Les Restaurations et contre-révolutions après 1815 Flashcards
Quel est le projet idéologique de la restauration?
Au-delà du système des congrès, le moment 1815 marque l’avènement de régimes dits « restaurés », qui affichent leur ambition de rétablir l’esprit de l’Ancien Régime, comme si la période révolutionnaire n’avait été qu’une longue parenthèse. Il s’agit de « renouer la chaîne des temps », comme l’énonce une phrase célèbre du préambule de la Charte que le roi Louis XVIII octroie à ses sujets en juin 1814. Ce projet idéologique est en réalité beaucoup plus compliqué, voire « impossible », à mettre en œuvre, tant sont profondes les transformations politiques, sociales et culturelles qu’a initiées « l’âge des révolutions atlantiques ». Comme toute période de transition, cette expérience de reconstruction des légitimités politiques, qui se déploie sur l’ensemble du continent européen, passe par des compromis, des concessions et des transactions. Si l’ambiance intellectuelle valorise en effet les idées contre-révolutionnaires et néo-absolutistes, ces dernières doivent composer avec des dynamiques sociales et politiques qui leur échappent en grande partie. 1815, en ce sens, n’est pas un retour à l’avant-1789. Les régimes restaurés, même les plus autoritaires, promeuvent aussi des politiques de réconciliation et d’apaisement, après les déflagrations multiples qui ont fracturé l’Europe et les sociétés au cours des deux décennies passées.
Comment s’est déroulé la restauration à prétention autoritaire de l’Espagne?
À son retour sur le trône espagnol en 1814, le roi Ferdinand VII, surnommé « El deseado » (le désiré), jouit d’une forte popularité. Les députés libéraux et les patriotes qui ont résisté à l’occupation napoléonienne et siégé aux Cortes l’ont fait non pas contre le roi, mais en fidélité à sa personne et à la légitimité qu’il incarnait. Leur déception est profonde lorsque le souverain décide, dès son retour, d’abroger la Constitution de Cadix de 1812 et de marginaliser les acteurs politiques libéraux. S’appuyant sur les courants réactionnaires de l’armée et de l’Église, le roi annule les lois votées en son absence par les Cortes, rétablit l’Inquisition et garantit une forme dégradée de liberté d’expression. Cette monarchie restaurée, sans parlement ni consultation d’aucune sorte de la population, est clairement d’inspiration néo-absolutiste. Ferdinand VII fait le choix de la fermeté et de la répression, conduisant près de 10 000 afrancesados, compromis avec l’ancien occupant, à trouver refuge en France. Même les autres grandes puissances du congrès de Vienne, dont l’empire d’Autriche, jugent cette politique contre-productive. Les Britanniques, premiers soutiens de Ferdinand VII dans la lutte pour la reconquête de la péninsule espagnole, prennent aussi leurs distances. L’Espagne restaurée se place aux marges du concert européen, au moment où elle doit faire face au soulèvement généralisé de ses colonies d’Amérique du Sud [voir chapitre 2]
Comment s’est déroulé la restauration au royaume du Piémont-Sardaigne?
Dans la péninsule italienne, le royaume de Piémont-Sardaigne suit une voie proche, d’inspiration néo-absolutiste. Le roi Victor-Emmanuel Ier, issu de la dynastie des Savoie, entend abolir la législation napoléonienne et rétablir les structures sociales et juridiques de l’Ancien Régime. Cette politique intransigeante fragilise l’État piémontais, incapable par exemple de faire face à la crise sociale engendrée par la disette de 1816-1817. Comme en Espagne, l’orientation autoritaire suscite des tensions et affaiblit l’État, plutôt qu’elle ne contribue à le renforcer et à le rendre populaire.
Comment les Pays-Bas ont vécu la restauration?
Par contraste, le cas du royaume uni des Pays-Bas, confié à Guillaume Ier d’Orange, offre un visage plus conciliant. Les Pays-Bas avaient fini par être directement incorporés à l’Empire napoléonien en 1810. À son arrivée sur le trône, le nouveau roi décide l’adoption d’une constitution, en mars 1814. Il convoque dans la foulée un Parlement, désigné par le terme ancien de Staten-Generaal. Malgré les très vives tensions qui divisent Belges et Hollandais, catholiques et protestants, libéraux et conservateurs [voir chapitre 4], les autorités du royaume esquissent une politique d’oubli et de réconciliation. Les administrateurs qui avaient servi sous la République batave ou dans l’Empire napoléonien sont maintenus en place. Très dépendante du Royaume-Uni, la monarchie privilégie une attitude conciliante, pour ne pas remuer les conflits du passé.
