1830, Révolution transnationale Flashcards
Quel est le bilan des insurrections des années 1820 ?
À l’exception de l’indépendance de la Grèce, portée par l’engagement des puissances étrangères, les insurrections libérales des années 1820 n’ont guère été couronnées de succès. Ni l’action souterraine des sociétés secrètes ni les tentatives de soulèvement militaire ne sont parvenues à imposer durablement le principe constitutionnel ou des mesures libérales aux régimes absolutistes. La participation des masses a souvent fait défaut. Pourtant, les aspirations et les revendications ne s’estompent pas. Elles se cristallisent autour du « moment 1830 », qui ouvre une brèche révolutionnaire dans plusieurs pays d’Europe, avec une implication de groupes sociaux plus larges. En quelques mois, France, Belgique, Pologne, et plusieurs États italiens et allemands connaissent de profonds bouleversements politiques et sociaux.
Quel est le contexte menant à la Révolution de Juillet ?
En France, le régime de la Restauration est confronté à une montée des oppositions à partir de 1827. Le roi Charles X, soutenu par les ultraroyalistes, refuse de reconnaître les droits du Parlement, dont la composition reflète les intérêts d’une infime minorité. Malgré l’échec des actions menées par la Charbonnerie au début des années 1820, l’opposition libérale ne désarme pas. À l’occasion des élections législatives de 1827, l’historien et homme politique François Guizot crée l’association « Aide-toi, le ciel t’aidera », pour défendre les candidatures libérales. Les élections confirment une poussée des oppositions. La même année, des barricades sont érigées à Paris, témoignant d’un regain d’activités contestataires parmi le peuple parisien. Face aux bons résultats obtenus par les candidats libéraux, le roi choisit d’accentuer l’orientation conservatrice de son gouvernement. La nomination du très réactionnaire Jules de Polignac à la tête du ministère, en août 1829, indique que le monarque n’a pas l’intention de transiger avec les oppositions, qui revendiquent à l’inverse de pouvoir contrôler le gouvernement et peser sur les affaires du pays. L’épreuve de force se noue autour de l’interprétation de la Charte de 1814 : les députés libéraux défendent une lecture parlementaire de ce texte, selon laquelle le gouvernement devrait refléter les orientations dominantes à la Chambre, tandis que les ultraroyalistes s’en tiennent à la primauté du pouvoir exécutif, le gouvernement n’étant selon eux responsable que devant le roi. Pour dénoncer cette concentration des pouvoirs, 221 députés de l’opposition libérale s’adressent au roi pour réclamer le respect des droits du Parlement. Cette « adresse des 221 », datée du 18 mars 1830, est le premier acte d’une séquence de contestation parlementaire qui glisse, de proche en proche, vers une situation révolutionnaire. Les libéraux font connaître leurs idées dans les journaux, des associations (ligues de refus de l’impôt) et dans leurs ouvrages. Dans les théâtres, la figure du « peuple » souverain, exclu de ces débats, est de plus en plus mise en scène [Jakobowicz, 2009].
Comment la crise se formule institutionnellement et conformément à l’esprit de la Charte?
La divergence d’interprétations quant à l’application de la Charte crée une situation d’incertitude politique. Comme la Charte l’y autorise, le roi dissout la Chambre des députés le 16 mai et convoque des élections pour le mois de juin. Parallèlement, il lance une expédition pour la conquête d’Alger, tentant ainsi de tirer profit d’une politique de puissance et d’expansion [voir chapitre 8]. La dissolution n’a pas les effets escomptés, puisque les députés contestataires reviennent plus nombreux encore (274 au lieu de 221) après ce nouveau vote. Le conflit s’envenime lorsque Charles X légifère par ordonnances le 25 juillet 1830 en supprimant la liberté de la presse, en dissolvant à nouveau la Chambre, en réduisant le nombre de députés et en convoquant de nouvelles élections pour le mois de juin. La presse libérale proteste, à l’image d’Adolphe Thiers dans le National, et la situation devient véritablement révolutionnaire lorsque le peuple parisien entre en insurrection, les 27, 28 et 29 juillet 1830. Les quartiers populaires de Paris se couvrent de barricades, des appels à la déchéance du roi sont lancés. La conjonction entre l’opposition libérale, la mobilisation de la presse et le soulèvement parisien a finalement raison du régime : alors qu’il s’en tenait à une position inflexible, Charles X est contraint d’abdiquer le 2 août 1830. Le régime restauré n’a duré qu’une quinzaine d’années, en dépit (ou
Quel est le rôle du peuple dans la Révolution de Juillet et quelles conséquences peuvent être tirées?
