Politique publique Flashcards
Développement historique du champ de politique publique
- Domaine d’intervention: On a assisté sur la longue durée à une extension des domaines d’intervention des autorités publiques. Au début du 19e siècle, on ajoute les transports, l’instruction publique aux questions fiscales, militaires et maintien de l’ordre déjà existantes. Avec la mise en place des États providences au 20e siècle, il y a une nouvelle diversification : maladie, accident, vieillesse, chômage, etc. En parallèle, les autorités publiques se font plus interventionnistes au niveau économique. Cela se traduit par un accroissement de la taille de l’État et un découpage de son intervention. Au tournant des années 1970, cette extension se voit contre-carrée, crise économique qui amène des coupes, et contexte idéologique défavorable.
- Niveaux de gouvernement: Un autre changement concerne les niveaux de gouvernement. Mises en place des États-nations au cours du 19e siècle, certaines politiques portées par le gouvernement central qui cherche à aménager son territoire et construire une identité nationale, mais les autorités locales développement des politiques autonomes. La répartition de compétences se fait à géométrie variables. Développement aussi de l’UE. On parle de nouvelles notions, comme la « gouvernance multiniveaux » (Marks 1996), qui souligne que les États ne monopolisent plus la totalité des ressources, sont contraints de faire des concessions et que les arènes politiques sont imbriquées.
- Types d’instruments: Finalement, le dernier aspect de recompositions en cours concerne les instruments d’action publique. Ce sont les dispositifs sociaux et techniques qui organisent les rapports entre la puissance publique et ses ressortissants, matérialisant une théorisation implicite du rapport gouvernant/gouverné. Les premières formes d’instruments des interventions directes par la mobilisation de moyens administratifs et humains, puis la mise en place de politiques redistributives implique quant à elle des transferts financiers d’importance. Dans les années 1970, de nouveaux instruments apparaissent ou se développement, outils d’incitation (contractualisation, recommandations), missions de régulation ou encore politiques de communication.
Qu’est-ce que l’approche séquentielle?
Découpage entre trois moments de l’action publique : (1) La mise sur agenda des problèmes : on voit comment les problèmes entrent sur l’agenda politique, il n’existe pas de problèmes considérés naturellement comme politique. (2) La prise de décision : il n’existe pas de décideur unique, mais un ensemble de protagonistes avec des priorités uniques, de plus, l’information n’est pas parfaite et la décision et souvent ambiguë. (3) Finalement, la mise en œuvre : il y a des écarts entre les objectifs définis et les réalisations. Une telle approche dite séquentielle a fait l’objet de multiples critiques : les étapes sont difficiles à distinguer dans la réalité, elles sont parfois inversées et ont entre elles de nombreux effets de rétroaction. Plus que des moments, on peut les aborder comme des questionnements spécifiques sur la conduite de l’action publique.
Qu’est-ce qu’une approche néo-institutionnaliste?
Le néo-institutionnalisme (également appelé théorie néo-institutionnaliste ou institutionalisme) est une approche de l’étude des institutions qui se concentre sur les effets contraignants et facilitateurs des règles formelles et informelles sur le comportement des individus et des groupes. Le néo-institutionnalisme englobe traditionnellement trois courants majeurs : l’institutionnalisme sociologique, l’institutionnalisme du choix rationnel et l’institutionnalisme historique. Le néo-institutionnalisme a vu le jour dans les travaux du sociologue John Meyer publiés en 1977.
Qu’est-ce que l’institutionnalisme du choix rationnel?
Replacer l’acteur rationnel dans son environnement et appréhender comment celui-ci façonne le choix des alternatives et promeut la coopération entre acteurs égoïstes ; tel est le but d’un courant de plus en plus important des théories du choix rationnel : l’institutionnalisme du choix rationnel (« institutional rational choice »). Cette appellation découle de l’utilisation du terme « institution » pour désigner les éléments contextuels qui influencent les stratégies individuelles qui, elles, restent mues par les calculs utilitaristes. Pour l’institutionnalisme du choix rationnel, est une institution tout élément contextuel susceptible de restreindre l’éventail des alternatives d’action sur la base duquel un acteur rationnel va poursuivre sa stratégie de maximisation d’utilité personnelle. Définies ainsi, les institutions sont essentiellement les « règles du jeu dans une société, ou plus formellement, les contraintes imaginées par les hommes pour façonner les interactions sociales » (North 1990). Elles peuvent être formelles ou informelles, émaner de traditions culturelles ou de conventions contractuelles, être imposées par la force ou encore découler d’interactions d’échange. Leurs travaux ajoutent ainsi non seulement une perspective comparative à l’analyse mais recouvrent aussi une dimension téléologique dans la mesure où ils cherchent quasi inévitablement à établir la nature des institutions qui mènent à la coopération.