Comment s’est déroulée la restauration en confédération germanique.
Si l’on se tourne maintenant vers deux des principales puissances de l’Europe du congrès de Vienne, l’Autriche et la Prusse, une même ambivalence apparaît, entre le souci du retour à l’ordre et la nécessité pratique de continuer les réformes. Le royaume de Prusse s’est engagé dans un processus de modernisation des structures de l’État dès 1807, après sa défaite cinglante contre la France napoléonienne. Réunis autour du roi Frédéric-Guillaume III, des réformateurs tels Heinrich Friedrich Karl vom Stein, Karl August von Hardenberg ou Wilhelm von Humboldt cherchent à moderniser l’armée, le prélèvement de l’impôt et le système juridique. Plus qu’aucun autre, Wilhelm von Humboldt incarne ce projet de réformisme à la fois libéral et étatique, par ses efforts en matière d’éducation et d’enseignement universitaire [voir encadré]. L’Autriche présente à l’inverse un visage plus répressif, du moins si l’on se fonde sur l’image traditionnelle que le gouvernement de Metternich a projetée sur l’ensemble du continent européen. À n’en pas douter, l’Empire autrichien s’appuie sur la police et la censure pour limiter les oppositions et asseoir son hégémonie. Mais des travaux récents sur l’histoire de l’empire des Habsbourg après 1815, notamment ceux de Pieter M. Judson [2021], invitent à ne pas dresser un tableau trop sombre et pessimiste de la société autrichienne, comme si celle-ci était rendue immobile par un pouvoir de type despotique. Les États du début du xixe siècle, qu’il s’agisse de l’Empire napoléonien ou de l’Empire autrichien, n’avaient pas toujours les moyens de leurs ambitions. Certes, l’Autriche refuse, tout comme la Prusse, de reconnaître le principe constitutionnel ou de convoquer des assemblées législatives. Mais le Code civil adopté en 1811 (appliqué en 1812), qui place les minorités religieuses et linguistiques sous l’égale protection de la loi, n’est pas aboli, tandis que la monarchie fonctionne selon les principes du Rechtstaat (l’État de droit), ce qui impose des limites à la toute-puissance du pouvoir exécutif et de l’administration. Une vision trop répressive de l’Autriche à cette période a aussi eu pour effet de minimiser le dynamisme de la société civile, qui conserve des espaces, certes réduits, d’expression. Et l’État « policier » n’est pas tout-puissant : le taux d’encadrement policier de la population n’est pas plus fort en Autriche qu’en France ou au Royaume-Uni à la même époque. Même les régimes les plus autoritaires de l’après-1815 doivent composer avec les résistances sociales et avec l’incomplétude de leurs moyens financiers et administratifs.
Dans quel contexte la restauration en France a lieu ?
Ce contexte européen brièvement esquissé, il est possible de mieux situer le cas de la Restauration française dans ce moment de transition. La société est durablement éprouvée, après plus de deux décennies de changements de régime, de guerres extérieures et d’affrontements civils. L’occupation du territoire par les puissances alliées, jusqu’en 1818, s’ajoute à une situation extrêmement incertaine sur le plan politique et à des difficultés sociales aggravées par les mauvaises récoltes [voir encadré].
Dans quel contexte politique et social la restauration a lieu en France ?
