Emancipation Creatrice Flashcards
Rimbaud a-t-il fait table rase de tout ce qu’on lui a appris dans son enfance pour composer les Cahiers de Douai ou est-il encore sous l’influence de certains modèles ?
l Écrire pour s’émanciper du carcan de l’enfance
Se libérer de tout ce qui empêche de penser par soi-même
Le tourner en dérision ou….
…le condamner avec fougue
II. Les cahiers d’un jeune homme libre
- La liberté dans la nature
- Un regard neuf sur le monde
- « Trouver une langue »
Ill. Un adolescent qui rivalise avec ses maîtres - Des codes poétiques traditionnels…
- … mais revisités
3…. dans le but de rivaliser avec ses pairs
Se libérer de tout ce qui empêche de penser par soi-même
Le jeune poète se démarque, déjà, de la bourgeoisie qui est engluée dans ses habitudes et ne peut les dépasser. Cette classe sociale est l’incarnation de l’immobilisme, ce que le jeune poète stigmatise dans « A la musique » en évoquant l’embonpoint des bourgeois, si gros qu’ils ne peuvent bouger
(« Épatant sur son banc les rondeurs de ses reins »). L’Eglise aussi empêche de se forger ses propres idées et de les exprimer. Il faut répéter sans cesse les mêmes paroles, même si l’on n’y croit pas : c’est ainsi que « Tartufe », quels que soient ses désirs, cache les secrets de son cœur, « bavant la foi de sa bouche édentée » montrant l’hypocrisie de la religion.
Enfin, la propagande napoléonienne impose elle aussi une façon de penser. Il faut célébrer l’Empereur, comme sur les gravures mentionnées dans « L’Éclatante victoire de Sarrebruck », il faut mourir pour lui, même si l’on est jeune, comme « Le Dormeur du val ».
Le tourner en dérision ou….
Pour s’émanciper des modèles qu’on a cherché à lui imposer, Rimbaud choisit parfois la moquerie acerbe. Ainsi, d’un trait, il caricature ceux dont il refuse l’influence pesante. Les bourgeois sont si gros que leurs femmes en deviennent des éléphants (« Les gros bureaux bouffis trainent leurs grosses dames / Auprès desquelles vont, officieux cornacs (…] »). Du même geste, le poète évoque le regard de l’empereur pour stigmatiser son indifférence devant ceux qui meurent au combat. Dans « Rages de Césars », il n’a besoin que de deux traits rapidement esquissés pour condamner Napoléon III, à « l’œil terne », à « l’œil mort ». Pour faire des puissants des personnages de farce, Rimbaud met aussi en scène des personnages qui s’en moquent.
Ainsi, la jeune fille de « Roman » a beau vivre sous le « faux-col effrayant de son père », elle n’en parvient pas moins à écrire au poète. Quant aux soldats de l’armée impériale, il arrive qu’ils montrent leur derrière à l’Empereur (« L’Éclatante victoire de Sarrebruck »).
le condamner avec fougue
La colère du jeune homme rebelle ne parvient pas toujours à épouser la légèreté de la satire ; elle peut alors se faire plus violente. Ainsi, parfois les accusations sont directes. Dans « Le Mal », il évoque « le Roi qui les [les soldats morts au combat] raille ». L’allitération en (r] renforce l’attitude cruelle de l’Empereur qui méprise ses troupes. Les accusations sont frontales aussi dans « Le Forgeron » où l’ouvrier, la crapule, s’adresse au roi, figure de l’autorité, pour lui montrer l’injustice de ses agissements et conclut « Merde à ces chiens-là 1 ». Pour rendre sa dénonciation plus impitoyable, le jeune poète recourt souvent à des contrastes: le « dormeur du val »; les « effarés » sont d’autant plus à plaindre qu’ils sont privés du pain du « boulanger au gras sourire » qui ne leur cédera rien. C’est la colère qui s’exprime ici contre ceux qui détiennent le pouvoir de tuer.
La liberté dans la nature
L’aspiration à la liberté se manifeste tout d’abord par le désir de s’échapper de la ville et d’arpenter la nature. En effet, pour se libérer des conventions, il faut d’abord libérer son corps.