Qu’est-ce que le néo-institutionnalisme discursif?
L’institutionnalisme discursif offre une perspective théorique qui explore la légitimation et le changement des politiques publiques en intégrant des facteurs idéels-discursifs et institutionnels. Il met l’accent sur le rôle central du discours dans la construction des intérêts, des valeurs et de la légitimité en politique. Cette approche considère que le discours est constitutif du fait politique et souligne l’importance des idées, de la persuasion et de la légitimation en démocratie. Elle reconnaît également l’impact des configurations institutionnelles sur la capacité des acteurs à articuler des discours et à communiquer sur les politiques. L’institutionnalisme discursif s’efforce de combiner des éléments des approches rationalistes et constructivistes pour mieux comprendre la dynamique politique et les processus de changement.
L’institutionnalisme discursif, en accord avec la variante sociologique, se concentre sur les normes et les valeurs, partageant une ontologie constructiviste qui considère les intérêts et les institutions comme des constructions politiques et sociales, en opposition aux conceptions matérialistes du choix rationnel. Bien que partageant cet aspect constructiviste, le désaccord principal réside dans l’analyse souvent statique de la perspective sociologique, mettant l’accent sur la façon dont les cultures nationales déterminent les idées et les actions politiques. En revanche, l’institutionnalisme discursif met en lumière les dynamiques discursives par lesquelles les acteurs perçoivent les contraintes liées aux normes et aux institutions, pouvant induire la continuité ou le changement. Critiquant l’approche statique du néo-institutionnalisme, l’institutionnalisme discursif privilégie l’explication des changements plutôt que des motifs. Il cherche à décloisonner les approches institutionnelles des politiques publiques, servant de pont entre rationalistes et constructivistes, soulignant l’importance de comprendre les contraintes institutionnelles et culturelles à travers les formes interactives de construction et d’appropriation par les acteurs, tout en rappelant la nécessité d’une conceptualisation rigoureuse du discours et des conditions sociales et institutionnelles pour analyser l’émergence et la transmission des idées.
Qu’est-ce que le néo-institutionnalisme historique?
Ces travaux ont été globalement conduits par des auteurs qui s’attachaient à saisir les phénomènes politiques avec une certaine épaisseur historique, raison pour laquelle on peut considérer qu’il s’agit des prémices de l’institutionnalisme historique. Deux dimensions de l’intitulé même de ce courant de recherche : (1) Le poids des institutions : ces travaux s’intéressent aux règles qui encadrent les comportements humains. Dans ce sens, ils conçoivent la notion d’institution d’une façon qui n’est pas sans rappeler celle utilisée par l’institutionnalisme du choix rationnel. Il est globalement entendu qu’elle désigne les structures politiques, mais d’autres ont élargi pour inclure des dimensions moins formelles (Hall 1986) : les règles formelles, les procédures de mise en conformité, les modes opératoires qui structurent la relation entre les individus dans les différentes unités de l’espace politique et de l’économie. (2) Le rôle de l’histoire : les institutionnalistes historiques considèrent que les choix faits à un temps t ont également des effets à un temps t+1.
Ces institutions affectent les ressources des acteurs, mais aussi les identités et la définition de leurs intérêts. Ce dernier point différencie du choix rationnel qui postule a priori la rationalité.
Qu’est-ce que le néo-institutionnalisme sociologique?
