Annales Flashcards
Quelles sont les relations qu’entretiennent État et violence dans les travaux de science
politique présentés dans les premières leçons du cours magistral (12 points) ?
Les relations qu’entretiennent État et violence dans les travaux de science politique présentés dans les premières leçons du cours magistral se structurent autour de plusieurs approches complémentaires, principalement à travers les contributions de Max Weber, Charles Tilly, et Norbert Elias.
-
Max Weber : le monopole de la violence physique légitime
Max Weber est central dans l’analyse des relations entre État et violence. Dans Le Savant et le Politique, il définit l’État comme :
> « cette communauté humaine qui, à l’intérieur d’un territoire déterminé, revendique pour elle-même et parvient à imposer le monopole de la violence physique légitime ».
Cette définition présente deux éléments fondamentaux :
- Le territoire : l’État s’inscrit dans des frontières précises. Il n’y a pas d’État mondial, et les organisations politiques comme l’ONU ne possèdent pas de pouvoir de coercition comparable.
- La violence légitime : l’État revendique l’exclusivité de la coercition pour assurer l’ordre et garantir la stabilité sociale. Toutefois, ce monopole est toujours fragile, réversible, et confronté à des concurrents.
Weber introduit ainsi une vision dynamique de l’État, soulignant que sa construction passe par des luttes pour le contrôle de la violence. Des exemples contemporains, comme le Liban, illustrent des situations où l’État est en crise et où la violence est partagée entre divers acteurs.
-
Norbert Elias : la pacification des mœurs
Norbert Elias enrichit l’analyse wébérienne en ajoutant une dimension psychosociologique. Il montre que la monopolisation de la violence par l’État s’accompagne d’une pacification des mœurs.
- Sociogenèse de l’État : l’État moderne naît à partir des sociétés féodales, où la violence était diffuse et fragmentée. Les seigneurs, en quête de territoire et de pouvoir, mènent des guerres pour centraliser la domination.
- Psychogenèse de l’État : une fois le monopole établi, l’État transforme en profondeur les comportements individuels. Les individus intériorisent des normes de politesse, de retenue et de gestion des émotions. Ce processus de civilisation aboutit à des sociétés moins violentes, où la menace de la violence étatique suffit à maintenir l’ordre.
Pour Elias, l’État est à la fois une structure politique et un mécanisme de transformation sociale. Il analyse notamment la curialisation de l’aristocratie, où les guerriers deviennent des courtisans soumis à des règles strictes de civilité.
-
Charles Tilly : l’État comme acteur guerrier
Charles Tilly adopte une approche historique et fonctionnelle pour analyser l’État. Selon lui, « la guerre fait l’État et l’État fait la guerre ».
- Faire l’État : les dirigeants éliminent leurs rivaux internes pour centraliser la violence et imposer leur domination.
- Faire la guerre : l’État utilise ses ressources pour attaquer des concurrents externes et élargir son territoire.
- Protéger l’État : il défend ses alliés pour maintenir la stabilité politique.
- Prélever les ressources : pour financer ces activités, l’État impose des taxes, ce qui renforce sa capacité coercitive.
Tilly montre que l’État moderne résulte d’une double accumulation :
- Accumulation de la coercition : le monopole de la violence.
- Accumulation des ressources économiques : grâce à la fiscalité et au capital.
Ainsi, la violence est intrinsèquement liée à la construction étatique, mais elle s’institutionnalise progressivement pour garantir la sécurité et l’ordre.
-
Critiques et nuances : la brutalisation (George Mosse)
L’analyse de l’État et de la violence est nuancée par des critiques comme celles de George Mosse. Dans Fallen Soldiers, il développe le concept de brutalisation pour expliquer comment la violence extrême de la Première Guerre mondiale a façonné les sociétés modernes. La guerre a non seulement renforcé les capacités coercitives de l’État, mais a aussi diffusé une culture de la violence, abaissant le seuil d’acceptabilité des comportements violents.
Conclusion
Les travaux de Weber, Elias, Tilly, et Mosse montrent que l’État et la violence entretiennent des relations dialectiques. L’État naît de la violence (guerres féodales, centralisation) mais cherche à la monopoliser et à la pacifier pour maintenir l’ordre. Toutefois, cette pacification peut être remise en cause, comme le montrent les analyses sur la brutalisation. Ces théories soulignent que la violence n’est pas extérieure à l’État, mais une composante centrale de son développement et de sa légitimité.
