la guerre économique Flashcards
intro - la mondialisation à l’heure de la guerre économique
En 2014, GE rachetait la branche électrique d’Alstom, un des fleurons de l’industrie française, 3 ans seulement après que la justice américaine condamnait l’entreprise française à une amende de 700 millions de $ pour des cas de corruption en Indonésie au nom de la loi FCPA et de son caractère extra-territorial. Ce rachat mettait alors à jour la capacité de la législation américaine à poursuivre des entreprises étrangères et la redoutable intelligence économique de l’Oncle Sam mise en service de la guerre économique. Surtout, le rachat de cette branche d’Alstom, qui assure l’entretien des réacteurs nucléaires français, montrait l’incapacité de l’Etat français à assurer sa souveraineté et sa sécurité énergétique et militaire. Pourtant, cette loi anti-corruption américaine de 1977, fut dans en premier lieu votée afin de lutter pour la moralisation des échanges commerciaux mondiaux. Elle allait de le sens de la mise en place par les Etats-Unis d’un nouveau paradigme économie pacificateur post-guerre froide.
Ainsi, alors que les idées d’ouverture, d’intégration et de mobilité, étaient les mots-clefs de la mondialisation triomphante des années 1990, il est aisé aujourd’hui de souligner la paradoxale et progressive «fermeture» du monde qui paraît tout à la fois symptôme et cause des tensions actuelles. Cette «fermeture» s’est manifestée dans la foulée des attentats du 11septembre 2001 en matière de frontière, mais aussi d’un point de vue économique. La remise en question des accords de coopération régionale comme la multiplication des accords bilatéraux au détriment des accords multilatérauxpour contourner l’inertie multilatérale de l’OMC, signent la fin des certitudes sur l’intégration économique du globe. Pire, il semblerait qu’une guerre économique silencieuse et durable l’ait succédée. P. Gauchon la définit comme « l’affrontement que se livrent les Etats-nations pour s’assurer le contrôle des «ressources rares» nécessaires à leur économie», c’est-à-dire une forme extrême de rapports de force non militaires pour gagner en richesse et en puissance. Les entreprises y ont un rôle important et comptent sur le soutien des États.
Pourtant, la guerre économique ne fait pas l’unanimité : le commerce international n’est pas un jeu à somme nulle où l’on gagne au détriment de l’autre. L’analogie entre la guerre et la compétition économique est ainsi faussée. Alors, si l’ordre économique mondial traverse une crise-mutation depuis les années 1970 est-il pour autant en guerre?
1) la mise en place d’un nouveau paradigme économique pacificateur
2) loin de pacifier les peuples, la mondialisation est l’enceinte d’une guerre économique
3) la guerre économique n’aura pas lieu : la mondialisation est une seine concurrence économique mais exacerbée par la crise systémique depuis 1970
Quel est le paradigme économique dominant lors du XIX et début du XX ?
marqué par le protectionnisme et les interventions de l’État pour rompre avec le capitalisme. Ce fut le cas dans les années 1920 et 1930 où les cartels nationaux (Allemagne par exemple), les fortes barrières douanières et la dévaluation de la monnaie par l’État représentaient de fortes restrictions aux commerce mondial.
Après les 2 guerres mondiales, il y a une volonté de créer un système commercial mondial afin de pacifier les relations internationales :
La 1ère véritable expérimentation de coopération internationale fut la Société des Nations (créée en 1919 par le Traité de Versailles). John Maynard Keynes critiquait déjà cette SDN pour les termes de la paix de Versailles qui étaient désastreuses pour l’Allemagne et la suite lui a donné raison puisque la SDN a été incapable d’apaiser les tensions politiques issues de la crise de 1929 et notamment car elle n’avait pas encore vu l’importance de la coopération éco et commerciale pour stabiliser les relations internationales (aucune règle n’avait été édictée concernant le commerce mondial avant la seconde GM).
C’est donc après la seconde guerre mondiale qu’on voit se créer, sous l’impulsion des E-U, des institutions économiques internationales qui fournissent des mécanismes de résolution des différends entre pays et des instruments de coopération. Le socle de cet élan fut le triptyque: Fond Monétaire International (FMI créé en 1945), l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT en 1947) et la Banque Mondiale (1945). Les obstacles tarifaires vont ainsi tomber de 1947 aux années 70.
