III. Citations des auteurs dans des entretiens Flashcards
Lorca - conférence de 1935 sur le titre de son recueil et la fonction du gitan
“Le livre dans l’ensemble, bien qu’il s’appelle gitan, est le poème de l’Andalousie, et je l’appelle gitan parce que le gitan est ce qu’il y a de plus élevé, de plus profond, de plus aristocratique dans mon pays, de plus représentatif de sa manière et ce qui conserve la braise, le sang et l’alphabet de la vérité andalouse et universelle. // Ainsi donc, le livre est un retable de l’Andalousie avec des gitans, des chevaux, des archanges, des planètes, avec sa brise juive, avec sa brise romaine, avec des rivières, avec des crimes, avec la commune du contrebandier et la note céleste des enfants nus de Cordoue qui narguent Saint Raphaël. Un livre où est à peine exprimée l’Andalousie que l’on voit et où frémit celle que l’on ne voit pas. //
Disons-le maintenant : un livre anti-pittoresque, anti-folklorique, anti-flamenco.”
Lorca - conférence de 1935 sur la mauvaise interprétation du gitan comme figure sociale ou politique
« On pleure je ne sais pourquoi cette figure énigmatique. Mais quel est ce bruit de chevaux en marche et de brides que l’on entend du côté de Jaen et dans la montagne d’Alméria ? C’est la Garde Civile qui arrive. Voilà le thème fort du recueil et le plus difficile car il est incroyablement anti-poétique. Pourtant il ne l’est pas » (p. 973)
« Un fait poétique, comme un fait criminel ou un fait juridique ne deviennent des faits que lorsqu’ils vivent dans le monde, lorsqu’ils sont véhiculés, en somme interprétés. C’est pourquoi je ne me plains pas de la fausse vision andalouse que l’on a de ces poèmes du fait de diseurs sensuels et de bas étage, ou d’ignorants » (p. 968)
Darwich, La Palestine comme métaphore - sur l’enjeu poétique d’exprimer le circonstanciel qui prend involontairement une portée plus universelle
Et dans l’introduction de l’anthologie, toujours sur “je me languis du pain de ma mère”
« Prenez l’un de mes poèmes les plus accessibles: ‘Je me languis du pain de ma mère’. Ce poème n’a aucun lien avec quelque cause que ce soit, ce qui ne l’a pas empêché de bouleverser, et de continuer à bouleverser, des millions d’êtres humains. Je n’y parle pourtant que d’une mère bien précise et non d’une patrie. Mais cette mère parvient, grâce à l’image poétique, à se transformer en une multitude d’autres symboles, ce à quoi tend involontairement tout poète. Voilà un poème sans Histoire, sans souffle épique. Une simple ritournelle. Un homme chante sa mère, et son chant parvient à toucher les cœurs. » p.103 Palestine comme métaphore
« Mais moi, lorsque j’ai chanté en prison ma nostalgie du café et du pain de ma mère, je n’aspirais pas à dépasser les frontières de mon espace familial. Et lorsque j’ai chanté mon exil, les misères de l’existence et ma soif de liberté, je ne voulais pas faire de la ‘poésie de résistance’. » (p. 10) Introduction anthologie, La terre nous est étroite
Lorca - conférence de 1935 sur le choix du romance
« // Dès 1919, époque de mes premiers pas en poésie, je me préoccupais de la forme du ‘romance’ parce que je me rendais compte que c’était le moule où se coulait le mieux ma sensibilité. Ce genre était resté stationnaire depuis les derniers ‘romances’ exquis de Góngora jusqu’au moment où le duc de Rivas le rendit fluide, doux, familier et où Zorrilla l’emplit de nénuphars, d’ombres et de cloches englouties. // Le ‘romance’ typique avait toujours été un récit et c’est le récit qui donnait du charme à sa physionomie, car, lorsqu’il devenait lyrique, sans écho d’anecdote, il se transformait en chanson. J’ai voulu fondre le narratif et le lyrique sans que ni l’un ni l’autre ne perdent leurs qualités et j’y suis parvenu dans quelques poèmes du Romancero comme dans celui que j’intitule, Romance somnambule où il y a une grande sensation d’anecdote, une vive atmosphère dramatique, alors que personne ne sait ce qui s’y passe, pas même moi, car le mystère poétique est également mystère pour le poète qui le communique mais qui souvent l’ignore. »
Pléiade, tome I, p. 969.
