Cours 10 Flashcards

1
Q

Expliquer le droit à la vie privé

A
  • La C.D.L.P. reconnaît explicitement le droit à la vie privée comme un droit fondamental. Comme les autres droits fondamentaux, il est toutefois sujet au tempérament de l’article 9.1 selon lequel : « Les libertés et droits fondamentaux s’exercent dans le respect des valeurs démocratiques, de l’ordre public et du bien-être général des citoyens du Québec ».
  • Le Code civil du Québec reprend plus en détail la formulation du droit à la vie privée. Son article 3 se lit ainsi : « Toute personne est titulaire de droits de la personnalité, tels le droit à la vie, à l’inviolabilité et à l’intégrité de sa personne, au respect de son nom, de sa réputation et de sa vie privée.
    Ces droits sont incessibles ».
  • De plus, un chapitre du Code civil est consacré spécifiquement au respect de la réputation et de la vie privée. On y trouve les deux dispositions suivantes qui sont de portée générale. Elles précisent entre autres qu’une personne peut consentir à ce qu’on porte atteinte à son droit à la protection de sa vie privée :
    Art. 35. Toute personne a droit au respect de sa réputation et de sa vie privée.
    Nulle atteinte ne peut être portée à la vie privée d’une personne sans que celle-ci y consente ou sans que la loi l’autorise.
    Art. 36. Peuvent être notamment considérés comme des atteintes à la vie privée d’une personne les actes suivants :
    1° Pénétrer chez elle ou y prendre quoi que ce soit;
    2° Intercepter ou utiliser volontairement une communication privée;
    3° Capter ou utiliser son image ou sa voix lorsqu’elle se trouve dans des lieux privés;
    4° Surveiller sa vie privée par quelque moyen que ce soit;
    5° Utiliser son nom, son image, sa ressemblance ou sa voix à toute autre fin que l’information légitime du public;
    6° Utiliser sa correspondance, ses manuscrits ou ses autres documents personnels.
  • Les articles 37 à 41 du Code s’intéressent de façon particulière à la protection des renseignements personnels qu’une personne peut détenir sur autrui. Des règles strictes sont définies pour encadrer la collecte de telles données, leur confidentialité et leur utilisation. Elles prévoient aussi que la personne peut consulter et faire rectifier le dossier personnel la concernant qui est détenu par autrui. Ces dispositions s’appliquent notamment à tout employeur privé ou public qui, dans le cours de sa gestion, détient des renseignements personnels sur chacun de ses employés. Les dispositions du Code civil à cet égard sont complétées par deux lois, une destinée au secteur public et l’autre au secteur privé, qui reprennent dans le détail les règles du Code, et qui établissent des recours spécifiques pour en assurer l’application. Il s’agit de la Loi sur l’accès aux documents des organismes publics et sur la protection des renseignements personnels (RLRQ, c. A-2.1) et de la Loi sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé (RLRQ, c. P-39.1).
  • Enfin, la disposition suivante, qui apparaît au chapitre du Code civil portant sur la preuve, contribue certainement au respect des droits fondamentaux, dont le droit au respect de sa vie privée :
    Art. 2858. Le tribunal doit, même d’office, rejeter tout élément de preuve obtenu dans des conditions qui portent atteinte aux droits et libertés fondamentaux et dont l’utilisation est susceptible de déconsidérer l’administration de la justice.
    Il n’est pas tenu compte de ce dernier critère lorsqu’il s’agit d’une violation du droit au respect du secret professionnel.
  • Dans une décision rendue 1999, la Cour d’appel du Québec a fixé les paramètres de l’application des dispositions de la C.D.L.P. et du Code civil en matière de protection de la vie privée dans le cadre du lien d’emploi. Lire : Syndicat des travailleuses et travailleurs de Bridgestone/Firestone de Joliette (C.S.N.) c. Trudeau, [1999] R.J.Q. 2229 (Cour d’appel du Québec, le 30 août 1999 - reproduit dans StudiUM).
