L'homme providentiel Flashcards
Mythes et mythologies politiques, Raoul Girardet, 1986
L’homme serait structuré par 4 grands mythes : « le complot », « l’âge d’or », « l’unité nationale », « le sauveur ». Ces constructions imaginaires permettent de rendre aux sociétés leur cohésion dans les moments de crise, de doute ou de perte de valeur. L’homme providentiel renvoi surtout à celui du sauveur. Il identifie 4 grands types de personnages :
(1) Le « modèle d’Alexandre le Grand » : dirigeants dont la légitimité est ancrée dans le présent immédiat et connaissent une gloire étincelante, puis spectaculaire effondrement (ex : N. Bonaparte).
(2) Le « modèle Cincinnatus » : vieille homme expérimenté qui, après avoir autrefois rendu service à la nation, s’est retiré, et que l’on rappelle pour faire face à un nouveau danger (ex : maréchal Pétain).
(3) Le « modèle Solon » : père fondateur, dont la sagesse fait la légitimité (ex : Georges Washington aux Etats-Unis).
(4) Le « modèle du prophète Moïse » (ex : action du général de Gaulle en 1958).
En France, depuis la Révolution, la vie politique semble dominée par l’espoir d’un sauveur qui viendrait régler tous les problèmes du pays
Si Jeanne d’Arc apparaît comme une figure providentielle au 15e siècle, le thème du sauveur ne se développe qu’après la Révolution.
19e siècle : N. Bonaparte, écrase tout son siècle de prestige, exemple d’un individu parti de rien, finissant par dominer l’Europe par l’effet de sa volonté.
20e siècle : Georges Clemenceau arrache la victoire en 1917 et Raymond Poincaré s’efforce de régler les problèmes de l’immédiat après-guerre). Le maréchal Pétain, en 1940, son arrivée au pouvoir est saluée comme une « divine surprise » par Charles Maurras. De Gaulle, animé d’une vision providentialiste de l’histoire nationale, persuadée que son destin le conduirait à sauver le pays.
Aujourd’hui, le système et la médiatisation de la vie politique entretiennent l’attente d’un homme doté de qualités exceptionnelles
(1) Institutions de la Ve République : œuvre d’un homme providentiel, taillées pour des situations et individus exceptionnels.
(2) Campagnes présidentielles : En 2007, S. Royal s’identifie à Jeanne d’Arc et N. Sarkozy à Bonaparte, à 48h du 1er tour, il se faisait filmer en Camargue, chevauchant un cheval blanc nommé Univers. F. Hollande, à l’inverse, a insisté sur le souci d’être un « président normal », il semble toutefois avoir déçu, comme si les Français ne pouvaient se passer d’un dirigeant fort et charismatique. E. Macron revendique une posture « jupitérienne ».
Leçons sur la philosophie de l’histoire, Hegel, 1837
L’histoire marche vers la liberté, et les grands hommes sont les instruments grâce auxquels émerge à chaque étape un ordre nouveau. Par exemple, alors qu’un seul homme était libre dans l’Égypte pharaonique, plusieurs l’étaient dans l’Athènes démocratique et tous le sont dans les sociétés modernes. En ce sens, les grands hommes sont qui expriment le mieux leur temps, assure leur réussite, mais ils n’en n’ont pas vraiment conscience. Par exemple, Alexandre le Grand, César ou Napoléon pensent assouvir leurs ambitions personnelles, alors qu’ils accomplissent un dessein supérieur, répandre l’idée de liberté sur de plus vastes territoires. Ils ne comprennent pas mieux leur temps que les autres, sauf peut-être s’ils ont lu Hegel.
L’Invention démocratique, Claude Lefort, 1981
La démocratie moderne souffre du déficit symbolique qui lui est consubstantiel. En effet, elle apparaît comme « le lieu vide de pouvoir » à la différence nette avec la monarchie d’Ancien Régime qui s’incarnait dans le « double corps du roi », et possédait en quelque sorte une substance éternelle. En démocratie, l’autorité n’appartient à personne. La politique n’est qu’un ensemble d’instruments, mis temporairement à la disposition de ceux qui détiennent la majorité. À tout moment, la parole d’un juge, d’un savant ou d’un sage peut invalider la leur, et le peuple peut les révoquer la voix des urnes. A l’inverse, dans les régimes de type autoritaire, ou totalitaire, le pouvoir et le peuple ne font qu’un. L’appel à un dirigeant exceptionnel comblerait donc sans doute le vide laissé par la disparition de la monarchie d’Ancien régime (éternelle, sacrée thaumaturgique). L’homme providentiel serait la figure du souverain messianique d’avant la Révolution.
Pour faire un homme providentiel, il faut
(1) Une rencontre entre un discours et les attentes d’une société sous tension.
(2) Un récit mettant en scène le caractère exceptionnel du sauveur et qui peut être fabriqué de toutes pièces.
Ex : Napoléon exige la publication dans les journaux officiels de ses propres exploits.
(3) Après sa chute ou son départ du pouvoir, il continue à travailler sa légende.
Ex : Ouvrage Les Chênes qu’on abat.., André Malraux, issu d’un entretien avec le général De Gaulle.
(4) Une tendance naturelle à afficher sa proximité avec ses électeurs et à instruire le procès des élites.
Ex : De Gaulle manifeste son mépris contre les politiciens qui « vont à la soupe », c’est-à-dire qui ont une attitude opportuniste, privilégiant leur intérêt personnel au détriment de l’intérêt général.