Le néo-institutionnalisme sociologique émerge dans le domaine de la sociologie des organisations en réaction à la vision dominante des organisations en tant que structures rationnelles. Il met en avant la notion d’institutions en tant que variables indépendantes, influençant les acteurs et les façons dont les organisations fonctionnent. Ce courant se distingue de l’institutionnalisme du choix rationnel en insistant sur les explications cognitives et culturelles, affirmant que les institutions créent les intérêts, les préférences, voire les identités des acteurs. Il remet en question la rationalité des institutions en mettant en évidence des phénomènes d’anarchie organisée au sein des organisations. Le modèle de la poubelle des décisions organisationnelles, par exemple, considère les décisions comme le résultat de facteurs indépendants se combinant de manière fortuite. Cela a également été appliqué à l’analyse des politiques publiques, remettant en question l’idée d’une planification savante et soulignant le rôle des opportunités dans l’émergence de nouvelles politiques. En outre, le néo-institutionnalisme sociologique se penche sur les matrices cognitives et la culture comme éléments clés pour comprendre comment les institutions structurent le comportement des acteurs.
Qu’est-ce que le modèle de la poubelle?
Le modèle de la poubelle des décisions organisationnelles, développé par Michael Cohen, James March et Johan Olsen, remet en question la conception traditionnelle de la rationalité dans les organisations. Plutôt que de considérer les organisations comme des entités rationnelles et cohérentes, les auteurs décrivent les processus de décision internes comme une “anarchie organisée”. Selon ce modèle, les organisations sont composées de coalitions d’acteurs poursuivant des intérêts et des objectifs divers, caractérisées par des objectifs flous, une connaissance limitée du fonctionnement interne et une implication variable dans le processus décisionnel. La décision organisationnelle est envisagée comme le résultat de facteurs relativement indépendants, réunis de manière fortuite, créant une dynamique propre. Le modèle identifie quatre ingrédients - problèmes, solutions, décideurs et opportunités de décision - formant des “courants” qui traversent l’organisation. Ainsi, une décision est le produit de la combinaison spécifique de ces courants à un moment donné, mettant en évidence une approche de la prise de décision moins rationaliste et plus contextuelle, où une solution trouve son problème dans une opportunité de décision particulière.
Qu’est-ce que le “sentier de la dépendance”?
La notion de “path dependence” ou dépendance au chemin emprunté se réfère au poids des choix passés et des institutions politiques sur les décisions actuelles. Elle s’inspire de l’économie, où l’on observe que même si une solution plus efficace est connue, elle n’est pas toujours adoptée en raison des coûts liés au changement. Cette idée, popularisée par Douglass C. North, s’applique également à la politique. Les choix institutionnels initiaux ont des implications à long terme sur la performance économique et politique. La dépendance au chemin se renforce avec le temps en raison de mécanismes de rendements croissants, tels que les coûts d’investissement, l’apprentissage, la coordination, et l’anticipation. Les institutions politiques sont souvent conçues pour être difficiles à changer, ce qui contribue à la pérennité des politiques passées. La courte perspective politique des élus, axée sur l’agenda électoral immédiat, favorise également la résistance au changement. Ces mécanismes expliquent la continuité des processus politiques et institutionnels et les obstacles aux changements, en particulier dans le domaine de la protection sociale.
Theda Skocpol 1985 (Bringing the State Back In. Strategies of Analysis in Current Research)
C’est le livre « Bringing the state back in » (Evans, Rueschemeyer et Skocpol 1985) qui annonce l’arrivée de cette approche au cœur de la science politique internationale. Il pose l’État comme acteur central des politiques publiques : l’État est plus qu’une simple arène dans laquelle les groupes sociaux font des demandes et s’engagent dans des luttes politiques ou des compromis. L’État, entendu comme un ensemble d’organisations revendiquant le contrôle de territoires, de personnes et engagé dans des activités législatives et exécutives, est conçu ici non seulement comme autonome du reste de la société, mais en même temps comme capable d’exercer une influence sur elle. Le rôle de l’État est double selon Skocpol : (1) L’État peut définir ses objectifs de façon autonome et développer des capacités pour mettre en œuvre des politiques. Elle souligne notamment le rôle des fonctionnaires, experts utilisés par l’État, source de choix publics. Un exemple est les travaux de Heclo (1974) sur les politiques sociales en Suède et au Royaume-Uni : les politiques d’assurance-chômage ont été principalement impulsées par des fonctionnaires. Le rôle autonome des bureaucraties a été encore plus grand en Suède, en raison de l’existence de structures bureaucratiques prémodernes, ce qui les place dans des positions privilégiés pour diagnostiquer des problèmes et proposer des solutions universalistes. (2) Les États peuvent forger des cultures politiques, encourager les formations de certains groupes plutôt que d’autres ou favoriser l’émergence de certains problèmes, et ce de façon largement non intentionnelle. Certains travaux ont montré que les différentes formes d’État conduisaient à des conceptions contrastées de la politique elle- même.