  • L’affaire concerne un congédiement que l’employeur motivait par les manœuvres frauduleuses du salarié pour prolonger une absence due à la lésion professionnelle dont il avait été la victime. Le salarié avait justifié son absence par des certificats médicaux laconiques qui avaient attiré l’attention de l’employeur. Doutant du motif d’absence du salarié, l’employeur eut recours aux services d’un enquêteur privé qui espionna et filma à quelques reprises le salarié, à son insu, dans ses déplacements extérieurs et lors d’activités de jardinage effectuées devant son domicile. La bande vidéo filmée par le détective montrait le salarié effectuant des gestes qui, de toute évidence, étaient incompatibles avec la condition médicale qu’il invoquait au soutien de son absence. L’employeur congédia le salarié sur le champ, congédiement qui fut contesté devant un arbitre de griefs. Écartant l’argument syndical fondé sur l’article 2858 du Code civil, l’arbitre saisi du litige admit le vidéo patronal en preuve et maintint le congédiement. La Cour d’appel confirma l’admissibilité en preuve de la bande vidéo et la validité du congédiement. Ce faisant, elle précisa les principes suivants qui depuis, constituent le droit en vigueur au Québec sur la question.
  • Selon la Cour, le droit à la protection de la vie privée, reconnu par la Charte et le Code civil, reste flou et difficile à circonscrire. Ne dépendant pas d’un lieu en particulier, il suit l’individu partout, quel que soit l’endroit où il se trouve, même s’il s’agit d’un lieu public. La filature commanditée par l’employeur, même si elle était survenue alors que le salarié se trouvait dans des lieux publics, était donc susceptible de violer le droit à la vie privée de celui-ci. Par ailleurs, le statut de salarié et l’état de subordination juridique qui le caractérise ne font pas perdre le droit à la protection de sa vie privée au profit de l’employeur. La Cour d’appel est explicite à cet égard :
    Ce rapport de dépendance juridique et fonctionnelle ne colore pas cependant toutes les relations entre l’employeur et le salarié, notamment hors l’établissement. Même à l’intérieur de celui-ci, peuvent se poser des problèmes de protection du droit à la vie privée et à la dignité du travailleur, qui seront sans doute examinés lorsque l’occasion se présentera. La relation de dépendance dans l’exécution du travail ne permet pas d’induire un consentement du salarié, au sens de l’article 35 C.C.Q., à toute atteinte à sa vie privée. (p. 2242)
    La Cour d’appel insiste sur le fait qu’une telle renonciation de la part du salarié doit être précise et explicite.
  • La Cour précise que le droit à la vie privée dont jouit le salarié n’est pas absolu, et qu’il peut être sujet à des restrictions raisonnables, même hors des lieux et des heures de son travail. Ces restrictions doivent s’analyser dans le cadre de l’article 9.1 de la Charte. Voici les propos de la Cour à cet égard :
    En substance, bien qu’elle comporte une atteinte apparente au droit à la vie privée, la surveillance à l’extérieur de l’établissement peut être admise si elle est justifiée par des motifs rationnels et conduite par des moyens raisonnables, comme l’exige l’article 9.1 de la charte québécoise. Ainsi, il faut d’abord que l’on retrouve un lien entre la mesure prise par l’employeur et les exigences du bon fonctionnement de l’entreprise ou de l’établissement en cause. Il ne saurait s’agir d’une décision purement arbitraire et appliquée au hasard. L’employeur doit déjà posséder des motifs raisonnables avant de décider de soumettre son salarié à une surveillance. Il ne saurait les créer a posteriori, après avoir effectué la surveillance en litige. (p. 2243)
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Q