Darwich, La Palestine comme métaphore - sur le vers libre
« Ce qui légitime le vers libre, c’est qu’il propose de casser les cadences normalisées, pour en créer d’autres. Par là il véhicule une nouvelle sensibilité, un goût nouveau. Il nous fait ressentir à quel point les mètres classiques peuvent être standardisés, sans originalité. C’est pourquoi j’entretiens un dialogue avec le poème en vers libres, mais il est implicite. Il reste que je cherche, et que je trouve, solution à ce problème au sein même de la métrique classique. Car un même mètre peut revêtir plusieurs formes. En réalité, il y a un mètre personnel dans chaque poème, et plusieurs cadences au sein d’un même mètre. […] Le mètre est un outil qui sert à maîtriser la cadence interne. Il n’est pas un principe immuable et n’a pas de forme définitive. C’est la voix du poète, sa cadence personnelle, qui confère au mètre sa musique. Regardez n’importe quelle partition, vous y trouverez des notes, mais vous ne trouverez pas deux interprètes qui les joueront sur le même tempo. Je n’ai aucun complexe avec les mètres. Mes cadences changent à chacun de mes poèmes. Même dans un poème à mètre unique, l’unité prosodique change selon la place que je lui assigne, selon ses rapports aussi avec le sens, la tonalité, qu’elle soit narrative, lyrique … Rien ne limite ma liberté dans la recherche de mes propres cadences au sein du mètre.» p.43-44
Darwich - La Palestine comme métaphore, sur la phase de Beyrouth, la difficulté du politique en poésie
« Si j’avais à réunir une anthologie de mes poèmes, s’il m’était demandé d’être mon propre critique, j’affirmerais qu’après la sortie de Beyrouth je me suis rapproché du rivage de la poésie. Contrairement à ce qu’on pense généralement, je considère que ma période beyrouthine fut ambiguë. A cause de la pression de la guerre civile principalement. A cause de la douleur aussi, des sentiments à fleur de peau, sans oublier le devoir d’élégie funèbre à la mémoire des amis qui mouraient littéralement dans mes bras. Ces élégies n’étaient pas commandées seulement par le devoir national, mais aussi par l’émotion, et, à Beyrouth, l’émotivité était exacerbée. Il n’y a rien de plus dangereux pour la poésie que les variations brutales des sentiments. L’écriture poétique requiert une température stable avoisinant les vingt degrés ! Le gel et les canicules tuent la poésie, et Beyrouth était en ébullition. Bouillonnement des sentiments et des visions. Beyrouth fut un territoire de perplexité. » p.56
Lorca - Théories et jeu du “duende” sur le duende
“simple exposé sur l’esprit caché de l’Espagne douloureuse”
“Dans toute l’Andalousie, (…) les gens parlent constamment du duende et le détectent, dès qu’il se manifeste, avec un sûr instinct”
C’est « ce pouvoir mystérieux que tous ressentent et que nul philosophe n’explique » […] « en somme, l’esprit de la terre, le même duende qui étreignait le cœur de Nietzsche, qui le cherchait dans ses formes extérieures sur le pont du Rialto ou dans la musique de Bizet » (p. 920)
Registre d’un esprit, d’un pouvoir, quelque chose qui n’est pas concret : ni « le démon théologique du doute » ni « le diable catholique, destructeur et borné » (p. 920) ; c’« est le descendant du pétulant démon de Socrate, marbre et sel, qui le griffa tout indigné le jour où il prit la ciguë ; et de cet autre mélancolique diablotin de Descartes, menu comme une amande verte, qui, fatigué des cercles et des droites, sortait le long des canaux pour entendre chanter les matelots ivres » (p. 920-921) -> Il en fait une source créatrice.
• Trois instances à « la racine de l’œuvre » (OC, p.921) :
- l’ange qui « guide et comble comme saint Raphaël ; garde et protège comme saint Michel ; et il prévient, comme saint Gabriel » (921).
- la muse qui « dicte et, à l’occasion, souffle » (921). « Les poètes de la muse entendent des voix, sans savoir d’où elles viennent. Ce sont celles de la muse qui les inspire …et les gobe parfois » (921).
⇨ « Ange et muse viennent du dehors. L’ange donne des lumières. La muse donne des formes » (921).
- « le duende, c’est dans les ultimes demeures du sang qu’il faut le réveiller » (921).
« La venue du duende constitue un bouleversement de toutes les formes traditionnelles » (924)
« Les grands artistes du sud de l’Espagne, gitans ou flamencos, qu’ils chantent, qu’ils dansent, ou qu’ils jouent de la guitare, savent que nulle émotion n’est possible sans la venue du duende » (922).
