Cours 10 La schizophrénie Flashcards

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Q

schizophrénie

A

La schizophrénie est un trouble psychotique caractérisé par de graves anomalies cognitives, émotionnelles et compor-tementales, par une pensée désorganisée qui produit des idées décousues, par un déficit de perception et d’attention, un affect plat ou inapproprié et un comportement moteur anormal. La personne souffrant de schizophrénie se replie sur elle-même, fuit la réalité et se retire souvent dans un monde imaginaire peuplé d’idées délirantes et d’hallucinations.

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Q

Le terme «schizophrénie» (qui signifie « esprit fendu») a été introduit par Bleuler (1911). Toutefois, Keshavan, Tandon et Nasrallah (2013), les éditeurs de la revue Schizophrenia Research, soutiennent que ce terme doit incessamment être modernisé et remplacé pour au moins deux raisons princi-pales.

A

Premièrement, il serait plus juste de parler de «schi-zophrénies » pour refléter les divers types de schizophrénie.
Deuxièmement, le nom actuel ne dit rien du symptôme peut-être le plus fondamental de cette maladie, soit une perception anormale, et il véhicule des stéréotypes à l’égard des personnes qui en souffrent. Les auteurs prédisent qu’avec le temps, le terme diagnostique « schizophrénie » cédera la place à des termes comme «trouble de l’intégration», «syndrome de susceptibilité à la psychose» ou « trouble de dysrégulation dopaminergique ». Toutefois, bien que le changement proposé soit logique, il est peu probable pour le moment, tant le terme «schizophrénie » est ancré dans l’usage.

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3
Q

La schizophrénie est l’une des psychopathologies les plus graves que nous étudierons dans ce manuel

A

comme en témoignent les taux de mortalité qui y sont associés. En effet, le taux de mortalité chez les personnes souffrant de ce trouble est plus élevé dans tous les groupes d’âge et on estime que leur espérance de vie est plus courte de 20 ans par rapport à celle de la population en général. En outre, des données récentes démontrent que cet «écart du taux de mortalité » est peut-être
en train de se creuser (Laursen, Nordentoft et Mortensen, 2014).
Les facteurs de risques liés à une mort prématurée englobent la consommation de drogues illicites, les effets secondaires des antipsychotiques, un faible engagement familial et une première rémission tardive des symptômes

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4
Q

Quel est le taux de prévalence de la schizophrénie?

A

Selon une revue de 65 études menées de 1990 à 2013, la prévalence moyenne sur 12 mois est de 0,33% et sa prévalence moyenne à vie entière serait de 0,48% (Simeone et collab., 2015). Comme nous l’avons mentionné plus tôt, ces valeurs sont nettement plus faibles que les estimations présentées dans les études effectuées avant 1990.

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5
Q

Les critères diagnostiques de ce trouble s’appliquent-ils à toutes les cultures? L’expression des symptômes de la schizophrénie varie-t-elle d’une culture à l’autre?

A

Une méta-analyse des taux de prévalence et d’incidence réalisée par des chercheurs canadiens (Goldner, Hsu, Waraich et Somers, 2002) a mis en lumière des variations réelles selon l’origine géogra-phique, les populations asiatiques présentant les taux de prévalence les plus faibles. Cette maladie touche beaucoup plus d’hommes que de femmes, puisque le ratio hommes-femme est de 1,4 (McGrath, 2006). Myers (2011) a résumé ainsi les données existantes sur ce sujet: « Les nouvelles études donnent à réfléchir, car elles continuent de démontrer que l’incidence de la schizophrénie, de même que ses symptômes, son évolution et son issue pour les personnes qui reçoivent ce diagnos-tic, semblent varier en fonction du contexte culturel. » (Myers, 2011, p. 305. Traduction libre)
Des analyses continuent de mettre en évidence des variations ethniques, y compris chez les réfugiés et les immigrants au Canada. En effet, ceux-ci sont plus ou moins prédisposés à souffrir de schizophrénie selon leur pays d’origine, comme en témoigne une étude récente menée auprès d’immigrants et de réfugiés de première génération en Ontario (Anderson et collab., 2015). Les chercheurs ont décelé des taux plus élevés de troubles psychotiques chez les immigrants des Antilles et des Bermudes. En général, les taux de prévalence des symptômes comme les hallucinations auditives et visuelles sont plus élevés chez les personnes d’origine africaine (Bauer et collab.,
2011), tandis que, chez des personnes originaires de certains pays comme l’Inde, en particulier le sud, les taux de rémission sont nettement meilleurs. Les causes de ces différences sont multifactorielles, mais plusieurs facteurs peuvent varier selon les cultures, notamment: l’exposition à des expériences de vie traumatiques, le degré de préjudice social et les différences en ce qui touche les réactions de la famille et la façon dont elle interprète les symptômes de la maladie (Myers, 2011). Myers (2012) a intégré ces facteurs dans un modèle neuro-anthropologique appliqué de la psychose qui se rapproche beaucoup du modèle biopsychosocial parce qu’il prend en compte l’interaction de «la culture, de la pensée et de l’expérience » (p. 113). La chercheuse a souligné la nécessité de mener des études « fondées sur la culture » dans lesquelles les chercheurs tiennent compte des expériences de vie lorsqu’ils étudient le cerveau d’un individu et les caractéristiques des épisodes psychotiques.

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6
Q

Bien que la schizophrénie apparaisse parfois pendant l’enfance, elle apparaît généralement vers …

A

la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte, un peu plus tôt chez les hommes que chez les femmes. Les personnes touchées peuvent connaître un certain nombre d’épisodes aigus. Entre ces épisodes, leurs symptômes sont souvent moins graves, bien qu’ils soient parfois très débilitants. La plupart des personnes souffrant de schizophrénie sont traitées dans la communauté, mais elles doivent parfois être hospitalisées. Après avoir étudié de nouveaux cas de schizophrénie en Nouvelle-Écosse, les chercheurs Whitehorn, Richard et Kopala (2004) ont conclu que l’hospitalisation n’était pas nécessaire pour près de la moitié d’entre eux (46 %). Néanmoins, les personnes qui avaient reçu un premier diagnostic de schizophrénie pendant un séjour à l’hôpital ou qui résidaient dans une région rurale étaient plus susceptibles de nécessiter des soins hospitaliers supplémentaire
s au cours de la première année de traitement.

Au Canada, les jeunes hommes présentent des taux d’hospitalisation beaucoup plus élevés que les jeunes femmes (voir la figure 11.1). La schizophrénie touche 19,9% des patients des hôpitaux généraux et 30,9% des patients des établissements psy-chiatriques. Environ 10% des personnes souffrant de ce trouble meurent par suicide (Gouvernement du Canada, 2006). Malgré les progrès récents en matière de traitement, un grand nombre de personnes avec une schizophrénie présentent des déficits importants. Ces déficits peuvent découler des symptômes inhérents à la schizophrénie, aux déficits neurocognitifs et socioco-gnitifs, et des troubles concomitants (p. ex., la toxicomanie), qui affectent environ 50 % de ces personnes

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7
Q

Les taux de rémission

A

Les taux de rémission étaient plus variables avant 2005, année où le groupe de travail Remission in Schizophrenia Working Group sur la rémission des troubles de la schizophrénie a établi des critères standards. Selon une analvse récente publiée dans la Harvard Review of Psychiatry, ces taux varient considérablement d’une étude à l’autre. Toutefois, les auteurs concluaient qu’un peu plus d’une personne sur trois voit ses symptômes diminuer temporairement (soit 35,6% après un premier épisode de schizophrénie et 37,0% après de multiples épisodes) (AlAqeel et Margolese, 2012). La rémission s’accompagnait généralement de symptômes initiaux légers, d’un meilleur fonctionnement avant la maladie, d’une réponse plus rapide au traitement et d’une durée plus courte de la psychose non traitée.
En 2004, on estimait à 234 305 le nombre de cas de schizophrénie au Canada. Globalement, cette maladie a provoqué 374 décès cette année-là. Le total des coûts associés à ce trouble, y compris les coûts des soins de santé et de la perte de productivité due à une morbidité et une mortalité précoces, a été estimé à 6,9 milliards de dollars, dont 70% étaient attribuables à la perte de productivité (Goeree et collab., 2005).
Les troubles concomitants semblent avoir une incidence sur l’apparition, la gravité et l’évolution de la schizophrénie.

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8
Q

Des chercheurs canadiens ont étudié la comorbidité des troubles des Axes l et l au sein d’un echantillon communautaire compose d’adultes au prises avec la schizophrénie (U.S. National Epidemiologic Sur. ver of Alcohol and Related Conditions). Ils ont conclu que:

A
  • les troubles de la personnalité concomitants (p. ex., les per. sonnalités évitantes, paranoiaques, dépendantes et antiso. ciales) sont courants et influent sur l’évolution et la gestion clinique de la schizophrénie;
  • le traitement devrait comprendre une évaluation des trou. bles concomitants liés à l’usage d’une substance (en particulier l’usage de l’alcool et du cannabis ou la dépendance à ces substances);
  • il pourrait être important, pour obtenir un résultat « optimal», de prêter attention aux symptômes concomitants des troubles de l’humeur (en particulier le trouble dépressif caractérisé) et des troubles anxieux (en particulier la phobie sociale).
    L’usage concomitant d’une substance constitue un problème majeur pour les personnes atteintes de schizophrénie. Swartz et ses collaborateurs (2006) ont signalé que dans un échantillon de sujets atteints de cette maladie, 37% d’entre eux souffraient manifestement d’un trouble lié à l’usage d’une substance. De plus, ils ont constaté que le phénomène était particulièrement courant chez les hommes et que les troubles des conduites chez l’enfant constituent de puissants facteurs de risque en ce qui a trait aux troubles de l’usage d’une substance associés à la schizophrénie.
    Conley et ses collaborateurs (2007) ont effectué une étude prospective du lien entre les symptômes dépressifs et les perturbations du fonctionnement chez des sujets souffrant de schizophrénie et qui suivaient un traitement depuis longtemps.
    Environ 40 % d’entre eux étaient déprimés au départ. Au cours des trois années suivantes, par rapport à ceux d’un groupe temoin formé de sujets non déprimés, les sujets atteints de schizophrénie et qui étaient aussi déprimés étaient plus susceptibles de nécessiter des soins de santé mentale en raison d’une rechute, et de soulever des inquiétudes liées à la sécurité (violence, arrestation, victimisation, suicide). Ces personnes sont également plus à risque de présenter des problèmes liés à l’usage d’une substance et de signaler une détérioration de leur satisfaction de vivre, de leur qualité de vie, de leur fonctionnement mental, de leurs relations familiales et de l’observance de leur traitement pharmacologique.
    no’ Les troubles anxieux concomitants peuvent imposer un fardeau additionnel aux personnes souffrant de schizophrénie et diminuer encore davantage leur qualité de vie perçue
    (Braga, Mendlowicz, Marrocos et Figueira, 2005). Une méta-analyse réalisée par une équipe de chercheurs canadiens a mis en lumière une forte prévalence de troubles anxieux concomitants dans les troubles du spectre de la schizophrénie et des autres troubles psychotiques. Le trouble anxieux concomitant le plus prévalent était l’anxiété sociale, et les chercheurs ont estimé qu’il affectait 14,9 % des sujets souffrant de schizophrénie
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9
Q

Les symptômes cliniques de la schizophrénie

A

Quand je suis dans un état psychotique, j’ai l’impression d’être une âme désincarnée. Je rencontre des rois de contes de fées, des personnages chimériques. Parfois, je suis tellement absorbée dans mon fantasme que je ne me rends même pas compte qu’il y a des gens normaux autour de moi. Il m’est arrivé de me prendre pour Jeannot Lapin et de ne manger que de la nourriture pour les lapins. Un jour, j’ai cru que j’étais Saint-Michel archange et que je pouvais guérir les autres. Une autre fois, j’ai eu l’impression que mon corps était parcouru de courants électriques qui me contrôlaient et que, si je n’arrivais pas à les maîtriser, ils tueraient des gens. C’était terri-fiant. Ouand cela m’arrive, cela me paraît tout à fait réel.
Sandy, une femme de 37 ans souffrant de schizophrénie.
Tiré du film Full of Sound and Fury, réalisé par l’Office national du film du Canada. Traduction libre) les symptômes de la schizophrénie entraînent des déficits dans plusteurs domaines majeurs: la pensée, la perceptent et ‘attention, mais ils touchent également le comportement moteur, l’expression émotionnelle et le fonctionnement que-idien. Ce diagnostic est associé à un large éventail de sympo.
MOnes qui lagnostic est as sarement tous en mente relatie le DSM précise aies enoins deux symptômes doivent etre présents pour justifier le diagnostic, ainsi que le degré de gra-vité. La durée du trouble est aussi déterminante.
Aucun symptôme particulier n’est indispensable pour justifier un diagnostic de schizophrénie, quoique le DSM-5 exige maintenant que, pour recevoir ce diagnostic, la personne souffre soit d’idées délirantes soit d’hallucinations. Walter Heinrichs (1993, 2001), de l’Université York, estime que la clé pour comprendre la schizophrénie est de reconnaître son hétérogénéité empirique et conceptuelle. Il observe que:
[…] la manifestation, l’évolution et l’issue de la schizophrénie sont variables et diversifiées. Certains clients ont des idées délirantes, mais pas d’hallucinations. D’autres deviennent isolés socialement et n’affichent des symptômes psychotiques «positifs » que plus tard. Certains clients ont des antécédents d’inadaptation sociale et scolaire antérieurs à leur maladie. D’autres semblent s’être épanouis jusqu’à qu’ils soient frappés par un premier épisode psychotique. Les preuves actuelles indiquent qu’il est difficile de trouver des traits ou des caractéristiques spécifiques communes à toutes les personnes qui reçoivent un diagnostic de schizophrénie.
(Heinrichs, 1993, p. 222. Traduction libre)
Cette hétérogénéité laisse croire qu’il pourrait être approprié de classer les personnes souffrant de schizophrénie dans des sous-tvpes associés à des constellations particulières de symptômes. Nous examinerons plusieurs types de symptômes reconnus plus loin dans ce chapitre, mais nous présenterons d’abord les deux grandes catégories de symptômes, positifs et négatifs, propres à cette maladie, et nous décrirons aussi certains symptômes qui ne correspondent pas parfaitement à ces deux catégories.

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10
Q

Les symptômes positifs

A

Les symptômes positifs se caractérisent par une exagération ou une distorsion: discours désorganisé, hallucinations et idées délirantes. Ils caractérisent en grande partie un épisode aigu de schizophrénie. Ils représentent des comportements exagérés qui ne sont pas apparents chez la plupart des gens, tandis que les symptômes négatifs (décrits plus loin) évoquent l’absence de comportements adoptés par la plupart des gens normaux. Nous décrivons maintenant les symptômes positifs qui impliquent une exagération de certains traits.

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11
Q

Le discours désorganisé

A

Aussi appelé « trouble de la pensée», le discours désorganisé désigne la difficulté à organiser ses idées et son discours de manière à être compris.

L’extrait ci-dessus illustre l’incohérence des propos de certaines personnes souffrant de schizophrénie. Bien qu’elles reviennent souvent sur une idée ou un thème central, elles sautent du coq à l’âne. Dans ce cas-ci, il est difficile de comprendre exactement ce que le client tente d’exprimer.
Le discours peut aussi être désorganisé par ce qu’on appelle des associations libres, ou relâchement des asso-ciations. Dans ce cas, la personne réussit à communiquer avec un interlocuteur, mais elle passe constamment d’un sujet à un autre. Elle s’égare dans une suite d’associations évoquées par une idée du passé. Des clients ont eux-mêmes décrit cet état.
À une époque, la désorganisation du discours était consi.
dérée comme le principal symptôme clinique de la schizophré. nie et elle demeure l’un des critères diagnostiques de cette maladie. Toutefois, des preuves indiquent que de nombreuses personnes avec une schizophrénie ne remplissent pas ce critère et que la désorganisation du discours ne permet pas de distin. guer facilement la schizophrénie d’autres psychoses, comme Certains troubles de l’humeur (Andreasen, 1979). Ainsi, les associations libres sont communes aux épisodes maniaques et à la schizophrénie.

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12
Q

Les idées délirantes

A

Songez à l’angoisse que vous ressentiriez si vous aviez la ferme conviction que beaucoup de gens ne vous aiment pas - qu’en fait, ils vous détestent au point de comploter contre vous. Imaginez que vos persécuteurs complotent pour vous discréditer et qu’ils ont installé des dispositifs d’écoute afin de capter vos conversations les plus intimes et de recueillir des preuves contre vous. Les membres de votre entourage, y compris vos proches, tentent en vain de vous rassurer en vous disant que personne ne vous espionne. Dans votre esprit, même vos amis les plus intimes se joignent un à un à vos persécuteurs. Natu-rellement, la situation vous angoisse ou vous met en colère, et vous prenez des mesures pour neutraliser vos persécuteurs imaginaires. Chaque fois que vous entrez dans une pièce, vous l’inspectez soigneusement pour voir si elle contient des dispositifs d’écoute. Quand vous rencontrez une personne pour la première fois, vous l’interrogez longuement pour déterminer si elle trempe dans le complot contre vous.
Ces idées délirantes sont des convictions fermes malgré les preuves contraires qui constituent des symptômes positifs courants de la schizophrénie. Une étude menée auprès d’un vaste échantillon de sujets atteints de schizophrénie dans plusieurs pays a révélé que 65% d’entre eux présentaient
un délire de persécution

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13
Q

Les idées délirantes peuvent prendre plusieurs formes.

