Chapitre 2 L'insertion professionnelle Flashcards
Individu rationnel
Individu éclairé , logique rationnelle
Les théories du choix rationnel (Becker, 1957), de l’action raisonnée (Fishbein & Azjen, 1975), ou encore de l’individualisme méthodologique (Boudon, 1973) ont en commun de faire le pari de la capacité satisfaisante de l’individu à faire des choix. Selon ces théories ces choix peuvent être biaisés par une moindre information, par une urgence temporelle, ou par des capacités d’analyse limitées, mais il y demeure tout de même l’idée principale du libre arbitre comme condition d’expression du choix individuel. Si l’on reporte ces postulats dans le champs de l’insertion professionnelle, cela permet de dire que le chômage et l’accès à l’emploi sont les résultantes de choix individuels.
Individu rationalisant
La rationalisation est un processus extrêmement banal de nos existences. Il consiste à trouver de bonnes raisons d’avoir fait ce que l’on a fait, ou pas fait, nos réussites ou nos échecs. Il est donc un élément constitutif de notre fonctionnement psychique. On remarquera que cette rationalisation est d’autant plus nécessaire que nous sommes face à une situation d’échec (ne pas obtenir la note espérée à un examen), ou de comportement que nous n’aurions pas réalisé « spontanément » (voter pour un candidat « par défaut » aux élections).
Dispositif d’accès à l’emploi / Travail sur soi / Résilience de carrière/ Adaptabilité de carrière / Dialogue en life desig
La résilience de carrière est conçue comme une composante nécessaire à l’implication professionnelle et à la motivation de l’individu pour s’engager dans une carrière (London, 1983). La résilience de carrière est définie par comme une capacité permettant de rebondir sur des échecs ou des déceptions professionnelles. Elle implique de faire preuve d’initiatives, de structurer et de classer les problèmes, de maintenir son niveau de performance lors de contraintes situationnelles diverses (comme la pression temporelle, le manque de ressources, etc.). Récemment, cette notion a pu être approchée de celle d’adaptabilité de carrière (Barto, Lambert, & Brott, 2015), aujourd’hui présentée comme ressource identitaire adaptative fondamentale des parcours professionnels. A titre d’exemple des pratiques s’inspirant de la résilience professionnelle se sont développées sous le nom de « dialogue de conseil en life design», ou DCLD (Guichard, 2008). Le DCLD vise à aider la personne à développer un processus réflexif sur sa situation, en proposant un travail profond de réagencement identitaire et d’analyse de sa situation professionnelle. Plusieurs axes de travail sont proposés dans ce DCLD : prise de recul par rapport à des événements importants du parcours professionnel, prise de conscience des ses propres stratégies et de leurs effets, identification des ressources extérieures sur lesquelles s’appuyer.
Action d’aide à l’insertion pro au niveau du demandeur d’emploi
Les travaux sur la menace du stéréotype (Steele & Aronson, 1995) montrent que les stéréotypes dont certaines catégories d’individus peuvent être les cibles, notamment les demandeurs d’emplois, peuvent conduire, dans certaines circonstances, ces individus à adopter des comportements conduisant paradoxalement à conforter ces stéréotypes. Dans le cadre d’une recherche qu’ils ont réalisée auprès d’étudiants américains noirs et blancs, Steele et Aronson (1995) leur ont demandé de réaliser un test de raisonnement, en présentant à la moitié d’entre eux le test comme épreuve d’intelligence et à l’autre moitié comme un pré-test de matériel expérimental (sans enjeu d’évaluation personnelle). Les chercheurs mettent en évidence un effet de la condition, mais seulement pour les étudiants noirs : dans le contexte évaluatif, leur performance est significativement plus faible que dans le contexte non évaluatif, alors qu’aucune différence significative n’est observée pour les étudiants blancs. L’hypothèse proposée par les auteurs est que les étudiants noirs sont soumis à la « menace du stéréotype », à savoir la crainte de confirmer un stéréotype attaché à son groupe d’appartenance. La pression ainsi créée par la situation entraîne, via divers mécanismes médiateurs, une chute des performances, et conduit à la situation paradoxale de la confirmation du stéréotype. Depuis la recherche fondatrice de Steele et Aronson, de très nombreux auteurs ont confirmé l’influence potentielle du stéréotype sur les performances cognitives des individus ciblés, mais également sur les comportements ne relevant pas d’une stricte performance, comme l’engagement dans des démarches de retour à l’emploi.