Que dit l’art 3 CDLP?

A
  • La C.D.L.P. reconnaît d’autres libertés fondamentales dont la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association (art. 3). Ces libertés prévalent dans les milieux de travail tout en étant assujetties aux limites que permet l’article 9.1 de la Charte
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3
Q

Que dit l’art. 4 CLDP?

A
  • De la même façon, l’article 4 de la Charte reconnaît le droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation.
  • Dans une décision récente, la Cour d’appel condamne un employeur à verser 7 000$ à quinze salariés à titre de dommages moraux pour atteinte discriminatoire à leur dignité, leur honneur et leur réputation. Ce faisant la Cour fait ressortir les difficultés propres à un recours fondé sur l’article 4 de la Charte. Lecture suggérée : Calego international inc. c. Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, 2013 QCCA 924 (disponible dans StudiUM).
  • Dans cette affaire, il s’agissait de propos injurieux tenus par l’employeur à l’endroit de salariés d’origine chinoise immigrés récemment au Canada. Pour qu’un recours en dommages contre l’employeur réussisse, la Cour exige que ces propos soient discriminatoires au sens de l’article 10 de la Charte. Les droits reconnus à l’article 4 doivent avoir été violés de telle façon que le droit à l’égalité des plaignants reconnu à l’article 10 ait été compromis (à cause des articles 74 et 71 (1°) de la Charte).
  • Les propos suivants du juge Morissette illustrent la difficulté du lien à faire entre les articles 4 et 10 de la Charte :
    J’estime comme le juge Vézina et le Tribunal que les articles 4 et 10 de la CDLP doivent être lus en conjonction l’un avec l’autre. C’est ce qu’a fait le Tribunal en l’espèce : en s’en tenant étroitement au texte de ces deux dispositions, il s’est appliqué à déterminer « si une distinction fondée sur l’origine ethnique ou nationale a eu pour effet de détruire ou de compromettre le droit à la reconnaissance et à l’exercice en pleine égalité du droit à la sauvegarde de la dignité et de l’honneur des plaignants». La proposition, on le voit, n’est pas des plus simples à énoncer et elle n’est pas exempte d’ambiguïtés car elle comprend plusieurs termes polysémiques susceptibles de prêter à interprétation (qu’entend-on exactement par détruire? Compromettre? Reconnaissance? Sauvegarde?). Mais je me rallie sans hésiter à la conclusion que, dans ce cas-ci, une distinction prohibée, fondée en l’occurrence sur le fait d’être chinois, a compromis l’exercice en pleine égalité de ce qui constituait peut-être une composante d’un droit fondamental : en d’autres termes, s’il y a ici une difficulté quant à la portée du droit invoqué par les mis en cause [je les appellerai désormais les « plaignants »], elle résulte non pas du sens à donner à l’article 10, mais de celui qu’il faut dégager de l’article 4. (Paragraphe 94)
  • Par ailleurs, le salarié qui prétend être victime de la violation de son droit à la sauvegarde de sa dignité, de son honneur et de sa réputation devra en faire la preuve, ce qui peut être fort exigeant. Dans la décision Calego international inc. le juge Vézina indique ceci :
    Il faut une atteinte d’une réelle gravité. Le seuil est élevé. Autrement, on banalise la Charte et on multiplie inconsidérément les poursuites en justice pour obtenir de gros sous et non pour sauvegarder les droits fondamentaux. (Paragraphe 50)
  • Quant au juge Morrissette, ses propos sur la question sont très explicites:
    À mon avis, on doit se montrer prudent lorsque l’on tente de cerner la portée de cette dernière disposition, et cela en raison même du caractère fort malléable des termes dans lesquels elle s’exprime. Il faut toujours tenir compte du but poursuivi par l’article 4 et ce ne saurait être de permettre à toute personne qui, subjectivement et même de bonne foi, se croit visée par une insulte ou par une injure à teneur discriminatoire, de brandir avec courroux les notions de dignité ou d’honneur et de demander réparation par voie de justice. L’honneur, par exemple, est une notion dont le contenu peut varier considérablement d’un lieu ou d’un milieu à un autre, une notion très extensible au nom de laquelle certaines personnes, dans certaines cultures, se croient autorisées à en rabaisser d’autres, ou à faire gravement entrave au libre arbitre d’autrui. En outre, par-delà ces distinctions de milieux ou de cultures, différents individus (et parmi eux les plus modestes comme les plus vaniteux) peuvent avoir des conceptions fort diverses de ce qui constitue pour eux une atteinte intolérable à leur honneur.
