Cours 10 La schizophrénie Flashcards
schizophrénie
La schizophrénie est un trouble psychotique caractérisé par de graves anomalies cognitives, émotionnelles et compor-tementales, par une pensée désorganisée qui produit des idées décousues, par un déficit de perception et d’attention, un affect plat ou inapproprié et un comportement moteur anormal. La personne souffrant de schizophrénie se replie sur elle-même, fuit la réalité et se retire souvent dans un monde imaginaire peuplé d’idées délirantes et d’hallucinations.
Le terme «schizophrénie» (qui signifie « esprit fendu») a été introduit par Bleuler (1911). Toutefois, Keshavan, Tandon et Nasrallah (2013), les éditeurs de la revue Schizophrenia Research, soutiennent que ce terme doit incessamment être modernisé et remplacé pour au moins deux raisons princi-pales.
Premièrement, il serait plus juste de parler de «schi-zophrénies » pour refléter les divers types de schizophrénie.
Deuxièmement, le nom actuel ne dit rien du symptôme peut-être le plus fondamental de cette maladie, soit une perception anormale, et il véhicule des stéréotypes à l’égard des personnes qui en souffrent. Les auteurs prédisent qu’avec le temps, le terme diagnostique « schizophrénie » cédera la place à des termes comme «trouble de l’intégration», «syndrome de susceptibilité à la psychose» ou « trouble de dysrégulation dopaminergique ». Toutefois, bien que le changement proposé soit logique, il est peu probable pour le moment, tant le terme «schizophrénie » est ancré dans l’usage.
La schizophrénie est l’une des psychopathologies les plus graves que nous étudierons dans ce manuel
comme en témoignent les taux de mortalité qui y sont associés. En effet, le taux de mortalité chez les personnes souffrant de ce trouble est plus élevé dans tous les groupes d’âge et on estime que leur espérance de vie est plus courte de 20 ans par rapport à celle de la population en général. En outre, des données récentes démontrent que cet «écart du taux de mortalité » est peut-être
en train de se creuser (Laursen, Nordentoft et Mortensen, 2014).
Les facteurs de risques liés à une mort prématurée englobent la consommation de drogues illicites, les effets secondaires des antipsychotiques, un faible engagement familial et une première rémission tardive des symptômes
Quel est le taux de prévalence de la schizophrénie?
Selon une revue de 65 études menées de 1990 à 2013, la prévalence moyenne sur 12 mois est de 0,33% et sa prévalence moyenne à vie entière serait de 0,48% (Simeone et collab., 2015). Comme nous l’avons mentionné plus tôt, ces valeurs sont nettement plus faibles que les estimations présentées dans les études effectuées avant 1990.
Les critères diagnostiques de ce trouble s’appliquent-ils à toutes les cultures? L’expression des symptômes de la schizophrénie varie-t-elle d’une culture à l’autre?