Peter A. Hall et C.R. Taylor Rosemary 1997 (La science politique et les trois néo-institutionnalismes)
Les trois approches de l’institutionnalisme, à savoir l’institutionnalisme historique, l’institutionnalisme des choix rationnels et l’institutionnalisme sociologique, diffèrent dans leur manière d’aborder les institutions politiques. L’institutionnalisme historique met l’accent sur l’impact des institutions sur la répartition du pouvoir et des ressources, en prenant en compte à la fois les calculs stratégiques et les modèles culturels. L’institutionnalisme des choix rationnels se concentre sur les comportements politiques en supposant que les acteurs agissent de manière rationnelle pour maximiser leur intérêt, en insistant sur les interactions stratégiques et la création volontaire des institutions. L’institutionnalisme sociologique élargit la notion d’institutions pour inclure des éléments culturels et symboliques, considérant que les institutions influencent le comportement en façonnant les schémas cognitifs et les identités.
Relation institution et comportement : L’institutionnalisme des choix rationnels se concentre sur les comportements instrumentaux, tandis que l’institutionnalisme historique et sociologique mettent davantage l’accent sur des aspects culturels, symboliques et non utilitaires de la relation entre les institutions et le comportement. Les théoriciens de l’institutionnalisme historique pourraient tirer profit d’une meilleure collaboration avec d’autres écoles pour développer leur compréhension des relations causales.
Naissance et modification des institutions : L’institutionnalisme des choix rationnels se concentre sur l’efficacité des institutions existantes, supposant souvent qu’elles sont les plus efficaces pour remplir leurs fonctions. Cette approche est critiquée pour son caractère rétrospectif, fonctionnaliste, intentionnaliste, volontariste, et pour son recours à l’équilibre de Nash, limitant son aptitude à expliquer l’origine des institutions. En revanche, l’institutionnalisme historique et sociologique part du constat de l’existence de nombreuses institutions et considère que les nouvelles institutions sont influencées par celles déjà en place. Les sociologues se penchent sur la manière dont les acteurs s’inspirent des modèles institutionnels existants, mettant l’accent sur les processus de conflit et d’interprétation, et prenant en compte des facteurs tels que l’interprétation et la légitimité sociale.
Une réconciliation entre ces approches peut offrir une compréhension plus complète des institutions politiques et de leur origine.
James Mahoney et Kathleen Thelen 2010 (A Theory of Gradual Institutional Change)
Ce texte soutient que les institutions, loin d’être statiques, sont des instruments de distribution de pouvoir chargés d’implications politiques. Le changement institutionnel découle principalement de deux sources : d’abord, des modifications dans la répartition du pouvoir qui influencent la stabilité des institutions via l’accumulation et la mobilisation continues des ressources ; ensuite, des enjeux de conformité où les règles formelles sont sujettes à des interprétations compétitives, à des lacunes et à des ambiguïtés permanentes, ouvrant ainsi des espaces de changement. Quatre schémas de changement institutionnel sont identifiés : remplacement, superposition, déviation et conversion, tous modelés par les caractéristiques du système et des institutions. Les différences dans les règles existantes et le contexte politique influent sur le type de changement institutionnel possible, où les possibilités de veto et de discrétion dans la mise en œuvre sont déterminantes. Les agents de changement, tels que les insurrectionnistes, les symbiotes, les subversifs et les opportunistes, opèrent dans ce cadre institutionnel et contextuel, formant des coalitions pour réussir. En somme, les tensions internes, les conflits de pouvoir et les divergences d’interprétation et de mise en œuvre des règles constituent les moteurs du changement institutionnel, façonnés par les dynamiques de pouvoir et les stratégies des acteurs impliqués.
