Irruption du Digital dans les Démocraties Médiatiques (2) : Pratiques de Productions Journalistiques Flashcards
Circulation Circulaire de l’Information (Pierre Bourdieu)
Circulation Circulaire de l’Information
Pierre Bourdieu, Sur la télévision (1996)
Définition
La circulation circulaire de l’information est une critique des pratiques journalistiques décrite par Pierre Bourdieu, selon laquelle les médias tendent à reproduire les mêmes contenus. Cette répétition provient de la quête de légitimité mutuelle entre médias, mais elle entraîne une homogénéisation de l’offre informationnelle et limite la diversité des points de vue.
Origines et Explications
Recherche de légitimité
Les journalistes et les médias s’appuient souvent sur des références croisées à d’autres acteurs du champ médiatique pour valider leurs choix éditoriaux.
Exemple : Lorsqu’un journal prestigieux ou une grande chaîne d’information publie un sujet, d’autres médias le reprennent pour s’aligner sur ce qui est perçu comme “l’agenda légitime”.
Pression du champ médiatique
Dans le champ journalistique, il existe une compétition intense pour être perçu comme crédible et pertinent. Cette concurrence pousse les médias à se conformer à des normes dominantes pour éviter de prendre des risques éditoriaux.
Résultat : Les choix éditoriaux deviennent similaires, car chaque média suit les mêmes modèles ou tendances.
Réduction de la diversité des contenus
Le mimétisme éditorial limite l’exploration d’angles originaux ou de sujets marginalisés.
Les problématiques hors du spectre dominant peinent à émerger, renforçant une vision unidimensionnelle de l’actualité.
Mécanismes Concrets
Effet de relais entre médias
Une information jugée importante par un média est reprise en cascade par d’autres, sans forcément faire l’objet de vérifications ou d’analyses approfondies.
Exemple : Lorsqu’une agence de presse publie une dépêche, celle-ci est souvent reprise telle quelle par plusieurs médias.
Uniformisation des angles de traitement
Non seulement les mêmes sujets sont abordés, mais les angles et les points de vue adoptés sont souvent similaires.
Exemple : Un débat sur l’immigration peut être cadré majoritairement sous l’angle de la sécurité, tandis que d’autres perspectives (droits humains, économie) sont sous-représentées.
Impact des audiences et algorithmes
Avec la montée en puissance des réseaux sociaux et des plateformes numériques, les médias suivent aussi les tendances imposées par les algorithmes, favorisant des sujets déjà populaires pour maximiser les clics. Cela renforce encore la redondance des contenus.
Conséquences de la Circulation Circulaire
Appauvrissement de la diversité informationnelle
Les médias se contentent de reproduire ce qui est déjà dit, réduisant la possibilité d’explorer des sujets non traités ou des points de vue alternatifs.
Exemple : Des enjeux locaux ou spécifiques peuvent être négligés au profit de grands récits dominants.
Perte de confiance dans les médias
Les audiences perçoivent une homogénéisation des discours médiatiques, ce qui peut renforcer un sentiment de méfiance ou de désintérêt.
Renforcement des pouvoirs dominants
En répétant les mêmes récits, les médias tendent à consolider l’hégémonie des idées dominantes, au détriment des contre-discours ou des analyses critiques.
Exemple : Les questions économiques sont souvent cadrées selon les perspectives des grandes institutions financières, marginalisant les points de vue alternatifs.
Critique et Alternatives
Critique de Bourdieu
Bourdieu dénonce la logique commerciale qui pousse les médias à privilégier des sujets consensuels ou sensationnalistes plutôt que des analyses approfondies.
La circulation circulaire révèle l’incapacité des médias à jouer pleinement leur rôle de contre-pouvoir.
Vers une diversification des sources
Encourager le pluralisme journalistique en soutenant des médias indépendants ou locaux.
Exemple : Les médias alternatifs ou les plateformes citoyennes peuvent offrir des perspectives qui échappent à la logique circulaire.
Rôle des consommateurs d’information
Le public peut diversifier ses sources et privilégier des médias proposant des analyses différenciées pour contrer l’effet d’homogénéisation.
Citation Fondamentale
“Le journalisme, pris dans la logique de la circulation circulaire, tend à répéter ce qui est déjà dit ailleurs, au détriment de l’analyse ou de la découverte.”
— Pierre Bourdieu
Résumé Simplifié pour l’Apprentissage
Définition : Les médias reproduisent mutuellement leurs contenus pour se légitimer, homogénéisant ainsi l’information.
Mécanismes : Effet de relais, uniformisation des angles, influence des algorithmes.
Conséquences : Réduction de la diversité des points de vue, perte de confiance, renforcement des pouvoirs dominants.
Solutions : Soutien aux médias indépendants, diversification des sources par les consommateurs.
Nouvelle division du travail de production de l’information
Nouvelle division du travail de production de l’information : Vers une redéfinition de la division du travail journalistique
La digitalisation des médias a profondément modifié le paysage du journalisme, avec des changements significatifs dans les pratiques professionnelles, la hiérarchisation de l’information et la structure même des rédactions. Le passage des médias traditionnels aux médias numériques a reconfiguré la production de l’information, créant de nouvelles dynamiques et des rôles redéfinis pour les journalistes.