Une méta-analyse des taux de prévalence et d’incidence réalisée par des chercheurs canadiens (Goldner, Hsu, Waraich et Somers, 2002) a mis en lumière des variations réelles selon l’origine géogra-phique, les populations asiatiques présentant les taux de prévalence les plus faibles. Cette maladie touche beaucoup plus d’hommes que de femmes, puisque le ratio hommes-femme est de 1,4 (McGrath, 2006). Myers (2011) a résumé ainsi les données existantes sur ce sujet: « Les nouvelles études donnent à réfléchir, car elles continuent de démontrer que l’incidence de la schizophrénie, de même que ses symptômes, son évolution et son issue pour les personnes qui reçoivent ce diagnos-tic, semblent varier en fonction du contexte culturel. » (Myers, 2011, p. 305. Traduction libre)
Des analyses continuent de mettre en évidence des variations ethniques, y compris chez les réfugiés et les immigrants au Canada. En effet, ceux-ci sont plus ou moins prédisposés à souffrir de schizophrénie selon leur pays d’origine, comme en témoigne une étude récente menée auprès d’immigrants et de réfugiés de première génération en Ontario (Anderson et collab., 2015). Les chercheurs ont décelé des taux plus élevés de troubles psychotiques chez les immigrants des Antilles et des Bermudes. En général, les taux de prévalence des symptômes comme les hallucinations auditives et visuelles sont plus élevés chez les personnes d’origine africaine (Bauer et collab.,
2011), tandis que, chez des personnes originaires de certains pays comme l’Inde, en particulier le sud, les taux de rémission sont nettement meilleurs. Les causes de ces différences sont multifactorielles, mais plusieurs facteurs peuvent varier selon les cultures, notamment: l’exposition à des expériences de vie traumatiques, le degré de préjudice social et les différences en ce qui touche les réactions de la famille et la façon dont elle interprète les symptômes de la maladie (Myers, 2011). Myers (2012) a intégré ces facteurs dans un modèle neuro-anthropologique appliqué de la psychose qui se rapproche beaucoup du modèle biopsychosocial parce qu’il prend en compte l’interaction de «la culture, de la pensée et de l’expérience » (p. 113). La chercheuse a souligné la nécessité de mener des études « fondées sur la culture » dans lesquelles les chercheurs tiennent compte des expériences de vie lorsqu’ils étudient le cerveau d’un individu et les caractéristiques des épisodes psychotiques.
Bien que la schizophrénie apparaisse parfois pendant l’enfance, elle apparaît généralement vers …
la fin de l’adolescence ou au début de l’âge adulte, un peu plus tôt chez les hommes que chez les femmes. Les personnes touchées peuvent connaître un certain nombre d’épisodes aigus. Entre ces épisodes, leurs symptômes sont souvent moins graves, bien qu’ils soient parfois très débilitants. La plupart des personnes souffrant de schizophrénie sont traitées dans la communauté, mais elles doivent parfois être hospitalisées. Après avoir étudié de nouveaux cas de schizophrénie en Nouvelle-Écosse, les chercheurs Whitehorn, Richard et Kopala (2004) ont conclu que l’hospitalisation n’était pas nécessaire pour près de la moitié d’entre eux (46 %). Néanmoins, les personnes qui avaient reçu un premier diagnostic de schizophrénie pendant un séjour à l’hôpital ou qui résidaient dans une région rurale étaient plus susceptibles de nécessiter des soins hospitaliers supplémentaire
s au cours de la première année de traitement.
Au Canada, les jeunes hommes présentent des taux d’hospitalisation beaucoup plus élevés que les jeunes femmes (voir la figure 11.1). La schizophrénie touche 19,9% des patients des hôpitaux généraux et 30,9% des patients des établissements psy-chiatriques. Environ 10% des personnes souffrant de ce trouble meurent par suicide (Gouvernement du Canada, 2006). Malgré les progrès récents en matière de traitement, un grand nombre de personnes avec une schizophrénie présentent des déficits importants. Ces déficits peuvent découler des symptômes inhérents à la schizophrénie, aux déficits neurocognitifs et socioco-gnitifs, et des troubles concomitants (p. ex., la toxicomanie), qui affectent environ 50 % de ces personnes
Les taux de rémission
Les taux de rémission étaient plus variables avant 2005, année où le groupe de travail Remission in Schizophrenia Working Group sur la rémission des troubles de la schizophrénie a établi des critères standards. Selon une analvse récente publiée dans la Harvard Review of Psychiatry, ces taux varient considérablement d’une étude à l’autre. Toutefois, les auteurs concluaient qu’un peu plus d’une personne sur trois voit ses symptômes diminuer temporairement (soit 35,6% après un premier épisode de schizophrénie et 37,0% après de multiples épisodes) (AlAqeel et Margolese, 2012). La rémission s’accompagnait généralement de symptômes initiaux légers, d’un meilleur fonctionnement avant la maladie, d’une réponse plus rapide au traitement et d’une durée plus courte de la psychose non traitée.