Quels sont les principaux points de controverses scientifiques qui opposent les théories primordialistes et les théories modernistes de la nation (4 points) ?
Les débats entre primordialistes et modernistes portent sur la nature de la nation, son origine, et les facteurs qui la fondent :
a) Nature de la nation
Primordialisme :
La nation est perçue comme une réalité naturelle et immémoriale. Elle repose sur des liens biologiques, ethniques, linguistiques ou culturels, qui préexistent aux structures politiques modernes.
Ernest Renan souligne toutefois une vision plus culturaliste en disant que la nation repose sur un héritage commun et une “volonté de vivre ensemble”.
Modernisme :
Les modernistes, comme Benedict Anderson (Imagined Communities), soutiennent que la nation est une construction sociale et politique moderne, liée à l’émergence de l’État moderne, du capitalisme et de l’imprimerie.
La nation résulte d’un processus historique récent, développé principalement au XIXe siècle.
b) Temporalité de la nation
Primordialisme : La nation serait intemporelle et existerait depuis toujours, à travers des éléments objectifs comme l’ethnie ou la langue. Exemple : l’idée de la nation allemande chez Herder ou Fichte, enracinée dans un héritage culturel ancien.
Modernisme : La nation est un phénomène récent, lié à la modernité (Révolution française, industrialisation). Elle est une réponse à des besoins politiques et économiques (ex : Gellner, pour qui l’État-nation permet de gérer une société industrialisée).
c) Facteurs identitaires : culture ou politique
Primordialistes mettent en avant des facteurs culturels et identitaires stables comme l’ethnie, la langue ou les traditions.
Modernistes insistent sur la dimension politique : la nation est un produit de l’État et d’un projet politique qui forge une identité collective à travers des institutions (ex : école, armée, médias).
d) Existence des nations sans États
Les primordialistes considèrent que les nations existent même sans cadre étatique. Exemple : la communauté kurde ou arménienne.
Les modernistes, en revanche, soulignent que l’idée de nation est inséparable d’un cadre politique moderne : pas d’État, pas de nation.
Conclusion : Le débat oppose donc une vision essentialiste et intemporelle de la nation (primordialisme) à une vision constructiviste et moderne (modernisme), soulignant l’influence des transformations historiques et politiques dans l’émergence des nations.
La citoyenneté doit-elle être aujourd’hui avant tout abordée comme un statut protecteur ou un ensemble d’actes civiques politiquement orientés (4 points) ?
La question de la citoyenneté oscille entre deux conceptions principales :
a) La citoyenneté comme statut protecteur
Cette approche juridique et statutaire définit la citoyenneté comme un ensemble de droits et de protections garantis par l’État : droits civils (liberté d’expression, propriété), politiques (droit de vote) et sociaux (éducation, protection sociale).
Inspirée des travaux de T.H. Marshall (Citizenship and Social Class, 1950), cette vision insiste sur le rôle de l’État dans la protection des individus contre les inégalités et les abus.
Aujourd’hui, dans un contexte de mondialisation et de précarisation, la citoyenneté comme statut protecteur est essentielle pour lutter contre les inégalités sociales et renforcer la solidarité nationale.
Exemples : les politiques d’accès aux droits sociaux (sécurité sociale, services publics).
b) La citoyenneté comme ensemble d’actes civiques
Cette perspective met l’accent sur la participation active des citoyens à la vie politique et sociale. Être citoyen signifie s’impliquer dans les débats, voter, militer, ou encore agir pour le bien commun.
Cette approche repose sur une vision républicaine et participative de la démocratie, où la citoyenneté est un engagement plutôt qu’un simple statut passif.
Hannah Arendt illustre cette conception en affirmant que la participation civique est l’essence même de la liberté politique.
Aujourd’hui, dans un contexte de défiance envers les institutions et de crises démocratiques, cette conception est cruciale pour revitaliser les démocraties et favoriser l’implication des citoyens.
Exemples : les mouvements citoyens, les consultations participatives, le bénévolat ou encore les mobilisations pour le climat.
Conclusion : La citoyenneté ne saurait se limiter à un statut protecteur ou à un ensemble d’actes civiques : elle doit conjuguer droits et engagement. Si la protection est indispensable pour garantir l’égalité et la dignité des individus, les actes civiques permettent d’enrichir la démocratie en donnant un sens concret à l’appartenance citoyenne. Les deux dimensions sont ainsi complémentaires et nécessaires pour une société équilibrée.