A

Les descriptions ci-dessous ont été formulées par Mellor

  • La personne est la cible de sensations corporelles ou de pensées qui lui sont imposées par une entité externe.
Un homme décrit «des rayons X qui pénètrent dans mon corps par l’arrière de mon cou, là où ma peau picote et devient chaude; ils descendent dans mon dos jusqu’à ma taille sur une bande d’environ 15 cm de largeur qui picote et qui brûle. Puis ils disparaissent dans mon bassin qui s’en-gourdit et devient froid et dur comme un bloc de glace. Ils m’empêchent d’avoir une érection. » (p. 16)
  • La personne croit que ses pensées sont diffusées ou transmises en direct, de sorte que les autres savent toujours ce qu’elle pense.
«Pendant que je réfléchis, mes pensées sortent de ma tête sur une sorte de ruban en papier. Les gens autour de moi n’ont qu’à faire défiler le ruban dans leur tête pour connaître mes pensées. » (p. 17)
  • La personne pense qu’une force externe lui vole ses pensées de façon soudaine et inattendue. «Je pense à ma mere quand soudain, mes pensées sont aspirées hors de ma tête par un extracteur phrénologique; il ne reste plus rien dans ma tête, elle est vide. » (p. 16-17)
  • La personne croit que ses sentiments sont contrôlés par une force extérieure.
    «Je pleure, mes larmes coulent et j’ai l’air malheureux, mais au fond de moi, j’éprouve une colère froide parce qu’ils m’utilisent de cette façon; ce n’est pas moi qui suis mal-heureux, mais ils projettent leur tristesse dans mon esprit.
    Ils projettent leur joie sur moi sans raison et vous ne pouvez pas imaginer à quel point c’est horrible de rire et d’avoir l’air heureux en sachant que ces émotions ne sont pas à vous, mais à eux. » (p. 17)
  • La personne croit que son comportement est contrôlé par une force extérieure.
«Quand je tends la main pour prendre le peigne, ce sont ma main et mon bras qui bougent, mais mes doigts prennent le peigne, et je n’y suis pour rien… Je les regarde bouger, ils sont autonomes et ce qu’ils font n’a rien à voir avec moi. […] Je ne suis qu’une marionnette manipulée par des ficelles cosmiques. Une traction sur les ficelles fait bouger mon corps sans que je puisse l’en empêcher. » (p. 17)
  • La personne croit qu’une force extérieure la pousse à adopter certains comportements.
[Un patient qui a vidé le contenu d’un urinal sur le chariot de repas tente de s’expliquer.] « J’ai été saisi par une impulsion soudaine. Elle ne venait pas de moi, elle est entrée en moi dans le département de radiologie où on m’a envoyé pour recevoir des implants hier. Je n’y étais pour rien, ils voulaient que ce soit fait. Alors j’ai pris le récipient et je l’ai vidé. Je n’ai pas pu m’en empêcher. » (p. 18)

Bien que les idées delirantes affectent plus de la moitié des per. sonnes souffrant de schizophrénie, ce symptôme, de même que la désorganisation du discours, est associé à d’autres diagnos-tics, notamment la manie et la dépression délirante. Cepen-dant, dans le cas de la schizophrénie, les idées délirantes sont souvent plus bizarres et très peu vraisemblables (Junginger, Barker et Coe, 1992).

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14
Q

Les hallucinations et les autres troubles de la perception

A

Les personnes souffrant de schizophrénie affirment souvent que le monde leur paraît différent en quelque sorte ou même irréel. Une personne explique que ses sensations corporelles ont changé ou que son corps est dépersonnalisé et agit comme une machine. Comme dans l’Étude de cas 11.1 présentée au début de ce chapitre, certaines personnes ont de la dificulte a rester conscientes de ce qui se passe autour d’elles.
Les troubles de la perception les plus dramatiques sont les hallucinations, des sensations perçues en l’absence de toute Stimulation extérieure. Elles sont plus souvent auditives que vsuelles; en effet, 74% des sujets d’un échantillon ont signalé avoir des hallucinations auditives (Sartorius et collab., 1974).
Comme les idées délirantes, les hallucinations peuvent être terrifiantes.
Certaines hallucinations revêtent une importance particulière pour le diagnostic parce qu’elles sont plus courantes dans la schizophrénie que dans les autres troubles psychotiques.

En voici quelques exemples (Mellor, 1970, p. 15-23. Traduction libre):

  • Certaines personnes souffrant de schizophrénie entendent leurs propres pensées énoncées par une voix étrangère. Une femme se plaignait d’entendre une voix masculine qui chuchotait intensément depuis un point situé à environ 60 cm au-dessus de sa tête. La voix répétait presque toutes ses pensées orientées vers un but, même les plus banales. Si elle pensait: « Je vais faire bouillir de l’eau », en moins d’une seconde, la voix reprenait: « Je vais faire bouillir de l’eau ».
    Ou souvent, elle disait le contraire: « Ne mets pas d’eau à bouillir ». (p. 16)
  • Certaines personnes affirment qu’elles entendent des voix se quereller.
Un homme dit avoir entendu des voix venant du bureau de l’infirmière. Une voix grave et rocailleuse répétait : « G. T. est un sacré paradoxe » et une deuxième voix plus aigué di-sait: « Tu as raison, il faudrait l’enfermer. » A l’occasion, une voix féminine intervenait: « Mais non, c’est un homme charmant. » (p. 16)
  • Certaines personnes entendent des voix qui commentent leur comportement.
Une femme entendait une voix qui venait d’une maison de l’autre côté de la rue. La voix, plate et monotone, décrivait les moindres gestes de la femme en y ajoutant des commentaires critiques: « Elle pèle des pommes de terre, elle prend l’économe, elle ne veut pas cette pomme de terre, elle la rejette parce qu’elle a une excroissance qui lui fait penser à un pénis, elle a l’esprit mal tourné, elle pèle des pommes de terre, maintenant elle les lave. » (p. 16)
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15
Q

Les symptômes négatifs

A

Les symptômes négatifs de la schizophrénie se traduisent par des déficits comportementaux, comme l’avolition, l’alo-gie, l’anhédonie, l’affect plat et l’asociabilité, des termes que nous décrivons plus loin. Ces symptômes persistent générale. ment au-delà d’un épisode aigu et ont un impact considérable sur la vie des personnes atteintes. La présence de nombreux symptômes négatifs est un puissant prédicteur d’une qualité de vie diminuée (p. ex., l’invalidité professionnelle, peu d’amis) au cours des deux années qui suivent l’hospitalisation (CME Institute, 2007). Il existe aussi certaines preuves que les symptômes négatifs sont associés avec la survenue précoce de lésions cérébrales (hypertrophie des ventricules) et avec la perte progressive des capacités cognitives (déclin du QI)

Il est important de différencier les symptômes négatifs qui sont propres à la schizophrénie de ceux qui sont causes par d’autres facteurs (Carpenter, Heinrichs et Wagman, 1988).
Ainsi, un affect plat (un manque d’expressivité émotionnelle) peut constituer un effet secondaire des antipsychotiques.
Observer les clients pendant de longues périodes est sans doute la seule façon d’y voir clair. De plus, comme Heinrichs
(1993) l’a souligné, les symptômes négatifs (tels qu’un affect plat) étant difficiles à distinguer de certains aspects de la dépression, le manque de spécificité diagnostique est problématique

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16
Q

L’avolition

A

L’apathie ou avolition se caractérise par un manque d’énergie et d’intérêt ou de persistance dans les activités quotidiennes habituelles. Les clients cessent de se préoccuper de leur apparence et de leur hygiène personnelle: ils ne sont pas coiffés, ont les ongles sales et portent des vêtements fripés. Ils manquent de persévérance au travail, à l’école ou dans les tâches ménagères et restent assis à ne rien faire pendant de longues périodes.
De nouvelles études révélatrices menées surtout au Canada laissent croire que certains symptômes négatifs ont des effets très néfastes, et que le manque de motivation associé à l’avolition ou à l’apathie semble particulièrement problématique. Globalement, ces études indiquent que ce trait pourrait être le principal déterminant du fonctionnement quotidien chez les personnes atteintes de schizophrénie (Foussias et collab., 2011; Foussias et collab., 2009, 2011). Ces conclusions concordent avec les résultats d’une étude longitudinale s’étendant sur 10 ans, qui montre que l’apathie est un prédic-teur unique d’une altération du fonctionnement quotidien et d’une évaluation négative de la qualité de vie (Evensen et collab., 2012).

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17
Q

L’alogie

A

L’alogie est un trouble de la pensée qui se manifeste par une diminution de la production du discours ou une pauvreté du contenu du discours. Dans ce dernier cas, illustré par l’extrait ci-dessous, la production du discours est adéquate, mais le dis-cours, vague et répétitif, donne peu d’informations
Intervieweur: Pourquoi les gens croient-ils en Dieu
selon vous?
Client:
Premièrement, Il est leur sauveur. Il marche avec moi et parle avec moi. Et euh, d’après ce que je comprends, il y a un tas de gens qui ne se connaissent pas eux-mêmes. Parce qu’ils ne… tous ils.. ne se connaissent pas tout simplement.
ils ne savent pas qu’il… euh… semble m’aimer, beaucoup d’entre eux ne comprennent pas qu’il marche et parle avec eux. Et euh… leur montre le chemin. Je comprends aussi que, tous les hommes et toutes les dames, ne vont pas dans la même direction. Certains vont dans une direction différente. Ils prennent des che. mins différents. Ils vont où Jésus-Christ veut qu’ils aillent. Comme moi. Il me montre des façons de … euh… distinguer le bien du mal, et de le faire, je ne peux pas faire plus, ni moins que ça.

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18
Q

L’anhédonie

A

L’anhédonie se manifeste par une incapacité à ressentir du plaisir et se traduit par un manque d’intérêt envers les activités récréatives et le sexe, et une incapacité à nouer des relations intimes. Les clients en sont conscients et admettent ne retirer aucun plaisir d’activités normalement considérées comme agréables.

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19
Q

L’affect plat

A

Les individus avec un affect plat affichent une absence com-plête ou presque complete d’expression émotionnelle quel que soit le stimulus. Le client a le regard vide et éteint, et son visage est atone. Quand on lui parle, il répond d’une voiX monocorde. Ce symptôme affecte la majorité des personnes souffrant de schizophrénie. Ce concept désigne uniquement l’expressivité émotionnelle et non l’expérience intérieure de la personne, qui n’est pas nécessairement appauvrie. Lors d’une étude menée par Kring et Neale (1996), on a enregistré les réactions faciales et la conduction cutanée de personnes avec une schizophrénie pendant qu’on leur projetait des extraits de films. Après chaque clip, les sujets évaluaient l’humeur que le film avait générée en eux. Or, même si les personnes avec une schizophrénie présentaient un visage beaucoup moins expressif que les autres sujets, ils ont décrit une intensité émotive à peu près égale et leurs réactions physiologiques étaient même plus prononcées.

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20
Q

L’asociabilité

A

Les personnes souffrant de schizophrénie ont parfois des difficultés sociales importantes, une caractéristique appelée asociabilité. Elles ont peu d’amis, manifestent des aptitudes sociales limitées et ne recherchent pas la compagnie de leurs semblables. Une étude menée auprès de clients du Programme de traitement de la schizophrénie de Hamilton (Onta-rio) a révélé que les sujets qui avaient reçu un diagnostic de schizophrénie se caractérisaient par une sociabilité appauvrie et une plus grande timidité (Goldberg et Schmidt, 2001). Ils ont également signalé des « difficultés sociales » plus impor tantes dans l’enfance. Ces manifestations de la schizophrê-nie sont souvent les premières à apparaître, dans l’enfance, avant la survenue de symptômes plus psychotiques. Certains déficits interpersonnels pourraient refléter des déficits de cognition sociale telle que l’incapacité à reconnaître certains indices émotionnels exprimés par les autres.

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Les autres symptômes

A

Certains auteurs, par exemple, Heinrichs, (1993, 2001), ont contesté l’utilité de la distinction entre les symptômes positifs et négatifs. Le problème, c’est que ces deux types de symptômes ne correspondent pas nécessairement à des sous-types exclusifs, car ils coexistent souvent chez la même personne. De plus, plusieurs autres symptômes de la schizophrénie ne correspondent pas parfaitement au schéma positif-négatif, par exemple, la catatonie, et les affects inappropriés, qui sont deux symptômes importants. De plus, plusieurs personnes peuvent afficher divers comportements bizarres. Ils soliloquent dans les endroits publics, amassent de la nourriture ou collectionnent des rebuts.

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La catatonie

A

La catatonie est caractérisée par plusieurs anomalies du comportement moteur. Certains clients font des gestes stéréotypés, en utilisant des séquences singulières et parfois complexes de mouvements du doigt, de la main et du bras qui semblent orientés vers un but malgré leur bizarrerie. D’autres affichent un état d’excitation inhabituel: ils s’agitent, battent l’air des bras et manifestent une forte dépense d’énergie similaire à celle de la manie. À l’autre extrémité du spectre se trouve la stupeur, qui consiste à maintenir une posture curieuse durant de longs moments. Une personne peut se tenir sur une jambe, en repliant l’autre sous son fessier, et conserver cette position presque toute la journée. La catatonie fait parfois intervenir une malléabilité de poupée de cire, appelée flexibilité cireuse, dans laquelle la personne conserve la position imposée par autrui durant de longues périodes.

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Les affects inappropriés

A

Les individus souffrant de schizophrénie présentent parfois des affects inappropriés, soit des réponses émotionnelles dis-cordantes; ainsi, le client peut éclater de rire à la nouvelle du décès de sa mère ou piquer une crise de colère lorsqu’on lui demande simplement si un nouveau vêtement lui fait. Ces clients passent rapidement d’un état affectif à l’autre sans raison notable. Ce symptôme plutôt rare est très important pour l’établissement du diagnostic parce qu’il est plutôt propre à la schizophrénie.
. Les symptômes de la schizophrénie ont un impact profond sur la vie des personnes atteintes, ainsi que sur celle de leur famille et de leurs amis. Les idées délirantes et les hallucinations peuvent engendrer un stress considérable, auquel s’ajoutent un retrait social et la crainte de la stigmatisation sociale. La personne perd ses amis en raison de son isolement social et de ses déficits sociaux, et finit par mener une existence solitaire.
Les déficits cognitifs (sociocognitifs et neurocognitifs) sont en fait les prédicteurs les plus puissants de cette incapacité sociale (Liddle, 2000).

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Q

Nous abordons maintenant l’historique du concept de schizophrénie et son évolution.
Les premières descriptions

A

Le concept de schizophrénie a été élaboré par deux psychiatres européens, Emil Kraepelin et Eugen Bleuler. Kraepelin avait introduit la notion de démence précoce, l’ancien nom de la schizophrénie, en 1898. Il distinguait deux principaux groupes de psychoses endogènes (dues à une cause interne): la folie maniacodépressive et la démence précoce. Celle-ci englobait plusieurs concepts diagnostiques - la démence paranoiaque, la catatonie et l’hébéphrénie (terme qui désignait la schizophré. nie de type désorganisé) - que les cliniciens des décennies précédentes concevaient comme des entités distinctes. Kraepelin croyait que ces deux maladies avaient un noyau commun: une apparition précoce et une détérioration intellectuelle progressive (démence). Le type de démence dont il est question ici se distingue des démences que nous avons décrites dans le chapitre sur le vieillissement (voir le chapitre 16), qui se définissent surtout par de graves déficits de la mémoire. Le terme emplové par Kraepelin désigne un processus d’« abêtissement » général.
Ouant à Eugen Bleuler, sa définition se voulait une tentative de cerner la nature de la maladie sans toutefois insister sur lage d’apparition et l’évolution de celle-ci comme Kraepelin l’avait fait.
En effet, Bleuler se distinguait de son homologue sur deux points majeurs: il ne croyait pas que la maladie survenait toujours à un âge précoce et qu’elle évoluait inévitablement vers la démence.
C’est pourquoi, la désignation « démence précoce» n’étant plus appropriée, Bleuler a introduit le terme « schizophrénie» en 1908, formé à partir des mots grecs schizein (fendre) et phrên (esprit) qui, selon lui, captaient l’essence de cette maladie.
Comme il ne considérait plus l’âge d’apparition de la schizophrénie et son évolution vers une détérioration comme des caractéristiques de la maladie, Bleuler était confronté à un problème conceptuel. En effet, les symptômes de la schizophrénie étant très variés, il devait justifier leur classement dans une catégorie diagnostique unique. Le psychiatre a donc cherché un dénominateur commun, un principe directeur, susceptible de relier les divers symptômes entre eux. Dans ce but, il a employé la métaphore de la « rupture des chaînes associatives» . Pour lui, ces chaînes associatives reliaient non seulement les mots, mais aussi les pensées. Par conséquent, une réflexion et une communication efficaces et orientées vers un but n’étaient possibles que si ces structures hypothétiques étaient intactes. L’idée d’une rupture des chaînes associatives chez les personnes souffrant de schizophrénie pouvait alors expliquer d’autres problèmes. Bleuler voyait les difficultés attentionnelles - comme celles résultant, par exemple, d’une perte d’intentionnalité cognitive - comme la cause des réactions passives des malades aux objets et aux personnes de leur entourage immédiat. De plus, il considérait le blocage de la pensée - la perte totale apparente du cours de la pensée - comme une rupture complète des chaînes associatives.
Bien que Kraepelin ait reconnu que l’état d’un petit pourcentage de clients présentant des symptômes de démence précoce ne s’était pas détérioré, il préférait réserver cette catégorie diagnostique aux clients ayant un pronostic défavorable.
Les travaux de Bleuler, au contraire, ont contribué à élargir le concept de schizophrénie. Le psychiatre diagnostiquait la schizophrénie chez des clients ayant un pronostic favorable et appliquait également son concept de schizophrénie à de nombreux clients chez qui d’autres cliniciens auraient diagnostiqué un trouble différent.

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Q

L’étiologie de la schizophrénie

A

Nous avons expliqué que les personnes souffrant de schizophrénie se distinguent des individus normaux sur les plans de la pensée, du discours, de la perception et de l’imagination. Quels facteurs peuvent expliquer leurs pensées décousues, leurs émotions inappropriées ou absentes, leurs idées délirantes et leurs hallucinations déconcertantes? Nous nous penchons maintenant sur les principaux aspects de la recherche étiologique.
Les données génétiques
Que feriez-vous si vous vouliez trouver une personne qui risque fort de recevoir un diagnostic de schizophrénie un jour et que vous ne pouviez pas examiner ses schémas de comportement ou ses symptômes? En fait, imaginez que vous ne pouvez même pas rencontrer cette personne. La solution à ce problème soulevé par Paul Meehl (1962) vous donne presque une chance sur deux de choisir une personne prédisposée à la schizophrénie: trouver des jumeaux identiques dont l’un a le diagnostic de schizophrénie.