En 2004, on estimait à 234 305 le nombre de cas de schizophrénie au Canada. Globalement, cette maladie a provoqué 374 décès cette année-là. Le total des coûts associés à ce trouble, y compris les coûts des soins de santé et de la perte de productivité due à une morbidité et une mortalité précoces, a été estimé à 6,9 milliards de dollars, dont 70% étaient attribuables à la perte de productivité (Goeree et collab., 2005).
Les troubles concomitants semblent avoir une incidence sur l’apparition, la gravité et l’évolution de la schizophrénie.
Des chercheurs canadiens ont étudié la comorbidité des troubles des Axes l et l au sein d’un echantillon communautaire compose d’adultes au prises avec la schizophrénie (U.S. National Epidemiologic Sur. ver of Alcohol and Related Conditions). Ils ont conclu que:
- les troubles de la personnalité concomitants (p. ex., les per. sonnalités évitantes, paranoiaques, dépendantes et antiso. ciales) sont courants et influent sur l’évolution et la gestion clinique de la schizophrénie;
- le traitement devrait comprendre une évaluation des trou. bles concomitants liés à l’usage d’une substance (en particulier l’usage de l’alcool et du cannabis ou la dépendance à ces substances);
- il pourrait être important, pour obtenir un résultat « optimal», de prêter attention aux symptômes concomitants des troubles de l’humeur (en particulier le trouble dépressif caractérisé) et des troubles anxieux (en particulier la phobie sociale).
L’usage concomitant d’une substance constitue un problème majeur pour les personnes atteintes de schizophrénie. Swartz et ses collaborateurs (2006) ont signalé que dans un échantillon de sujets atteints de cette maladie, 37% d’entre eux souffraient manifestement d’un trouble lié à l’usage d’une substance. De plus, ils ont constaté que le phénomène était particulièrement courant chez les hommes et que les troubles des conduites chez l’enfant constituent de puissants facteurs de risque en ce qui a trait aux troubles de l’usage d’une substance associés à la schizophrénie.
Conley et ses collaborateurs (2007) ont effectué une étude prospective du lien entre les symptômes dépressifs et les perturbations du fonctionnement chez des sujets souffrant de schizophrénie et qui suivaient un traitement depuis longtemps.
Environ 40 % d’entre eux étaient déprimés au départ. Au cours des trois années suivantes, par rapport à ceux d’un groupe temoin formé de sujets non déprimés, les sujets atteints de schizophrénie et qui étaient aussi déprimés étaient plus susceptibles de nécessiter des soins de santé mentale en raison d’une rechute, et de soulever des inquiétudes liées à la sécurité (violence, arrestation, victimisation, suicide). Ces personnes sont également plus à risque de présenter des problèmes liés à l’usage d’une substance et de signaler une détérioration de leur satisfaction de vivre, de leur qualité de vie, de leur fonctionnement mental, de leurs relations familiales et de l’observance de leur traitement pharmacologique.
no’ Les troubles anxieux concomitants peuvent imposer un fardeau additionnel aux personnes souffrant de schizophrénie et diminuer encore davantage leur qualité de vie perçue
(Braga, Mendlowicz, Marrocos et Figueira, 2005). Une méta-analyse réalisée par une équipe de chercheurs canadiens a mis en lumière une forte prévalence de troubles anxieux concomitants dans les troubles du spectre de la schizophrénie et des autres troubles psychotiques. Le trouble anxieux concomitant le plus prévalent était l’anxiété sociale, et les chercheurs ont estimé qu’il affectait 14,9 % des sujets souffrant de schizophrénie
Les symptômes cliniques de la schizophrénie
Quand je suis dans un état psychotique, j’ai l’impression d’être une âme désincarnée. Je rencontre des rois de contes de fées, des personnages chimériques. Parfois, je suis tellement absorbée dans mon fantasme que je ne me rends même pas compte qu’il y a des gens normaux autour de moi. Il m’est arrivé de me prendre pour Jeannot Lapin et de ne manger que de la nourriture pour les lapins. Un jour, j’ai cru que j’étais Saint-Michel archange et que je pouvais guérir les autres. Une autre fois, j’ai eu l’impression que mon corps était parcouru de courants électriques qui me contrôlaient et que, si je n’arrivais pas à les maîtriser, ils tueraient des gens. C’était terri-fiant. Ouand cela m’arrive, cela me paraît tout à fait réel.