Les actions d’aide à l’insertion professionnelle proposées par les dispositifs publics et associatifs sont de natures diverses, selon qu’elles placent leur objectif au niveau du demandeur d’emploi ou bien au niveau de l’environnement socio-économique. Nombre de travaux soulignent les propriétés individualisantes voire stigmatisantes de certaines actions de la première catégorie. Nous faisons là référence aux recherches montrant que les formations à la présentation de soi, les stages de dynamisation et d’élaboration de projet comportent un risque élevé de culpabilisation, notamment en cas d’échec de la recherche d’emploi (Castra, 2003 ; Dagot & Castra, 2002), dans la mesure où elles sont essentiellement orientées vers l’individu et ses particularités. Les actions de la deuxième catégorie seraient plutôt caractérisées par le déplacement de l’attention vers le cadre de travail ou de formation, allégeant par là-même la charge attentionnelle pesant sur le demandeur d’emploi et ses difficultés. Nous pouvons nous demander si les actions centrées sur le demandeur d’emploi, ses caractéristiques individuelles et ses difficultés ne sont pas particulièrement propices à l’activation de l’identité sociale de « chômeur ». A l’inverse, les actions centrées sur l’activité de travail pourraient être des espaces plus favorables à l’activation de l’identité de « travailleur ». Sachant que les dispositifs d’insertion mobilisent et articulent ces deux types d’action d’accompagnement, nous pouvons nous interroger sur les effets de cette articulation en termes d’insertion professionnelle. Jaminon et Van Ypersele (2001) comparent les situations de demandeurs d’emploi ayant suivi deux formations différentes. Ils observent que ceux « ayant suivi l’étape de qualification (mise en situation de travail, emploi à durée déterminée, formation qualifiante courte) sont majoritairement en emploi (59 %), tandis que ceux ayant suivi l’étape socialisante (bilan de compétences, stage de dynamisation, travail sur la présentation de soi…) sont plutôt en inactivité (62,5 %) ». Les travaux sur la menace du stéréotype peuvent fournir un cadre d’analyse : confrontés à des situations activant fortement leur identité de chômeur, avec son cortège d’attributs négatifs, les demandeurs d’emploi verraient leurs performances (cognitives et motivationnelles) affectées. Ceux-ci échoueraient finalement bien plus dans leur retour à l’emploi que leurs homologues ayant bénéficié des actions qualifiantes. Ainsi le type d’action réalisée semble avoir un effet déterminant sur l’issue du processus d’insertion. Les actions focalisées sur le demandeur d’emploi seraient des situations propices à l’activation du stéréotype de « chômeur », ce qui entraînerait, par le biais du processus de menace du stéréotype, une baisse des performances cognitives et motivationnelles du demandeur d’emploi, et donc réduirait ses chances de retour à l’emploi.
Les mêmes effets délétères d’un accompagnement vers l’emploi qui serait principalement construit sur des pratiques de réflexion sur soi, au détriment des actions de mise en situation de travail, ont été observés par Dagot (2007). Cette étude montre que lorsque les actions qui sont proposées aux demandeurs d’emploi sont majoritairement de l’ordre du travail sur soi, alors le risque d’abandon de la démarche est significativement plus élevée que lorsque le dispositif propose principalement des phases de mise en situation de travail. L’hypothèse interprétative repose sur le fait que les actions de travail sur soi produiraient une menace identitaire, qui conduirait le chercheur d’emploi à déserter le dispositif qui lui est proposé. Ce processus serait surtout observé chez les candidats peu diplômés. Ainsi, tout semble se passer comme si le travail sur soi, pour ces personnes dont les parcours sont marqués par une faible qualification et peu d’expérience professionnelle, se réduisait d’abord à un travail sur ses lacunes personnelles. De fait, la rupture avec un dispositif qui vient actualiser au cours des différents rendez-vous cette image de soi négative, semblerait être une porte de sortie « protectrice ».