Les Etats-Unis mettent en place à partir des années 70, deux types de lois qui leur permettent de moraliser l’internationalisation naissante des économies :
la lutte contre la corruption :
- la loi Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) en 1977 afin de lutter contre la corruption des entreprises américaines révélée par le scandale de Watergate (1974). Or, ils se sont aperçus que si cette loi ne concernait que les entreprises américaines alors ils pouvaient y avoir distorsion de concurrence avec les autres entreprises étrangères. Ainsi, au nom de la moralisation des marchés, les Etats-Unis ont estimé que cette loi devrait s’appliquer à tout le monde. Ils ont ainsi tenté d’extra-territorialiser cette loi par l’ONU puis par la chambre internationale de commerce mais ces deux tentatives sont infructueuses. Il faudra attendre 1997 pour que l’OCDE vote une convention de lutte contre la corruption. Il s’agit d’un copié-collé de la loi FCPA : de fait les Etats-Unis se proclament gendarmes de la mondialisation au nom de la moralisation du commerce.
- Les lois sur le embargo contre un certain nombres de pays que les Etats-Unis estiment voyous. 1996, loi Helms-Burton pour un embargo sur Cuba et Amato-Kennedy contre l’Iran et la Libye.
Lors de la guerre froide, l’affrontement géopolitique masque une compétition économique
Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale la France accepte, en contrepartie du plan Marshall, l’ouverture de son marché, notamment cinématographique. Avec le choix de l’Europe communautaire, la France doit se libéraliser et s’ouvrir à ses alliés géopolitiques et géoéconomiques: États-Unis, Europe occidentale.
Pour les élites françaises, en particulier de droite, la solidarité occidentale prévaut sur les intérêts nationaux. L’influence américaine est une réussite dans ce registre. Ainsi C. Harbulot estime qu’il existe alors « une omerta sur les affrontements économiques entre pays occidentaux pour ne pas donner d’arguments à la propagande soviétique ». Déni de la guerre économique.
Limite De Gaulle
Lors de la guerre froide, l’affrontement géopolitique masque une compétition économique , or comment comprendre la politique de De Gaulle ?
La France du général de Gaulle aspire à «retrouver son rang». C’est pour s’affirmer en tant que puissance, dans un monde bipolaire, que de Gaulle mène une politique d’indépendance nationale dont le volet économique passe par le désir de récupération d’une certaine autonomie perdue. C’est dans ce sens qu’il faut comprendre la création d’Elf-Aquitaine pour diminuer notre dépendance énergétique, et des «champions nationaux». Le même dessein est ainsi poursuivi dans le domaine de l’informatique, mais de Gaulle déclare en conseil des ministres «Les Américains se sont engagés dans un processus de mainmise sur l’ensemble des circuits économiques, financiers, militaires, politiques dans le monde» (30 avril 1963)
La quête de souveraineté économique par De Gaulle heurte cependant les intérêts américains
General Electric rachète le français Bull en 1964, sans que la France ne parvienne à l’empêcher pour des raisons financières, mais aussi idéologiques. Il en est de même pour le système informatique Mars qui mettait en relation des centaines d’entreprises françaises dans le domaine électronique, représentant ce que C. Harbulot nomme un «management de l’information», c’est abandonné en 1976 car il note que cette politique trouve peu de relai dans les milieux économiques et politiques français (Harbulot, 2013). Après de Gaulle, la France abandonne toute doctrine stratégique économique et se laisse maltraiter par ses alliés géopolitiques, Etats-Unis en tête: un «sabordage»?
Quand est-ce que les Américains déclare véritablement la guerre économique au monde ?
avec la fin de la guerre froide et l’affirmation économique du Japon qui devient même un leader technologique dans les années 1980, détrônant la puissance américaine. Il s’agit de la première étape d’une conversion plus complète de Washington à la guerre économique, qui succède à la guerre froide. En 1992, Paul Krugman rapporte les propos tenus un sommet économique de Little Rock, «un monde dans lequel les Etats comme les entreprises sont engagés dans une compétition sauvage sur les marchés mondiaux»
Par quels moyens les Etats-Unis déclarent-ils la guerre économique ?
Ils se convertissent aux NTIC (Nouvelles technologies de l’information et de la communication) et créent en 1993 plusieurs organismes:
Figure - “War room”
Un advocacy center est créé au département du commerce pour remporter les appels d’offre internationaux, de plus d’1 milliard de dollars; un Conseil économique de sécurité – National Economic Council – est en charge de la coordination des politiques publiques en direction des entreprises. La prise de conscience est moins rapide ailleurs, et surtout tarde à se traduire dans les faits. Les services de renseignement doivent surveiller les partenaires commerciaux des États-Unis. C’est un cabinet de la guerre économique, un war room! «La sécurité économique américaine doit être élevée au rang de première priorité de la politique étrangère américaine … il faut promouvoir la sécurité économique américaine en lui accordant autant d’énergie et de ressources qu’il en a fallu pour la guerre froide» déclare Warren Christopher, secrétaire d’Etat le 13 janvier 1993 (cité par Ali Laïdi, Diplomatie, 2015). Cela a le mérite de la clarté. Ce tournant correspond aussi à l’ouverture de la Chine, et au début du XXIème siècle c’est-à-dire à l’affirmation des grands émergents les BRIC’s (Brésil, Chine, Inde, Russie, Afrique du Sud).