Sandy, une femme de 37 ans souffrant de schizophrénie.
Tiré du film Full of Sound and Fury, réalisé par l’Office national du film du Canada. Traduction libre) les symptômes de la schizophrénie entraînent des déficits dans plusteurs domaines majeurs: la pensée, la perceptent et ‘attention, mais ils touchent également le comportement moteur, l’expression émotionnelle et le fonctionnement que-idien. Ce diagnostic est associé à un large éventail de sympo.
MOnes qui lagnostic est as sarement tous en mente relatie le DSM précise aies enoins deux symptômes doivent etre présents pour justifier le diagnostic, ainsi que le degré de gra-vité. La durée du trouble est aussi déterminante.
Aucun symptôme particulier n’est indispensable pour justifier un diagnostic de schizophrénie, quoique le DSM-5 exige maintenant que, pour recevoir ce diagnostic, la personne souffre soit d’idées délirantes soit d’hallucinations. Walter Heinrichs (1993, 2001), de l’Université York, estime que la clé pour comprendre la schizophrénie est de reconnaître son hétérogénéité empirique et conceptuelle. Il observe que:
[…] la manifestation, l’évolution et l’issue de la schizophrénie sont variables et diversifiées. Certains clients ont des idées délirantes, mais pas d’hallucinations. D’autres deviennent isolés socialement et n’affichent des symptômes psychotiques «positifs » que plus tard. Certains clients ont des antécédents d’inadaptation sociale et scolaire antérieurs à leur maladie. D’autres semblent s’être épanouis jusqu’à qu’ils soient frappés par un premier épisode psychotique. Les preuves actuelles indiquent qu’il est difficile de trouver des traits ou des caractéristiques spécifiques communes à toutes les personnes qui reçoivent un diagnostic de schizophrénie.
(Heinrichs, 1993, p. 222. Traduction libre)
Cette hétérogénéité laisse croire qu’il pourrait être approprié de classer les personnes souffrant de schizophrénie dans des sous-tvpes associés à des constellations particulières de symptômes. Nous examinerons plusieurs types de symptômes reconnus plus loin dans ce chapitre, mais nous présenterons d’abord les deux grandes catégories de symptômes, positifs et négatifs, propres à cette maladie, et nous décrirons aussi certains symptômes qui ne correspondent pas parfaitement à ces deux catégories.
Les symptômes positifs
Les symptômes positifs se caractérisent par une exagération ou une distorsion: discours désorganisé, hallucinations et idées délirantes. Ils caractérisent en grande partie un épisode aigu de schizophrénie. Ils représentent des comportements exagérés qui ne sont pas apparents chez la plupart des gens, tandis que les symptômes négatifs (décrits plus loin) évoquent l’absence de comportements adoptés par la plupart des gens normaux. Nous décrivons maintenant les symptômes positifs qui impliquent une exagération de certains traits.
Le discours désorganisé
Aussi appelé « trouble de la pensée», le discours désorganisé désigne la difficulté à organiser ses idées et son discours de manière à être compris.
L’extrait ci-dessus illustre l’incohérence des propos de certaines personnes souffrant de schizophrénie. Bien qu’elles reviennent souvent sur une idée ou un thème central, elles sautent du coq à l’âne. Dans ce cas-ci, il est difficile de comprendre exactement ce que le client tente d’exprimer.