Dès son retour au printemps 1814, le roi Louis XVIII emprunte une ligne de crête, entre une politique de retour à l’Ancien Régime, avec le rétablissement du drapeau blanc et du catholicisme comme religion de l’État, et une attitude plus conciliante vis-à-vis des principes révolutionnaires. La Charte qu’il octroie le 4 juin 1814 revêt une forme ancienne pour reconnaître un principe moderne, celui d’une constitution qui organise la répartition des pouvoirs. Surtout, ce texte consacre le principe de l’égalité civile et garantit la liberté de culte. Il instaure un pouvoir législatif composé de deux chambres, la Chambre des députés et la Chambre des pairs. Le principe électif, même restreint, témoigne du fait que la souveraineté est bien partagée entre la nation et le roi, qui dispose cependant seul de l’initiative des lois et du pouvoir exécutif. À la différence de l’Autriche, de la Prusse ou de l’Espagne, la monarchie restaurée française accepte le modèle constitutionnel et l’existence d’un Parlement, dans la lignée de la Constitution de 1791 [voir chapitre 2]. Ce compromis déclenche l’ire des royalistes les plus fervents, nostalgiques d’une monarchie absolue. Les tensions sociales sont alors très vives, après les innombrables changements de régime qui ont émaillé la période de 1789 à 1815. À la terreur révolutionnaire de 1793-1794 succède la « Terreur blanche » de l’automne 1815, qui mène à l’assassinat de plusieurs centaines (entre 200 et 600) de bonapartistes et de républicains, en particulier dans le sud de la France [Triomphe, 2017]. Les autorités tentent ensuite de canaliser cette violence populaire, diffuse et incontrôlable, par l’adoption de mesures répressives, dans le cadre de la Terreur dite « légale ». Pour autant, l’oubli et la réconciliation ne sont pas absents des objectifs poursuivis par le nouveau régime. Comme dans les autres pays, le flou qu’engendre la transition politique oblige à des accommodements. Le jeu politique est d’autant plus troublé que les loyautés politiques et partisanes vacillent, pour la énième fois en quelques années. D’anciens révolutionnaires devenus bonapartistes se rallient à la monarchie, tentant de faire oublier leurs vies antérieures. C’est pour répondre à cette situation d’inconstance politique qu’émerge la figure de la girouette, ce personnage qui change d’avis au gré du vent et des événements. Un Dictionnaire des girouettes est ainsi publié en 1815, pour recenser les positions successives occupées par de grandes figures du monde politique, administratif ou juridique de l’époque [Serna, 2005]. Talleyrand, passé par tous les régimes et toutes les fonctions, qui joue à nouveau un rôle central dans la reconnaissance du régime des Bourbons sur la scène internationale, est l’archétype de ces figures versatiles, pour lesquelles le service de l’État et la trajectoire personnelle l’emportent sur les affiliations idéologiques. Malgré une politique d’épuration des cadres administratifs, la Restauration conserve aussi certains serviteurs de l’Empire napoléonien, tandis que les « grognards » de la Grande Armée sont mis à la retraite.
Quels sont les principales caractéristiques politiques de la restauration ?
La politique plutôt modérée du roi Louis XVIII le place en contradiction avec la majorité beaucoup plus conservatrice élue en août 1815 au sein de la « Chambre introuvable ». Les deux premières années de la Restauration déploient ainsi un combat à fronts renversés : le roi gouverne au « centre », contre la majorité ultraroyaliste de la chambre, pourtant réputée hostile à la reconnaissance du pouvoir parlementaire. Le 5 septembre 1816, le roi fait usage de son droit de dissolution pour convoquer de nouvelles élections : les députés modérés et libéraux y sont désormais majoritaires, ce qui permet à Louis XVIII de mener une politique de réformes prudentes jusqu’à la fin des années 1810. Le « gouvernement des constitutionnels », sous l’égide du duc de Richelieu (1815-1818) puis d’Élie Decazes (1818-1820), fait adopter une série de lois d’inspiration libérale. La loi Laîné, votée en février 1817, fixe les conditions de vote et d’éligibilité pour la Chambre des députés. La Restauration établit un suffrage censitaire, qui fait de la propriété le critère essentiel pour participer à la citoyenneté électorale. Seuls peuvent voter les hommes âgés de plus de 30 ans, qui paient un montant d’impôts directs supérieur à 300 francs (seuil correspondant au cens). Pour être élu, les exigences sont plus élevées encore : le candidat doit avoir au moins 40 ans, et payer 1 000 francs d’impôts par an (un chiffre considérable pour l’époque). Malgré son caractère très restrictif – le corps électoral inclut environ 100 000 personnes sous la Restauration, pour une population totale de 30 millions d’habitants –, la loi Laîné pose les bases du suffrage censitaire et consacre un principe représentatif amoindri. Deux ans plus tard, en mai-juin 1819, les lois de Serre assouplissent le régime de la presse, en supprimant l’autorisation préalable des titres (contrôle ex ante) et la censure, tandis que les délits de presse sont renvoyés aux cours d’assises plutôt qu’aux tribunaux correctionnels. La conscription obligatoire est également conservée, avec le double principe du tirage au sort et du rachat, qui en limite l’application pour les membres issus des classes favorisées de la société (loi Gouvion-Saint-Cyr, 1818). Sur le plan financier, le baron Louis, plusieurs fois ministre des Finances entre 1815 et 1819, engage une politique de restauration du crédit de l’État dont les effets sont rapides, dans un pays qui avait pourtant connu la banqueroute en 1797, avant de retrouver une place éminente sur la scène financière internationale au début des années 1820. La monarchie parvient à emprunter, s’appuyant sur l’image de modération et de contrôle qu’inspire son régime censitaire.
