Tableau 5 - La mort Flashcards
Bonsoir, madame… vous permettez… mes amis sont toutes partis, ça fait que… Si vous voulez y aller, vous gênez pas, sont fins… Qu’y fait frette, qu’y fait frette, qu’y fait frette ! Des frissons partout !
Non, Je vous remercie. Je préfère attendre ici.
Si vous voulez vous assire, prenez c’te chaise-là, c’est la moins sale… euh, la plus propre… Encore chaude, je l’ai réchauffée moé-même. Excusez-moé, madame, mais à vous r’garder de plus proche, là, on dirait que j’vous connais ! J’vous aurais pas rencontrée quequ’part…
C’est impossible, madame, moi, on ne me voit qu’une fois.
Ah, oui ? Rien qu’une fois ? Gorons ça… C’est drôle, hein ? Vous avez un accent étranger, aussi hein ? Vous êtes pas d’icitte ? Vous êtes française, hein ? C’est drôle comment c’est que vous parlez, vous autres, les français, nous autres, on parle pas de même par chez nous… De toute façon, madame, permettez moé de vous dire ça de même, mais j’vous trouve pas mal poquée, pis pâle comme la mort. Vous v’nez d’arriver ?
Pâle comme la mort, dis-tu ?
Mon Dieu, j’espère que j’vous ai pas insultée ! C’est peut-être pas une affaire à dire à une française !
Non, non, j’ai toujours été blême… C’est… mon naturel.
Blême de naturel ! (Silence.) Mon Dieu, ça vient de me frapper ! J’le sais à qui vous ressemblez ! Vous êtes le portrait tout craché de la Dame de pique !
En effet, je suis la Dame de pique. Je suis la mort.
La mort ? Vous êtes la mort, vous ? J’viens de faire la connaissance de la mort en personne ! Euh… enchanté. Moé, chus le jocker. C’est de même qu’y m’appellent tout le temps…
Je te fais peur, n’est-ce pas ?
Peur, à moé ? Wof, non. Vous comprenez… euh… si chus le jocker… euh… tout le monde sait qu’aux cartes, le jocker est plus fort que la Dame de pique… au contraire, j’ai l’impression que si le Jocker pis la Dame de pique se mettaient ensemble, y pourraient faire ben des ravages…
Si tu n’as pas peur… pourquoi est-ce que ta jambe tremble?
Faut pas trembler de peur devant une dame… une…une.. si illustre dame qui a fait le voyage de si loin…
Tu es bien aimable de m’appeler une illustre dame…
Ah, j’dis pas ça par politesse, vous savez. J’vous jure que j’trouve vraiment que vous êtes une illustre dame… et très sympathique par-dessus le marché… Pis ça me fait plaisir que vous soyez venue me voir. J’vous trouve tellement sympathique, que j’pense que j’vas vous payer un p’tit que’chose à boire… si vous permettez…
Très volontiers… Tu dis que je te plais ?
Ah, ben, aie ! C’t’affaire ! Toute me plaît en vous : le parfum de… de crysanthèmes que vous dégagez, la pâleur blême de votre complexion. Comme on dit par chez nous : « Femme au teint pâle, sang chaud ! »
Oh, vous me faites rougir, folle que vous êtes ! Personne ne m’a jamais fait rougir ainsi …
Vous rougissez parce que vous êtes encore vierge… Vous avez pris beaucoup d’homme dans vos bras, mais rien qu’une fois, pis pas pour c’qu’on pense… Parce qu’y’en avait pas un qui méritait de v’nir coucher serré à côté de vous, parce que y’en avait pas un qui vous portait… un amour sincère.
Ah, c’est vrai, personne ne m’estime.
Vous êtes trop discrète, aussi ! Vous devriez annoncer votre arrivée à coups de trompettes, pis de tambours ! Après toute, vous êtes une Dame ! Une Reine ! À votre santé, Majesté !
À la santé de la Mort ! Je me demande si tu es plus folle que poète…
Les deux : parce que tout poète est fou et vice versa. Buvez un peu, là, vous êtes pâles comme la mort… Oh, pardon.. Ça va vous donner des couleurs !
Il est bon, ce vin.
Le contraire s’rait surprenant, c’est le même que le Nazaréen boit dans la salle à côté… Pis y s’y connaît en vin… y’a même une maudite bonne recette à lui…
Lequel d’entre eux est le Nazaréen ?
Le jeune homme assis au milieu, celui avec les grands yeux clairs, là…
Un bien bel homme. L’air doux.