Le discours peut aussi être désorganisé par ce qu’on appelle des associations libres, ou relâchement des asso-ciations. Dans ce cas, la personne réussit à communiquer avec un interlocuteur, mais elle passe constamment d’un sujet à un autre. Elle s’égare dans une suite d’associations évoquées par une idée du passé. Des clients ont eux-mêmes décrit cet état.
À une époque, la désorganisation du discours était consi.
dérée comme le principal symptôme clinique de la schizophré. nie et elle demeure l’un des critères diagnostiques de cette maladie. Toutefois, des preuves indiquent que de nombreuses personnes avec une schizophrénie ne remplissent pas ce critère et que la désorganisation du discours ne permet pas de distin. guer facilement la schizophrénie d’autres psychoses, comme Certains troubles de l’humeur (Andreasen, 1979). Ainsi, les associations libres sont communes aux épisodes maniaques et à la schizophrénie.
Les idées délirantes
Songez à l’angoisse que vous ressentiriez si vous aviez la ferme conviction que beaucoup de gens ne vous aiment pas - qu’en fait, ils vous détestent au point de comploter contre vous. Imaginez que vos persécuteurs complotent pour vous discréditer et qu’ils ont installé des dispositifs d’écoute afin de capter vos conversations les plus intimes et de recueillir des preuves contre vous. Les membres de votre entourage, y compris vos proches, tentent en vain de vous rassurer en vous disant que personne ne vous espionne. Dans votre esprit, même vos amis les plus intimes se joignent un à un à vos persécuteurs. Natu-rellement, la situation vous angoisse ou vous met en colère, et vous prenez des mesures pour neutraliser vos persécuteurs imaginaires. Chaque fois que vous entrez dans une pièce, vous l’inspectez soigneusement pour voir si elle contient des dispositifs d’écoute. Quand vous rencontrez une personne pour la première fois, vous l’interrogez longuement pour déterminer si elle trempe dans le complot contre vous.
Ces idées délirantes sont des convictions fermes malgré les preuves contraires qui constituent des symptômes positifs courants de la schizophrénie. Une étude menée auprès d’un vaste échantillon de sujets atteints de schizophrénie dans plusieurs pays a révélé que 65% d’entre eux présentaient
un délire de persécution
Les idées délirantes peuvent prendre plusieurs formes.
Les descriptions ci-dessous ont été formulées par Mellor
- La personne est la cible de sensations corporelles ou de pensées qui lui sont imposées par une entité externe. Un homme décrit «des rayons X qui pénètrent dans mon corps par l’arrière de mon cou, là où ma peau picote et devient chaude; ils descendent dans mon dos jusqu’à ma taille sur une bande d’environ 15 cm de largeur qui picote et qui brûle. Puis ils disparaissent dans mon bassin qui s’en-gourdit et devient froid et dur comme un bloc de glace. Ils m’empêchent d’avoir une érection. » (p. 16)
- La personne croit que ses pensées sont diffusées ou transmises en direct, de sorte que les autres savent toujours ce qu’elle pense. «Pendant que je réfléchis, mes pensées sortent de ma tête sur une sorte de ruban en papier. Les gens autour de moi n’ont qu’à faire défiler le ruban dans leur tête pour connaître mes pensées. » (p. 17)
- La personne pense qu’une force externe lui vole ses pensées de façon soudaine et inattendue. «Je pense à ma mere quand soudain, mes pensées sont aspirées hors de ma tête par un extracteur phrénologique; il ne reste plus rien dans ma tête, elle est vide. » (p. 16-17)
- La personne croit que ses sentiments sont contrôlés par une force extérieure.
«Je pleure, mes larmes coulent et j’ai l’air malheureux, mais au fond de moi, j’éprouve une colère froide parce qu’ils m’utilisent de cette façon; ce n’est pas moi qui suis mal-heureux, mais ils projettent leur tristesse dans mon esprit.
