Inconscience Flashcards
Le concept d’inconscient a un sens déterminé :
il s’agit d’un concept forgé par la psychanalyse pour rendre compte du fonctionnement du psychisme humain. Cependant, le travail philosophique sur cette notion implique d’interroger plus largement les sens de l’inconscient. On peut ainsi parler d’inconscience pour désigner une conduite irresponsable, mais aussi pour désigner ce dont une personne ne se rend pas compte (par exemple lorsqu’elle dort). Quel que soit le sens retenu pour parler de l’inconscient, cette notion renvoie au problème de la connaissance de soi et de la liberté du sujet agissant.
IAvant Freud ce qui n’est conscient
ALes perceptions qui nous échappent
On pense souvent que le sujet est transparent à lui-même : il aurait conscience de tout ce qu’il sent, de tout ce qu’il perçoit, et de tous ses désirs. Pourtant, l’expérience commune nous apprend que nombre de ces choses peuvent nous échapper : c’est ce qu’illustrent les actions réflexes, comme éteindre son réveil ou éviter un projectile. Il y a donc un certain nombre d’actions que nous faisons sans même y réfléchir.
Leibniz, dans ses Nouveaux essais sur l’entendement humain, s’intéresse de près à ces choses qui échappent à un sujet, et remarque notamment qu’un grand nombre de perceptions ne sont pas conscientes.
Perception
La perception correspond, pour un sujet, au fait de saisir par l’esprit la réalité à travers les informations que lui donnent les sens.
Ce que remarque Leibniz, c’est qu’il y a un certain nombre de petites perceptions dont nous n’avons pas conscience : trop petites pour être perçues isolément, elles ne sont perçues que lorsqu’elles forment un tout. C’est par exemple le cas du bruit d’une vague : le sujet ne perçoit pas le bruit de chacune des gouttes d’eau qui composent la vague, en revanche, il perçoit, comme un tout, le bruit que fait la vague.
Il y a à tout moment une infinité de perceptions en nous, mais sans aperception et sans réflexion, c’est-à-dire des changements dans l’âme même dont nous ne nous apercevons pas, parce que les impressions sont ou trop petites, ou en trop grand nombre ou trop unies, en sorte qu’elles n’ont rien d’assez distinguant à part, mais jointes à d’autres, elles ne laissent pas de faire leur effet et de se faire sentir, au moins confusément dans l’assemblage.
Leibniz
Nouveaux essais sur l’entendement humain
1765
Ces perceptions sont donc trop petites, ou en trop grand nombre, ou bien encore trop unies les unes aux autres pour que le sujet parvienne à les percevoir séparément. En revanche, bien qu’on ne saisisse que le tout de ces perceptions, chacune produit bien un effet sur nous.
BL’inconscient comme envers de la conscience
l y aurait une différence de degré entre les perceptions conscientes et les perceptions inconscientes. Poser une différence de degré entre le conscient et l’inconscient présuppose donc une continuité de l’un à l’autre : contrairement à l’idée d’un sujet pleinement conscient de lui-même, il semblerait alors que l’inconscient puisse être compris comme fondement de la vie psychique. Le philosophe Schopenhauer propose de concevoir le psychisme sur le modèle d’une opposition entre d’une part les pensées conscientes, et d’autre part toutes nos pensées inconscientes.
Comparons notre conscience à une eau de quelque profondeur ; les pensées nettement conscientes n’en sont que la surface ; la masse, au contraire, ce sont les pensées confuses, les sentiments vagues, l’écho des intuitions et de notre expérience en général, etc.
Schopenhauer
Le Monde comme volonté et comme représentation
1818
Alors que les pensées inconscientes sont extrêmement nombreuses, les pensées conscientes ne représentent qu’une infime partie de ce à quoi le sujet a accès.
Il y aurait donc une opposition entre d’un côté les pensées conscientes, celles auxquelles le sujet a accès, et, d’un autre côté, la masse de ses pensées inconscientes, qui constituent la matrice, le fondement de toutes ses pensées connues.
CLe mode d’existence des pensées inconscientes
Si l’Homme n’a accès qu’à ses pensées conscientes, lesquelles ne sont que le reflet de pensées inconscientes beaucoup plus nombreuses, il importe de préciser le mode d’existence de ces pensées inconscientes.
Bergson s’est intéressé à cette question de l’existence de ces pensées inconscientes. Généralement, on considère que les états psychologiques passés, tels que les souvenirs ou les rêves, n’existent pas ou plus, car ils ne sont pas conscients. Contrairement à cette idée répandue, Bergson tente de mettre en évidence que le fait de n’avoir pas conscience de ces états psychologiques ne signifie pas qu’ils n’existent pas, et qu’ils n’ont pas d’effet sur le sujet. Pour expliquer cette idée, il procède par analogie, c’est-à-dire par comparaison, avec l’existence des objets matériels : ce n’est pas parce que je n’ai pas conscience de l’existence de la ville autour de moi en un instant précis que celle-ci n’existe pas. De la même façon, ce n’est pas parce que je n’ai pas une représentation consciente de mes souvenirs à un instant précis que ceux-ci n’ont pas d’existence.
C’est ainsi que Bergson distingue deux types de mémoires :
La mémoire habitude : il s’agit d’une utilisation du passé tournée vers l’action et l’utile. L’usage de la mémoire nous permet alors d’agir dans le présent.
La mémoire pure : il s’agit de ces souvenirs qui restent comme endormis dans les profondeurs de notre conscience. Ces souvenirs, qui ne sont pas utiles à l’action, ne sont pas présents pour notre conscience, ce qui ne signifie pas qu’ils n’existent plus.