Aujourd’hui, le rôle des facteurs génétiques dans diverses psychopathologies est largement reconnu et les résultats de recherche proviennent pour une grande part de l’étude de ces facteurs. Or, la situation était tout autre dans les années 1960.
Irving Gottesman, un pionnier dans ce domaine, a commencé par étudier le rôle des facteurs génétiques dans la personnalité; il a démontré l’héritabilité de celle-ci en analysant les réponses de jumeaux monozygotes et dizygotes à l’Inventaire multipha-sique de la personnalité du Minnesota (MMPI) (voir la figure 3.3 à la page 71). (Gottesman, 1963). Gottesman et Shields (1966) ont présenté leur modèle polygénique de la schizophrénie et l’ont développé dans un ouvrage subséquent (Gottesman et Shields,
1972). Les chercheurs ont introduit plusieurs thèmes fondamentaux que des recherches ultérieures n’ont pu réfuter; ils ont affirmé, notamment, que la schizophrénie et d’autres psychopathologies étaient des maladies polygéniques qu’on ne pouvait imputer à un gène spécifique unique. Les recherches récentes du groupe de travail sur la schizophrénie du Consortium de génomique psychiatrique (Schizophrenia Working Group of the Psychiatric Genomics Consortium, 2014) ont conduit à l’identification de 108 régions du génome humain associées à la schizophrénie et une découverte récente de ce même groupe apporte une preuve solide de la participation du gène codant pour le composant 4 du complément (C4) (Sekar et collab., 2016).
Bien que son nom soit étroitement associé au rôle des facteurs génétiques, Gottesman n’a jamais cessé de souligner le rôle des facteurs environnementaux, ouvrant ainsi la voie à un éventuel apport biologique dans le modèle diathèse-stress.
D’innombrables documents de recherche attestent de façon convaincante la transmission génétique de la prédisposition à la schizophrénie. Les études sur la famille, les jumeaux et l’adoption sur lesquelles reposent ces recherches ont amené les chercheurs à conclure que la majorité des personnes atteintes de schizophrénie ont hérité d’une prédisposition à cette maladie (Kendler et Gruenberg, 1984). Néanmoins, il est important de replacer cette affirmation dans son contexte. Comme Svrakic et ses collaborateurs l’ont souligné dans leur analyse
(2013), bien que des facteurs génétiques interviennent manifestement dans la schizophrénie, il est clair que cette maladie n’affecte pas que des jumeaux. Quand on étudie la famille dans une perspective plus large, les parents de personnes souffrant de schizophrénie ne sont pas touchés dans 90% des cas, ni la fratrie, dans 60 à 80 % des cas.

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Q

Les études sur la famille

A

Le tableau 11.2, à la page suivante, présente un résumé du risque de souffrir de schizophrénie chez divers parents de proposants affectés par cette maladie. Évidemment, ce risque est plus grand parmi les membres de la famille d’une personne atteinte de schizophrénie et d’autant plus élevé que le lien de parenté est étroit.
Des données plus récentes continuent de confirmer les données présentées dans le tableau 11.2 (Rodriguez-
Murillo, Gogos et Karayiorgou, 2012). En outre, les symptômes négatifs de la schizophrénie semblent avoir une plus forte composante génétique (Malaspina et collab., 2000).
Les proches des personnes atteintes sont aussi plus susceptibles de souffrir d’autres troubles (p. ex, le trouble de la personnalité schizo-typique) des troubles qui sont considérés comme des formes moins graves de schizophrénie (Kendler, Neale et Walsh, 1995). Les donnees recueillies dans le cadre d’études sur la famille appuient l’idée de la transmission génétique d’une prédisposition à la schizophrénie.
Bien sûr, les proches d’une personne atteinte partagent souvent non seulement des gènes, mais aussi des expériences communes avec celle-ci, et ils ont en commun des traits distinctifs, comme un mouvement du regard atypique. Or, le comportement d’une mère ou d’un père atteint de schizophrénie peut perturber un enfant en pleine croissance. Par conséquent, on ne peut écarter l’influence de l’environnement pour expliquer le risque morbide plus élevé.

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Q

Les études sur les jumeaux

A

Le tableau 11.2 montre aussi les taux de concordance chez les jumeaux monozygotes et dizygotes. Le taux de concordance des jumeaux monozygotes (44,30 %), bien qu’il soit nettement plus élevé que celui des jumeaux dizygotes (12,08%), est inférieur à 100%. Après avoir examiné les résultats des études menées en Europe et au Japon depuis 1995, Cardno et Gottesman (2000) ont signalé une concordance de l’ordre de 41 à 65% pour les jumeaux monozygotes et de 0 à 28% pour les jumeaux dizy-gotes. Il est important de souligner que cette concordance n’atteint pas 100% pour les jumeaux monozygotes: cela signifie que les facteurs génétiques ne sont pas les seuls en cause dans la schizophrénie, car s’ils l’étaient, alors les deux jumeaux monozygotes d’une paire seraient atteints puisqu’ils sont génétiquement identiques. Conformément à une interprétation génétique de ces données, plus la pathologie du probant (la personne atteinte) est lourde, plus la concordance entre les jumeaux monozygotes augmente (Gottesman et Shields, 1972).
L’interprétation des résultats des études portant sur les jumeaux est particulièrement délicate. En effet, la concordance pourrait s’expliquer par un environnement « anormal» commun plutôt que par des facteurs génétiques communs.
Par environnement commun, nous entendons non seulement des méthodes d’éducation similaires, mais aussi un milieu intra-utérin semblable, car les jumeaux monozygotes partagent, plus souvent que les jumeaux dizygotes, un approvisionne. ment en sang unique.
Fischer (1971) a réalisé une analyse astucieuse qui soutient l’interprétation génétique des taux de concordance élevés des jumeaux identiques. La chercheuse a formule l’hypothèse que, si ces taux reflétaient réellement un effet génétique, alors même les enfants du jumeau identique discordant ou non atteint du cojumeau atteint devraient être beaucoup plus à risque de souffrir de la maladie. On peut supposer que le cojumeau non atteint possède le génotype de la schizophrénie, même s’il ne s’exprime pas dans son comportement, et qu’il pourra donc transmettre à ses enfants une plus grande prédisposition à la maladie. Conformément à ce raisonnement, la chercheuse a découvert que le taux de schizophrénie et de psychoses de type schizophrénique observé chez les enfants des cojumeaux non atteints ayant un jumeau atteint s’élevait à 9,4 %. Le taux des enfants des personnes atteintes de schizophrénie était seulement un peu plus élevé et atteignait 12,3 %. Les deux taux sont considérablement plus élevés que le taux de prévalence inférieur à 1% observé dans une population non sélectionnée.
Dworkin et ses collaborateurs ont réévalué les principales études sur les jumeaux à la lumière de la distinction entre les symptômes positifs et négatifs (Dworkin, Lenzenweger et Moldin, 1987; Dworkin et collab., 1988). Ils ont constaté que les symptômes négatifs ont une composante génétique plus forte que les symptômes positifs.

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Q

Les études d’adoption

A

Une étude portant sur des enfants de mères atteintes de schizophrénie et qui avaient été élevés dès leur plus jeune âge par des parents adoptifs non atteints a fourni des données plus concluantes sur le déterminisme génétique de la schizo. phrénie en éliminant les effets potentiels d’un milieu influencé par un parent qui souffre de la maladie. Heston (1966) a suivi 47 personnes nées entre 1915 et 1945 de femmes souffrant de schi. zophrénie et internées dans un hôpital psychiatrique. Les nourrissons ont été séparés de leur mère à la naissance et élevés par des parents d’accueil ou adoptifs. Les 50 sujets du groupe témoin, des enfants adoptés dont la mère naturelle ne souffrait pas de trouble mental, ont été sélectionnés dans les mêmes institutions qui avaient placé les enfants des mères souffrant de schizophrénie.
L’évaluation de suivi, menée en 1964, comprenait une entrevue, la passation du MMPI (voir la figure 3.3 à la page 71), un test de QI et une évaluation de la classe sociale. Chaque sujet a été évalué de façon indépendante par deux psychiatres et Heston a effectué une troisième évaluation. Les évaluations cliniques étaient notées sur une échelle d’invalidité globale allant de 0 à 100. Dans l’ensemble, les sujets du groupe témoin ont obtenu un score moins élevé sur l’échelle d’invalidité que les enfants de mères atteintes. L’étude a montré que 31 des 47 enfants de mères atteintes de schizophrénie (66 %), avait reçu un diagnostic de trouble mental, alors que ce nombre n’était que de 9 sujets sur les 50 composant le groupe témoin (18%). La schizophrénie n’a été diagnostiquée chez aucun suiet du groupe témoin contre 16,6% des enfants de mères qui en souffraient.
De plus, ces enfants étaient aussi plus susceptibles de recevoir un diagnostic de deficience mentale, de psychopathie et de névrose (voir le tableau 11.3).Ils avaient trempé plus souvent dans des activités criminelles, séjourné plus longtemps dans des établissements pénitenciers et avaient été plus souvent renvoyés de l’armée pour des motifs psychiatriques. L’étude de Heston apporte des preuves solides de la participation des facteurs génétiques dans la schizophrénie. Les enfants élevés sans contact avec leur mère « pathogène » avaient quand même plus de chances de souffrir d’une schizophrénie que les sujets du groupe témoin. Une étude similaire réalisée au Danemark (Kety et collab., 1975, 1994) a produit des résultats analogues.

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Q

La génétique moléculaire

A

La prédisposition génétique à la schizophrénie ne serait pas transmise par un seul gène; plusieurs modèles multigeniques ou polygéniques demeurent viables.
Thaker (2007) a noté que la chasse aux gènes liés à la schizophrénie s’est avérée plus complexe qu’on s’y attendait pour plusieurs raisons, notamment:
* la définition imprécise des limites du phénotype clinique;
* l’absence de tests biologiques confirmant la catégorie diagnostique;
* l’hétérogénéité des symptômes cliniques et la nature complexe de la schizophrénie.
L’une des plus remarquables découvertes issues des analyses génomiques a trait au fait que cinq troubles psychiatriques majeurs, dont la schizophrénie, pourraient découler de plusieurs variations génétiques précises. Ces travaux, réalisés par le Consortium de génomique psychiatrique, s’appuient sur des recherches antérieures qui avaient révélé un «chevauchement génétique» entre les catégories diagnostiques traditionnelles, notammentla schizophrénie et le trouble
bipolaire (Craddock, O’Donovan et d wen.2006). Le consortium international de chercheurs est dirigé par Jordan Smoller. Les chercheurs se sont concentrés sur cing troubles qui semblent présenter une susceptibilité génétique commune: la schizo-phrénie, le trouble dépressif caractérisé, le trouble du spectre de l’autisme, le trouble bipolaire et le trouble déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité. Les travaux initiaux indiquent que ces troubles sont associés à des polymorphismes mononu-cléotidiques dans certaines régions des chromosomes 3p21 et 10924 et dans deux sous-unités calciques nommées CACNA1C et CANB2. Ces découvertes ont de multiples implications. Ainsi, le rôle des facteurs génétiques communs pourrait expliquer certains facteurs qui ne sont pas propres à la schizophrénie et qui s’appliquent aussi à des troubles comme la dépression. De plus, la question qui devient évidente est celle-ci: « Pourquoi, sur deux personnes ayant la même prédisposition génétique, l’une souffre-t-elle de schizophrénie et l’autre, de dépression?»
Il faudra faire preuve de patience avant de connaitre la réponse puisque cette recherche en est encore à ses balbutiements.
D’autres découvertes récentes illustrent la complexité des diverses explications étiologiques de la schizophrénie. De nouveaux résultats fascinants nous proviennent d’études menées auprès de sujets sans antécédents familiaux de schizophrénie, mais qui se sont mis à souffrir de la maladie (ce qu’on appelle des « cas sporadiques »); ces études illustrent la complexité neuronale de la schizophrénie. Elles ont démontré que la schizophrénie semble découler de mutations génétiques relativement rares qui modifient la fonction de certaines protéines et mettent en cause jusqu’à 40 gènes, notamment une perturbation du gène DCGR2 (Xu et collab., 2011, 2012). Ce gène se trouve dans la région affectée par la microdélétion 22g11.2, associée à une susceptibilité à la schizophrénie (Rodriguez-Murillo et collab., 2012). Un grand nombre de ces mutations génétiques ont pu survenir dans la petite enfance. Selon Rodriguez-Murillo et ses collaborateurs, ces découvertes sont rendues possibles grâce aux technologies modernes plus puissantes et à la possibilité d’étudier des cartes génomiques, qui ordonnent les marqueurs génétiques au sein d’échantillons plus importants que ceux qui étaient disponibles lors des études antérieures. Des chercheurs du Salk Institute, en Californie, ont fait une autre découverte de taille: les neurones des personnes souffrant de schizophrénie comportent moins de synapses; c’est-à-dire que les connexions entre leurs neurones sont moins nombreuses qu’entre des cellules nerveuses saines (Brennand et collab.,
2011). Cette découverte a des retombées pratiques puisqu’elle démontre l’utilité des antipsychotiques qui peuvent contribuer à normaliser la fonction nerveuse.

Malgré ces découvertes, nous ne pouvons conclure que la schizophrénie est uniquement déterminée par la génétique et par des facteurs biologiques, car il faut se rappeler ce qui distingue un phénotype d’un génotype, et aussi que Gottesman a toujours souligné l’importance des facteurs environnementaux.

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Q

Comme d’autres troubles mentaux, la schizophrénie se définit par le comportement de la personne; c’est un phénotype et comme tel, elle reflète l’influence à la fois des genes et de l’environnement. Les résultats de l’étude menée sur les quadruplées Genain nous éclairent sur le rôle de ces deux facteurs

A

Les modèles diathèse-stress et biopsychosocial semblent appropriés pour orienter la théorie et la recherche sur l’étiologie de la schizophrénie. Les facteurs génétiques peuvent seulement prédisposer une personne à la maladie. Il faut une forme de stress pour que cette prédisposition se mue en une pathologie observable. Une conclusion formulée par Svrakic et ses collaborateurs (2013) nous rappelle l’importance de tenir compte de l’interaction entre les gènes et les conditions du milieu: des facteurs environnementaux qui auraient normalement peu d’impact peuvent en produire de très importants s’ils sont combinés à une susceptibilité génétique.

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Q

Les facteurs biochimiques

A

Une fois établi le déterminisme génétique de la schizophrénie, il est clair qu’il faut examiner les paramètres biochimiques, car c’est à travers la chimie du corps et les processus biologiques que l’hérédité pourrait s’exprimer. Les chercheurs s’intéressent à divers neurotransmetteurs, dont la noradrénaline et la sérotonine. Jusqu’ici, aucune théorie biochimique n’a été prouvée sans équivoque. Nous étudierons l’un des facteurs les plus étudiés: la dopamine.