Brèves et intenses, ces journées révolutionnaires créent un vide institutionnel et ouvrent de multiples potentialités. L’intervention des ouvriers, des artisans et des étudiants parisiens, hommes, femmes et enfants réunis, a joué un rôle décisif, comme l’immortalise Eugène Delacroix dans sa toile célèbre, La Liberté guidant le peuple (1830). La réactualisation de la notion de « souveraineté populaire », du pouvoir de la rue d’en imposer au roi et de changer le cours des choses, ne débouche toutefois pas sur une option politique radicale. Les élites libérales s’efforcent de proposer une alternative modérée, en la personne du duc d’Orléans, connu pour ses sympathies pour la Révolution française, à l’époque de la monarchie constitutionnelle (1791). L’intermédiation du marquis de La Fayette, héros révolutionnaire et membre actif de la Charbonnerie, accrédite cette hypothèse. Le cadre monarchique est conservé, mais une nouvelle dynastie, les Orléans, plus ouverts aux idées libérales et constitutionnelles, succède aux Bourbons. Le duc d’Orléans devient Louis-Philippe, à la tête de la monarchie de Juillet, dont l’existence même découle de la mobilisation populaire. Le 14 août, la Charte de 1814 est révisée, pour conforter la lecture parlementaire des institutions. Un ensemble de mesures symboliques sont alors adoptées : au drapeau blanc est substitué le drapeau tricolore, qui vaut reconnaissance du principe de la souveraineté nationale, Louis-Philippe se faisant appeler « roi des Français » et non plus « roi de France » ; le catholicisme devient religion de la « majorité des Français » et non plus religion d’État et la liberté de culte est reconnue. Les nouvelles élites de la monarchie de Juillet, plus ouvertes sur le monde de la banque et de l’industrie, acceptent les principes du constitutionnalisme et du parlementarisme, tout en repoussant les solutions plus radicales, qui donneraient une marge d’action aux classes populaires et moyennes. Le cens est élargi par une réforme de 1831, mais dans des proportions limitées (on passe de 100 000 à 250 000 électeurs). Pour les républicains, les bonapartistes ou les militants d’inspiration socialiste qui se sont alors mobilisés, l’établissement du régime de la monarchie de Juillet évoque le sentiment d’une révolution confisquée, au détriment du peuple. Le régime de Juillet porte la trace de cette ambiguïté, entre reconnaissance de la souveraineté nationale et fermeture élitiste des lieux de pouvoir.
Quelle est l’ampleur européenne qui découle de la Révolution de Juillet?
La révolution de Juillet ouvre un cycle révolutionnaire qui dépasse de loin les frontières de la France. En quelques semaines, des insurrections, des soulèvements, des proclamations se multiplient en diverses villes et divers pays, avec des mots d’ordre souvent assez proches, autour des notions de souveraineté, de constitution et de liberté. C’est pourquoi les historiens n’hésitent plus à qualifier le moment 1830 de « révolution transnationale », sous-tendue par la circulation de valeurs, de formes de mobilisation et d’émotions protestataires en opposition avec les pouvoirs autoritaires de l’Europe du congrès de Vienne. Comme l’écrit l’historien Emmanuel Fureix [2013, p. 14 et 24], il existe un « gradient de situations révolutionnaires », qui consiste moins en la circulation d’un modèle (la révolution de Juillet exportée vers d’autres pays) qu’en la « saisie d’une opportunité », c’est-à-dire la manière dont des communautés politiques s’emparent de ce moment, s’approprient des messages et des revendications et font le choix de l’action collective, sans toutefois dupliquer servilement des expériences menées ailleurs. La ferveur révolutionnaire est notamment attisée par la circulation de formes culturelles et symboliques comme le théâtre, l’opéra ou les drapeaux tricolores. Les affinités tissées par la mouvance libérale au cours des années 1820, sur plusieurs théâtres d’opérations ou dans leurs correspondances, expliquent également que la geste révolutionnaire puisse circuler dans ce contexte d’ouverture des possibles.
Comment s’illustre pleinement la révolution en Belgique?
Si l’on s’en tient à la définition la plus exigeante du mot « révolution », qui implique un changement de régime et une transformation profonde de l’ordre sociopolitique, c’est au cas belge qu’il s’applique le mieux, dans le sillage de la Révolution française. Le congrès de Vienne avait créé en 1815 un royaume uni des Pays-Bas, qui regroupait la Belgique et les Pays-Bas sous la couronne de Guillaume Ier, prince d’Orange. Bien que majoritaires sur le plan démographique (ils représentent 3,5 millions d’habitants sur un total de 6 millions), les Belges sont dépossédés du pouvoir. La « tutelle » exercée par les élites protestantes du nord du royaume provoque le mécontentement des catholiques et des libéraux, hostiles à ce régime issu des tractations de 1815. Le « patriotisme méridional » revendiqué par les Wallons renforce son audience à la fin des années 1820. Comme en France, des organes de presse permettent aux oppositions de s’exprimer, à l’image du Courrier des Pays-Bas qu’anime le radical Louis de Potter. L’alliance entre catholiques et libéraux modérés fait monter la pression sur le gouvernement de Guillaume Ier. L’opposition multiplie les journaux, les campagnes de pétitions et les pamphlets depuis 1828.