Les souvenirs que ma mémoire conserve ainsi dans ses plus obscures profondeurs y sont à l’état de fantômes invisibles.
Bergson
L’Énergie spirituelle
1919
Les souvenirs continuent donc d’exister dans le sujet malgré le fait qu’il n’en ait pas à tout moment une représentation consciente.
Il est donc possible de parler de représentations inconscientes, dès lors que l’on comprend sous cette idée le fait qu’il existe un certain nombre de contenus mentaux qui, tout en n’étant pas conscients à un moment précis, n’en continuent pas moins d’exister et d’avoir un effet sur le sujet. Ainsi, si seuls les souvenirs momentanément utiles à l’action arrivent à notre conscience, alors tout souvenir peut remonter à la conscience, dès lors qu’il présente un intérêt pour une action à réaliser.
IILes critiques adressées au concept d’inconscient
ACritique théorique
Pour Freud, la psychanalyse, bien qu’encore en construction, constitue une science à part entière : elle est donc supposée avoir le même degré de scientificité que les autres sciences de la nature. Ainsi les observations et analyses des cas cliniques viennent-elles selon lui prouver son hypothèse de l’existence de l’inconscient. Or c’est justement ce critère de scientificité de la psychanalyse que le philosophe des sciences Popper remet en question.
En effet, selon lui, une théorie n’est scientifique que s’il est possible d’énoncer les conditions dans lesquelles elle serait fausse : c’est le critère de falsifiabilité. Autrement dit, une théorie n’est scientifique que dans la mesure où l’observation ou l’expérience peuvent théoriquement la réfuter. Or il est impossible de tester expérimentalement la psychanalyse. Aucun type d’expérience ne permet de penser une réfutation possible.
Quant aux deux théories psychanalytiques, elles relèvent d’une tout autre catégorie. Elles sont purement et simplement impossibles à tester comme à réfuter. Il n’existe aucun comportement humain qui puisse les contredire. […] Certes, les théories psychanalytiques étudient certains faits, mais elles le font à la manière des mythes. Elles contiennent des indications psychologiques fort intéressantes, mais sous une forme qui ne permet pas de les tester.
Karl Popper
Conjectures et réfutations
1963
Certes, le concept d’inconscient a une valeur explicative non négligeable, mais il ne s’agit pas d’une explication de type scientifique.
Popper ne rejette donc pas la psychanalyse en tant que telle, puisqu’il reconnaît sa forte valeur explicative des comportements humains. Néanmoins, il refuse qu’on lui octroie le statut de science en raison de son caractère non falsifiable.
B Critiques morales
La contestation la plus directe des théories de l’inconscient de Freud vient probablement du philosophe Alain. En effet, celui-ci adresse deux reproches majeurs à la théorie de l’inconscient, et notamment aux dérives auxquelles donne lieu cette théorie. D’une part, il semble absurde d’affirmer l’existence de pensées auxquelles on ne pense pas : toute pensée requiert un sujet qui les pense. De ce point de vue, l’inconscient n’est pour lui pas une découverte, mais une invention, à la manière d’un personnage mythique. D’autre part, Alain souligne que dire du sujet qu’il n’est pas la source de ses pensées, qu’un autre pense en lui (l’inconscient), c’est lui ôter toute responsabilité quant à ses actes. C’est ce qui pour Alain est inacceptable.
Il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d’inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l’inconscient est un autre Moi ; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses ; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu’il n’y a point de pensées en nous sinon par l’unique sujet, Je ; cette remarque est d’ordre moral.
Alain
Éléments de philosophie
1916
Accepter l’hypothèse de l’inconscient, compris comme l’existence dans un sujet d’une instance qui lui est étrangère et prend des décisions à sa place, constitue une faute morale. En effet, cela revient à se dégager de la responsabilité de ses actions et de ses pensées.
Sartre reprendra cette critique morale de l’inconscient tout en la radicalisant. Pour comprendre cette critique, il faut prendre en compte l’idée majeure de Sartre selon laquelle l’Homme est condamné à être libre.
Pour lui, ce qui définit l’homme, c’est d’abord le fait d’exister. Il n’y a donc pas d’autre nature humaine que le fait d’exister et de pouvoir librement choisir sa vie. L’existence est donc première par rapport à l’essence, c’est-à-dire à la nature de l’Homme, qui n’est que le résultat de ce qu’il fait de sa vie. De ce point de vue, la liberté humaine est totale et inaliénable, mais elle comprend des conséquences inévitables, à commencer par la responsabilité. C’est cette idée qu’exprime Sartre lorsqu’il dit que l’Homme est “condamné à être libre”. En effet, c’est parce que sa liberté est entière que l’Homme ne peut justifier ses manquements à la morale.
C’est en raison de cette entière liberté de l’Homme que l’hypothèse d’un inconscient psychique ne peut être acceptée : l’Homme ne se définit pas par son essence, ni par un inconscient, ni par des déterminismes, ni par un destin ou une volonté divine, mais uniquement par son existence. L’Homme est donc responsable de chacun de ses actes et de chacune de ses pensées : il ne peut pas invoquer, à titre d’excuse, un inconscient qui déciderait à sa place. Affirmer l’existence de l’inconscient est faire preuve de ce qu’il nomme “mauvaise foi”, car cela permet de se dédouaner de sa responsabilité morale. L’individu qui invoque l’inconscient tente ainsi de se cacher derrière quelque chose d’autre, afin de ne pas assumer les conséquences de ses choix. En réalité, la liberté totale de l’Homme lui confère également une responsabilité pleine et entière de ses actes. C’est pourquoi l’Homme est “condamné à être libre”.