Ils projettent leur joie sur moi sans raison et vous ne pouvez pas imaginer à quel point c’est horrible de rire et d’avoir l’air heureux en sachant que ces émotions ne sont pas à vous, mais à eux. » (p. 17) - La personne croit que son comportement est contrôlé par une force extérieure. «Quand je tends la main pour prendre le peigne, ce sont ma main et mon bras qui bougent, mais mes doigts prennent le peigne, et je n’y suis pour rien… Je les regarde bouger, ils sont autonomes et ce qu’ils font n’a rien à voir avec moi. […] Je ne suis qu’une marionnette manipulée par des ficelles cosmiques. Une traction sur les ficelles fait bouger mon corps sans que je puisse l’en empêcher. » (p. 17)
- La personne croit qu’une force extérieure la pousse à adopter certains comportements. [Un patient qui a vidé le contenu d’un urinal sur le chariot de repas tente de s’expliquer.] « J’ai été saisi par une impulsion soudaine. Elle ne venait pas de moi, elle est entrée en moi dans le département de radiologie où on m’a envoyé pour recevoir des implants hier. Je n’y étais pour rien, ils voulaient que ce soit fait. Alors j’ai pris le récipient et je l’ai vidé. Je n’ai pas pu m’en empêcher. » (p. 18)
Bien que les idées delirantes affectent plus de la moitié des per. sonnes souffrant de schizophrénie, ce symptôme, de même que la désorganisation du discours, est associé à d’autres diagnos-tics, notamment la manie et la dépression délirante. Cepen-dant, dans le cas de la schizophrénie, les idées délirantes sont souvent plus bizarres et très peu vraisemblables (Junginger, Barker et Coe, 1992).
Les hallucinations et les autres troubles de la perception
Les personnes souffrant de schizophrénie affirment souvent que le monde leur paraît différent en quelque sorte ou même irréel. Une personne explique que ses sensations corporelles ont changé ou que son corps est dépersonnalisé et agit comme une machine. Comme dans l’Étude de cas 11.1 présentée au début de ce chapitre, certaines personnes ont de la dificulte a rester conscientes de ce qui se passe autour d’elles.
Les troubles de la perception les plus dramatiques sont les hallucinations, des sensations perçues en l’absence de toute Stimulation extérieure. Elles sont plus souvent auditives que vsuelles; en effet, 74% des sujets d’un échantillon ont signalé avoir des hallucinations auditives (Sartorius et collab., 1974).
Comme les idées délirantes, les hallucinations peuvent être terrifiantes.
Certaines hallucinations revêtent une importance particulière pour le diagnostic parce qu’elles sont plus courantes dans la schizophrénie que dans les autres troubles psychotiques.
En voici quelques exemples (Mellor, 1970, p. 15-23. Traduction libre):
- Certaines personnes souffrant de schizophrénie entendent leurs propres pensées énoncées par une voix étrangère. Une femme se plaignait d’entendre une voix masculine qui chuchotait intensément depuis un point situé à environ 60 cm au-dessus de sa tête. La voix répétait presque toutes ses pensées orientées vers un but, même les plus banales. Si elle pensait: « Je vais faire bouillir de l’eau », en moins d’une seconde, la voix reprenait: « Je vais faire bouillir de l’eau ».