« C’est dans la course de taureaux qu’il [le duende] prend son aspect le plus impressionnant, car il doit lutter, d’un côté, contre la mort qui peut le détruire et, de l’autre, contre la géométrie, contre la mesure, base fondamentale de cette fête » (929)
Darwich - premiers contacts avec la poésie, engagement
Subhi Hadidi : cf. « Note bio-bibliographique », Subhi Hadidi, La Terre nous est étroite, p. 381
Après le récit du poème qu’il écrit enfant et les menaces du gouverneur militaire:
“J’ai compris ce jour-là que la poésie est une affaire plus sérieuse que je ne croyais et qu’il me fallait décider de poursuivre ou d’interrompre ce jeu dangereux. »
Darwich - regret de l’engagement dans le comité exécutif de l’OLP (adhésion en 70, comité exécutif 87, départ en 92)
Entretien en 2003 : Entretiens sur la poésie, p. 71 : « Je ne voulais pas, dans mon for intérieur, faire partie de la direction palestinienne. J’aurais préféré rester dans mon espace vital et ne pas occuper un poste qui contrariait ma démarche personnelle comme poète. Le fait que j’ai été membre du comité exécutif a suscité quantité d’interprétations, le plus souvent intempestives, de ce que je disais ou écrivais, comme si j’étais un poète officiel. Et cela est contraire à mon tempérament et à la nature de ma poésie. »
Darwich - sur le poème politique
Dans Entretiens sur la poésie, à la question, « qu’en est-il du poème politique ? », Darwich répond : « Le poème politique ne veut rien dire pour moi. Ce n’est qu’une harangue – qui peut être réussie ou ratée […] Le poème politique n’a plus de raison d’être sauf dans des cas extrêmes. […] La politique ne peut totalement disparaître du poème, de sa trame ou de ses marges. Chacun de nous est habité par un souci d’ordre politique. […] La vraie question est de savoir comment et pourquoi le poème, sans être politique, recèle une dimension politique » (14-15)
Darwich - refus de l’appellation de “poète de la résistance”, “poète de la Palestine” MAIS accession à une voix collective
Entretiens sur la poésie, à la question, « comment réagissez-vous quand on vous considère comme le poète d’une cause, le ‘poète de la résistance’, ou ‘le poète de la Palestine’? », il répond: « Je n’y peux rien, sinon dire et répéter que je refuse d’être enfermé dans cette appellation […] C’est un fait : je suis un Palestinien, un poète palestinien, mais je n’accepte pas d’être défini uniquement comme le poète de la cause palestinienne, je refuse qu’on ne parle de ma poésie que dans ce contexte, comme si j’étais l’historien, en vers, de la Palestine » (p. 16)
« Tous les poètes voudraient que leur voix exprime des préoccupations collectives […] Certes, je me sens honoré par le fait que ma voix se multiplie, que mon ‘moi’ poétique dépasse ma personne pour incarner un être collectif » (p. 16)
Darwich - regret des passages politiques trop “directs” dans sa poésie
La Palestine comme métaphore: « A certains moments, le devoir national m’a contraint à écrire des poèmes directement engagés. Ainsi, le poème ‘Passants parmi des paroles passagères’, ou certains poèmes que j’ai écrits au Liban, ‘Le poème de Beyrouth’ notamment, qui contient des passages trop directs » (104).
Darwich - La Palestine et les Palestiniens ne sont pas que des causes politiques. Identité individuelle avant identité nationale
Entretiens sur la poésie :« j’ai essayé […] de considérer le Palestinien comme un être humain et non comme une cause.// L’identité humaine du Palestinien précède son identité nationale. Nous menons, certes, une lutte longue et difficile qui exige que le poète joue son rôle dans l’élaboration de l’identité nationale, mais nous devons tenir à notre droit de méditer sur notre nature humaine […] Être capable d’écrire sur l’amour, l’existence, la mort et l’au-delà renforce notre identité nationale. Nous ne sommes pas un discours politique, nous ne sommes pas un tract. Et, comme je l’ai souvent répété, être palestinien n’est pas une profession » (92).
Darwich - la poésie ne peut plus lutter contre la guerre avec les mêmes armes : l’épopée, l’héroïsme, mais avec la célébration des choses du quotidien
Entretiens sur la poésie « Je tente de défendre une certaine image de la Palestine en célébrant des choses très simples et très modestes : de l’herbe, des rochers et une fleur d’amandier. J’ai conscience que la poésie ne peut s’opposer à la guerre par les armes de la guerre, ni par un langage belliqueux, mais par son contraire. Elle fait la guerre à la guerre en s’armant de fragilité humaine, en ayant l’attitude de la victime qui regarde le bourreau dans les yeux, sans que ce dernier comprenne ce qu’elle lui dit, en évoquant l’herbe abandonnée le long de routes et des enfants qui jouent dans la neige… La poésie moderne n’a plus les moyens de combattre par des discours grandioses, ceux des épopées et des victoires retentissantes ». (122).
Darwich - sur la comparaison souvent faite entre l’Andalousie et la Palestine comme lamentation collective sur un paradis perdu.
La Palestine comme métaphore, p. 117-118:
“Ma conception n’est pas que l’Andalousie m’appartient, ni que la Palestine est une Andalousie perdue. J’ai tenté d’instaurer un dialogue avec des exilés sur terre et je n’ai pas réclamé un droit sur l’Andalousie. Mais j’ai compris la souffrance et les pleurs de l’Arabe qui a vécu pendant sept siècles dans un lieu et qui en est chassé. […] L’Andalousie peut être ici ou ailleurs, partout. […] Pour moi, l’Andalousie est la réalisation du rêve de la poésie. Un âge d’or humaniste et culturel”