Le règne de Louis XIV : la restauration de l’ordre intérieur et la guerre aux frontières Flashcards
Progressivement, les États ont monopolisé les pouvoirs et la violence : c’est du moins ce que montre Norbert Élias :
dans son ouvrage sur La dynamique de l’Occident [1969] 1975. L’ordre public est la base sur laquelle cette construction étatique repose : le roi, dans son serment, jure de « protéger l’Église, les veuves, les orphelins, les pauvres de combattre les méchants et soutenir les bons »
Mais, en 1672, la guerre de Hollande entraîne la France dans des dépenses militaires considérables. En 1681, Colbert, plusieurs fois rabroué par le roi, lui écrit :
« À l’égard de la dépense, quoique cela ne me regarde en rien, je supplie Votre Majesté de me permettre de lui dire qu’en guerre et en paix, elle n’a jamais consulté ses finances pour résoudre ses dépenses
La fin du XVIIe siècle est par ailleurs marquée par la montée du pessimisme (Robert Muchembled) qui se traduit par une augmentation des :
violences « banales ». Cette augmentation est-elle réelle ou bien reflète-t-elle une intolérance croissante à leur égard ? On ne peut le savoir de manière certaine mais Robert Muchembled constate que les crimes de sang augmentent alors que la vie est plus difficile et que le malheur des temps alimente une forme de désespoir. Cette augmentation se développe au moment où la culture de l’élite bannit la violence des comportements et prône une nouvelle culture morale.
1993, Michel Antoine, spécialiste incontournable du règne de Louis XV et de son administration, écrit un important article qui relativise ou remet en cause cette évolution et sa chronologie :
« Les remontrances des cours supérieures sous le règne de Louis XIV (1673-1715) » Bibliothèque de l’École des Chartes, Janvier-juin 1993, p. 87-122 (sur Persée). D’après cet auteur, les édits de 1667 et 1673 n’ont pas remis en cause le droit de remontrance, qui a continué de s’exercer, mais, avec d’autres facteurs, ils ont contribué à modifier l’usage des remontrances. Il ne faut pas trop opposer absolutisme et idéologie parlementaire en France sous Louis XIV, car les conseillers devaient leur pouvoir au roi et ne pouvaient être grand sans lui
Olivier Chaline, Les parlements dans la France de l’Ancien Régime, 2010, conclusion] nous invite à reconsidérer
les relations entre les parlements et le monarque. Le règne est d’une exceptionnelle longueur et ces relations sont complexes, ce dont les notions d’abaissement, de réduction à l’obéissance, d’humiliation, ne rendent pas compte. Le roi a besoin des parlements et ceux-ci du monarque. L’idée qui s’impose désormais parmi les historiens est celle du compromis, collaboration ou consensus. Grâce à la notion de « grande police », les pouvoirs des magistrats sont vastes. Les maîtres des requêtes sont un vivier pour de futurs intendants, membres du conseil et parfois ministres. On ne peut opposer la robe parlementaire à celle du conseil. Le roi a besoin des élites pour gouverner le pays.
Robert Muchembled montre, à travers ses ouvrages, de quelle manière la société se normalise à l’époque moderne et comment la justice a été l’un des principaux outils de cette normalisation. Dans un ouvrage intitulé :
Le temps des supplices. De l’obéissance sous les rois absolus, il étudie la manière dont l’ensemble des relations sociales a été pénalisé (ou criminalisé) par des États absolus qui ont voulu mettre en oeuvre une forme de cohésion sociale à travers une normalisation des comportements.
Jean Delumeau, La peur en Occident (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, [1978] Hachette, 1999, entreprend de comprendre :
comment l’Occident passe du Moyen Âge aux temps moderne et quelle place les peurs ont occupé dans ce grand basculement de la civilisation occidentale :
« Le miracle de la civilisation occidentale est qu’elle vécut toutes ces peurs sans se laisser paralyser par elles. Car on n’a pas assez souligné qu’il y eut en même temps angoisse et dynamisme – celui-ci étant généralement désigné sous le terme de Renaissance – La peur suscita ses antidotes »
En 1682, le clergé de France, réuni en assemblée, adopte deux textes très importants. Le premier est connu sous le nom de :
Quatre articles qui affirment l’indépendance temporelle du roi et lui permettent de lever les Annates, les revenus des bénéfices laissés vacants par la mort
de leur titulaire et dont Rome réclame le versement ; ces articles affirment aussi la supériorité du concile sur le pape. Le second texte est adressé aux protestants du royaume, qu’il exhorte à se convertir, sans quoi ils seront traités en hérétiques. Cela anticipe la révocation de l’édit de Nantes
La guerre a au moins deux raisons d’être :
- Elle « fabrique » la puissance des nations et de leurs monarques : elle leur confère donc une légitimité supplémentaire, liée à la vision traditionnelle du roi de guerre.