Les régimes fondés sur un pouvoir charismatique sont fragiles
humain, l’homme providentiel a ses faiblesses. Il peut décevoir ou succomber à la tentation de la tyrannie à mesure que sa propagande et ses succès l’ont convaincu de son infaillibilité (d’autant que c’est souvent un militaire). Cependant, une fois qu’il s’est imposé, il est confronté à la quotidienneté du pouvoir, propre à éroder les mythes les plus prégnants. Si le chef échoue, vieillit ou révèle ses faiblesses, sa légitimité s’effondre. C’est pourquoi les régimes / mouvements fondés sur le charisme du dirigeant sont rarement pérennes. Le sauveur doit sans cesse refonder sa légitimité par de nouveaux exploits qui rappellent au peuple combien il est exceptionnel et indispensable. Par exemple, le régime gaullien s’achève sur un pari raté, en 1969, quand il lie de façon imprudente son destin au résultat du référendum qui n’était pas essentiel pour le pays.
L’homme vraiment providentiel pour son peuple est celui qui s’inscrit dans la continuité nationale
Il permet à la vie politique de reprendre son cours normal après en créant les conditions de son propre dépassement.
Napoléon Bonaparte a légué ces « masses de granit » qui n’ont pas été remises en cause par les régimes ultérieurs et qui continuent à structurer le pays (préfets, lycées, code civil, légion d’honneur, etc.). Lorsqu’il fait ses adieux à ses officiers de Fontainebleau, en 1814, il leur demande de servir sans sourciller son successeur. La continuité nationale est plus importante que la fidélité de sa personne.
De Gaulle. En 1958, il mène un changement de régime, mais demeure dans le cadre démocratique et respecte les libertés républicaines. Il a souligné dans une conférence de presse de mai 1958, qu’il n’avait pas l’intention à 67 ans, de « commencer une carrière de dictateur ».
Principes du gouvernement représentatif, Bernard Manin, 1995
La démocratie représentative vaut avant tout parce qu’elle offre la possibilité aux citoyens de demander des comptes aux représentants à la fin de leur mandat et de les congédier si leur action au pouvoir n’est pas jugée satisfaisante. Il est essentiel que l’autorité accordée à un homme providentiel soit limité par des contre-pouvoirs afin qu’il ne considère pas le pouvoir comme sa propriété. Cependant, encore faut-il que les citoyens exercent ce pouvoir et ne se désintéressent pas de la vie publique.
Il faut renouer avec la tradition rationaliste française de Montaigne (Essais) ou Pascal (Pensées)
C’est souvent le besoin d’admiration des individus qui leur fait exagérer les mérites du chef. Or, il faut rappeler les détenteurs du pouvoir à leur condition humaine. Cependant, cette philosophie n’exclut pas l’obéissance envers les dirigeants de la communauté. D’ailleurs, Alain souhaite combiner « ces deux vertus du citoyen », « résistance et obéissance » : « Par l’obéissance, il assure l’ordre, par la résistance il assure la liberté ».
Homme providentiel
Figure classique du chef : Dirigeant ou meneur qui, soudain, se dresse et parvient à transcender la difficulté présente, en ouvrant une voie nouvelle.
Dimension supplémentaire irrationnelle : Il apparaît dans les périodes de crise comme un sauveur chargé d’une sorte de mission historique, à savoir résoudre les problèmes qui se posent à la nation ou la société à un moment donné, quitte à se sacrifier au passage. Il se situe le plus souvent en dehors du jeu politique classique, il surgit, tel un messie ou un prophète, et bouleverse la donne parce qu’il possède des dons exceptionnels que les autres n’ont pas.
Sondage Ifop, 2015
67% des Français estimaient qu’il faudrait confier la direction du pays à des « experts non élus » ;
40% des Français se disaient « favorable à un régime autoritaire ».
Les Hommes providentiels, Histoire d’une fascination française, Jean Garrigues, 2012
« on peut même considérer que l’histoire du monde au XXe siècle a été faite par une cohorte d’hommes « providentiels », issus des guerres civiles, des guerres mondiales ou des mouvements de décolonisation ».
L’appel au soldat, Maurice Barrès, 1900
« L’imagination populaire simplifie les conditions du monde réel ; elle suppose que, pour faire son bonheur, il suffit d’un homme de bonne volonté ».
Les Héros, Thomas Carlyle, 1841
« L’histoire des hommes n’est rien d’autre que l’histoire des grands hommes ».
Propos, Alain
« tout peuple qui s’endort en liberté se réveillera en servitude […] Le tyran peut être élu au suffrage universel et n’être pas moins tyran pour cela. Ce qui importe n’est pas l’origine des pouvoirs, c’est le contrôle continu et efficace que les gouvernés exercent sur les gouvernants. »
Essais, Montaigne
« Et au plus élevé trône du monde, si ne sommes-nous assis, que sus notre cul ».
Pensées, Pascal
Pascal rappelle combien l’imagination est nécessaire aux « magistrats » et aux « grands » en général.
« Qui dispense la réputation, qui donne le respect et la vénération aux personnes, aux ouvrages, aux lois, aux grands, sinon cette faculté imaginante ? […] Leurs robes rouges, leurs hermines dont ils s’emmaillotent en chats fourrés, les palais où ils jugent, les fleurs de lys, tout cet appareil auguste était fort nécessaire, et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre [c’est-à-dire à cette apparence] si authentique ».