Quel tournant réactionnaire traverse l’Europe dans les années 1820?
Un peu partout en Europe, les régimes restaurés adoptent des positions nettement plus réactionnaires au tournant des années 1820. Les contestations se multiplient, malgré les verrous imaginés par le système des congrès. Les mobilisations des étudiants libéraux allemands, le meurtre de Kotzebue et la formation de sociétés secrètes [voir chapitre 4] incitent l’Autriche et les grandes puissances à durcir leurs politiques de surveillance et à suspendre les mesures d’ouverture. Dans le sillage des décrets de Karlsbad, le roi Frédéric-Guillaume III interrompt le processus de réformes entamé par les élites prussiennes en 1807. Il rejette le principe constitutionnel et renonce à instituer un Parlement permanent, comme cela avait pu être évoqué. Au-delà des mesures policières, le système de congrès entre dans une phase d’intervention militaire, dans les territoires italiens et en Espagne [voir chapitre 4]. L’heure n’est plus autant à la clémence et à la réconciliation. Sur le plan idéologique, les idées contre-révolutionnaires de Joseph de Maistre et Louis de Bonald rencontrent un écho certain parmi les élites politiques et religieuses des régimes restaurés, tandis que l’écrivain et diplomate François-René de Chateaubriand est une figure majeure du romantisme européen, à la croisée de l’ancien et du nouveau monde. Les compromis concédés en 1814-1815 sont recouverts par une critique plus large des principes révolutionnaires, dont l’individualisme, le contractualisme et le libéralisme sont dénoncés au nom d’une vision chrétienne et organiciste du corps social.
Quel tournant ultra en France avant la mort de Louis XVIII?
La Restauration française illustre ce renforcement des tendances « ultras » au début des années 1820, face à l’intensification des contestations. Jusqu’alors plutôt modérée, la politique des gouvernements de Louis XVIII subit une nette inflexion lorsque le duc de Berry, fils du comte d’Artois (frère de Louis XVIII), est assassiné le 13 février 1820 par l’ouvrier Louis PIerre Louvel, de sympathie bonapartiste et qui pense, par cet acte, mettre fin à la branche aînée des Bourbons (on ignore à l’époque que la duchesse de Berry est enceinte d’un garçon, le futur Henri d’Artois, qui naît en septembre 1820). Le contrôle de la presse est rétabli (autorisation préalable et censure), en rupture avec les dispositions plus libérales des lois de Serre de 1819. En juin 1820, les chambres adoptent la loi du « double vote » : désormais, le quart des électeurs les plus riches dispose de deux voix, l’une comptabilisée à l’échelle de l’arrondissement, l’autre du département. Les élites fortunées de l’Ancien Régime, rentrées d’exil en 1814-1815, confortent leur mainmise sur le processus électoral. La formation du ministère dirigé par le comte de Villèle, à partir de décembre 1821, consacre l’emprise des milieux ultras sur la politique du régime.
Le tournant ultra du comte d’Artois?
La mort de Louis XVIII, le 16 septembre 1824, et l’avènement de son frère, le comte d’Artois, qui prend le nom de Charles X, accentue encore cette évolution réactionnaire du régime. La cérémonie du sacre, organisée dans la cathédrale de Reims le 29 mai 1825, renoue avec un rituel symbolique de l’Ancien Régime. Soutenu par les milieux ultras et par l’Église, Charles X facilite le rapprochement du « Trône » et de « l’Autel ». Quelques lois emblématiques illustrent le souci de conforter les élites d’Ancien Régime et de donner des gages aux milieux catholiques, en insistant désormais davantage sur l’expiation du passé que sur son oubli [Fureix, 2009]. La loi du « milliard des émigrés », votée en 1825, prévoit d’indemniser les nobles dont les biens ont été confisqués sous la Terreur, en leur accordant des rentes sur l’État. Cette compensation financière ne remet cependant pas en cause les transferts de propriété qui ont eu lieu pendant les années 1790. La « loi sur le sacrilège » (1825) prévoit des peines très lourdes contre les personnes coupables de vols ou de profanations d’objets sacrés, une mesure qui criminalise les actes antireligieux. Le rôle institutionnel et social de l’Église est aussi conforté à travers son implication dans les affaires scolaires et universitaires, le comte Frayssinous étant à la fois ministre des Affaires ecclésiastiques et de l’Instruction publique entre 1824 et 1828. Cette politique de restauration des pouvoirs de l’Église et de la société d’Ancien Régime rencontre cependant des résistances dans la société française, où les sensibilités libérales, républicaines et anticléricales continuent de s’exprimer.