Ou souvent, elle disait le contraire: « Ne mets pas d’eau à bouillir ». (p. 16) - Certaines personnes affirment qu’elles entendent des voix se quereller. Un homme dit avoir entendu des voix venant du bureau de l’infirmière. Une voix grave et rocailleuse répétait : « G. T. est un sacré paradoxe » et une deuxième voix plus aigué di-sait: « Tu as raison, il faudrait l’enfermer. » A l’occasion, une voix féminine intervenait: « Mais non, c’est un homme charmant. » (p. 16)
- Certaines personnes entendent des voix qui commentent leur comportement. Une femme entendait une voix qui venait d’une maison de l’autre côté de la rue. La voix, plate et monotone, décrivait les moindres gestes de la femme en y ajoutant des commentaires critiques: « Elle pèle des pommes de terre, elle prend l’économe, elle ne veut pas cette pomme de terre, elle la rejette parce qu’elle a une excroissance qui lui fait penser à un pénis, elle a l’esprit mal tourné, elle pèle des pommes de terre, maintenant elle les lave. » (p. 16)
Les symptômes négatifs
Les symptômes négatifs de la schizophrénie se traduisent par des déficits comportementaux, comme l’avolition, l’alo-gie, l’anhédonie, l’affect plat et l’asociabilité, des termes que nous décrivons plus loin. Ces symptômes persistent générale. ment au-delà d’un épisode aigu et ont un impact considérable sur la vie des personnes atteintes. La présence de nombreux symptômes négatifs est un puissant prédicteur d’une qualité de vie diminuée (p. ex., l’invalidité professionnelle, peu d’amis) au cours des deux années qui suivent l’hospitalisation (CME Institute, 2007). Il existe aussi certaines preuves que les symptômes négatifs sont associés avec la survenue précoce de lésions cérébrales (hypertrophie des ventricules) et avec la perte progressive des capacités cognitives (déclin du QI)
Il est important de différencier les symptômes négatifs qui sont propres à la schizophrénie de ceux qui sont causes par d’autres facteurs (Carpenter, Heinrichs et Wagman, 1988).
Ainsi, un affect plat (un manque d’expressivité émotionnelle) peut constituer un effet secondaire des antipsychotiques.
Observer les clients pendant de longues périodes est sans doute la seule façon d’y voir clair. De plus, comme Heinrichs
(1993) l’a souligné, les symptômes négatifs (tels qu’un affect plat) étant difficiles à distinguer de certains aspects de la dépression, le manque de spécificité diagnostique est problématique
L’avolition
L’apathie ou avolition se caractérise par un manque d’énergie et d’intérêt ou de persistance dans les activités quotidiennes habituelles. Les clients cessent de se préoccuper de leur apparence et de leur hygiène personnelle: ils ne sont pas coiffés, ont les ongles sales et portent des vêtements fripés. Ils manquent de persévérance au travail, à l’école ou dans les tâches ménagères et restent assis à ne rien faire pendant de longues périodes.
De nouvelles études révélatrices menées surtout au Canada laissent croire que certains symptômes négatifs ont des effets très néfastes, et que le manque de motivation associé à l’avolition ou à l’apathie semble particulièrement problématique. Globalement, ces études indiquent que ce trait pourrait être le principal déterminant du fonctionnement quotidien chez les personnes atteintes de schizophrénie (Foussias et collab., 2011; Foussias et collab., 2009, 2011). Ces conclusions concordent avec les résultats d’une étude longitudinale s’étendant sur 10 ans, qui montre que l’apathie est un prédic-teur unique d’une altération du fonctionnement quotidien et d’une évaluation négative de la qualité de vie (Evensen et collab., 2012).
L’alogie
L’alogie est un trouble de la pensée qui se manifeste par une diminution de la production du discours ou une pauvreté du contenu du discours. Dans ce dernier cas, illustré par l’extrait ci-dessous, la production du discours est adéquate, mais le dis-cours, vague et répétitif, donne peu d’informations
Intervieweur: Pourquoi les gens croient-ils en Dieu
selon vous?
Client:
Premièrement, Il est leur sauveur. Il marche avec moi et parle avec moi. Et euh, d’après ce que je comprends, il y a un tas de gens qui ne se connaissent pas eux-mêmes. Parce qu’ils ne… tous ils.. ne se connaissent pas tout simplement.
ils ne savent pas qu’il… euh… semble m’aimer, beaucoup d’entre eux ne comprennent pas qu’il marche et parle avec eux. Et euh… leur montre le chemin. Je comprends aussi que, tous les hommes et toutes les dames, ne vont pas dans la même direction. Certains vont dans une direction différente. Ils prennent des che. mins différents. Ils vont où Jésus-Christ veut qu’ils aillent. Comme moi. Il me montre des façons de … euh… distinguer le bien du mal, et de le faire, je ne peux pas faire plus, ni moins que ça.