Menace du stéréotype
Les travaux sur la menace du stéréotype (Steele & Aronson, 1995) montrent que les stéréotypes dont certaines catégories d’individus peuvent être les cibles, notamment les demandeurs d’emplois, peuvent conduire, dans certaines circonstances, ces individus à adopter des comportements conduisant paradoxalement à conforter ces stéréotypes. Dans le cadre d’une recherche qu’ils ont réalisée auprès d’étudiants américains noirs et blancs, Steele et Aronson (1995) leur ont demandé de réaliser un test de raisonnement, en présentant à la moitié d’entre eux le test comme épreuve d’intelligence et à l’autre moitié comme un pré-test de matériel expérimental (sans enjeu d’évaluation personnelle). Les chercheurs mettent en évidence un effet de la condition, mais seulement pour les étudiants noirs : dans le contexte évaluatif, leur performance est significativement plus faible que dans le contexte non évaluatif, alors qu’aucune différence significative n’est observée pour les étudiants blancs. L’hypothèse proposée par les auteurs est que les étudiants noirs sont soumis à la « menace du stéréotype », à savoir la crainte de confirmer un stéréotype attaché à son groupe d’appartenance. La pression ainsi créée par la situation entraîne, via divers mécanismes médiateurs, une chute des performances, et conduit à la situation paradoxale de la confirmation du stéréotype. Depuis la recherche fondatrice de Steele et Aronson, de très nombreux auteurs ont confirmé l’influence potentielle du stéréotype sur les performances cognitives des individus ciblés, mais également sur les comportements ne relevant pas d’une stricte performance, comme l’engagement dans des démarches de retour à l’emploi.
Action d’aide à l’insertion pro au niveau de l’environnement socio-économique
Ainsi, les pratiques de travail sur soi peuvent se révéler menaçantes pour les individus les plus éloignés de l’écrit, de la lecture, de la culture du « travail sur soi » qui est plus commune aux publics rompus aux études supérieures. D’une part car la sémantique employée peut imposer une situation de conflit de « cultures sociales », révélant en creux l’éloignement du public précaire des mots et formules du « développement personnel ». D’autre part, car même si ce premier écueil est franchi, et que l’individu accepte et joue le jeu du travail sur soi, le risque d’une résurgence de ses « fragilités » est d’autant plus grand que son parcours a jusque là été plus empreint d’échecs que de réussites.
Il semble donc primordial que les pratiques d’aide articulent les volets connaissance de soi/connaissance de l’environnement/accès aux situations d’emplois. Jusque là les dispositifs jouent surtout sur les deux premiers leviers. Le troisième est moins mobilisé, ou plus difficilement, du fait d’une culture encore trop empreinte de psychologie commune, chez les professionnels de l’insertion professionnelle, qui diffuse l’idée encore trop répandue d’un « éloignement psychologique » des personnes en recherche d’emploi (surtout chez les plus précaires) qui serait la cause initiale de la situation de chômage. Par provocation, nous pourrions écrire qu’il serait totalement révolutionnaire d’envisager des dispositifs d’insertion professionnelle qui auraient remisé au placard les grilles de lectures psychologisantes de l’accès à l’emploi, et qui se positionneraient comme des acteurs de l’emploi au même titre que les agences d’intérim par exemple. Peut être un jour que l’accès à l’emploi sera envisagé comme un processus aussi dépsychologisé que d’autres moments sociaux, tels que les loisirs, l’alimentation ou l’habitat.
Théorie de l’engagement
D’un point de vue théorique et pratique la théorie de l’engagement (Kiesler, 1971 ; Joule, Gi- randola & Bernard, 2007) nous semble toute indiquée pour guider les actions des agents d’insertion dans le cadre de l’EMR. À notre connaissance, peu de travaux ont directement étudiés la pertinence de la théorie de l’engagement dans le champ de l’insertion professionnelle des publics précaires (Castra, 1995 ; Castra & Pascual, 2003). Selon Joule et Beauvois (1998), « L’engagement correspond, dans une situation donnée, aux conditions dans lesquelles la réalisation d’un acte ne peut être imputable qu’à celui qui l’a réalisé ». Kiesler et Sakumura (1966) décrivirent plusieurs facteurs permettant l’engagement d’un individu dans ses actes à savoir :
* – la réitération de l’acte (facteur a) : plus un individu répète un même type de comportement, plus il est engagé par ce comportement ;
* – le coût de l’acte (facteur b) : plus un individu réalise un comportement coûteux (en termes de temps, d’argent, d’énergie, etc.), plus il est engagé par ce comportement ;
* – la visibilité de l’acte (facteur c) : plus un individu réalise un comportement de manière visible (aux yeux de tous), plus il est engagé par ce comportement ;
* – l’irrévocabilité de l’acte (facteur d) : plus un individu adopte un comportement pour lequel il sait qu’il ne pourra pas faire marche arrière, plus il est engagé par ce comportement ;
* – le contexte de liberté (facteur e) : plus un individu effectue un comportement dans un contexte de liberté, plus il est engagé par ce comportement.
