaiblissement de l’Église catholique et du parti communiste conjuguent leurs effets tout au long des années 1980. Parallèlement, les discours évoluent ou s’infléchissent.
Les élites politico-administratives ne restent pas insensibles à ces évolutions
Leur moralité semble décliner, du moins si l’on en croit les scandales qui, dans les années 1980 et 1990, défrayent l’actualité. Abus de biens sociaux et enrichissements personnels sont signalés. Les citoyens sont indulgents vis-à-vis des élus coupables de malversations : ils n’hésitent pas à réélire lors des scrutins suivants, ce qui serait inimaginable dans les pays anglo-saxons.
A la fin des années 1980, le retour refoulé de l’argent oblige à mettre en place des garde-fous
Les textes sanctionnant la corruption sont durcis, le financement des partis politiques précisé, les dépenses de campagne électorale plafonnées. Suite à l’affaire Cahuzac, en 2013, une obligation de déclaration du patrimoine est créée pour tous les responsables publics, sous contrôle d’une nouvelle AAI, la HATVP.
Divers signes indiquent pourtant la persistance d’un malaise autour de l’argent en France
(1) Le montant de la rémunération des individus reste largement tabou : en dépit des enquêtes que la presse publie régulièrement sur les salaires des cadres, des patrons ou des fonctionnaires.
(2) La classe politique est sans cesse sommée de montrer l’exemple, donc de réduire les avantages, pourtant très relatifs, dont elle bénéficie : Le risque est, d’une part, que le métier politique devienne un jour si peu rémunérateur qu’il n’attire plus que les médiocres, et, d’autre part, que l’État républicain perde le faste qui est nécessaire à ses missions. En effet, un État trop modeste devient impuissant, ce qui n’est vraiment pas dans l’intérêt des citoyens. Il faut toujours y songer avant de critiquer aveuglément le « train de vie de l’État ».
La culture française est mal adaptée au capitalisme
La France serait toujours en retard d’une révolution économique. Nation agraire et catholique, elle serait culturellement inadaptée au capitalisme moderne, donc vouée à l’échec économique. Pourtant, des contre-exemples existent. A certains moments de son histoire, la France est parvenue à s’insérer avec brio dans la compétition économique.
Notre Première Mondialisation. Leçons d’un échec oublié, Suzanne Berger, 2003
Elle montre comment la France dans les années 1880-1914, a su faire le choix de l’ouverture des frontières sans pour autant renier ses traditions.
Philosophie de l’argent, Georg Simmel, 1900
Cet auteur n’est pas hostile à l’argent, pour peu que ses pathologies (avarice, cupidité, prodigalité) soient évitées. Selon lui, l’argent constitue un instrument puissant qui permet l’essor de la liberté des hommes à la fois face aux objets et face aux autres hommes.
Face aux objets : de tous les objets, seul l’argent est suffisamment malléable pour autoriser tous les usages et toutes les activités. Il est donc celui qui limite le moins la liberté de l’individu.
Face aux autres hommes : grâce à « l’impersonnalisation » qu’il permet. Par exemple, au Moyen Âge, le serf avait s’acquittait de ses impôts en nature. Il se trouvait donc entièrement et personnellement soumis à celui-ci. Dès lors que l’usage de l’argent se développe, il peut s’en acquitter et accumuler un peu d’épargne, ce qui lui permet, à terme, de se libérer de la tutelle du seigneur.
Cependant, selon lui, deux domaines doivent être mis absolument hors de portée de la marchandisation : la culture et le corps.
Le bon usage de l’argent sera celui qui nous rendra libres
La tendance est à placer l’argent du côté des inégalités et des hiérarchies sociales. Or, il permet aussi aux plus ingénieux de rattraper les héritiers de naissance, de la terre ou de la culture. L’évènement du capitalisme a permis des ascensions sociales qui étaient impossibles dans le monde figé des hiérarchies naturelles. Il serait naïf de croire qu’un monde sans argent serait plus tolérable.
Fondements de la métaphysique des mœurs, Emmanuel Kant, 1785
Kant a pensé la particularité de la personne humaine comme placée au-dessus de tout prix. Il fait reposer la valeur absolue et incomparable de l’homme sur sa nature morale, c’est-à-dire sa capacité d’obéir à sa raison plutôt qu’à ses tendances spontanées. Cette liberté morale ne peut ni s’acheter, ni se vendre, de même que son corps, qui en est inséparable. A cette créature rationnelle est attachée une « dignité » inaliénable. Le concept kantien de la dignité de la personne est à la base du système moderne des droits de l’homme. Il est essentiel de le maintenir vivace dans notre droit positif.
L’argent
Conception latine : l’argent est suspect, sinon honteux.
Conception anglo-saxonne : produire de la richesse est un acte moral.
Sondage 2006
Considèrent le capitalisme comme une « bonne chose » :
o 72 % des Chinois / 80% des Russes : deux peuples qui ont payé pour savoir ce qu’était le communisme.
o 37% des Français.
600 et 560 av. J.-C.
Les premières pièces sont frappées à Sardes, capitale de la Lydie (à l’ouest de la Turquie actuelle). Ce royaume doit sa richesse à une rivière nommée Pactole, dont le roi le plus célèbre est Crésus.
L’essai sur le don, Marcel Mauss, 1924
« Ce sont nos sociétés d’Occident qui ont, très récemment, fait de l’homme un « animal économique. Mais nous ne sommes pas encore tous des êtres de ce genre. (…) L’homo oeconomicus n’est pas derrière nous, il est devant nous ».
L’Obscénité démocratique, Régis Debray, 2007
« Quand un ambassadeur de France regagne son poste à Singapour, Rome ou New York en classe éco, tandis que les chefs d’entreprise, directeurs de banque et communicants voyagent dans le même avion en première classe, on peut dire d’avance qui, dans leur pays de résidence, tient le haut du pavé ».
Entretien au Monde, Fernand Braudel, 1985
« L’inadéquation de la France à la vie économique du monde est un des traités de son identité ».
Not olet
L’argent n’a pas d’odeur, aurait répondu l’empereur romain Vespasien à ceux qui lui reprochaient d’instituer une taxe sur les toilettes publiques.