32
Q

L’activité de la dopamine

A

Selon Howes, McCutcheon, Owen et Murray (Sous presse), la théorie dopaminergique, qui prédomine depuis plus de quatre décennies, est la théorie biologique la plus ancienne en ce qui a trait à la schizophrénie. La théorie selon laquelle cette maladie est liée à une hyperactivité de la dopamine repose principalement sur le fait que les médicaments qui se sont avérés efficaces dans son cas réduisent l’activité de ce neurotransmetteur. Les antipsychotiques atténuent certains symptômes de la schizophrénie, mais ils produisent des effets secondaires analogues aux symptômes de la maladie de Parkinson. Or, cette maladie serait causée en partie par de faibles taux de dopamine dans l’une des voies neuronales du cerveau. Il est prouvé aujourd’hui qu’en raison de leurs similitudes structurelles avec la molécule de dopamine (voir la figure 11.3), les molécules des antipsychotiques se lient aux récepteurs dopaminergiques postsynaptiques et les bloquent. Les récepteurs qui sont bloqués par les antipsychotiques de première génération (classiques) sont appelés récepteurs D2. Comme c’est le cas pour d’autres neurotransmetteurs, il existe plusieurs sous-types de récepteurs dopaminergiques qui se distinguent par leur façon d’agir sur le neurone postsynaptique. Au terme d’une méta-analyse, Lehmann et Ban (1997) ont découvert que certains antipsychotiques de deuxième génération (atypiques) (voir la sous-section « Les antipsychotiques de deuxième génération [atypiques]» à la page 319) agissent sur d’autres récepteurs dopaminergiques (D3 et D4) et sur certains récepteurs sérotoninergiques (S2 et S3). Maintenant que l’on connaît l’action des médicaments utilisés dans le traitement de la schizophrénie, il n’y a qu’un pas à franchir pour déduire que cette maladie est causée par une hyper-activité des centres dopaminergiques.
La littérature sur la psychose liée aux amphétamines a, elle aussi, confirmé indirectement la théorie de la dopamine. En effet, les amphétamines peuvent produire un état fort similaire à la schizophrénie paranoïde et exacerber les symptômes de schizophrénie (Angrist, Lee et Gershon, 1974). Elles stimulent la sécrétion de catécholamines, dont la noradrénaline et la dopa-mine, dans la fente synaptique et empêchent leur inactivation.
Des autopsies pratiquées sur le cerveau de personnes ayant souffert de schizophrénie ont apporté d’autres preuves de cette théorie. En outre, le lien entre certains antipsychotiques plus puissants et les récepteurs dopaminergiques D2 constitue un élément de preuve déterminant découvert récemment (Howes et collab., sous presse). Ces découvertes sont expliquées plus en détail ci-après.
À la lumière de ces données, les chercheurs ont d’abord supposé que la schizophrénie était causée par un excès de dopamine, mais les résultats d’autres études ont démenti cette supposition.
Ainsi, on n’a pas décelé de quantités plus importantes d’acide homovanillique, le principal métabolite de la dopamine, chez les personnes atteintes de schizophrénie (Bowers, 1974). Ces don-nées, alliées à des technologies plus pointues servant à étudier les variables neurochimiques chez les humains, ont amené les chercheurs à postuler qu’un nombre excessif de récepteurs dopa-minergiques ou leur hypersensibilité, plutôt qu’un taux élevé de dopamine, serait en cause dans la schizophrénie. Les études sur le mode d’action des antipsychotiques ont montré que les récepteurs dopaminergiques sont une cause plus probable du trouble que le taux de dopamine comme tel. Des autopsies du cerveau de personnes atteintes de schizophrénie ainsi que des images obtenues par TEP du cerveau de malades vivants ont révélé la présence d’un plus grand nombre de récepteurs dopaminergiques ou d’une hypersensibilité de ces récepteurs chez certains d’entre eux (Goldsmith, Shapiro et Joyce, 1997). Sur le plan fonctionnel, un nombre excessif de récepteurs dopaminergiques aurait les mêmes effets qu’un excès de dopamine. En effet, quand la dopamine (ou un autre neurotransmetteur) est libérée dans la synapse, une partie seulement interagit avec les récepteurs postsynaptiques; si les récepteurs sont plus nombreux, la probabilité que la dopamine libérée en active un est donc beaucoup plus grande.
Les développements subséquents de la théorie de la dopamine (Davis et collab., 1991) ont élargi sa portée. Plus précisément, les chercheurs ont relevé des différences entre les voies neuronales qui font appel à la dopamine comme transmetteur. L’hyperactivité de la dopamine qui serait le plus fortement mise en cause dans la schizophrénie a lieu dans la voie mésolimbique (voir la figure 11.4); or, les antipsychotiques atténuent les symptômes positifs en bloquant les récepteurs dopaminergiques dans cette voie, ce qui diminue l’activité de la dopamine.
La voie dopaminergique mésocorticale part de la même région du cerveau que la voie mésolimbique, mais elle se projette sur le cortex préfrontal. Celui-ci se projette aussi vers les régions limbiques innervées par les neurones dopaminergiques. Lorsque les neurones dopaminergiques du cortex préfrontal sont hypoactifs, ils sont incapables de freiner l’activité des neurones dopaminergiques de la région limbique, ce qui provoque une hyperactivité dans la voie dopaminergique mésolimbique. Comme on croit que le cor. tex préfrontal joue un rôle particulièrement important dans les symptômes négatifs de la schizophrénie, l’hypoactivité des neurones dopaminergiques de cette partie du cerveau pourrait aussi être à l’origine de ces symptômes (voir la fi-gure11.5). Cette hypothèse a l’avantage d’expliquer la présence simultanée de symptômes positifs et négatifs de schizophrénie chez une personne. De plus, comme les antipsychotiques n’ont pas d’effets majeurs sur les neurones dopaminergiques du cortex préfrontal, on s’attendrait à ce qu’ils soient plutôt inefficaces pour traiter les symptômes négatifs, ce qui est le cas. Un peu plus loin, nous examinerons des études sur les anomalies structurelles du cerveau des personnes souffrant de schizophrénie et nous verrons que ces deux éléments sont étroitement liés.
Bien que la dopamine demeure le facteur biochimique le plus étudié en ce qui concerne la schizophrénie, elle ne peutsans doute pas expliquer à elle seule la biochimie de ce trouble. La schizophrénie provoque des symptômes variés qui touchent la perception, la cognition, l’activité motrice et le comportement social. Il est peu probable qu’un seul neurotransmetteur puisse être responsable de tous ces symptômes. Les chercheurs ont lancé un grand filet biochimique et tournent maintenant leur attention vers d’autres paramètres que la dopamine.

33
Q

D’autres neurotransmetteurs

A

De nouveaux médicaments contre la schizophrénie agissent sur des neurotransmetteurs comme la sérotonine. Les neurones dopaminergiques modulent généralement l’activité d’autres systèmes neuraux; les neurones GABA du cortex préfrontal, par exemple. De même, les neurones sérotoninergiques régulent l’activité des neurones dopaminergiques dans la voie mésolim-bique. La dopamine pourrait donc représenter un élément d’un casse-tête beaucoup plus complexe. Le glutamate, un transmetteur très abondant dans le cerveau humain, pourrait aussi être en cause (Carlsson et collab., 1999). On a en effet trouvé de faibles taux de glutamate dans le fluide cérébrospinal de personnes atteintes de schizophrénie (Faustman et collab.,
1999), et des autopsies ont révélé de faibles taux de l’enzyme essentielle à la production de glutamate (Tsai et collab., 1995).
Le PCP, une drogue de la rue, peut provoquer un état psychotique accompagné de symptômes positifs et négatifs chez des individus normaux. Il agit en interférant avec l’un des récepteurs du glutamate (O’Donnell et Grace, 1998). De plus, une baisse de la production de glutamate dans le cortex préfrontal ou l’hippocampe (deux régions du cerveau intervenant dans la schizophrénie) jusqu’au corps strié (une structure du lobe tem-Poral) peut augmenter l’activité dopaminergique (O’Donnell et Grace, 1998). Le glutamate et la sérotonine pourraient donc devenir le point de mire des chercheurs, conjointement avec l’activité de la dopamine peut-être.

34
Q

Le cortex préfrontal

A

Une variété de données montre que le cortex préfrontal joue un rôle de premier plan dans la schizophrénie.

  • On sait que le cortex préfrontal intervient dans les comportements comme le discours, la prise de décision et les actions volontaires, qui sont tous perturbés chez les personnes atteintes de schizophrénie (Zakzanis, Troyer, Rich et Heinrichs, 2000). Toutefois, des hallucinations auditives se produisent lorsque cette activité du cortex préfrontal s’accompagne d’une activité dans le gyrus temporal.
  • La méconnaissance de la maladie est plus souvent associée à une faible performance neuropsychologique chez les clients souffrant de schizophrénie que chez les clients atteints d’un trouble bipolaire, ce qui était l’hypothèse que cette méconnaissance est liée à un dysfonctionnement du lobe frontal. Une méta-analyse a mis en évidence une faible corrélation négative entre la conscience de sa maladie et les symptômes positifs et négatifs globaux de la schizophrénie

  • Des études faisant appel à l’IRM ont révélé une diminution du volume de la matière grise dans le cortex préfrontal
  • Grâce à un type d’imagerie fonctionnelle qui permet d’étudier le métabolisme du glucose dans diverses régions du cerveau pendant l’exécution d’un test psychologique, les chercheurs ont observé de faibles taux métaboliques dans le cortex pré-frontal de clients atteints de schizophrénie (Buchsbaum et collab., 1984). Ils ont également étudié le métabolisme du glucose pendant l’exécution de tests neuropsychologiques servant à évaluer la fonction préfrontale. En général, comme ces tests sollicitent le cortex préfrontal, le métabolisme du glucose s’accélère proportionnellement à la dépense d’éner. gie. Or, les clients atteints de schizophrénie ont de la difficulté à réaliser ces tests et ne démontrent aucune activation de la région préfrontale
  • La non-activation du cortex préfrontal a aussi été détectée au moyen de l’imagerie par résonance magnétique fonction-
nelle (IRMF) (MacDonald et Carter, 2003). Ragland et ses col. laborateurs (2009) ont réalisé une méta-analyse d’études faisant appel à l’IRMf qui comparaient des sujets souffrant de schizophrénie avec des volontaires « sains» pendant des tâches d’encodage épisodique et de rappel. Les sujets souffrant de schizophrénie ont démontré une moins grande activation préfrontale (un important dysfonctionnement) de certaines régions du cerveau par rapport aux sujets de référence, ce qui laisse croire que «les déficits cognitifs contribuent à un déficit de la mémoire épisodique chez les suiets atteints de schizophrénie»
  • Dans des paires de jumeaux monozygotes discordants, l’hy-poactivation frontale est moins prononcée chez le jumeau qui n’est pas atteint par la schizophrénie, ce qui laisse croire encore une fois que cette dysfonction cérébrale n’est peut-être pas d’origine génétique (Torrey et collab., 1994). L’absence d’activation frontale est corrélée avec la gravité des symptômes négatifs (O’Donnell et Grace, 1998), un résultat analogue à ceux des études sur l’hypoactivité dopaminer-gique du cortex frontal dont nous avons déjà parlé.
  • Ouvrant une nouvelle voie intéressante, Joyal et ses collaborateurs (2007) ont fait appel à l’IRMf pour vérifier l’hypothèse selon laquelle les sujets violents souffrant de schizophrénie et de troubles concomitants de la personna lité antisociale et de l’usage d’une substance ont un modele de fonctionnement préfrontal différent de celui des sujets très violents souffrant uniquement de schizophrénie. Les résultats ont démontré, chez les premiers, un dysfonction nement nerveux qui affecte les régions basale ou orbitale du cortex préfrontal.
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Les facteurs congénitaux et développementaux

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Ces anomalies cérébrales pourraient bien résulter de lésions subies pendant la grossesse ou l’accouchement. Waddington et ses collaborateurs (2008) se sont basés sur un ensemble de données concernant des anomalies congénitales recueillies dans le cadre d’une étude sur les déterminants prénatals de la schizophrénie. Ils ont effectué un examen systématique et prospectif du rapport entre les anomalies congénitales, les déficits fonctionnels précoces qui y sont associés et le risque d’être atteint de schizophrénie à l’âge adulte. Ils ont constaté que la présence à la naissance ou dans la petite enfance d’« anomalies craniofaciales ou de la ligne médiane ou de déficits fonctionnels précoces qui reflètent souvent une anomalie du système nerveux central » (traduction libre) doublait le risque de souffrir d’un trouble du spectre de la schizophrénie (un ensemble de troubles reliés à la schizophrénie et incluant celle-ci)
(Waddington et collab., 2008, p. 266). Ces anomalies touchent des régions qui ont la même origine embryologique que le système nerveux central, en particulier les régions corticofrontales.
De nombreuses études ont mis en évidence des taux élevés de complications à l’accouchement chez les femmes souffrant de schizophrénie; ces complications ont pu provoquer des lésions en diminuant l’apport d’oxygène au cerveau du foetus (Verdoux et collab., 1997). Elles n’augmentent pas le risque de schizophrénie chez toutes les femmes, mais uniquement chez celles qui ont une prédisposition génétique à la maladie (Cannon et Mednick, 1993).
Malgré une certaine incohérence des données, les chercheurs ont évalué la possibilité qu’un virus pénètre dans le cerveau du foetus et l’endommage pendant sa croissance
intra-utérine (Mednick, Huttonen et Machon, 1994). En 1957, la ville d’Helsinki, en Finlande, a été frappée par une épidémie de grippe. Les chercheurs ont étudié les taux de schizophrénie chez les adultes susceptibles d’avoir été exposés au virus dans le ventre de leur mère. Ils ont trouvé que la corrélation entre des taux beaucoup plus élevés de schizophrénie et une exposition au virus s’appliquait seulement pendant le second trimestre de la grossesse. On n’observait pas cette corrélation quand l’exposition avait eu lieu pendant l’un des deux autres trimestres ou quand il n’y avait pas eu d’exposition au virus, comme c’était le cas des sujets du groupe témoin. Par la suite, Brown et ses collaborateurs (2004) ont indiqué qu’un contact avec le virus de la grippe entre le début et le milieu de la grossesse, documenté par des données sérologiques, était associé à des taux de schizophrénie trois fois plus élevés et que le risque était sept fois plus grand si ce contact avait eu lieu au cours du premier tri-mestre. Ces résultats sont fascinants. Le cortex se trouve à une étape critique de sa croissance au cours du deuxième trimestre de la grossesse. Les neurones se forment d’abord dans le tube neural, un cerveau rudimentaire, puis ils gagnent leur emplacement définitif en traversant des couches de cellules. Peut-être que cette migration cellulaire est perturbée chez les individus qui souffrent plus tard de schizophrénie.
Conformément à cette hypothèse, les autopsies du cerveau des sujets atteints de la maladie ont révélé une réduction du nombre de cellules dans les couches extérieures des
Cortex préfrontal et temporal (Akbarian et collab., 1995). De même, un bon nombre de personnes souffrant de schizophre-nie présentent un amincissement du cortex qui résulterait d’une perte de dendrites et d’axones (Selemon, Rajkowska et Goldman-Rakic, 1995). De plus, chez ces personnes, les neurones du cortex frontal semblent plus petits que la normale
(Rajkowska, Selemon et Goldman-Rakic, 1998).
Brown et Derkits (2010) ont analysé les preuves de plus en plus nombreuses que l’exposition prénatale aux infections, notamment à la grippe, à la rubéole et à la toxoplasmose (causée par un parasite intracellulaire), ainsi qu’aux cyto-kines maternelles (qui régulent la réaction de l’hôte à l’infec-tion), est associée à un risque plus élevé de schizophrénie. Les chercheurs ont observé qu’il est important de reconnaître les mécanismes pathogéniques et d’explorer les interactions entre une infection et les gènes de susceptibilité à cette maladie. La pertinence de l’exposition prénatale a été démontrée par de nouvelles données qui nuancent les liens établis dans le passé entre un faible poids à la naissance et le développement subséquent de la schizophrénie en montrant que le poids à la naissance est un facteur de risque seulement lorsqu’il est associé à une exposition prénatale au virus de la grippe ou à l’hypoxie

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Brown et Patterson (2011) ont souligné les conséquences pratiques de ces résultats en avançant que les trois principaux déterminants du risque

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les trois principaux déterminants du risque (soit la grippe, la toxoplasmose et une infection génitale chez la mère) peuvent et doivent être la cible d’interventions préventives visant à diminuer le nombre de cas de schizophrénie. Par exemple, maintenant que nous connaissons le rôle des infections transmises sexuellement et du rôle éventuel de la grippe dans la schizophrénie, il est possible de s’attaquer au problème en recourant à des méthodes de base comme un traitement antimicrobien agressif et en lançant des campagnes de santé publique pratiques et peu onéreuses.
Bien que l’exposition prénatale soit manifestement en cause dans la schizophrénie, une méta-analyse exhaustive a aussi mis en lumière le rôle des infections de la petite enfance qui touchent le système nerveux central. Les auteurs ont établi que ce type d’infection double le risque de souffrir de schizophrénie à l’âge adulte (Khandaker et collab., 2012).
Si, comme ces résultats l’indiquent, le cerveau des personnes atteintes de schizophrénie a subi des lésions au début de son développement, pourquoi le trouble apparaît-il bien des années plus tard, à l’adolescence ou à l’âge adulte?
Weinberger (1987) croit que les lésions cérébrales entravent le développement normal du cerveau et que le cortex préfrontal est une structure qui atteint sa maturité plus tard, généralement à l’adolescence. Une lésion dans cette région peut donc passer inaperçue jusqu’à ce que le cortex préfrontal se déve. loppe et commence à influer davantage sur le comportement.
Il faut souligner que l’activité dopaminergique atteint un pic à l’adolescence, ce qui peut aussi ouvrir la voie à l’apparition des premiers symptômes.

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Le stress psychologique et la schizophrénie

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Nous avons présenté plusieurs diathèses neurobiologiques possibles à la schizophrénie, mais les facteurs biologiques ne sont pas les seuls en cause dans cette maladie. Le stress psychologique joue un rôle de premier plan, car, conformément au modèle biopsychosocial, il interagit avec une prédisposition génétique ou neurobiologique pour provoquer la schizophrénie.
Les données montrent que, comme pour d’autres troubles, une augmentation du stress de la vie quotidienne accroît la probabilité d’une rechute (Hirsch et collab., 1996). De plus, les clients atteints de schizophrénie qui adhèrent à un programme de gestion du stress sont moins susceptibles d’être réadmis à l’hôpital au cours de l’année suivant le traitement, surtout s’ils ont participé régulièrement aux séances (Norman et collab., 2002). Des données plus récentes indiquent que les clients ayant des prédispositions biologiques qui mettent en cause le système dopa-minergique sont plus sujets au stress aigu, un résultat conforme au modèle biopsychosocial (Howes et collab., sous presse).
Après avoir analysé les études existantes, Phillips et ses collaborateurs (2007) ont conclu qu’il y avait peu de preuves d’un lien entre les expériences stressantes et un épisode psychotique en raison de graves failles méthodologiques provenant d’études rétrospectives, de groupes témoins inadéquats ou d’une tendance exagérée à évaluer le stress en fonction des événements de la vie. Mais surtout, ils insistent sur le fait que les auteurs n’ont pas tenu compte de la façon dont les sujets évaluaient la signification et l’impact potentiel des événements ni des attributs personnels qui auraient pu expliquer certaines relations.
De plus, ils ont déduit que les auteurs n’avaient pas déterminé les mécanismes physiologiques qui sous-tendent le lien entre le stress et un premier épisode psychotique. En gardant ces limitations à l’esprit, nous abordons maintenant le rôle du stress lié aux événements de la vie dans la survenue de la schizophrénie.
La classe sociale et la famille sont deux facteurs de stress qui ont occupé une place importante dans les recherches sur la schizophrénie.
La classe sociale et la schizophrénie
Nous savons que les taux les plus élevés de schizophrénie se trouvent généralement dans les villes-centres, où vivent des membres de la plus basse classe socio-économique (Harvey et collab., 1996; Hollingshead et Redlich, 1958). Nous savons aussi que les taux plus élevés de schizophrénie chez les membres de la classe sociale inférieure sont considérés comme un fait établi (Tandon, Keshavan et Nasrallah, 2008). Précisons toutefois que les taux de schizophrénie n’augmentent pas de façon constante à mesure que l’on descend dans l’échelle sociale. Il existe plutôt un écart très net entre le nombre de cas de schizophrénie dans la classe sociale inférieure et le nombre de cas total dans les autres classes. Lors d’une étude classique échelonnée sur 10 ans et menée à New Haven, au Connecticut, Hollingshead et Redlich (1958) ont relevé un taux de schizophrénie deux fois plus élevé dans la classe sociale inférieure que dans la classe juste au-dessus. Ce résultat a été confirmé dans plusieurs cultures par des études communautaires analogues réalisées dans des pays comme le Danemark, la Norvège et le Royaume-Uni.