L’anhédonie
L’anhédonie se manifeste par une incapacité à ressentir du plaisir et se traduit par un manque d’intérêt envers les activités récréatives et le sexe, et une incapacité à nouer des relations intimes. Les clients en sont conscients et admettent ne retirer aucun plaisir d’activités normalement considérées comme agréables.
L’affect plat
Les individus avec un affect plat affichent une absence com-plête ou presque complete d’expression émotionnelle quel que soit le stimulus. Le client a le regard vide et éteint, et son visage est atone. Quand on lui parle, il répond d’une voiX monocorde. Ce symptôme affecte la majorité des personnes souffrant de schizophrénie. Ce concept désigne uniquement l’expressivité émotionnelle et non l’expérience intérieure de la personne, qui n’est pas nécessairement appauvrie. Lors d’une étude menée par Kring et Neale (1996), on a enregistré les réactions faciales et la conduction cutanée de personnes avec une schizophrénie pendant qu’on leur projetait des extraits de films. Après chaque clip, les sujets évaluaient l’humeur que le film avait générée en eux. Or, même si les personnes avec une schizophrénie présentaient un visage beaucoup moins expressif que les autres sujets, ils ont décrit une intensité émotive à peu près égale et leurs réactions physiologiques étaient même plus prononcées.
L’asociabilité
Les personnes souffrant de schizophrénie ont parfois des difficultés sociales importantes, une caractéristique appelée asociabilité. Elles ont peu d’amis, manifestent des aptitudes sociales limitées et ne recherchent pas la compagnie de leurs semblables. Une étude menée auprès de clients du Programme de traitement de la schizophrénie de Hamilton (Onta-rio) a révélé que les sujets qui avaient reçu un diagnostic de schizophrénie se caractérisaient par une sociabilité appauvrie et une plus grande timidité (Goldberg et Schmidt, 2001). Ils ont également signalé des « difficultés sociales » plus impor tantes dans l’enfance. Ces manifestations de la schizophrê-nie sont souvent les premières à apparaître, dans l’enfance, avant la survenue de symptômes plus psychotiques. Certains déficits interpersonnels pourraient refléter des déficits de cognition sociale telle que l’incapacité à reconnaître certains indices émotionnels exprimés par les autres.
Les autres symptômes
Certains auteurs, par exemple, Heinrichs, (1993, 2001), ont contesté l’utilité de la distinction entre les symptômes positifs et négatifs. Le problème, c’est que ces deux types de symptômes ne correspondent pas nécessairement à des sous-types exclusifs, car ils coexistent souvent chez la même personne. De plus, plusieurs autres symptômes de la schizophrénie ne correspondent pas parfaitement au schéma positif-négatif, par exemple, la catatonie, et les affects inappropriés, qui sont deux symptômes importants. De plus, plusieurs personnes peuvent afficher divers comportements bizarres. Ils soliloquent dans les endroits publics, amassent de la nourriture ou collectionnent des rebuts.
La catatonie
La catatonie est caractérisée par plusieurs anomalies du comportement moteur. Certains clients font des gestes stéréotypés, en utilisant des séquences singulières et parfois complexes de mouvements du doigt, de la main et du bras qui semblent orientés vers un but malgré leur bizarrerie. D’autres affichent un état d’excitation inhabituel: ils s’agitent, battent l’air des bras et manifestent une forte dépense d’énergie similaire à celle de la manie. À l’autre extrémité du spectre se trouve la stupeur, qui consiste à maintenir une posture curieuse durant de longs moments. Une personne peut se tenir sur une jambe, en repliant l’autre sous son fessier, et conserver cette position presque toute la journée. La catatonie fait parfois intervenir une malléabilité de poupée de cire, appelée flexibilité cireuse, dans laquelle la personne conserve la position imposée par autrui durant de longues périodes.