Les verbes de mouvement sont très nombreux dans les poèmes des Cahiers de Douai (« Et j’irai loin, bien loin », dans « Sensation »; « J’allais sous le ciel », dans « Ma Bohème »). Ils ne sont pas associés à des destinations précises, ce ne sont pas des voyages organisés, encore moins utilitaires, mais des errances sans but dans une nature accueillante et infinie. La marche permet au poète d’oublier les idées reçues et les paroles apprises par cœur, pour se renouveler (« Je ne parlerai pas, je ne penserai rien », « Sensation »).
Un regard neuf sur le monde
En effet, la Nature est la possibilité d’émancipation. Tout d’abord, elle est maternelle et protectrice. Jamais elle ne heurte ni ne blesse, mais au contraire, elle nourrit et héberge le jeune homme en liberté (« Mon auberge était à la Grande-Ourse », « Ma Bohème »). Mais il apparait surtout que la nature change le regard du poète, elle le transforme, en fait un être à part. Parce qu’au bord des routes, il observe et porte un regard neuf sur le monde, il devient détenteur d’une autre vision du monde. C’est ainsi que les sensations se confondent en synesthésies nouvelles (« Et je les écoutais, assis au bord des routes, / Ces bons soirs de septembre où je sentais des gouttes / De rosée à mon front »,
« Ma Bohème »). Ainsi, grâce à sa liberté de mouvement, le poète, qui n’est plus asservi aux conventions, ouvre les yeux et voit le monde d’un œil neuf.
Trouver une langue
Toutefois, pour être tout à fait libre, il doit aussi trouver une langue nouvelle, qui ne peut étre celle de la bourgeoisie qu’il honnit. Il doit « trouver une langue » comme il l’écrit à Paul Demeny en 1871. Il joue alors avec les mots comme un enfant, inventant par exemple le verbe « Robinsonner »
(« Le cœur fou Robinsonne à travers les romans »,
« Roman ») ; il fait pénétrer des expressions familières dans la langue poétique comme « dada »
(« L’Éclatante victoire de Sarrebruck ») ou encore «frou-frou » (« Ma Bohème »), et infiltre même quelques mots vulgaires, comme un « merde » strident qui résonne dans « Le Forgeron ».
mais revisités
Toutefois, il revisite les codes au lieu de s’y asservir. Il crée dans ce jeu avec la contrainte, c’est le geste de l’émancipation qui devient créateur. Il revisite les règles de la forme fixe qu’est le sonnet, en déplaçant les rimes suivies à la fin du sizain, dans « Le Mal », ou en liant syntaxiquement les quatrains et les tercets dans « La Maline ». Il subvertit la musique de l’alexandrin, recourant fréquemment à des rejets qui mettent brutalement en lumière tel ou tel adjectif. Finalement, s’il respecte le rythme de l’alexandrin, c’est pour s’en moquer, comme dans « A la musique » où il devient aussi pesant que les bourgeois engoncés dans leurs habitudes. Enfin, il subvertit les thèmes traditionnels.
L’amour n’est plus idéalisé mais chargé d’un érotisme sensuel (« Quand la fille aux tétons énormes, aux yeux vifs, / - Celle-là, ce n’est pas un baiser qui l’épeure ! - »). (« Au Cabaret-Vert »).
dans le but de rivaliser avec ses pairs
Il fait en effet référence à de nombreux poètes dans ses cahiers. L’ombre de Shakespeare rôde sur « Ophélie », Molière est cité dans « Le Châtiment de Tartufe », Baudelaire est présent à l’esprit des lecteurs de la « Vénus anadyomène »… Ce sont autant de maitres qui président à l’écriture rimbaldienne. Pourtant, Rimbaud ne se contente pas de rendre hommage.
Très tôt, il envisage de se faire publier, il veut rivaliser avec les plus grands, les égaler ou les dépasser.
L’influence des modernes
Rimbaud, en envoyant ses poèmes à Théodore de Banville, cherche à se faire publier dans la revue Le Parnasse contemporain. Il doit donc faire allégeance au Pamasse tout en affirmant sa différence.
Rimbaud admire Baudelaire. Des similitudes existent entre « Le Buffet» de Rimbaud et « le gros meuble à tiroirs » de Baudelaire (Spleen LXXVI). Mais si Baudelaire en fait la métaphore de son « triste cerveau », Rimbaud en révèle avec plaisir les secrets comme s’il feuilletait un vieux livre.