Les corrélations entre la classe sociale et la schizophrénie sont constantes, mais le lien de causalité est difficile à interpréter. Certains chercheurs croient que les stresseurs associés à l’appartenance à une classe sociale inférieure peuvent causer la schizophrénie ou contribuer à son développement; c’est ce qu’on a appelé le modèle sociogénétique. Le traitement dégradant, le faible niveau de scolarité et l’absence de récompenses et de possibilités, tous ces facteurs réunis peuvent rendre la vie dans la classe sociale inférieure tellement stressante que la personne (du moins si elle y est pré-disposée) souffre de schizophrénie. Par ailleurs, les stresseurs auxquels sont confrontés les membres de la classe inférieure pourraient être biologiques; nous savons, par exemple, que les enfants de mères ayant souffert de carences alimentaires pendant la grossesse courent un risque plus grand d’être atteints de schizophrénie

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La théorie de la sélection sociale est une autre explication de la corrélation entre la schizophrénie et la classe sociale inférieure, mais elle inverse le sens de la causalité entre ces deux facteurs.

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À mesure que leur psychose évolue, les personnes souffrant de schizophrénie peuvent dériver vers les quartiers plus pauvres de la ville. Les problèmes cognitifs et motivationnels croissants qu’elles affrontent peuvent entraver leur capacité à maintenir un emploi au point qu’elles n’ont plus les moyens de vivre ailleurs. Ou encore, elles peuvent choisir de déménager dans un quartier où la pression sociale sera minime et où elles pourront échapper aux interactions sociales
intenses.

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Étudier la mobilité sociale des personnes atteintes de schizophrénie est une facon de …

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concilier ces théories opposées.

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Conformément à la théorie de la sélection sociale, certaines etudes ont révélé que la situation professionnelle de ces personnes se précarise

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Toutefois, un nombre égal d’études a démenti ces résultats (Dunham,
1965). Manifestement, cette approche ne résout pas la ques-tion. Kohn (1968) a proposé de l’examiner sous un autre angle: le père des personnes souffrantes appartient-il, lui aussi, à la classe sociale inférieure? Si c’est le cas, cela prouverait l’hypothèse sociogénétique selon laquelle un faible statut social mènerait à la schizophrénie, car l’appartenance à la classe précéderait la maladie. Par contre, si le père est issu d’une classe sociale plus élevée, l’hypothèse de la sélection sociale serait alors la plus appropriée. Turner et Wagonfeld (1967) ont dégagé des preuves en faveur de celle-ci: sur 26 clients de la classe sociale inférieure, seulement quatre avaient un père appartenant à cette classe.
Une étude subséquente menée en Israël s’est appuyée sur une nouvelle méthodologie en explorant simultanément la classe sociale et l’origine ethnique (Dohrenwend et collab.,
1992). Les chercheurs ont examiné les taux de schizophrénie chez des Juifs israéliens d’origine européenne et chez des habitants d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ayant immigré en Israël plus récemment. Ces derniers sont en proie à des préjugés racistes et à une discrimination considérables. En vertu de l’hypothèse sociogénétique, on peut penser que, parce que toutes les classes sociales de ce groupe ethnique défavorisé sont confrontées à des niveaux élevés de stress, tous ses membres devraient présenter des taux de schizophrénie plus élevés que la normale. Toutefois, ce schéma ne s’est pas concrétisé, apportant ainsi de l’eau au moulin de la théorie de la sélection sociale.
En résumé, les données sont plus favorables à la théorie de la sélection sociale qu’au modèle sociogénétique. Néan-moins, nous ne devons pas conclure que l’environnement social ne joue aucun rôle dans la schizophrénie. Ainsi, la pré. valence de cette maladie chez les Antillais d’origine africaine qui restent dans leur pays natal est beaucoup plus faible que chez leurs compatriotes qui ont émigré à Londres (Bhugra et collab., 1996) - sans doute en raison du stress découlant de leurs efforts pour s’intégrer dans une nouvelle culture. Ayant examiné les preuves existantes depuis 1996, Cantor-Graae
(2007) soutient que les études sur les migrants vers l’Europe de
“Ouest appuient l’hypothèse que les facteurs sociaux contribuent à l’apparition de la schizophrénie. Ainsi, chez les immigrants de deuxième génération, le risque de souffrir de cette maladie est très élevé et cela ne peut s’expliquer uniquement par des facteurs biologiques et genetiques. Certaines études démontrent d’ailleurs que des conditions sociales défavorables dans l’enfance, ainsi que l’effet de certains quartiers et l’effet de vivre en ville constituent des facteurs de risque. La chercheuse a suggéré un mécanisme par lequel les facteurs sociaux pour raient engendrer des symptômes psychotiques: selon elle, l’échec social ou l’exclusion sociale pourraient modifier la sensibilité du système nerveux central a la dopamine et déréguler les systèmes dopaminergiques.

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La famille et la schizophrénie

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L’étiologie et le rôle de la famille Les premiers théoriciens considéraient que les liens familiaux, en particulier ceux qui unissent une mère et son fils, jouaient un röle crucial dans la survenue de la schizophrénie. A une certaine époque, cette vision était si prédominante qu’on a inventé le terme mère schizophrénogène pour décrire une mère froide, dominatrice et aimant les conflits, qui était vue comme la cause de la schizophrénie de son enfant (Fromm-Reichmann, 1948). Ces mères étaient supposément promptes à rejeter, mères poules s’ou-bliant elles-mêmes et insensibles aux sentiments d’autrui, affichant une attitude rigide et moraliste à l’égard du sexe et craignant l’intimité - une vision très négative puisqu’elle blâmait la mère (ou d’autres membres de la famille) pour le trouble psychiatrique grave d’un enfant. Les résultats des essais cliniques randomisés visant à évaluer cette théorie ne l’ont pas étayée.
N’empêche, certains résultats démontrent qu’une communication parentale déficiente joue un rôle dans l’étiologie de la schizophrénie. Ainsi, lors d’une étude longitudinale menée auprès d’adolescents souffrant de problèmes de comporte-ment, un mode de communication familial caractérisé par l’hostilité et le manque de dialogue a permis de prédire l’apparition ultérieure de la schizophrénie ou d’autres troubles psychotiques (Norton, 1982). Toutefois, une communication déficiente ne semble pas être un facteur étiologique propre à la schizophrénie, puisque les parents des clients souffrant de manie obtiennent aussi des scores élevés pour cette variable (Miklowitz, 1985).
Une étude d’adoption menée par Tienari et ses collaboratrices (1994) en Finlande a fourni d’autres preuves qui appuient le rôle de la famille dans l’étiologie de la schizophrénie. Les chercheurs ont étudié un large échantillon composé d’enfants adoptés de mères souffrant de schizophrénie et d’un groupe témoin d’enfants adoptés. Après avoir recueilli des données sur divers aspects de la vie au sein des familles adoptives, ils ont établi des corrélations entre ces données et le degré d’adaptation sociale des enfants. Les familles étaient classées en fonction des niveaux d’inadaptation. Une étude de suivi à long terme a confirmé que les enfants adoptés par des familles instables présentaient une forme plus grave de schizophrénie et que les enfants de mères atteintes ont souffert de la maladie plus souvent que les sujets du groupe témoin élevés par une famille instable. Pas facile d’interpréter ces résultats! Un milieu familial peut être instable en réaction à un enfant perturbé. Par conséquent, nous ne pouvons conclure avec certitude au rôle étiologique de la famille dans la schizophrénie.

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Le rôle de la famille dans les rechutes

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Une série d’études amorcées à Londres, en Angleterre, démontre que la famille peut avoir une influence importante sur l’adaptation des personnes souffrant de schizophrénie après leur sortie de l’hôpital. Brown et ses collaborateurs (1966) ont mené une étude de suivi de neuf mois auprès d’un échantillon de clients atteints de schizophrénie qui sont retournés vivre dans leur famille après avoir obtenu leur congé de l’hôpital. Les chercheurs ont mené des entrevues avec les parents ou les conjoints avant que le client sorte de l’hôpital et les ont codées en fonction du nombre de commentaires cri. tiques émis par ces derniers, et de leur niveau d’hostilité et de surimplication émotionnelle de l’entourage à l’égard des clients.
Voici une critique formulée par un père envers sa fille, qu’il accuse de créer ses symptômes délibérément pour se soustraire aux tâches ménagères: « Je crois que Maria se comporte de cette façon pour éviter que ma femme lui confie des responsabilités à la maison. » (Weisman et collab., 1998. Traduction libre) En se basant sur cette variable, qu’ils ont baptisée émotion ex-primée, Brown et ses collaborateurs ont divisé les familles en deux groupes selon que le taux d’émotion exprimée était élevé ou faible. Au terme de la période de suivi, 10% des clients qui étaient retournés dans un milieu dont l’ambiance familiale était caractérisée par une faible émotivité (émotion exprimée faible) avaient fait une rechute. Par contre, 58% des clients qui avaient réintégré un foyer très chargé émotivement (émotion exprimée élevée) étaient retournés à l’hôpital! Dans sa conceptualisation actuelle, l’émotion exprimée comporte plusieurs facettes, dont les critiques, la surimplication émotionnelle, l’hostilité, le manque de cordialité, mais l’élément le plus étudié est la quan-tite de critiques perçues au sein de la relation la plus intime et la plus significative (Masland et Hooley, 2015). Si les chercheurs insistent autant sur le niveau de critiques perçu, c’est en grande partie à cause de son utilité clinique pour prédire les rechutes.
Que sait-on d’autre sur les critiques perçues? Première-ment, ce facteur est le a plusieurs maladies cliniques, dont la dépression, et ne se limite pas à la schizophrénie .

Deuxièmement, les symptômes négatifs de la schizophrénie sont les plus susceptibles de susciter des critiques de l’entourage (King, 2000) et les parents les plus enclins à criti quer croient généralement que la personne est capable de mai. triser ses symptômes (Provencher et Fincham, 2000). Ce qui n’est pas clair encore, c’est la façon d’interpréter les effets de l’émotion exprimée. Est-elle causale ou les commentaires critiques sont-ils une réaction au comportement des clients? Par exemple, si l’état d’une personne atteinte de schizophrénie commence à se détériorer, est-ce que le niveau de préoccupation et d’implication de ses proches augmente? En fait, un comportement bizarre ou dangereux de la part du client semble justifier l’imposition de limites par la famille et le déploiement de nouveaux efforts susceptibles d’augmenter le niveau d’émotion exprimée.
Des études indiquent que ces deux interprétations du fonctionnement de l’émotion exprimée - causale et réactive - pourraient être exactes (Rosenfarb et collab., 1994). Des chercheurs ont étudié des clients atteints de schizophrénie tout juste sortis de l’hôpital et leur famille classée dans la catégo rie «émotion exprimée élevée» ou «émotion exprimée faible» pendant qu’ils discutaient d’un problème familial. Ils ont tiré deux conclusions principales:
1. L’expression d’idées bizarres par les clients («Si cet enfant te mord, tu vas attraper la rage») a suscité un plus grand nombre de critiques de la part des proches exprimant une forte émotivité (« émotion exprimée élevée»).
2. Dans les familles classées «émotion exprimée élevée», les commentaires critiques des proches incitaient les clients à émettre encore plus d’idées bizarres.
Cette étude a donc permis d’établir une relation bidirection-nelle: les commentaires critiques des proches manifestant un taux élevé d’émotion exprimée incitaient les clients à formuler encore plus d’idées bizarres; et les idées bizarres énoncées par les clients incitaient les proches des familles classées « émotion exprimée élevée » à multiplier les commentaires critiques.
Une autre étude menée à Montréal corrobore plus fortement le principe que les commentaires critiques et la surimplica-tion émotionnelle peuvent être des réactions à la schizophrénie (c.-à-d. un effet) plutôt que sa cause (King, 2000). Il est important de ne pas minimiser l’influence considérable qu’un membre perturbé peut avoir sur ses proches et sur le fonctionnement global de la famille. En outre, il faut tenir compte d’une «troisième variable», soit le fait que des facteurs génétiques qui accroissent le risque de souffrir de schizophrénie puissent être à l’origine à la fois d’une rechute du client atteint de schizophrénie et d’une communication déficiente au sein de la famille. Ainsi, d’autres membres de la famille peuvent sembler «bizarres » parce qu’ils possèdent une partie, mais pas tout le code génétique de la schizophrénie complète.

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Comment le stress, qui peut se manifester par un niveau élevé d’émotion exprimée, peut-il aggraver les symptômes liés à la schizophrénie et provoquer des rechutes?

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Les tentatives des chercheurs pour comprendre les facteurs et les mécanismes en cause ont conduit à l’exploration des liens entre l’émotion exprimée et les éléments et processus bio-logiques. À ce propos, l’hypothèse d’une interaction gènes-environnement a été validée par une étude sur l’émotion exprimée dans laquelle des clients atteints de schizophrénie interagissaient avec des proches dans une situation neutre
ou conflictuelle (Keri, Kiss, Seres et Kelemen, 2009). Ces chercheurs se sont concentrés sur un polymorphisme du gène neuréguline 1 parce qu’il est en cause dans le risque de psychose et influe également sur l’activation du cortex préfrontal.
Ils ont découvert que les clients souffrant de schizophrénie présentant ce polymorphisme génétique exprimaient un plus grand nombre d’idées singulières dans une situation de conflit, mais non dans une situation neutre. Cela indiquerait donc qu’un environnement négatif peut interagir avec une diathèse génétique.
Une autre étude visait à démontrer le lien entre l’exposition aux émotions exprimées et l’activation du cerveau.
Rylands et ses collaborateurs (2011) ont fait appel à l’IRMf pour étudier les réactions cérébrales de 11 sujets souffrant de schizophrénie. Ils ont trouvé des preuves qu’un réseau neuro-nal pourrait intervenir dans les réactions à une forte émotivité.
Le traitement de commentaires acerbes de la part d’autrui était associé à l’activation de régions telles que la zone ventrale du cortex cingulaire antérieur, le milieu du gyrus frontal supérieur et le pôle temporal gauche. Il est possible que certaines personnes vulnérables qui sont très sensibles aux interactions personnelles présentent une hypersensibilité et une activation chronique de ces régions du cerveau.

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Le traitement de la schizophrénie

A

L’éventail de symptômes curieux et souvent effrayants qu’affichent les personnes souffrant de schizophrénie complique le traitement de cette maladie. L’histoire de la psychopathologie est à bien des égards l’histoire des efforts souvent brutaux et rétrogrades des hommes cherchant à faire face à la schizo-phrénie. Même si certains individus profondément perturbés qui peuplaient les asiles d’aliénés il y a plusieurs siècles souffraient peut-être d’affections aussi prosaïques que la syphilis, on ne peut douter que bon nombre d’entre eux recevraient un diagnostic de schizophrénie si on les examinait aujourd’hui.
Nous en savons maintenant beaucoup plus sur la nature et l’étiologie de la schizophrénie, mais, même si nous pouvons traiter ses symptômes avec une relative efficacité, le remède nous échappe encore.
À l’exception du remarquable projet de thérapie comportementale intensive fondée sur l’apprentissage social mis en œuvre par Paul et Lentz (1977), la plupart des recherches indiquent que les soins hospitaliers traditionnels ne contribuent guère à améliorer de façon significative et durable l’état de la majorité des clients souffrant d’un trouble mental. Les études conçues spécialement pour suivre des clients qui ont obtenu leur congé de l’hôpital montrent généralement des résultats peu encourageants (Robinson et collab., 1999).
Un problème majeur qui touche toute forme de traitement de la schizophrénie tient au fait qu’un bon nombre de clients ne sont pas conscients de leur trouble et refusent de se faire soigner (Amador et collab., 1994). Comme ils ne se croient pas malades, ils ne voient pas la nécessité d’une intervention professionnelle, surtout si elle exige une hospitalisation ou la prise de médicaments. Cela est particulièrement vrai pour les clients à la personnalité paranoïaque atteints de schizo-phrénie, qui voient toute thérapie comme une intrusion de la part de forces extérieures hostiles. Les proches de la personne atteinte butent contre un écueil majeur lorsqu’ils veulent amener celle-ci à se faire soigner et c’est l’une des raisons pour lesquelles ils se tournent parfois vers l’hospitalisation à la demande d’un tiers, aussi appelée « hospitalisation sous contrainte», en dernier recours ou font pression pour obtenir une ordonnance de traitement en milieu communautaire. Les cliniciens qui traitent des clients atteints de schizophrénie sont aussi confrontés à de nombreux problèmes: risques de suicide et de comportements violents, refus d’observer le protocole de traitement optimal, rechutes et altération du fonctionnement au fil du temps (CME Institute, 2007). Ultimement, le traite. ment vise à aider la personne à rester ou à retourner dans la communauté et à s’y intégrer.

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Dans ses lignes directrices sur le traitement de la schizophrénie, l’Association américaine de psychiatrie (2004) recommande un protocole de traitement multipoint regroupant plusieurs stratégies reconnues pour améliorer le fonctionnement de la personne:

A
  • la sélection et la prescription d’un antipsychotique destiné à contrôler les symptômes psychotiques aigus, ainsi que des stratégies pour favoriser l’observance au traitement;
  • l’identification et le traitement des troubles concomitants, dont le trouble de l’usage d’une substance et les troubles dépressifs;
  • le recours à des thérapies psychosociales qui ont démontré leur efficacité pour améliorer les symptômes, ainsi que le fonctionnement social et professionnel de la personne.

Les thérapies psychosociales préconisées par l’Association américaine de psychiatrie comprennent les interventions familiales et psychoéducatives, l’entraînement aux habiletés sociales, la thérapie cognitive-comportementale (TCC), le suivi intensif dans la communauté, et le soutien à l’emploi. Mal-heureusement, ces thérapies sont rarement utilisées dans les milieux cliniques bien que les recherches aient démontré leurs effets bénéfiques.