- Elle contribue à faire évoluer les grands équilibres internationaux, tant au sein de l’Europe que des colonies des Caraïbes et de l’Amérique du Nord. Elle répond donc à des impératifs rationnels et collectifs, qui s’expriment à travers la raison d’État.
La notion de raison d’état existe dans l’opinion éclairée et elle est précisément formulée par Giovanni BOTERO, qui fait paraître en 1589 :
Della regione di Stato [De la raison d’État], traduit
en français dès 1599. Il existe une morale et donc des règles de conduites, différentes pour les responsables politiques de celles qui valent pour le commun. L’État, qui n’est qu’une forme d’organisation, se voit doté d’une raison, et celle-ci a des règles distinctes. Machiavel l’a clairement expliqué dans Le Prince : la violence est condamnable, en particulier les crimes, meurtres, pillages. Mais, si un roi doit, pour protéger son État, commettre ces crimes en faisant la guerre, il le peut ; de même, la justice, au service du bien commun, peut condamner à la torture, à différents sévices ou à la mort de manière légitime.
Cette période voit l’essor des armées permanentes et professionnelles [John CHILDS :
La hguerre au XVIIe siècle, Autrement,2004] Ce sont des forces essentiellement défensives qui sont
mises en place, en grande partie sur le modèle de la France. Louis XIV, après l’Espagne, appuyait
sa puissance sur l’armée, ce qui constitua un modèle pour de nombreux États européens. L’armée de la France connaît l’évolution la plus régulière avec une augmentation continue des effectifs jusqu’à la guerre de la ligue d’Augsbourg (1688/89-1697), suivie d’une stabilisation à un niveau à peine inférieur lors de la guerre de succession d’Espagne.
Sur son lit de mort, Louis XIV tient ce discours au dauphin, âgé de cinq ans :
« Mon cher enfant, vous allez être le plus grand roi du monde, n’oubliez jamais les obligations que vous avez à Dieu. Ne m’imitez pas dans les guerres ; tâchez
de maintenir toujours la paix avec vos voisins, de soulager votre peuple autant que vous pourrez, ce que j’ai eu le malheur de ne pouvoir faire par les nécessités
de l’État »
Dans un livre fondateur, Joël Cornette, Le roi de guerre. Essai sur la souveraineté dans la France du Grand siècle, Paris, Payot, [1993] 2000, a démontré que depuis
la victoire de Bouvines le dimanche 27 juillet 1214 (règne de Philippe-Auguste – 1180-1223), la croissance territoriale et administrative de l’État de police, justice et finances est liée à celle de l’État militaire. À la fin
de la guerre de Cent Ans, en 1439, la Taille est institutionnalisée et en parallèle, Charles VII met
en place une armée permanente affectée, notamment, à la défense du royaume (1445 : création des compagnies d’ordonnances). Ce sont là deux piliers de l’État moderne : l’impôt permanent et l’armée permanente.
Pour connaître et comprendre les révoltes populaires sous le règne de Louis XIV, nous disposons des travaux de Jean Nicolas :
La rébellion française. Mouvements populaires et conscience sociale, 1661-1789, Paris, Seuil, 2002. Jean Nicolas a retenu d’autres critères que ceux fixés par Yves-Marie Bercé : il prend en compte tous les mouvements réunissant 4 personnes d’appartenant pas à la même famille. Cela lui permet de recueillir des données passées sous les radars : il en a tiré de
nombreuses cartes et graphiques
Pour le comte de Boulainvilliers, comte de Saint-Saire (1658-1722) le despotisme de Louis XIV avait :
éteint l’esprit de liberté des Français, celui-ci ne survivant que dans les écrits des philosophes28.
À ses yeux, Bossuet était l’un des principaux responsables de cette dérive reposant sur l’idée
du droit divin du pouvoir. L’absolutisme est, selon lui, une usurpation violente et méthodique de droits et de pouvoirs conférés historiquement à des institutions et corps intermédiaires. S’il croyait en la liberté naturelle des hommes, il ne croyait pas cependant au droit du peuple à participer à l’exercice du pouvoir.