    Il me paraît donc évident qu’un critère objectif doit d’abord nous guider dans l’interprétation de l’article 4. La pierre de touche des notions de dignité et d’honneur est une norme abstraite. Il s’agit de la perception d’une personne raisonnable qui, visée comme ici par une remarque à teneur discriminatoire, tempère sa réaction parce qu’elle est habituée aux us et coutumes d’une société pluraliste où l’on valorise la liberté d’expression et où l’on admet certains excès de langage dans l’exercice de cet autre droit fondamental. En d’autres termes, on tolère ici une liberté de ton qui n’est pas la norme partout ailleurs. Cette considération doit figurer dans l’analyse des notions de dignité et d’honneur. Aussi, avant de s’estimer atteinte dans son « droit à la sauvegarde de sa dignité [ou] de son honneur » d’une manière qui contrevient à l’article 10 de la CDLP, la personne raisonnable devra avoir essuyé un affront particulièrement méprisant envers son identité raciale, ethnique ou autre, et lourd de conséquences pour elle. Enfin, en ces matières, on devrait toujours garder présente à l’esprit la maxime de minimis non curat lex.
    La protection de la CDLP, ne l’oublions pas, s’étend bien au-delà de l’identité ethnique, nationale ou sexuelle. Vu le libellé des articles 4 et 10, cette protection vise aussi, et entre autres choses, les convictions politiques ou religieuses. Ces caractéristiques, il est vrai, ne sont peut-être pas toutes des attributs de l’honneur ou de la dignité de la personne, mais les textes sont rédigés tels qu’ils le sont et ils ne font pas cette distinction. Or, entre intégristes, agnostiques et athées, entre fidèles de confessions religieuses différentes et rivales, entre adhérents à des mouvements licites d’extrême gauche ou d’extrême droite, ou entre minorités raciales ou religieuses antagonistes, les relations peuvent manquer de cordialité. Il ne faudrait pas que, par le biais de ces dispositions, les tribunaux soient appelés à arbitrer selon une idée anormalement hautaine ou chatouilleuse de la dignité ou de l’honneur les rapports souvent conflictuels entre diverses tendances confessionnelles, idéologiques ou culturelles. La coexistence de ces diverses tendances, les tensions assez vives qui peuvent exister entre elles et les paroles peu amènes qu’elles inspirent parfois sur le compte d’autrui, sont justement la marque d’une société ouverte, libérale et tolérante. D’ailleurs, la pratique des tribunaux québécois démontre que, de manière générale, ils ont résisté aux tentatives de les amener sur ce terrain.
    En outre, les notions de dignité, d’honneur et de réputation ne sont pas réductibles à une seule et même chose. J’incline à penser que les deux dernières connotent, quoique peut-être à des degrés différents, l’idée d’un regard porté par un tiers sur la personne qui se prétend victime de l’atteinte. Ce n’est pas le cas, me semble-t-il, de la première, puisque la dignité est le respect auquel a droit la personne pour elle-même, en tant qu’être humain et sujet de droit. Agonir d’injures racistes un membre d’une minorité raciale – ou même d’une majorité raciale – constituera normalement une atteinte à la sauvegarde de sa dignité, peu importe que cela se fasse en présence de tiers ou non.
    Le critère applicable est donc d’abord objectif. Cela dit, il faut en évaluer l’impact dans le contexte précis où quelqu’un se prétend victime de discrimination. Dans cette mesure, on atténue le caractère abstrait du critère (celui qu’exprime la notion de personne objectivement raisonnable) et l’on se rapproche de la situation particulière de l’individu qui se prétend victime de discrimination.
    Mon collègue le juge Vézina a bien décrit la situation des plaignants. Pour ma part, je mettrais l’accent sur les éléments suivants. L’un d’entre eux domine l’ensemble : le rapport particulier qu’instaure inévitablement la relation entre un employeur et ses salariés.
    […]
    En somme, si je tentais de résumer en quelques mots la situation de chacun des plaignants, je dirais qu’elle consiste en ceci : il doit souffrir silencieusement de se laisser injurier par son employeur, en présence de tiers et à son travail, sur son origine ethnique ou nationale, à défaut de quoi il risque de perdre un emploi précaire qu’il exerce par nécessité et non par choix.
    Je considère que ces éléments suffisent pour conclure en un premier temps qu’il y a eu ici une atteinte discriminatoire au droit des plaignants à la sauvegarde de leur dignité. (Paragraphes 98 à 105. Les notes infrapaginales ont été omises)
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