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Les traitements biologiques
L’électroconvulsivothérapie
et la psychochirurgie

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L’internement généralisé des personnes atteintes de troubles psychiatriques dans des hôpitaux psychiatriques/asiles au début du 20º siècle combiné à la pénurie de soignants professionnels a créé un climat qui a permis, et peut-être même subtilement encouragé, l’expérimentation de traitements biologiques radi-caux. Au début des années 1930, Sakel (1938) a commencé à traiter ses patients en les plongeant dans le coma en leur administrant de fortes doses d’insuline. Ce psychiatre affirmait que près des trois quarts des personnes qu’il avait ainsi traitées avaient vu leur état s’améliorer de façon significative. Les résultats ultérieurs étant moins encourageants, on a progressivement éliminé la technique du coma insulinique, car il comportait des risques majeurs pour la santé, notamment un coma irréversible et la mort. Comme nous l’avons expliqué au chapitre 8,
Cerletti et Bini ont mis au point l’électroconvulsivothérapie en 1938, mais cette technique s’est avérée tout aussi peu efficace.
En 1935, Egas Moñiz, un psychiatre portugais, a inventé la lobotomie, une opération chirurgicale qui consiste à détruire les fibres qui relient les lobes frontaux aux centres inférieurs du cerveau. Ses premiers comptes rendus témoignaient d’un taux élevé de réussite (Moñiz, 1936) et pendant les 20 années subsé-quentes, des milliers de personnes - pas seulement celles qui avaient reçu un diagnostic de schizophrénie - ont été soumises à diverses formes de psychochirurgie. La leucotomie est une forme de lobotomie plus circonscrite et plus précise. La lobotomie constituait le traitement de choix pour les patients vio-lents. Beaucoup devenaient effectivement plus calmes après avoir été lobotomisés et obtenaient même leur congé de l’hô-pital. Au cours des années 1950, toutefois, cette intervention est tombée en discrédit, notamment en raison de ses effets sur bon nombre de clients qui se trouvaient abattus et sans énergie après une lobotomie ou qui avaient subi de graves pertes cognitives (p. ex., certains d’entre eux étaient incapables de soutenir une conversation cohérente). Rien d’étonnant à cela puisque la lobotomie détruisait des parties du cerveau que l’on croyait responsables de la pensée. Globalement, la principale raison qui a motivé l’abandon de la lobotomie est la découverte de médicaments aptes à tempérer les excès comportementaux et émotionnels de nombreux clients, en apparence du moins. Aujourd’hui, il existe une approche plus moderne et non invasive appelée « stimulation magnétique transcrânienne répétitive » (rTMS). Des études préliminaires donnent à penser que cette technique pourrait soulager certains symptômes de la schizophrénie, en particulier les hallucinations auditives (Cole et collab., 2015).

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Q

Les traitements pharmacologiques

A

Sans nul doute, la percée la plus importante dans le traitement de la schizophrénie a été la découverte, dans les années 1950, de plusieurs médicaments entrant dans la catégorie des antipsychotiques, aussi appelés «neuroleptiques» parce qu’ils produisent des effets secondaires analogues aux symptômes d’une maladie neurologique.
Les antipsychotiques de première génération (classiques) L’un des antipsychotiques le plus souvent prescrits au cours des 50 dernières années, la phénothiazine, a été produit à l’origine par un chimiste allemand vers la fin du 19e siècle. C’est seulement avec la découverte, dans les années 1940, des antihistaminiques, dont le noyau est composé de phénothiazine, qu’on a commencé à s’intéresser à cette molécule. Étendant son utilisation à d’autres problèmes que le rhume commun et l’asthme, le chirurgien français Henri Laborit préconisait le recours aux antihistaminiques pour diminuer les effets du choc chirurgical. Il avait remarqué qu’ils rendaient ses patients somnolents et atténuaient leurs appréhensions face à l’opération imminente. Les travaux de Laborit ont incité les laboratoires pharmaceutiques à réévaluer les antihistaminiques sous l’angle de leurs effets tranquillisants. Peu de temps après, un chimiste français du nom de Charpentier a créé un dérivé de la phénothiazine qu’il a baptisé chlorpromazine.
Cette molécule s’est avérée très efficace pour calmer les personnes souffrant de schizophrénie. Comme nous lavons dejà expliqué, la phénothiazine agit en bloquant les récepteurs do-paminergiques du cerveau, ce qui diminue l’influence de la dopamine sur les pensées, les émotions et le comportement.

Utilisée pour la première fois à des fins thérapeutiques aux États-Unis en 1954, la chlorpromazine (ThorazineM) est rapidement devenue le traitement de choix pour la schizophré-nie. Le psychiatre canadien Heinz Lehmann (Lehmann et Hanrahan, 1954) a été le premier à utiliser la Thorazine™ en Amnranar, du Mord, Des 1970, plus de 85% des clients des hôpitaux psychiatriques fédéraux et provinciaux américains et canadiens prenaient de la chlorpromazine ou une autre phé-nothiazine. Pendant des années, on a aussi utilisé d’autres antipsychotiques pour traiter la schizophrénie, notamment les
butyrophénones (p. ex., l’halopéridol, Haldo|°) et les thixan-
thènes (p. ex., le thiothixène, NavaneM). Ces deux types de médicaments semblent généralement aussi efficaces que les phénothiazines et leur fonctionnement est similaire. Ces classes de médicaments réduisent les symptômes positifs de la schizophrénie, mais ils ont beaucoup moins d’effets sur les symptômes négatifs.
Bien que les antipsychotiques atténuent certains symp tômes positifs de la schizophrénie, ils ne guérissent pas le trouble. En outre, de 30 à 50% environ des personnes souffrant d’une schizophrénie ne répondent pas favorablement aux antipsychotiques classiques, bien que certains antipsychotiques de nouvelle génération (comme la clozapine) puissent être efficaces chez certains malades. Qu’en est-il aujourd’hui? Carpenter et Davis ont conclu que, plus de 60 ans après l’introduction de la chlorpromazine, les progrès pharmacologiques réalisés dans le traitement de la schizophrénie sont modestes (Carpenter et Davis, 2012). Les chercheurs ont souligné que, même si l’on soigne les psychoses avec un certain succès aujourd’hui, les traitements aptes à soigner efficacement les aspects cognitifs et les symptômes négatifs associés à ces troubles représentent des défis thérapeutiques non résolus. Toutefois, on continue d’espérer que les progrès de la recherche en neuroscience apporteront des découvertes cruciales et que celles-ci déboucheront sur des traitements plus efficaces.
Une analyse plus récente concluait que la clozapine est le seul médicament dont l’efficacité a été démontrée dans le cas de la schizophrénie réfractaire au traitement. En outre, la forte hétérogénéité des réponses des personnes atteintes de schizophrénie aux médicaments en général et à certains médi caments spécifiques oblige le clinicien à procéder par tâtonnement pour déterminer le traitement approprié à chaque individu (Lally et MacCabe, 2015). Les auteurs concluent: «Il n’y a eu aucune innovation psychopharmacologique capitale en ce qui concerne la schizophrénie depuis la découverte de la clozapine à la fin des années 1950. Cette situation est aggravée par la récente decision de l’industrie pharmaceutique de se retirer de la recherche scientifique et technique sur les troubles psychiatriques. » (Lally et MacCabe, 2015. p. 176-177.
Traduction libre)

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Q

Les effets indésirables possibles des antipsychotiques sont préoccupants aussi.

A

On a réussi dans une certaine mesure à contrôler les effets indésirables des antipsychotiques de deuxieme generation, mais les scientifiques s’inquiètent désormais du fait que certains médicaments augmentent le
risque cardiométabolique (Lally et MacCabe, 2015). Aupara. vant, les effets indésirables les plus fréquemment signalés étaient les vertiges, une vision trouble, l’agitation et la dysfonc. tion sexuelle. De plus, une dysfonction des circuits nerveux qui relient le cerveau aux motoneurones spinaux provoque un ensemble d’effets secondaires particulièrement gênants appelés « effets extrapyramidaux», qui rappellent les symptômes de la maladie de Parkinson. Les personnes sous antipsychotiques présentent parfois des tremblements des mains, une démarche traînante et une hypersalivation. Parmi les autres effets indési-rables, mentionnons la dystonie, une sorte de rigidité muscu-laire, et la dyskinésie, une contraction anormale des muscles volontaires et involontaires, qui produit des mouvements de mastication et d’autres mouvements des lèvres, des doigts et des jambes. Ensemble, ces effets indésirables provoquent une cambrure du dos et une torsion du cou et du corps. L’akathi-sie est l’incapacité à rester immobile; la personne bouge et se déplace constamment. Ces symptômes débilitants peuvent être traités au moyen des médicaments utilisés pour traiter le parkinsonisme.
Les clients peuvent aussi souffrir de dyskinésie tardive, des contractions involontaires des muscles de la bouche, qui provoquent des mouvements de succion, des claquements de langue et un tremblement du menton. Dans les cas plus graves, ces mouvements involontaires affectent tout le corps. Ce syndrome touche environ 10 à 20% des clients qui prennent des antipsychotiques sur une longue période et il ne répond à aucun traitement connu (Sweet et collab., 1995).
Enfin, les antipsychotiques peuvent produire un effet indé. sirable appelé « syndrome malin des neuroleptiques » chez environ 1% des clients. Parfois fatal, ce syndrome entraîne une grave rigidité musculaire accompagnée de fièvre. Le cœur s’accélère, la pression artérielle augmente et le client peut tomber dans le coma.
Des études ont démontré qu’en raison des effets indésirables inhérents à tous les antipsychotiques, environ la moitié des clients cessent de prendre ces médicaments après un an et après deux ans, les trois quarts ont abandonné leur médication (Lieberman et collab., 2005). Une enquête canadienne a révélé que 56% des personnes avaient cessé de prendre leurs médicaments sans en parler à leur médecin et que les effets indésirables étaient la raison la plus couramment invoquée (Schizophrenia Society of Canada, 2002). Ces taux élevés de non-observance du traitement incitent les médecins à prescrire des antipsychotiques à libération prolongée (comme le
décanoate de fluphénazine ou ProlixinM), qui sont injectés toutes les deux à six semaines.
Les personnes qui répondent bien aux antipsychotiques prennent des doses de maintien, soit des doses tout iuste suffisantes pour assurer le maintien de l’effet thérapeutique dutrai tement. Ils prennent leurs médicaments chez eux et retournent occasionnellement à l’hôpital ou à la clinique pour faire ajuster la posologie. Toutefois, le fait de suivre un traitement continu entraîne parfois des difficultés sociales, telles que des difficultés à obtenir un emploi ou à établir des liens sociaux ou encore vivre de manière completement autonome. Encore une fois, bien que les antipsychotiques classiques agissent sur les symptômes positifs, ils ont peu d’effet sur les symptômes négatifs comme l’affect plat ou l’amotivation. Si ces médicaments ont réduit de façon significative les hospitalisations prolongées, ils n’en ont pas moins engendré un « syndrome de la porte tournante » fait d’une succession d’admissions, de congés et de réadmissions pour certaines personnes.
Les antipsychotiques de deuxième génération (atypiques) Au cours des décennies qui ont suivi l’introduction des antipsychotiques, l’intérêt envers la recherche de nouveaux médicaments pour la schizophrénie semblait s’être émoussé. Or, cette situation a changé radicalement avec la découverte de la clozapine (ClozarilM), qui semblait améliorer l’état des clients répondant peu aux antipsychotiques traditionnels (Buchanan et collab., 1998) et même entraîner des gains thérapeutiques supérieurs (Rosenheck et collab., 1999).
Lors d’un sondage mené à l’hôpital psychiatrique de Hamilton, en Ontario, la plupart des clients ont indiqué qu’ils avaient une perception favorable de la clozapine et signalé une amélioration de leur niveau de satisfaction, de leur qualité de vie, de leurs capacités cognitives, de leur humeur et de leur vivacité
d’esprit (Waserman et Criollo, 2000).
Selon Meltzer (2013), la particularité des antipsychotiques atypiques réside dans le fait que, pris à des doses efficaces, ils entraînent moins d’effets indésirables que les antipsychotiques classiques. Or, comme les effets secondaires tels que la dyskinésie tardive peuvent être fatals à certaines per-sonnes, Meltzer (2013) privilégie fortement ce type d’anti-psychotiques, car ils minimiseraient initialement les risques de morbidité et de mortalité. Par ailleurs, Meltzer (2013) note qu’un groupe de scientifiques a conclu qu’à l’exception de la clozapine, que nous étudierons plus en détail ci-après, aucun progrès significatif n’a été accompli depuis la découverte de la
chlorpromazine.
Une étude internationale qui englobait des données recueillies à Montréal a révélé que les tentatives de suicide sont moins nombreuses chez les clients souffrant de schizophrénie traités à la clozapine, comparativement à ceux qui prennent de l’olanzapine (un autre médicament atypique) (Meltzer et collab.,
2003). En outre, il semble que les personnes tout juste sorties de l’hôpital qui prennent de la clozapine de façon continue font moins de rechutes que les personnes suivant une ordonnance autre que la clozapine (Conley et collab., 1999). Bien que le mécanisme biochimique précis des effets thérapeutiques de la clozapine soit mal connu, nous savons qu’elle a un impact majeur sur les neurotransmetteurs sérotoninergiques et les
récepteurs 5HT (Meltzer, 2013).
Le succès apparent de la clozapine a incité les laboratoires pharmaceutiques à chercher d’autres médicaments qui pourraient s’avérer plus efficaces que les antipsychotiques tradition-nels. C’est ainsi qu’ils ont découvert l’olanzapine (ZyprexaMD) et
la rispéridone (RisperdalM). Toutes deux provoquent moins d’effets secondaires moteurs que les antipsychotiques classiques et semblent aussi efficaces que ceux-ci pour atténuer les symptômes (Wirshing et collab., 1999) et peut-être même plus encore (Sanger et collab., 1999). Addington, Labelle, Kulkarni et ses collaborateurs (2009) ont comparé l’efficacité, la tolérabilité et
l’innocuité de la rispéridone et de la ziprasidone, un antipsychotique plus récent, lors d’un essai clinique randomisé multi-centrique. Les deux médicaments ont prouvé leur efficacité en tant que traitement de stabilisation et d’entretien chez les personnes qui se remettent d’un épisode aigu de schizophrénie.
Toutefois, la ziprasidone semblait causer moins d’effets nocifs (comme les symptômes extrapyramidaux) et procurer une amélioration des symptômes dépressifs plus nette. Le tableau 11.4 présente les principaux médicaments employés dans le traitement de la schizophrénie.

Il est important de mentionner les effets indésirables les plus sérieux associés à l’usage des antipsychotiques atypiques.
Quoique l’on observe moins d’effets indésirables extrapyra-midaux comme la dyskinésie tardive, cette génération d’anti-psychotiques est à l’origine d’un important problème connu sous le nom de «syndrome métabolique». La plupart des antipsychotiques atypiques entraînent en effet une sensation de faim insatiable chez plusieurs personnes. Il s’ensuit un gain de poids majeur et cet excédent pondéral entraîne des problèmes de santé. De plus, les antipsychotiques ont souvent des effets calmants qui peuvent aller jusqu’à la somnolence, si bien que les personnes ont peu d’énergie pour bouger ou faire du sport. Elles deviennent donc assez rapidement obèses, avec de la graisse abdominale, des taux de sucre et de cholestérol anormaux, ce qui accroît considérablement les risques de diabète et de problèmes cardiaques. L’olanzapine et la clo-zapine sont les deux antipsychotiques qui entraînent la plus grosse prise de poids en quelques mois, alors que l’aripi-prazole cause la prise de poids la moins prononcée. Selon certains chercheurs canadiens, dont la professeure Mendrek de l’Université Bishop, les femmes ne répondraient pas de la même facon que les hommes aux antipsychotiques et elles sont plus exposées à des effets indésirables plus graves (Mendrek et Stip, 2011). Par ailleurs, malgré ses effets positifs au niveau des symptômes positifs de la schizophrénie chez les personnes réfractaires aux autres molécules, la clozapine accroît considérablement le risque de mortalité. En effet, un des inconvénients les plus dramatiques de la clozapine est de causer l’agranulocytose, potentiellement mortelle, qui est caractérisée par une importante diminution des globules blancs dans le sang. C’est pourquoi il est nécessaire d’hospitaliser les personnes qui prennent de la clozapine au début du traitement et d’effectuer des prises de sang mensuelles pendant toute la durée de la prise du médicament afin de vérifier si le nombre de globules blancs est suffisant.
Les antipsychotiques sont aujourd’hui considérés comme des traitements de première ligne pour la schizophrénie malgré leurs multiples faiblesses et leurs effets indésirables. Il reste que certains individus atteints de schizophrénie ne répondent à aucun médicament existant et qu’il est très coûteux pour les compagnies pharmaceutiques de rechercher de nouvelles molécules plus efficaces pour traiter la schizo-phrénie. Il importe de mentionner que, en moyenne, la vie d’une personne qui a reçu un diagnostic de schizophrénie est de 15 ans plus courte que celle de la population en général.
Cette réduction de l’espérance de vie est en partie due au taux élevé de suicides, mais surtout aux effets indésirables des antipsychotiques.
Notre connaissance croissante des diathèses biologiques de la schizophrénie ne doit pas nous amener à négliger les facteurs psychosociaux lorsque nous étudions les causes de cette maladie et les traitements qui visent à la contrôler. En fait, dans son compte rendu sur le dérèglement des mécanismes dopaminergiques et les facteurs biologiques connexes, Kapur
(2003) a conclu avec éloquence que « le dérèglement du système dopaminergique fournit peut-être la force d’impulsion, mais le contexte cognitif, psychodynamique et culturel du sujet faconne son expérience. La psychose est vue comme une interaction dynamique entre une poussée neurochimique ascendante et un processus psychologique descendant, et non comme le résultat déterminé et inéluctable d’une dys-fonction biologique » (Kapur, 2003, p. 17. Traduction libre).
Ce point de vue est largement fidèle aux principes du modèle biopsychosocial.