Comment la Belgique devient une référence libérale?
La nouvelle de la chute de la Restauration française précipite les événements. Le 25 août, une représentation de La Muette de Portici du compositeur Daniel-François-Esprit Auber et sur un livret d’Eugène Scribe et Germain Delavigne, au théâtre royal de la Monnaie à Bruxelles (l’opéra met en scène la résistance du peuple napolitain contre l’occupant espagnol au xviie siècle), est accompagnée d’un charivari étudiant : en quelques heures, la ville s’embrase. Des maisons cossues sont attaquées, des mécaniques sont détruites, des barricades se forment dans les rues, comme à Paris. En septembre, les autorités du royaume envoient l’armée pour réprimer le mouvement, en vain. Les insurgés, qui se recrutent parmi les milieux bourgeois, ouvriers et artisans des grandes villes, forment un gouvernement provisoire, malgré la diversité de leurs préférences politiques. Un comité central proclame l’indépendance de la Belgique le 4 octobre, puis des élections sont convoquées pour la désignation d’un Congrès national belge, chargée d’adopter une constitution. Cette action révolutionnaire bénéficie, le 20 novembre, de la reconnaissance des grandes puissances, qui acquiescent à la formation d’un nouvel État belge, séparé de la couronne des Pays-Bas, malgré l’opposition résolue de Guillaume Ier, dont les troupes sont défaites à Anvers par l’armée française. Le 7 février 1831, le Congrès national belge adopte la Constitution du royaume de Belgique. Est alors fondée une nouvelle monarchie constitutionnelle, qui reconnaît les grandes libertés individuelles et collectives, ainsi que le principe de la souveraineté nationale. Le pouvoir législatif est confié à un Parlement bicaméral, devant lequel le gouvernement est responsable. Comme en France, le droit de suffrage demeure cependant étroitement censitaire, puisque seules 30 000 personnes sont admises sur les listes électorales, en raison de leur patrimoine. Cette Constitution succède à celle de Cadix comme la nouvelle référence pour de nombreux libéraux en Europe, qui y trouvent un compromis entre le principe de la souveraineté nationale, le parlementarisme et la modération politique. Le Congrès national belge choisit d’ailleurs Léopold de Saxe-Cobourg comme premier roi de Belgique en juin 1831. La revendication de souveraineté nationale s’accommode de l’appel à un souverain étranger, comme dans le cas de la Grèce au même moment.
Comment évoluent les événements révolutionnaires en confédération germanique et dans les Etats Italiens?
Ailleurs, les événements révolutionnaires ne rencontrent pas nécessairement la même intensité qu’en Belgique, mais l’on y retrouve des traits partagés, en particulier autour des revendications constitutionnelles et des contestations sociales. Dans la Confédération germanique, Charles II de Brunswick et Guillaume II de Hesse sont renversés, tandis que des émeutes parcourent la Saxe. Le sud-ouest de l’Allemagne est en proie à des contestations radicales en 1832. Certains cantons suisses obtiennent une révision de leur constitution. Dans les États italiens, des révoltes éclatent à Parme, Modène ou Plaisance.
Quel est le propre des situations révolutionnaires ?
Le propre des situations révolutionnaires est de déboucher sur des expériences de transformation profonde, mais aussi sur de nombreux échecs et déceptions collectives. « L’Internationale libérale » s’est forgée à l’épreuve de ces épisodes, qui ont nourri l’imaginaire romantique et libéral de la révolte, rapproché les liens entre militants par-delà les frontières, mais aussi rompu des trajectoires et brisé des destins.
Quel est l’état de la Pologne en 1830?