1. Le journalisme numérique : Une nouvelle légitimité ?
Bien que les médias en ligne aient pris une place prépondérante dans la diffusion de l’information, leur légitimité a souvent été remise en question, notamment par rapport au journalisme traditionnel.
a. Stigmatisation des journalistes numériques
- Journalisme “low cost” : Selon Alice Antheaume, les journalistes en ligne ont été perçus comme des acteurs de second plan, associés à un journalisme rapide et peu coûteux, souvent moins rigoureux que les journalistes traditionnels.
- Absence de reconnaissance professionnelle : En l’absence d’une carte de presse numérique, les journalistes web n’ont pas les mêmes privilèges ou statuts que leurs homologues traditionnels. Ce manque de reconnaissance professionnelle a alimenté une stigmatisation de cette pratique.
b. Renversement des rapports de force
- Évolution en 2010 : À partir de 2010, les rapports de force ont commencé à s’inverser avec la montée en puissance des médias en ligne. Des initiatives comme les Panama Papers ont montré que les journalistes numériques pouvaient obtenir des résultats significatifs, avec une collaboration de plus en plus forte entre journalistes et citoyens.
- Capacité à travailler collectivement : Le journalisme numérique se distingue par sa capacité à travailler de manière collective, impliquant souvent des lecteurs dans la recherche d’information et dans la production des contenus (ex. : appel à l’OSINT).
2. Nouvelles pratiques de production de l’information
La digitalisation de l’information a entraîné l’émergence de nouvelles pratiques et de nouvelles sources d’information qui transforment la division du travail journalistique.
a. Curation et veille informationnelle
- Nouveaux métiers : Le curateur de contenu devient un acteur clé, sélectionnant, éditant et partageant des informations trouvées sur le web. Ces pratiques permettent aux journalistes de se concentrer sur la recherche et la sélection des informations pertinentes.
- Évolution des outils : Les outils numériques facilitent cette nouvelle forme de veille informationnelle, où la rapidité et la pertinence de l’information sont primordiales.
b. Internet comme terrain d’investigation
- Recherche en ligne : Internet devient un terrain d’investigation en soi, avec une analyse de données massives et l’exploitation des sources ouvertes (OSINT) pour accéder à des informations inaccessibles par les méthodes traditionnelles.
- Accès direct à des données : Les journalistes numériques ont également accès à des données brutes provenant des réseaux sociaux, des bases de données publiques ou des flux d’actualités en temps réel.
c. Spécialisation des métiers
- Fact-checking : Bien qu’il ait existé avant, le fact-checking connaît un renouveau dans les années 2000, avec l’émergence de sites spécialisés dans la vérification des informations et la lutte contre les fake news.
- Data-journalisme : Le développement du data-journalisme permet aux journalistes de manipuler et analyser des données pour produire des enquêtes basées sur des faits mesurables et quantifiables. Ce métier nécessite des compétences en programmation et en analyse de données.
d. Autonomisation des journalistes
- Réseaux sociaux : Les journalistes peuvent désormais monter leurs propres outils d’information, souvent via des plateformes comme Twitter, Facebook, ou des blogs, en contournant les structures médiatiques traditionnelles.
- Indépendance : Ce processus d’autonomisation leur permet de travailler de manière plus indépendante et de diffuser directement l’information au public, sans passer par les chaînes hiérarchiques des rédactions.
3. Concurrence et précarisation des journalistes
Les évolutions numériques ont aussi engendré une concurrence accrue et une précarisation des journalistes dans un secteur où la rapidité et la productivité sont cruciales.
a. Pression sur les journalistes
- Concurrence avec d’autres acteurs : Les journalistes web se retrouvent en concurrence non seulement avec d’autres journalistes mais aussi avec des citoyens ou des influenceurs qui créent et diffusent de l’information via les réseaux sociaux. La distinction entre le “professionnel” et le “non-professionnel” devient floue.
- Rémunération et conditions de travail : La numérisation des médias a aussi conduit à une précarisation des conditions de travail des journalistes. Beaucoup se retrouvent dans des situations où ils sont payés à la pièce ou sous contrat temporaire, et doivent produire une quantité d’informations élevée pour rester compétitifs.
b. Déclin des médias traditionnels :
- Réduction des ressources : La transition numérique des médias a souvent entraîné une réduction des effectifs dans les rédactions traditionnelles et une diminution des ressources financières, poussant les journalistes à travailler avec des ressources limitées.
Conclusion
La digitalisation a reconfiguré la division du travail journalistique en introduisant de nouvelles pratiques, de nouveaux métiers et en remettant en question l’organisation traditionnelle du journalisme. Si le journalisme numérique offre des possibilités d’autonomisation et d’innovation, il conduit également à une précarisation de la profession et à une concurrence accrue. Les journalistes numériques doivent désormais jongler entre la recherche de la vitesse, la fiabilité et la pertinence de l’information, tout en s’adaptant à un environnement où l’audience et l’engagement sont devenus des impératifs économiques.