Leçon 3 Flashcards
Qui est Norbert Elias, et quelle est sa contribution à la compréhension de l’État moderne ?
Norbert Elias (1897-1990) est un sociologue d’origine allemande, connu pour son approche sociohistorique de la genèse de l’État moderne et de la civilisation. Né dans une famille juive de petite bourgeoisie, il a été contraint de quitter l’Allemagne en 1933 en raison de la montée du nazisme. Sa famille, restée en Allemagne, a été victime de la Shoah, ce qui a profondément marqué son parcours. Elias a développé deux concepts centraux dans son analyse de l’État :
- Sociogenèse de l’État : L’État n’est pas une entité naturelle ou linéaire. Il résulte d’interactions complexes, souvent inconscientes, dans un contexte historique singulier. Par exemple, la transition des sociétés féodales fragmentées à des États centralisés a été marquée par des luttes pour le monopole de la violence et de la fiscalité.
- Psychogenèse de l’État : L’émergence de l’État a transformé les comportements sociaux. Avec le monopole de la violence légitime, les interactions humaines sont devenues moins violentes grâce à l’intériorisation des normes sociales, comme la politesse et la civilité.
Elias a exploré ces concepts dans des ouvrages comme Le processus de civilisation et La société de cour. Sa vision est à la fois historique et sociale, intégrant les transformations des mœurs et des structures politiques.
Comment Norbert Elias explique-t-il la transition des sociétés féodales vers les États modernes ?
Elias attribue la transition des sociétés féodales aux États modernes à une série de transformations historiques complexes :
- Point de départ : Dans les sociétés féodales (IXe-XVe siècles), le pouvoir était morcelé entre seigneurs. Ces sociétés étaient caractérisées par des relations d’homme à homme, comme les contrats de vassalité, et une forte fragmentation politique et économique.
- Processus concurrentiel : À partir du XIe siècle, les seigneurs ont commencé à centraliser leurs territoires en rachetant des contrats vassaliques et en menant des guerres pour annexer les terres voisines. Ce processus violent, bien que destructeur, a favorisé l’émergence de monopoles régionaux de pouvoir.
- Rôle du surplus agricole : Le réchauffement climatique médiéval a amélioré les rendements agricoles, créant un surplus. Ce surplus a permis aux seigneurs d’investir dans des armées, intensifiant les luttes pour le pouvoir.
- Dynamique de l’État : La centralisation progressive a conduit à la monopolisation de la violence et de la fiscalité. Par exemple, en France, le duc de Paris a émergé comme un acteur dominant grâce à des avantages économiques et stratégiques, consolidant le pouvoir royal.
Elias met en lumière la nature non linéaire et non intentionnelle de ces processus, soulignant que l’État moderne est le fruit de configurations historiques singulières.
Quels sont les apports et limites de l’approche de Norbert Elias sur la civilisation et l’État ?
Apports :
Elias combine une sociogenèse et une psychogenèse pour analyser l’État, offrant une perspective intégrée sur les transformations sociales et politiques.
Il montre comment l’État moderne a transformé les comportements humains, favorisant la pacification des mœurs et l’intériorisation des normes sociales.
Son concept de configuration dépasse le dualisme entre individualisme (Weber) et déterminisme social (Durkheim), en mettant en avant l’interdépendance des acteurs.
Ses analyses, comme dans Le processus de civilisation, révèlent comment des institutions comme la cour royale ont façonné la société moderne.
Limites :
Son approche est critiquée pour son européano-centrisme, négligeant les sociétés sans État qui peuvent être tout aussi civilisées.
Le modèle ne permet pas d’expliquer des événements comme le nazisme, où une société civilisée comme l’Allemagne a sombré dans la violence extrême.
L’idée de progrès linéaire dans la pacification des mœurs est remise en question, notamment par George L. Mosse avec le concept de brutalisation, qui montre comment la violence peut être réintégrée dans des sociétés modernes.
Elias offre une grille d’analyse riche mais contestée, notamment sur sa vision de la civilisation comme processus universel.