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Q

Les psychothérapies

A

Les psychothérapies utilisées dans le traitement de la schizophrénie sont de deux types: psychosociales et cognitives. comportementales. Il est évident que négliger l’aspect psychologique et social de la schizophrénie compromettrait les efforts pour venir en aide aux personnes qui luttent contre cette maladie ainsi qu’à leurs proches. De plus, des preuves indiquent que les stratégies psychosociales peuvent grandement améliorer l’efficacité du traitement pharmacologique tout en diminuant le taux de rechute (CME Institute, 2007). Freud croyait que les personnes psychotiques étaient incapables de nouer de relations interpersonnelles étroites. essentielles à une psychanalyse. Bien que Harry Stack Sullivan et Frieda Fromm-Reichman aient, par la suite, élaboré des approches similaires basées sur la psychanalyse pour trai. ter la schizophrénie, les résultats d’une étude de suivi à long terme ont confirmé leur inefficacité (Stone, 1986). Toutefois, des approches psychologiques plus récentes et basées sur les principes cognitifs-comportementaux se sont avérées très effi-caces. Nous examinerons maintenant diverses psychothérapies en commençant par certaines interventions psychosociales.

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Q

L’entraînement aux habiletés sociales

A

L’objectif de l’entraînement aux habiletés sociales est d’enseigner des comportements sociaux qui permettront aux personnes atteintes de schizophrénie de se maintenir dans leur communauté. L’autogestion de la médication, l’établissement de relations amicales, la résolution des conflits interperson-nels, la négociation d’accommodements en milieu de travail sont des exemples d’habiletés sociales qu’il est possible d’enseigner à ces personnes.
Les fondements théoriques de ce modèle découlent notamment du concept d’efficacité proposé par Bandura. Ils impliquent que toute personne peut apprendre à contrôler ses comportements et ses symptômes si on lui donne les outils appropriés et si l’apprentissage est fait de manière comportementale et positive. L’apprentissage amène la compétence et l’intégration communautaire. Robert Liberman et ses collaborateurs ont été des pionniers de cette approche auprès des personnes souffrant de troubles mentaux graves (Liberman, DeRisi et Mueser, 1989; Liberman et collab., 1987). Le thérapeute utilise les techniques générales de l’entraînement aux habiletés sociales (comme le modeling (apprentissage par imitation], le jeu de rôle, la réso. lution de problèmes, etc.) et facilite ainsi l’apprentissage des habiletés qui deviennent presque automatiques.
Une méta-analyse démontre que les personnes atteintes de schizophrénie qui ont séjourné pendant plusieurs années dans des hôpitaux psychiatriques peuvent apprendre de nouveaux comportements sociaux et des aptitudes psychosociales susceptibles de les aider à fonctionner de façon plus autonome au sein de leur communauté (Kopelowicz et collab., 2006).
Toutefois, on constate une meilleure persistance des acquis lorsqu’au moins une personne dans l’entourage du sujet atteint est au courant des apprentissages reçus et peut faire des rappels concernant certains acquis.
Kopelowicz, Liberman et Zarate (2006) décrivent les mut-tiples fonctions de l’entraînement aux habiletés sociales: faciliter des relations sociales, se trouver des loisirs, mieux discuter de ses symptômes et des effets secondaires des traitements avec son psychiatre, surmonter un problème de toxicomanie, gerer des stress au travail, etc. Une méta-analyse portant sur plusieurs approches psychosociales souligne que l’entraine ment aux habiletés sociales serait plus efficace que d’autres approches pour atténuer les symptômes négatifs de la schizophrénie.

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Q

Les thérapies familiales

A

De nombreuses personnes atteintes de schizophrénie retournent dans leur famille quand elles sortent de l’hôpital psy-chiatrique. Plus tôt, nous avons mentionné des études qui ont permis d’établir une corrélation entre des niveaux élevés d’émotions exprimées négatives (y compris une attitude hos-tile, hypercritique et surprotectrice de la part des proches) et les rechutes et les réhospitalisations. Ces observations ont conduit à la création de thérapies familiales individuelles ou multifamilles. Même si elles se distinguent par leur durée, leur contexte et leurs techniques particulières, ces thérapies partagent plusieurs caractéristiques communes au-delà de leur objectif global, qui est d’aider au rétablissement de la personne en améliorant l’atmosphère familiale et en offrant un soutien aux parents. Ce soutien consiste à :
* renseigner les personnes et leurs proches sur la vulnérabilité au stress qui prédispose certains individus à souffrir de schizophrénie, sur les troubles cognitifs associés à cette maladie, sur ses symptômes et sur les signes d’une rechute imminente;
* fournir des renseignements et des conseils sur la façon de surveiller les effets des antipsychotiques;
* encourager les membres de la famille à ne pas se blâmer ni à blâmer la personne atteinte pour son trouble et pour les difficultés qu’elle entraîne pour tous;
* contribuer à améliorer la communication et l’aptitude à résoudre des problèmes au sein de la famille;
* inciter le client et ses proches à elargir leurs réseaux sociaux, en particulier leurs réseaux de soutien. Dans les cas des thérapies multifamilles, le soutien est naturellement offert par les autres parents;
* offrir de l’espoir concernant l’état du client et permettre de mieux comprendre son rétablissement.

Au Canada, le travail avec les familles fait partie des soins offerts à la personne souffrant d’un trouble psychotique tel que la schizophrénie, surtout dans le contexte de cliniques spécialisées pour les personnes qui ont vécu un premier épisode psy-chotique. La réalité veut que les familles soient devenues les pourvoyeurs de soins pour les personnes atteintes d’un trouble psychiatrique lorsque les grands hôpitaux psychiatriques ont procédé à la désinstitutionnalisation. Les familles se sentent souvent isolées, dépourvues et aux prises avec des croyances parfois erronées sur ce que leur proche vit à cause de son trouble psychotique et de ses traitements. Les programmes de thérapie familiale, qu’ils s’adressent à la famille au complet (unifamille) ou à plusieurs familles ensemble (multifamilles) et avec ou sans la personne recevant des soins, visent essentiellement à outiller les parents, à diminuer les stresseurs familiaux et à améliorer la communication au sein de la famille. Plusieurs études et méta-analyses soutiennent que la thérapie familiale est une intervention basée sur les données probantes et qu’elle devrait toujours être offerte (Pharoah et collab., 2003).

Une étude de cas passionnante mettant en vedette un adolescent du nom de Peter, qui a été décrite par Addington, Collins, McCleery et Baker (2009) a mis en lumière le rôle central de la famille. Ce cas démontre la façon dont les symptômes s’expriment lors d’un premier épisode psychotique. La famille a joué un rôle central dans la décision de chercher un traite-ment, dans l’expression symptomatologique réelle et dans l’intervention:
Selon Alex et Marina, le comportement de Peter avait changé environ 18 mois plus tôt. L’adolescent relativement affable qu’était Peter était devenu de plus en plus irritable avec ses parents, et ses notes avaient dégringolé peu à peu. Il avait cessé de sortir avec ses amis et passait des heures dans sa chambre à jouer à Donjons et dragons sur l’ordinateur. Il semblait préoccupé par la sécurité de ses parents et dormait avec une batte de baseball près de son lit afin de pouvoir repousser d’even-tuels assaillants
Au cours de l’entrevue avec le psychiatre, Peter est resté vague sur le moment précis où ses difficultés ont commencé, puis il a décrit un système complexe de croyances impliquant un complot contre lui et ses parents. Il a expliqué qu’il entendait des voix qui l’injuriaient et menaçaient de le tuer. Interrogé sur ses intentions, il a affirmé qu’il se tuerait et tuerait ses parents s’il n’arrivait pas à arrêter l’auteur des menaces. Le plus inquiétant, c’est qu’il était impossible de détourner Peter de son projet. Au cours de l’entrevue, il s’est montré de plus en plus nerveux et absorbé dans ses pensées. Ses symptômes étaient tellement prononcés d’évaluation. d’évaluation. plet. Les renseignements secondaires recueillis lors de la première entrevue sont toujours importants, mais dans ce cas-ci, ils constituaient une partie cruciale du processus d’évaluation.
(Addington, Collins, McCleery et Baker, 2009, p. 52.
Traduction libre)
Les parents de Peter ont suivi une thérapie familiale afin de mieux faire face à cette situation délicate, mais l’attention s’est portée encore davantage sur la famille le jour où Marina, la mère de Peter, est arrivée à la clinique en larmes parce qu’elle s’était disputée avec son mari: le ton avait monté et Peter avait été mêlé à la querelle malgré lui. Selon Addington, Collins, McCleery et Baker (2009), il est probable que c’est ce conflit familial et le retour de Peter à l’école qui ont incité celui-ci à arrêter sa médication. Que s’est-il passé ensuite? Addington et ses collaborateurs (2009) ont raconté qu’au cours des deux mois subsé. quents, Peter « a commencé à décompenser et est devenu de plus en plus isolé, irritable et soupçonneux. Son comportement est devenu de plus en plus bizarre et Peter a refusé de rencontrer son psychiatre et le gestionnaire du cas. L’équipe de soins ambulatoires a alors décidé de demander l’aide de l’équipe mobile chargée du traitement des premiers épisodes psycho-tiques…»

L’histoire de Peter illustre le rôle des facteurs psychosociaux dans la rechute ou la guérison et elle corrobore en grande partie les analyses qui insistent sur l’importance du contexte
social et sur le fait auladie (ida, 2013). Selon Kidd (2013), social et sur le fait que l’expérience sociale est directement les facteurs psychologiques qu’il faut prendre en compte englobent les difficultés liées à la cognition sociale et aux interactions sociales, à la communication, à l’état affectif et au concept de soi. Ces facteurs psychologiques s’inscrivent dans un contexte social. À un moment donné, le client retourne à sa vie quotidienne, dans un milieu qui peut être protecteur et réconfortant ou inadéquat et débilitant. Peter a fini par devenir suicidaire, et l’équipe de soins a travaillé avec l’adolescent et ses parents pendant plus de deux ans et demi pour obtenir une rémission durable de ses symptômes psychotiques et réduire son risque suicidaire. Cependant, Peter demeurait socialement isolé et présentait des symptômes négatifs. Une partie de sa guérison est attribuable au fait qu’il a recommencé à prendre ses médicaments. Addington et ses collaborateurs ont indiqué que Peter avait passé le test d’équivalence d’études secondaires et que ses parents étaient « dévastés de savoir qu’il ne serait pas ingénieur ou médecin comme ils l’avaient espéré. Toutefois, devant les progrès constants de leur fils, ils se sont dits soulagés de savoir qu’il était vivant et ont pu se fixer de nouveaux objectifs. » (Addington et collab., 2009, p. 62. Traduction libre)
Notons qu’il existe des modules d’intervention familiale qui permettent à un thérapeute d’offrir cette intervention en suivant un guide validé empiriquement. Nous retrouvons notamment au Québec le module AVEC (Accompagner, Valider, Échanger, Comprendre), qui repose sur un modèle à la fois psychoéducatif et cognitif-comportemental. Ce programme est offert en format multifamille (sans les personnes atteintes du trouble) et il a démontré son efficacité pour atténuer la détresse chez les parents et améliorer la communication intra-familiale (Leclerc et Lecomte, 2012).

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Q

La thérapie cognitive-comportementale

A

La Société Canadienne de Psychiatrie recommande que toute personne souffrant d’un trouble psychotique, tel que la schizophrénie, et qui a des symptômes malgré la prise de médicaments, se voie proposer une thérapie cognitive-comportementale (TCC) pour la psychose (Norman, Lecomte et Addington, sous presse). Alors que la communauté médicale s’entendait généralement pour dire que les symptômes psychotiques tels que les voix et les pensées délirantes n’étaient compréhensibles qu’à un niveau biomédical, des chercheurs cliniciens britanniques s’intéressant aux biais cognitifs ont voulu comprendre les symptômes psychotiques dans une perspective cognitive. Par exemple, ils ont démontré empiriquement que les voix entendues par certaines personnes souffrant de psychose étaient liées à une attribution erronée de leur dis. cours interne à une source externe et que les croyances de la personne par rapport au pouvoir de ses voix influaient sur ce type d’erreur d’attribution. Ces chercheurs ont également établi qu’il était possible d’obtenir une diminution de l’intensité des voix, de leur fréquence, ainsi que de la détresse associée, en amenant la personne à douter du pouvoir réel de ses voix.
En ce qui concerne les pensées délirantes, les recherches ont établi que les croyances délirantes varient dans le temps et qu’elles peuvent être omniprésentes toute une journée, mais variables le lendemain. D’autres études ont permis de vérifier la présence de divers biais cognitifs chez les personnes souf. frant de psychose, tels que la tendance à sauter à des conclusions hâtives, à surattribuer les événements négatifs à une cause extérieure à soi, et à voir une menace dans des contextes neutres. Or, il est possible de modifier ces biais dans un contexte thérapeutique. De surcroît, et contrairement à ce que prétend le modèle médical, les tenants de l’approche cognitive-comportementale croient que les personnes atteintes de psychose sont fondamentalement rationnelles et que, dans le cadre d’une relation thérapeutique avec une bonne alliance, elles sont capables de considérer les faits soutenant ou non leurs croyances et leurs expériences inhabituelles et de considérer des alternatives à leurs croyances.
Plusieurs méta-analyses attestent l’efficacité de la TCC pour traiter la psychose, notamment pour diminuer les symptômes psychotiques et améliorer plusieurs indices de bien-être (fonctionnement social, qualité de vie, estime de soi, gestion du stress, etc.) (Hoffman et collab., 2012, pour une recension des méta-analyses). Une étude récente a même démontré que le traitement de la psychose au moyen d’une TCC donnait des taux d’amélioration similaires à ceux des antipsychotiques chez les personnes présentant des symptômes psychotiques et qui refusaient de prendre des médicaments (Morrison et collab., 2014).

Le soutien empirique du modèle cognitif est venu de diverses sources, notamment d’un domaine de recherche axé sur les attitudes dysfonctionnelles propres à la schizophrénie.
Les attitudes dysfonctionnelles permettent en effet de prédire une altération du fonctionnement quotidien chez les personnes souffrant de schizophrénie et elles ont été associées à l’auto-stigmatisation (Park, Bennett, Couture et Blanchard, 2013).
Grant, Beck et leurs collaborateurs ont ciblé un ensemble d’attitudes dysfonctionnelles propres à un facteur appelé « croyances défaitistes » qui seraient liées aux symptômes négatifs, dont voici un exemple: « Si on ne peut pas faire une chose correctement, mieux vaut ne pas la faire du tout ». Les techniques principales utilisées dans le cadre de la TCC pour traiter la psychose sont les suivantes: la normalisation de l’expérience, la reconnaissance du lien entre les croyances, les émotions et les comportements, la distinction entre une situation et une croyance, la recherche d’alternatives au sujet de ces croyances, la vérification des faits, la dédramatisation ou spirale descendante («et si c’était vrai, serait-ce si pire que cela?»), la construction de l’estime de soi, l’exploration de stratégies de gestion du stress et des émotions, et la prévention de la rechute.
La figure 11.6 illustre l’enchevêtrement éventuel des croyances et des schémas cognitifs avec les principaux symptômes de la schizophrénie. Selon Birchwood et Meaden
(2013), de tous les symptômes de la schizophrénie, les hallucinations auditives sous forme de voix ordonnant à la personne de commettre un acte (les ordres hallucinatoires)
constituent le symptôme le plus stressant et le plus réfractaire au traitement et celui qui est associé au plus haut risque.
La figure 11.6 fait partie d’une formulation de cas décrite par Birchwood et Meaden (2013) pour un client du nom de Brian. Elle montre que les hallucinations auditives de Brian sont très intenses et ne peuvent qu’exacerber ses symptômes
(p. ex., « tranche-toi les veines » et « ne prends pas tes médicaments »). Les éléments cognitifs sont représentés par les croyances dans le pouvoir des voix elles-mêmes (c’est-à-dire qu’elles sont omniscientes et savent tout de mon passé, elles me contrôlent et m’empêchent de dormir la nuit). Les pourcentages indiqués dans la figure 11.6 représentent la force ou la puissance attribuée à la croyance, un pourcentage de 100% correspondant à une croyance exceptionnellement puissante qui domine la cognition. Le « schéma dominant-dominé», qui reflète l’idée que « les autres sont plus forts que moi», et le sentiment de faiblesse découlant de la croyance que « je suis une mauvaise personne » jouent aussi un rôle.
Si Brian parvient à affronter ces croyances et à les éliminer, la fréquence des ordres hallucinatoires pourrait diminuer; et même s’il continue d’avoir des hallucinations, la limitation de ces croyances néfastes pourrait avoir un effet bénéfique en abaissant son niveau de détresse subjective.
Bien que l’on reconnaisse que la TCC pour le traitement de la psychose est une intervention basée sur les données probantes (Lecomte, Corbière et Leclerc, 2014), cette forme de thérapie n’est malheureusement pas offerte dans la plupart des milieux psychiatriques. L’une des raisons principales concerne le faible nombre de psychologues travaillant dans ces milieux. C’est pourquoi Lecomte et Leclerc, deux chercheurs québécois désireux de surmonter cet obstacle, ont élaboré une intervention TCC pour la psychose qui s’adresse à des groupes et qu’il est possible de confier à des intervenants en santé mentale qui ont suivi une formation brève de deux jours. Leur intervention a d’ailleurs démontré une efficacité supérieure à celle observée dans plusieurs études, avec une grande taille d’effet, qui ont été menées auprès de jeunes suivis dans une clinique pour un premier épisode psychotique (Lecomte et collab., 2008). Ce module d’intervention est d’ailleurs aujourd’hui offert dans 14 pays et traduit dans plusieurs langues.

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Q

Les tendances et les enjeux contemporains

A

Bien que les premières tentatives pour expliquer la schizophrenie aient été centrées sur la famille, les experts s’entendent aujourd’hui pour dire que les facteurs biologiques créent une prédisposition à souffrir d’un trouble et que les stresseurs, surtout ceux de nature psychologique, déclenchent les symptômes chez les sujets prédisposés. Il sera maintenant question des tendances actuelles dans le traitement et les soins offerts aux personnes atteintes de schizophrénie.