l’Etat, acteur de la guerre économique
Bernard Esambert, « Le général de la guerre économique capable de créer cette mobilisation peut se situer à l’Elysée. Il pourrait être à Matignon ». F. Munier rappelant « ce genre d’affirmation a longtemps fait sourire » (Huissoud, 2009). Or il est difficile de mener une guerre sans État-major…
Les Etats-Unis l’ont compris (War room) mais également le Japon (le MITI ministère de l’économie planifie l’économie jusque dans les années 80 avant que les Etats-Unis ne demandent sa libéralisation ainsi que l’indépendance de la banque centrale japonaise).
Les entreprises, acteurs de la guerre économique
Les entreprises sont les autres acteurs de la guerre économique. A elles de protéger de leurs concurrents les secrets de fabrication, les brevets, fruits d’une recherche-développement onéreuse. Nous avons vu précédemment le cas du français Valeo victime, en 2005, d’une stagiaire chinoise, Li-Li, copiant les fichiers informatiques de l’entreprise. L’espionnage industriel est organisé par des Etats ou des entreprises concurrentes. Les grandes entreprises participent, par ailleurs, à la mesure de la puissance des Etats comme en témoignent les différents classements, à l’exemple de celui conçu par le Fortune global 500. Elles demeurent, en dépit de leur caractère transnational, attachées à l’Etat et au territoire qui les a vus naitre par la localisation de leur siège social, de leurs activités de recherche, et d’une partie non négligeable des détenteurs du capital, des emplois. Si les intérêts entre entreprises et Etat ne coïncident pas de manière exacte, force est de constater que les principales puissances économiques sont dotées des plus grandes firmes mondiales (Etats-Unis, Allemagne, Japon, Chine, Royaume-Uni, France…).
Les hommes, acteurs de la guerre économique
Les hommes sont les « soldats » de cette guerre économique, nous l’avons dit avec l’affaire Valeo, mais aussi au niveau de la nécessité de préserver la confidentialité des activités de l’entreprise. Les chefs d’entreprise sont bien sûr partie prenante de cette guerre économique, par leurs décisions ou les process mis en place au sein de leur entreprise. Les salariés en sont aussi des acteurs importants. Bernard Esambert estime que les entreprises sont les «armées» et les chômeurs les «victimes» de la guerre économique, il assimile les entreprises aux soldats de la guerre économique: les «combattants de la guerre économique». (Esambert, 1991).
Quelles sont les armes de la guerre économique ?
Au niveau étatique, les armes sont celles de la législation, du développement d’une culture de l’intelligence économique passant par les services de renseignement, la diplomatie, mais aussi une politique de sensibilisation à tous les niveaux.
La bourse
L’information
La compétitivité
Les armes de l’Etat ?
Au niveau étatique, les armes sont celles de la législation, du développement d’une culture de l’intelligence économique passant par les services de renseignement, la diplomatie, mais aussi une politique de sensibilisation à tous les niveaux. L’Etat peut décider de mesures protectionnistes, la Chine oblige les entreprises étrangères à produire sur son sol avec une co-entreprise qui finit par piller les secrets de fabrication (Wahaha pour Danone). Le contexte d’une économie schumpétérienne implique aussi la formation du capital humain : il revient alors aux Etats et aux collectivités territoriales de former la main d’œuvre, enjeu essentiel de compétition et de compétitivité.
La bourse est un terrain de bataille
C’est ce qu’illustre l’affaire Gemplus, une entreprise française leader de la carte à puce. Cotée en bourse, elle est en partie rachetée par un fond d’investissement américain. Un nouveau directeur général est nommé à sa tête en 2002, Alex Mandl, par ailleurs administrateur d’In-Q-Tel, société de capital-risque de la CIA, très intéressée par la technologie de la carte à puce. Le transfert de technologie est inévitable. Lorsque l’entreprise chinoise Geely rachète le suédois Volvo, elle acquiert ses brevets; elle est depuis 2018 le premier actionnaire de Daimler. Les fonds souverains étatiques prennent des participations au sein des grandes entreprises, rachètent des dettes souveraines, pouvant ainsi exercer une vraie influence ; la Chine n’est-elle pas devenue un important bailleur de fonds du gouvernement américain ? La France peut-elle se fâcher avec les pétromonarchies du Golfe qui investissent avec constance dans sa dette publique ?