Etude Qualification / Socialisation
Des données récentes (Jaminon & Van Ypersele, 2001) légitiment cette interrogation. Dans cette recherche, les auteurs comparent les situations de demandeurs d’emploi ayant suivi deux formations différentes. Ils observent que ceux « ayant suivi l’étape de qualification (mise en situation de travail, emploi à durée déterminée, formation qualifiante courte) sont majoritairement en emploi (59 %), tandis que ceux ayant suivi l’étape socialisante (bilan de compétences, stage de dynamisa- tion, travail sur la présentation de soi…) sont plutôt en inactivité (62,5 %) » (p. 234). Les travaux sur la menace du stéréotype peuvent fournir un cadre d’analyse : confrontés à des situations activant fortement leur identité de chô- meur, avec son cortège d’attributs négatifs, les demandeurs d’emploi verraient leurs performances (cognitives et motivationnelles) affectées. Ceux-ci échoue- raient finalement bien plus dans leur retour à l’emploi que leurs homologues ayant bénéficié des actions qualifiantes.
Ainsi le type d’action réalisée semble avoir un effet déterminant sur l’issue du processus d’insertion. Les actions focalisées sur le demandeur d’emploi seraient des situations propices à l’activation du stéréotype de « chômeur », ce qui entraînerait, par le biais du processus de menace du stéréotype, une baisse des performances cognitives et motivationnelles du demandeur d’emploi, et donc réduirait ses chances de retour à l’emploi.
Désengagement à l’égard des sphères menaçante
L’activation du stéréotype pourrait conduire l’individu à modifier ses propres priorités dans le sens véhiculé par le stéréotype (Steele, 1997). Dans cette étude, le stéréotype voulant que les chômeurs soient moins enclins à s’intéresser aux activités culturelles, il semble que dans la condition “activation du stéréotype”, les participants se soient déclarés moins intéressés par ce domaine. Cela répondrait à une stratégie protectrice de l’estime de soi : “je me fiche bien de ce que l’on peut penser de moi, ou de ce que je peux démontrer dans ce domaine, car de toute façon il n’a pas d’importance pour moi”. Il semblerait donc que les effets délétères observés dans cette étude ne soient pas associés à une diminution des capacités cognitives liée à l’anxiété, ou une altération de son sentiment de compétence, mais à un désengagement sélectif des sphères dans lesquelles la réputation du groupe stéréotypé auquel appartient l’individu est dévalorisée.
Le désengagement des sphères menaçantes observé par Bourguignon et ses collègues, peut relever de la même logique de protection de soi qui semble être aussi celle des demandeurs d’emploi de l’étude de Dagot. Pourquoi peut-on faire l’hypothèse que l’abandon du dispositif d’insertion découle d’une volonté de protection de soi ? Il faut se demander ce qui pourrait représenter une menace pour le soi, en terme identitaire, dans les actions proposées par le dispositif. Dans l’étude de Bourguignon, c’est l’activation de l’appartenance au groupe “chômeur” qui a conduit les demandeurs d’emploi à déclarer ne pas être intéressés par la sphère culturelle. On peut analyser cette réaction par l’activation des caractéristiques du stéréotype “chômeur” dans l’esprit des participants à l’étude, eux mêmes chômeurs. Cette activation des caractéristiques négatives (peu cultivés, loins de la culture…) génèrerait un inconfort psychologique, vécu sur le mode de la menace identitaire. Pour alléger cette menace, l’individu pourrait avoir comme stratégie de déclarer ne pas se sentir concerné par “la culture”, signant un désengagement de la spère menaçante : “peu importe ce que l’on pense de moi sur ce sujet, car il n’a pas d’importance pour moi”.
Nous pensons que l’enchainement psychologique est similaire dans le cas de l’étude de Dagot (2007).
Ce sont les chômeurs les moins diplômés qui ont adopté une logique de rupture avec le dispositif lorsque celui-ci leur proposait surtout de travailler sur leur propre personne, avec ses défauts et ses qualités, leur projet qui souvent se heurte à leur situation de très faible qualification et leur parcours marqué par la précarité. La sémantique portée par ce type d’action relève d’une psychologisation pouvant être perçue comme déplacée, ou en tout cas inutile. Inutile car l’on perçoit le décalage entre le travail sur soi que le dispositif requiert, travail parfois assez intrusif, et ses effets potentiellement bénéfiques, à savoir trouver un emploi de bas niveau, rémunéré au strict minimum. On peut faire l’hypothèse qu’il est plus acceptable, voire plus valorisant, de développer une analyse sur soi, sa personnalité et ses projets, lorsque l’on est diplômé de l’enseignement supérieur, et que l’on a déjà un parcours professionnel riche. Dans l’étude de Dagot, on voit d’ailleurs que les sorties par abandon ou par accès à l’emploi des plus diplômés sont assez insensibles à la prédominance des actions de type travail sur soi, ou de type mise en situation de travail.