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Q

Les tendances générales en matière de traitement

A

Les approches contemporaines les plus prometteuses en matière de traitement placent les interventions pharmacologiques et psychosociales au premier plan.
En 2004, Tania Lecomte et Claude Leclerc ont publié le premier recueil collectif portant sur les interventions psychosociales basées sur les données probantes pour les personnes souffrant d’un trouble mental grave tel que la schizophrénie.
Réédité en 2012, cet ouvrage propose une liste de services et d’interventions, notamment des interventions et programmes déjà décrits dans ce chapitre comme la thérapie familiale, la thérapie cognitive-comportementale pour la psychose, la thérapie de remédiation cognitive et les équipes de suivi intensif dans le milieu. On y retrouve également des programmes de soutien à l’emploi et de soutien au logement, des programmes associés aux psychoses débutantes, des programmes pour les comportements de violence, pour les problématiques d’itinérance et des programmes pour troubles concomitants. Les auteurs décrivent également des interventions prometteuses, mais qui n’ont pas encore reçu la confirmation indiquant qu’elles sont basées sur des données probantes (Lecomte et Leclerc, 2012).
À l’heure actuelle, l’importance commune accordée aux interventions pharmacologiques et psychosociales est illustrée de diverses façons:
.Les familles et les clients reçoivent des renseignements réalistes et rigoureusement scientifiques sur la schizophrénie.
Ils apprennent que la schizophrénie est un trouble qui peut être contrôlé et que le rétablissement est possible. Il est en effet attendu que la personne puisse s’accomplir et mener une vie remplie et satisfaisante, et être une citoyenne à part entière. Ils apprennent aussi que le sentiment de culpabilité des proches, surtout des parents, qui sont parfois amenés à croire que la façon dont ils ont élevé leur enfant est à l’ori. gine du problème, est tout à fait inutile et improductif. De nombreux programmes de traitement déploient de formi. dables efforts pour dissiper ce sentiment de culpabilité tout en mettant l’accent sur la diathèse biologique et la médication essentielle qui y est associée.
* Les médicaments constituent seulement une partie du traitement global. Des interventions psychosociales et psy-chologiques, telles que la thérapie familiale et la thérapie cognitive-comportementale pour la psychose, peuvent of frir des outils et du soutien nécessaire aux proches et à la personne afin de mieux gérer sa santé mentale.
.On reconnaît de plus en plus qu’une intervention précoce est importante et peut influencer l’évolution de la schizophrénie au fil du temps; le fait d’offrir sans tarder les médicaments appropries au client, de lui proposer une psychothérapie adéquate, et de fournir un soutien et de l’information à la famille peut diminuer la gravité des rechutes (Drury et collab.,
1996). Les recherches en cours actuellement au Canada et ailleurs sur une variable appelée « durée de la psychose non traitée » (DPNT), qui correspond généralement à la période allant de l’apparition du premier symptôme psychotique au début du traitement antipsychotique, suggère que plus la DPNT est courte, plus rapide est le rétablissement (Clark et collab., 2006; Malla et collab., 2002). Désormais, il est clairement établi qu’une DPNT plus longue prédit un taux de rechute plus élevé et une rémission plus tardive. Une analyse de 28 études a révélé que la DPNT permet aussi de prédire les symptômes négatifs, un plus petit nombre de symptômes étant corrélé avec une DPNT inférieure à 9 mois. Cette analyse a aussi montré que la DPNT moyenne de 61,4 semaines (Boonstra et collab., 2012) peut passer à 24 semaines dans les milieux où existe une équipe de premier épisode et où sont offerts des services de sensibilisation dans la collectivité (Lloyd-Evans et collab., 2011).
* Les familles touchées par la schizophrénie peuvent recevoir de l’information et du soutien au sein d’organismes communautaires tels qu’AMI-Québec, la Société québécoise de schizophrénie ou la Fédération des familles et amis de la personne atteinte de maladie mentale (FFAPAM), afin de combattre et de réduire l’isolement et la stigmatisation associés au fait d’avoir un proche atteint de schizophrénie.

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Q

D’autres enjeux liés au traitement des personnes atteintes de schizophrénie
L’itinérance et la maladie mentale

A

Au Canada, un grand nombre de sans-abri souffrent d’une maladie mentale. Ainsi, dans un rapport sur litinérance dans le Grand Toronto, Centraide Canada (United Way, 1997) a conclu qu’environ 86% des itinérants avaient souffert d’un problème de santé mentale ou de toxicomanie à un moment de leur vie et que de 30 à 35% des sans-abri vivaient avec une maladie mentale. Dans l’une de ses 105 recommandations, le groupe demandait la création de 5000 unités de logements supervisés pour les personnes qui ont des problèmes de santé mentale et de toxicomanie à l’heure actuelle.
Le nombre d’itinérants est mal connu au Canada et il est clair qu’une étude nationale s’impose. Un rapport publié en 2007 par l’Institut canadien d’information sur la santé
(ICIS, 2007) a fourni des taux d’estimation du nombre de sans-abri dans les principales villes qui semblent être bien inférieurs à la réalité, en partie parce que les chercheurs ont dû se fier aux rapports existants sur la santé publique. Voici ces estimations:
Toronto (5 052), Calgary (3346), Edmonton (2 618), Vancouver (2 174) et Montréal (1 785). Globalement, les auteurs ont indiqué qu’il y a 10 000 itinérants au Canada en tout temps, mais la plupart des entités concernées considèrent ce nombre comme une grossière sous-estimation. La Commission de la santé mentale du Canada a conclu que ce nombre pourrait dépasser les 200 000 personnes au Canada, pour un coût estimé à plus de sept milliards de dollars (Goering et collab., 2014). En fait, une enquête menée en Colombie-Britannique en 2007 a révélé que de 8 000 à 15 000 Britanno-Colombiens souffrant de graves problèmes de santé mentale et de toxicomanie vivaient dans la rue (Krausz et Scheutz, 2011). Bien qu’elles n’aient pas distingué la schizophrénie comme telle, des entrevues dirigées menées auprès de 500 sans-abri de Vancouver, de Victoria et de Prince George ont révélé que 92,8% d’entre eux remplissaient les critères d’un trouble mental reconnu et que 82,6% souffraient d’une dépendance à l’alcool ou aux drogues. Dans l’ensemble, 60 % présentaient une forme d’idéation suicidaire et plus du tiers avait tenté de s’enlever la vie. Il vaut la peine, en particulier, de souligner les niveaux élevés de traumatismes multiples, dont les sévices, que les sujets ont signalé avoir subis dans l’enfance, ce qui a amené les enquêteurs à conclure que, dans la grande majorité des cas, les problèmes de santé mentale étaient antérieurs à l’itinérance plutôt que l’inverse.
Malheureusement, moins d’un cinquième des sujets souffrant de problèmes de santé mentale avait reçu un traitement au cours des 12 mois précédents (Krausz et Scheutz, 2011; Krausz et collab., 2013). Des analyses supplémentaires portant sur des itinérants souffrant d’une forme de troubles mentaux ont montré que plus de la moitié des sujets évalués avaient des antécédents de schizophrénie.
Patterson, Somers et Moniruzzaman (2012) ont découvert l’existence d’une association entre l’itinérance persistante (trois années ou plus), le sexe masculin, l’apparition précoce du comportement, la consommation d’alcool au cours du mois précédent et la consommation quotidienne de drogues illicites. Il y a également une association entre l’itinérance prolongée (une année ou plus au moins une fois ) et la dépendance à une substance ainsi qu’une tendance à présenter deux troubles mentaux ou plus, deux facteurs déterminés lors des entrevues d’évaluation. Des données plus récentes concer-hant le Downtown Eastside de Vancouver révèlent une hausse marquée, depuis une dizaine d’années, de la proportion des personnes itinérantes souffrant d’une maladie mentale qui ont migré à Vancouver (52%, comparativement à 17% il y a 10 ans). On observe chez ces personnes une forte détérioration de leur santé et de leur qualité de vie (Somers, Moniruzzaman
et Rezansoff, 2016).
Heureusement, le Canada a mis en œuvre un certain nombre de projets nationaux dans le but de s’attaquer au pro-blême de l’itinérance en général et aux problèmes d’itinérance et de santé mentale en particulier. Dans cette optique, Stephen Gaetz, de l’Université York, et ses collègues ont créé l’Observatoire canadien sur l’itinérance et le rond-point de l’itinérance
(http://rondpointdelitinerance.ca). Ces deux initiatives rassemblent les chercheurs et les défenseurs des droits des itinérants et fournissent une pléthore d’informations utiles à la popula-tion. Ainsi, les chercheurs ont élaboré une définition et une typologie de l’«itinérance ».
En ce qui touche la santé mentale, la nouveauté la plus importante a été le projet Chez Soi, lancé en 2009 et piloté par la Commission de la santé mentale du Canada et ses parte-naires. Ce projet reposait sur la prémisse qu’il est à la fois plus abordable et plus humain de s’atteler aux problèmes de santé mentale des sans-abri en leur fournissant un logement à long terme. Ce projet de recherche national impliquait la construction de logements dans cinq villes (Moncton, Montréal, Toronto, Winnipeg et Vancouver) et le suivi de plus de 2 000 participants pendant plus de deux ans (Goering et collab., 2014). Le rapport résume les avantages dont bénéficient les itinérants à qui on a attribué un logement (un modèle intitulé Logement d’abord).

En voici les principales conclusions:
* L’approche Un logement d’abord peut être mise en œuvre de façon efficace dans des villes de diverses tailles et de composition ethnoraciale et culturelle variée. L’approche Un logement d’abord met rapidement un terme à l’itinérance.
* L’approche Un logement d’abord représente un investisse ment judicieux.
* Les effets bénéfiques d’un toit et d’un soutien vont bien au-delà des effets des services comme tels.

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Q

L’emploi et le logement

A

Décrocher un emploi constitue un autre défi de taille pour les personnes atteintes de schizophrénie en raison des préjugés liés au fait d’avoir un diagnostic de trouble mental grave. Ce point est important parce qu’il est prouvé que la plupart des personnes souffrant de schizophrénie souhaitent travailler et que le fait d’avoir un emploi apporte plusieurs benefices, notamment une diminution des symptômes psychiatriques, une meilleure estime de soi et le sentiment d’avoir un but dans la vie (Mueser et collab., 2013). Bien que la plupart des provinces et des territoires aient promulgué des lois interdisant aux employeurs de demander aux candidats s’ils ont déjà souf. fert d’une maladie mentale grave, les personnes ayant déjà séjourné dans un établissement psychiatrique ont de la difficulté à décrocher un emploi stable. Une étude pancanadienne récente (Corbière et collab., 2017) précise que les programmes de soutien à l’emploi offerts au Canada permettent à près de 50% des personnes d’obtenir un emploi. Ces programmes, qui font d’ailleurs partie des programmes basés sur des données probantes (Lecomte et collab., 2014), offrent une assistance continue aux personnes aux prises avec un trouble mental grave et un emploi rémunéré (salaire minimum ou plus) dans la collectivité. Plusieurs études sont en cours afin d’augmenter le nombre de personnes qui obtiennent un emploi et afin de les aider à se maintenir en emploi.
Au Canada, les organismes d’aide sociale et les services communautaires et sociaux tentent de fournir des subventions locatives ou un logement à prix modique aux personnes avec un trouble psychiatrique afin de les aider à vivre dans leur propre logement ou dans un foyer collectif, où elles reçoivent la visite occasionnelle de travailleurs en santé mentale. Néan-moins, dans la plupart des villes canadiennes, il y a une pénurie chronique de logements subventionnés pour les clients psy-chiatriques. En outre, une étude menée par le Centre pour les droits à l’égalité au logement (CERA, 2009) a annoncé que plus du tiers des personnes souffrant d’un trouble mental à Toronto s’exposeraient à une discrimination importante si elles voulaient louer un logement.
Le cas d’Edmond Yu (Coyle, 1999), un jeune homme qui avait reçu un diagnostic de schizophrénie, qui a été tué à l’âge de 35 ans par un policier alors qu’il brandissait un petit marteau à bord d’un autobus de Toronto, a fait couler beaucoup d’encre. À la suite de l’enquête du coroner, le jury a formulé 24 recommandations, notamment que l’on fournisse des logements sécuritaires et plus abordables aux clients psychia-triques. Il a aussi recommandé qu’on leur offre des emplois avec un horaire flexible ou à temps partiel afin qu’ils puissent trouver dans le travail une certaine dignité. Le 22 janvier 2004, l’Edmond Yu Safe House Project a été officiellement lancé au Centre Gerstein de Toronto. La maison devait offrir un hébergement temporaire à 16 résidents qui pourraient y rester jusqu’à 18 mois, tout en continuant de chercher un logement perma-nent. Les organisateurs espéraient que les gouvernements municipal et fédéral partageraient les coûts de démarrage de 2 millions de dollars et que la Province de l’Ontario fournirait le budget annuel (790 000 S). La maison, baptisée Place Edmond, est enfin devenue réalité: elle comprend 29 unités autonomes.

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Q

La déstigmatisation

A

Les efforts pour déstigmatiser la schizophrénie doivent continuer.
Rappelez-vous qu’au chapitre 1, nous avons décrit les efforts pré ventifs déployés auprès d’élèves du secondaire pour diminuer la stigmatisation et indiqué qu’une grande partie de ces efforts concernait les personnes souffrant de schizophrénie. Pourquoi se concentrer sur la schizophrénie? Stip et ses collaborateurs (Stip, Caron et Lane, 2001; Stip, Caron et Mancini-Marie, 2006) se sont penchés sur la façon dont la schizophrénie est perçue au Québec. Leurs conclusions étaient à la fois encourageantes et décourageantes. Sur les 1 001 personnes interviewées, 54% ont indiqué que les personnes atteintes de schizophrénie devraient être considérées comme étant violentes et dangereuses et 31% croyaient qu’un diagnostic de schizophrénie entraînerait auto. matiquement un licenciement. En ce qui touche l’intégration des personnes souffrant de schizophrénie dans la collectivité 49% des participants étaient d’accord avec le principe de la réinsertion sociale, mais 40% le désapprouvaient. Dans l’en-semble, par rapport aux points de vue sur le trouble bipolaire, la schizophrénie est perçue comme étant plus grave, plus stig. matisée et moins tolérée (Stip et collab., 2006). Sur une note positive qui augure bien pour l’avenir, précisons que les participants les plus jeunes étaient plus susceptibles d’approuver la réinsertion sociale (57 %) que les plus âgés (29 %). En général, un niveau de scolarité élevé et un plus jeune âge étaient corrélés à un plus haut degré d’acceptation et de compréhension. Ce modèle est conforme à un sondage mené en Ontario auprès de plus de 3 000 adolescents de la 7e à la 12° année, qui a révélé que la majorité des jeunes possédaient quelques connaissances sur la schizophrénie et pratiquaient une faible distance sociale.
Dans l’ensemble, on a noté une corrélation entre une attitude plus positive et une meilleure connaissance de la maladie et le
sexe féminin (Faulkner, Irving, Paglia-Boak et Adlaf, 2010).
Stuart et Arboleda-Florez (2001) ont sondé les attitudes des Albertains envers les personnes souffrant de schizophré-nie. La moitié des participants connaissaient quelqu’un qui avait été traité pour la schizophrénie ou pour une autre maladie mentale. La distance sociale augmentait proportionnellement au degré d’intimité requis par la relation, allant d’un faible pourcentage (20%) de participants qui se disaient incapables d’être amis avec une personne souffrant de schizophrénie à un pourcentage élevé (75%) qui refuseraient d’épouser une personne touchée par ce trouble. Conformément à l’étude de Stip
Et de ces collaborateurs (2001), les participants de plus de 60 ans étaient les moins bien renseignés sur la schizophrénie et ceux qui pratiquaient la plus grande distance sociale. Néanmoins, Stuart et Arboleda-Florez (2001) ont conclu que « la plupart des participants étaient relativement bien informés et conscients de leur connaissance parfois limitée de la schizophrénie»
(Stuart et Arboleda-Florez, 2001, p. 245. Traduction libre). La majorité d’entre eux croyaient que les personnes atteintes de schizophrénie pouvaient être traitées normalement à l’exté. rieur d’un établissement psychiatrique, devaient prendre des antipsychotiques pour contrôler leurs symptômes, pouvaient fonctionner adéquatement dans un emploi stable et n’étaient ni une nuisance publique ni une menace pour la sécurité d’au-trui. Les auteurs ont conclu en outre que c’est la connaissance de la schizophrénie dans ses états les plus graves, ou encore l’exposition aux personnes en crise, qui expliquerait le taux élevé d’attitudes stigmatisantes chez les proches et chez le personnel médical et soignant (Stuart et Arboleda-Florez, 2001,
p. 245. Traduction libre).
Une grande part de la stigmatisation à l’égard de la schizophrénie a ete attribuée aux récits médiatiques négatifs au sujet de personnes atteintes de ce trouble et De Jong et Mather
(2009) ont reconnu que ce facteur était probablement la princi pale cause des opinions erronées exprimées par les étudiants.
A Calgary, on a tenté de promouvoir une attitude plus posi tive chez les journalistes de la presse écrite en fournissant des informations précises aux médias et en les mettant en contact avec des experts de la santé mentale. Malheureusement, l’intervention a produit des résultats mitigés. En général, elle a fait augmenter le nombre d’histoires positives sur la maladie mentale, mais également le nombre de récits négatifs sur des personnes souffrant de schizophrénie (Stuart, 2003). Stuart a émis l’hypothèse que les histoires positives locales ont pu être minées par un phénomène qu’il a baptisé « l’effet CNN», c’est-à-dire que la télédiffusion d’histoires sensationnelles peut éclipser les initiatives locales visant à contrer la stigmatisation.
Enfin, où se situent les professionnels de la santé mentale?
Sont-ils moins portés à stigmatiser les personnes atteintes de schizophrénie que le public comme on pourrait s’y attendre?
Une étude menée en Suisse (Nordt, Rosser et Lauber, 2006) a révélé que les stéréotypes négatifs étaient plus répandus chez les psychiatres que dans la population en général. Des efforts dans les dernières années pour contrer la stigmatisation en Australie ont pu montrer une amélioration des attitudes manifestées par les professionnels de la santé mentale sondés, mais pas chez les omnipraticiens, qui croyaient en la dangerosité perçue des gens atteints de schizophrénie et la faiblesse des personnes ayant reçu un tel diagnostic (Reavley, Mackinnon, Morgan et Jorm, 2014). Il est clair qu’il y a encore des progrès à faire pour contrer la stigmatisation.