Gøsta Esping-Andersen 2014 (Les trois mondes de l’État providence. Essai sur le capitalisme moderne)
Ce livre est un examen détaillé de la manière dont les ressources générées par les politiques publiques affectent les masses populaires a récemment été mené par un sociologue. Les États providence fournissent des ressources et des incitations aux individus qui influencent profondément des choix de vie cruciaux : le type d’emploi à prendre, le moment de prendre sa retraite ou de prendre du temps hors de la main-d’œuvre rémunérée, la manière d’organiser et de répartir les tâches ménagères telles que l’éducation des enfants. L’État providence « est une sage-femme de l’évolution de l’emploi post-industriel ». Son argument central est que « différentes interactions entre l’État providence et le marché du travail produisent différentes trajectoires post-industrielles ». L’enquête détaillée sur les politiques sociales et les structures professionnelles aux États-Unis, en Suède et en Allemagne établit de manière convaincante des liens entre les structures des politiques publiques et les circonstances socio-économiques des masses populaires. Il y a trois types d’États providences (socialiste, conservateur, libéral) qui répondent à la démarchandisation (degré auquel les individus peuvent maintenir un niveau de vie acceptable sans être complètement dépendants du marché) différemment.
Les divergences dans les niveaux de démarchandisation des États-providence résultent d’une interaction complexe entre les variables du pouvoir politique et l’héritage historique des nations. Contrairement à une explication basée uniquement sur le développement économique, qui ne présente pas de corrélation significative avec la démarchandisation, le pouvoir politique, en particulier l’influence de la gauche, joue un rôle prépondérant, expliquant jusqu’à 40 % des variations observées. L’explication inclut également l’influence de l’héritage historique, indiquant que les nations avec une tradition conservatrice ou catholique précoce peuvent adopter une démarchandisation précoce, tout en maintenant des mécanismes de contrôle social robustes. En revanche, les pays avec un héritage libéral évoluent en fonction de la structuration du pouvoir politique, basculant vers des États-providence sociaux-démocrates démarchandisés sous la démocratie sociale, ou maintenant un niveau de démarchandisation bas en l’absence de changements significatifs dans l’économie politique. Les variations émergentes dans le taux de croissance des industries de services, le poids relatif des services sociaux par rapport aux services personnels, la compétence et la composition professionnelle de la main-d’œuvre, et la répartition des emplois par genre et par origine ethnique peuvent tous être attribués en partie à des choix politiques antérieurs.
Paul Pierson 2000 (Increasing Returns, Path Dependence, and the Study of Politics)
Cet article conceptualise la dépendance au chemin comme un processus social ancré dans une dynamique de “rendements croissants”. En passant en revue la littérature récente en économie et en suggérant des extensions au domaine politique, l’article démontre que les processus de rendements croissants sont susceptibles d’être courants et qu’il existe des bases analytiques solides pour explorer leurs causes et conséquences. L’étude des rendements croissants peut fournir un cadre plus rigoureux pour développer certaines des principales affirmations de la recherche récente en institutionnalisme historique : des schémas spécifiques de timing et de séquence ont de l’importance ; une large gamme de résultats sociaux est possible ; d’importants résultats peuvent découler d’événements relativement petits ou contingents ; une fois introduites, certaines actions peuvent être presque impossibles à inverser ; et en conséquence, le développement politique est ponctué de moments critiques ou de conjonctures qui façonnent les contours fondamentaux de la vie sociale.
La théorie microéconomique, bien qu’éclairante pour la politique, nécessite une adaptation pour comprendre les différences substantielles entre ces domaines. En politique, des caractéristiques distinctives favorisent les rendements croissants, tels que l’action collective, la densité institutionnelle et l’utilisation du pouvoir pour renforcer les inégalités. Cependant, les mécanismes d’amélioration sont limités en raison de la faible efficacité des processus compétitifs, des horizons temporels courts des acteurs politiques et de la propension des institutions à maintenir le statu quo. Ces caractéristiques intensifient et rendent difficiles à renverser les processus de rendements croissants en politique, renforcés par l’obligation plutôt que la volonté dans la fourniture de biens publics. Paul Pierson souligne trois processus politiques - action collective, interprétation des enjeux et développement institutionnel - marqués par des phénomènes de rendements croissants, où les choix passés et les institutions influent sur les incitations et les ressources actuelles. De plus, la rigidité institutionnelle et les horizons politiques à court terme des responsables politiques amplifient la pérennité des décisions et rendent difficile l’adoption de solutions nouvelles malgré leurs avantages à long terme mais coûts immédiats.
