Le poète face à la nuit Flashcards
La révolte du poète
Au silence succède donc la révolte, comme le dit le poème 4 du livre IV : « Je voulais me briser le front sur le pavé ; / Puis je me révoltais, et, par moments, terrible, / Je fixais mes regards sur cette chose horrible, »Comment Dieu a-t-il pu oser faire périr Léopoldine ? Comment Dieu a-t-il pu être si cruel ?
La poésie devient alors le lieu d’un combat titanesque entre le poète mortel et Dieu tout-puissant.
le poème « Trois ans après » qui met en scène cette révolte.Dieu perd de sa superbe, Hugo écrit « ce Dieu » et non pas Dieu, il n’est qu’un parmi d’autre et peut-être doit-il être abandonné : « Si ce Dieu n’a pas voulu clore / L’œuvre qu’il me fit commencer, / S’il veut que je travaille encore, / Il n’avait qu’à me la laisser ! » Le poète contredit Dieu, il se fait donc blasphémateur.
Dieu a eu tort : soit de tuer Léopoldine, soit d’exiger désormais quoi que ce soit du poète. Le temps de la poésie est passé car Léopoldine n’est plus là
« Il n’avait qu’à me laisser vivre / Avec ma fille à mes côtés, / Dans cette extase où je m’enivre / De mystérieuses clartés ! » C’est de Léopoldine que Hugo tirait sa force créatrice car si le poète peut déchiffrer les secrets de l’univers c’est avant tout parce qu’il n’est pas dans le même état que les hommes, il est en transe et voit ce que les autres ne peuvent pas voir, il pénètre par les yeux de l’esprit un univers parallèle fait de symboles. Pour écrire il doit donc être en extase : sortir hors de soi. De même, la contemplation platonicienne exige de n’être qu’esprit et d’oublier son corps, d’où la fameuse citation « philosopher, c’est apprendre à mourir » (sous-entendu mourir au monde pour n’être plus qu’une âme qui contemple la vérité, c’est-à-dire pour Platon les Idées et les rapports mathématiques).
Après s’être fait blasphémateur, le poète devient accusateur. Il accuse Dieu d’être responsable de la mort de Léopoldine car à force d’illuminer le poète celui-ci est devenu aveugle et n’a pas pu voir sa fille
« As-tu donc pensé, fatal maître, / Qu’à force de te contempler, / Je ne voyais plus ce doux être, / Et qu’il pouvait bien s’en aller ? » Dieu n’est plus bon, il est un « fatal maître » qui ne voit que son intérêt personnel. Dieu est donc devenu satan
Entre le rayon de l’homme et de Dieu, Hugo a fait son choix, il sacrifie Dieu pour demeurer avec sa fille. En plus de perdre sa force de vivre, le poète a perdu la foi.
« Ô Dieu ! vraiment, as-tu pu croire / Que je préférais, sous les cieux, / L’effrayant rayon de ta gloire / Aux douces lueurs de ses yeux ? “
. La mort de Léopoldine est comprise comme le prix à payer pour écrire, pour voir la vérité en face dans la contemplation poétique.
La mission du poète est ainsi devenue un fardeau que Hugo regrette
« Ô Dieu sombre d’un monde obscur, / J’eusse aimé mieux, loin de ta face, /Suivre, heureux, un étroit chemin, /Et n’être qu’un homme qui passe / Tenant son enfant par la main ! »Le temps de la poésie est passé et il n’aurait jamais dû être si Léopoldine était le sacrifice à consentir pour la victoire.
Hugo n’est pas Agamemnon qui sacrifia Iphigénie pour que les dieux lui accordent des vents favorables. Le poète redevient un homme comme les autres, il n’a plus la force de guider les hommes
« Guider les foules décrépites / Vers les lueurs de l’horizon ; » La « future humanité » n’est plus de son ressort, d’autres devront s’en occuper.
Si le poète se désintéresse de l’humanité c’est qu’il est tout occupé au regret de sa fille bien-aimé, rien d’autre ne peut l’atteindre . La souffrance le détourne des autres.
« Mais songez à ce que vous faites ! / Hélas! cet ange au front si beau, / Quand vous m’appelez à vos fêtes, / Peut-être a froid dans son tombeau. » Hugo n’est plus poète, il ne défendra plus les autres car cette mission l’a fait se détourner de sa fille.
Un poète mort-vivant : pour être heureux il faut apprendre à vouloir que les choses arrivent comme elles arrivent et non pas vouloir qu’elles arrivent comme nous souhaiterions qu’elles arrivent. Il faut accepter le destin.
« T’es-tu dit que l’homme, vaine ombre, / Hélas! perd son humanité / A trop voir cette splendeur sombre / Qu’on appelle la vérité ? »
dans ce poème le stoïcisme est assimilé à un durcissement du cœur : celui qui accepte tout ce qui arrive n’est plus un homme. Le poète parfait serait celui qui ne fait qu’un avec sa mission et donc perdrait son humanité en contemplant la vérité : Cet homme n’aurait plus rien d’humain et ne ressentirait même pas la douleur.
celui qui accepte tout ce qui arrive n’est plus un homme
il ne ressentirait plus rien comme un philosophe stoïcien
« Qu’il va, stoïque, où tu l’envoies, /Et que désormais, endurci, / N’ayant plus ici-bas de joies, / Il n’a plus de douleurs aussi ? » Le poète serait ainsi le jouet de la divinité qui l’inspire et aurait perdu tout contact avec le commun des mortels.
la douleur de Hugo vient déjouer ce projet divin : la douleur est trop forte pour être ignorée, le poète ne peut pas faire comme s’il n’était pas humain
« Ô ma fille ! j’aspire à l’ombre où tu reposes, / Puisque mon coeur est mort, j’ai bien assez vécu. »
Hugo n’est qu’un fantôme errant parmi les vivants, il n’est plus que l’ombre de lui-même et fait déjà partie du monde des morts. Dans ce poème, il y a une sorte de dévitalisation de toutes les activités du poète. Le repos ne peut alors plus signifier que rejoindre Léopoldine dans la tombe
Après la révolte, c’est la résignation qui domine et l’attente de la mort prochaine.
« Dans ce bagne terrestre où ne s’ouvre aucune aile, / Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains, / Morne, épuisé, raillé par les forçats humains, / J’ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle. »
Hugo réclame de mourir et d’être englouti par le royaume de la nuit. Si Dieu veut se racheter, il n’a plus qu’à faire que le père rejoigne la fille
« Ô Seigneur, ! ouvrez-moi les portes de la nuit, / Afin que je m’en aille et que je disparaisse. »