Ce mélange de solidarités révolutionnaires et de déceptions partagées caractérise la situation révolutionnaire de la Pologne en 1830-1831. L’épisode montre à quel point l’espace politique européen est connecté mais fragile. Comme pour la Belgique, mais avec un arrière-fond historique plus ancien encore, l’insurrection s’inscrit dans le contexte des accords scellés à Vienne en 1815. Alors que le royaume de Pologne avait longtemps été indépendant avant les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, le « royaume du Congrès » est placé en 1815 sous la triple influence de la Russie tsariste, de la monarchie prussienne et de l’empire d’Autriche. Le tsar Alexandre Ier octroie en 1815 une Charte constitutionnelle, avec l’établissement d’une Diète polonaise (une assemblée consultative) et la tolérance de l’usage du polonais comme langue administrative. Cette relative clémence prend fin avec l’avènement sur le trône russe de Nicolas Ier en 1825,beaucoup plus intransigeant vis-à-vis du royaume polonais. La domination russe réunit contre elle les élites de l’armée et de l’administration polonaises, dépossédées de leur autonomie. Lorsque surviennent les révolutions française et belge de 1830, les regards se tournent vers la Pologne, dont beaucoup de libéraux et de révolutionnaires soutiennent le combat. Le 29 novembre 1830, des officiers polonais se soulèvent à Varsovie, refusant d’intervenir au nom du tsar contre la Belgique et la France. Partie des rangs de l’armée, l’insurrection est aussi portée par des nobles, des membres de l’Université et des sociétés secrètes. La dimension élitiste du mouvement est plus prononcée que dans le cas des révolutions urbaines de France et de Belgique. La tournure militaire des événements est aussi plus explicite : la Pologne est sous le feu de l’armée russe, en charge de la protection et de la surveillance de ce royaume sous tutelle. La question des appuis extérieurs y est donc centrale, d’autant que le gouvernement provisoire autoproclamé, d’abord placé sous la présidence du comte Adam Czartoryski, est profondément divisé entre conservateurs et libéraux. Tout au long du xixe siècle, des militants français, britanniques ou autres s’identifient à la cause polonaise, par rejet de l’autocratie russe et défense du principe de la légitimité nationale. Les attentes placées dans l’intervention de l’armée française sont toutefois déçues : la jeune monarchie de Juillet, issue d’une révolution populaire et nationale, renonce à intervenir dans le concert européen. Alors que la répression s’abat sur Varsovie à l’été 1831, le gouvernement français fait la sourde oreille. « L’ordre règne à Varsovie », proclame un ministre, passant ainsi sous silence la violence de la réaction commise par les Cosaques. Le 16 septembre, la capitale polonaise tombe, et son éphémère gouvernement provisoire avec : la vague de contestations se brise sur la réalité des équilibres géopolitiques européens.
Quelle conclusion est à tirer de la période révolutionnaire?
Ce mélange de solidarités révolutionnaires et de déceptions partagées caractérise la situation révolutionnaire de la Pologne en 1830-1831. L’épisode montre à quel point l’espace politique européen est connecté mais fragile. Comme pour la Belgique, mais avec un arrière-fond historique plus ancien encore, l’insurrection s’inscrit dans le contexte des accords scellés à Vienne en 1815. Alors que le royaume de Pologne avait longtemps été indépendant avant les guerres révolutionnaires et napoléoniennes, le « royaume du Congrès » est placé en 1815 sous la triple influence de la Russie tsariste, de la monarchie prussienne et de l’empire d’Autriche. Le tsar Alexandre Ier octroie en 1815 une Charte constitutionnelle, avec l’établissement d’une Diète polonaise (une assemblée consultative) et la tolérance de l’usage du polonais comme langue administrative. Cette relative clémence prend fin avec l’avènement sur le trône russe de Nicolas Ier en 1825,beaucoup plus intransigeant vis-à-vis du royaume polonais. La domination russe réunit contre elle les élites de l’armée et de l’administration polonaises, dépossédées de leur autonomie. Lorsque surviennent les révolutions française et belge de 1830, les regards se tournent vers la Pologne, dont beaucoup de libéraux et de révolutionnaires soutiennent le combat. Le 29 novembre 1830, des officiers polonais se soulèvent à Varsovie, refusant d’intervenir au nom du tsar contre la Belgique et la France. Partie des rangs de l’armée, l’insurrection est aussi portée par des nobles, des membres de l’Université et des sociétés secrètes. La dimension élitiste du mouvement est plus prononcée que dans le cas des révolutions urbaines de France et de Belgique. La tournure militaire des événements est aussi plus explicite : la Pologne est sous le feu de l’armée russe, en charge de la protection et de la surveillance de ce royaume sous tutelle. La question des appuis extérieurs y est donc centrale, d’autant que le gouvernement provisoire autoproclamé, d’abord placé sous la présidence du comte Adam Czartoryski, est profondément divisé entre conservateurs et libéraux. Tout au long du xixe siècle, des militants français, britanniques ou autres s’identifient à la cause polonaise, par rejet de l’autocratie russe et défense du principe de la légitimité nationale. Les attentes placées dans l’intervention de l’armée française sont toutefois déçues : la jeune monarchie de Juillet, issue d’une révolution populaire et nationale, renonce à intervenir dans le concert européen. Alors que la répression s’abat sur Varsovie à l’été 1831, le gouvernement français fait la sourde oreille. « L’ordre règne à Varsovie », proclame un ministre, passant ainsi sous silence la violence de la réaction commise par les Cosaques. Le 16 septembre, la capitale polonaise tombe, et son éphémère gouvernement provisoire avec : la vague de contestations se brise sur la réalité des équilibres géopolitiques européens.