Bruno Jobert et Pierre Muller 1987 (L’État en action: politiques publiques et corporatismes)
L’approche par les référentiels propose un cadre analytique pour étudier les politiques publiques en mettant l’accent sur leur dimension idéelle. Ils proposent de considérer les politiques publiques comme des moments de la lutte politique visant à construire un ensemble de normes organisant la cohésion sociale. Le concept clé dans cette approche est celui du « référentiel » qui désigne un ensemble de codes ou de modèles de référence auxquels les acteurs se réfèrent pour donner un sens à une politique publique. La construction du référentiel est l’acte constitutif d’une politique publique, car il guide les pratiques sociales des acteurs dans un secteur donné. Ils identifient aussi les “médiateurs” comme les acteurs qui participent activement à la construction du référentiel. Les médiateurs ne façonnent pas seulement l’image du secteur et de la politique, mais construisent également leur propre identité politique en relation avec ce référentiel. Dans cette perspective, le référentiel d’une politique publique devient un prisme cognitif à travers lequel les médiateurs perçoivent et interprètent le fonctionnement d’un secteur. Les changements dans les politiques publiques sont influencés par l’articulation entre le référentiel sectoriel et le référentiel global, ce dernier étant l’ensemble des normes qui prévalent dans la société dans son ensemble. Ainsi, les acteurs des politiques publiques ne sont pas totalement libres dans la construction du référentiel sectoriel, car ils doivent prendre en compte le référentiel global qui exerce une influence structurelle. Ils utilisent l’exemple de la politique agricole française.
Qu’est-ce que l’apprentissage?
C’est principalement dans l’ouvrage de Hugh Heclo, consacré aux politiques sociales en Grande-Bretagne et en Suède, qu’il est pour la première fois opérationnalisé. Heclo démontre qu’il est nécessaire d’introduire l’incertitude et la mobilisation des savoirs pour comprendre la conduite des politiques publiques dans les sociétés contemporaines : « Les gouvernements ne font pas qu’user du pouvoir [not only power] […], ils doutent [puzzle] également. Fabriquer des politiques publiques est une forme d’interrogation collective [collective puzzlement] au nom de la société ; cela demande à la fois de la décision et du savoir » (Heclo, 1974).
Le recours à la notion d’apprentissage offre deux possibilités d’enrichissement de l’analyse de l’action publique. (1) Il permet d’en élargir la lecture en réintroduisant la question du savoir et de l’usage de l’information dans la conduite des programmes gouvernementaux. Le changement de politique publique peut ainsi résulter de la perception d’actions passées (réussies ou ratées), de nouvelles idées ou de changements dans l’environnement de la politique publique. (2) Penser en termes d’apprentissage conduit aussi implicitement à replacer l’action publique dans une temporalité, et à analyser de quelle manière les individus perçoivent les effets et les résultats des politiques antérieures, et comment ils tentent de modifier le cours de l’action publique.
Peter A. Hall 1993 (Policy Paradigms, Social Learning, and the State: The case of Economic Policymaking in Britain)
L’activité d’apprentissage désigne une capacité des fonctionnaires à modifier leurs comportements et leurs pratiques afin de mieux atteindre les objectifs d’action publique qu’ils se donnent, et constitue l’explication centrale des changements dans la conduite des politiques publiques. Cette hypothèse, Peter A. Hall la discute à partir de l’évolution de la politique macroéconomique de la Grande-Bretagne en 1970 et en 1989. Selon lui, si la notion d’apprentissage est utile pour ce qui concerne les changements de premier (modification de niveau d’un instrument) et de deuxième (modification de l’instrument lui-même) ordres, dans la mesure où les modifications observées renvoient aux activités des experts et des fonctionnaires pour adapter les politiques aux conditions socio-économiques en tirant des leçons des expériences passées, le changement de paradigme opéré en 1979 procède essentiellement d’une prise de pouvoir de la part de leaders politiques (l’équipe conservatrice située autour de Margaret Thatcher, soutenue par des journalistes et des experts séduits par les théories monétaristes). Pour ce dernier cas (changement de troisième ordre), les changements politiques sont plus provoqués par des rapports de pouvoir entre des coalitions différentes que par des processus d’apprentissage par des fonctionnaires.